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 Pourquoi ma connaissance est-elle bornée ?
ma taille ? ma durée à cent ans plutôt
qu'à mille ? Quelle raison a eue la nature de me la
donner telle, et de choisir ce nombre plutôt qu'un autre,
dans l'infinité desquels il n'y a pas plus de raison de
choisir l'un que l'autre, rien ne tentant plus que l'autre ?  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Tiré de l'expérience.  -  L'absurdité
d'une chose n'est pas une raison contre son existence, c'en est
plutôt une condition.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Victor Hugo est de l'Académie. Allons, allons,
c'est bien : l'Académie a besoin de temps en temps
d'être déflorée.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Le choix d'Ancelot à l'Académie n'a été
qu'ignoble ; celui de Balzac serait immonde.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 L'autre jeudi, à l'Académie, M. Ancelot
disait ce quatrain :
      J'ai joué, je ne sais plus où
      Sur un billard d'étrange sorte.

      Les billes restent à la porte
      Et la queue entre dans le trou.
 Cela faisait rire ceux que le dictionnaire ne faisait pas bâiller.  
    --- Victor HUGO   
%
 Il arriva un jour à l'Académie qu'un copiste
malhabile, chargé de fournir des exemples donna celui-ci,
tiré, disait-il, de Regnard (Le Joueur) :
      Je me mettrais en gage à mon
besoin d'argent.
 Là-dessus, la commission du Dictionnaire bâcla une
théorie pour démontrer comme quoi la locution était
excellente, et neuve, et faisait partie des originalités
de la langue française. L'Académie était
en train d'approuver le rapporteur M. Patin, lorsqu'un membre
(M. Ancelot) fit remarquer que Regnard n'avait pas écrit
un mot de cela, et que le texte était, Le Joueur, acte
II, scène ix : 
      Je me mettrais en gage en un besoin
urgent.
      Sur cette nippe-là vous auriez
peu d'argent.
 Un peu plus, la chose était dans le dictionnaire avec
la manière de s'en servir.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le prétendu dictionnaire historique de la langue
que fait en ce moment l'Académie est le chef-d'oeuvre de
la puérilité sénile.  
    --- Victor HUGO   
%
 Je voudrais [...] être de l'Académie pour
en dire du mal. Car se moquer d'un salon où l'on n'est
pas reçu, ça n'a pas l'air très sincère ;
mais quand on en est, et surtout que le maître de la maison
est un cardinal mort il y a longtemps, on peut s'en donner à
coeur joie ;  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 "L'Académie est un salon." L'Académie n'est
pas un salon ; c'est une bourriche. A part Anatole
France, doué d'un haut talent, et deux ou trois autres
qui, sans grandes idées, n'écrivent pas positivement
mal, il n'y a là qu'une collection d'huîtres ;
et d'huîtres contaminées. 
 "Nous sommes des honnêtes gens." Vous n'êtes pas
des honnêtes gens ; vous êtes de glorioleuses
canailles. Et ce serait un bonheur pour le pays que la disparition
de cet antre de la sottise servile, du pédantisme hypocrite,
lâche et féroce  -  de ce conservatoire de
la cruelle et ridicule vanité nationale.  
    --- Georges DARIEN   
%
 J'ai assisté de près à de nombreuses
brigues pour l'Académie française et pour l'Académie
des sciences et j'en ai conservé à la fois un souvenir
amusé et écoeuré. Il est étonnant
que des hommes d'un certain âge et d'un certain poids se
soumettent à d'aussi humiliantes démarches, ou acceptent
d'être confondus avec la tourbe de faux lettrés et
de faux savants qui encombre ces prétendus sanctuaires
des Lettres et des Sciences. Une fois admis, après bien
des rebuffades, et pleins de rancoeur, ces gens de valeur prennent
en grippe les collègues qui les ont ainsi humiliés
et ne songent plus qu'à se venger d'eux, ou à susciter
des candidats qu'ils pourront, à leur tour, brimer et molester.
D'où un sadisme sénilo-académique qui mériterait
une étude à part.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Quand ils ont fini d'écrire des conneries dans
le dictionnaire, à quoi servent les académiciens ?
A rien. A rien du tout. Non mais regardez-les !
Voyez ces tristes spécimens de parasites de la société
qui trémoussent sans vergogne leur arrogance de nantis
sur les fauteuils vermoulus de l'Académie française.
Voyez-les glandouiller sans honte à l'heure même
où des millions de travailleurs de ce pays suent sang et
eau dans nos usines, dans nos bureaux, et même dans nos
jardins où d'humbles femmes de la terre arrachent sans
gémir à la glèbe hostile les glorieuses feuilles
de scarole destinées à décorer les habits
verts de ces plésiosaures diminués qui souillent
les bords de Seine du Quai Conti du chevrotement comateux de leurs
pensées séniles.
 N'avez vous pas honte, messieurs, de vous commettre ainsi dans
cette assemblée de vieilles tiges creuses, rien dans la
cafetière, tout dans la coupole.
 N'avez-vous pas honte, à vos âges, des grands garçons
comme vous, de vous déguiser périodiquement en guignols
vert pomme avec des chapeaux à plumes à la con et
une épée de panoplie de Zorro ? Est-il Dieu
possible que des écrivains aussi sérieux que vous
passent leur temps à se demander s'il y a deux n à
zigounette ?  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Victor Hugo, de l'Académie française (on
ne le précise jamais, car l'Académie n'est glorieuse
que pour ceux qui ne le sont pas).  
    --- Frédéric DARD   
%
 Vise toujours à la brièveté ;
brève est la route de la nature, et c'est la manière
de tout faire et de tout dire le plus raisonnablement possible ;
un tel propos t'affranchit de bien des fatigues, de campagnes
militaires, d'affaires administratives, du style recherché.  
    --- MARC-AURELE   
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 Ne va pas penser que, si une chose est difficile à
comprendre pour toi, elle est incompréhensible pour tout
homme ; mais si une chose est possible et familière
à un homme, crois bien aussi que tu peux l'atteindre.  
    --- MARC-AURELE   
%
 N'aie pas honte de te faire aider ; car tu te proposes
de faire ce qui est utile, comme le soldat à l'assaut des
murs. Quoi donc ! si tu es boiteux et si tu ne peux monter
seul au créneau, mais si c'est possible, grâce à
un autre ?  
    --- MARC-AURELE   
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 A chaque minute il me semble que je m'eschape. Et me rechante
sans cesse : "Tout ce qui peut estre faict un autre jour,
le peut estre aujourd'huy."  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses deviennent
ordinairement incapables des grandes.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
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 Raison des effets. - La concupiscence et la force sont
les sources de toutes nos actions : la concupiscence fait
les volontaires ; la force, les involontaires.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Celui qui, logé chez soi dans un palais, avec deux
appartements pour les deux saisons, vient coucher au Louvre dans
un entresol n'en use pas ainsi par modestie ; cet autre qui,
pour conserver une taille fine, s'abstient du vin et ne fait qu'un
seul repas n'est ni sobre ni tempérant et d'un troisième
qui, importuné d'un ami pauvre, lui donne enfin quelque
secours, l'on dit qu'il achète son repos, et nullement
qu'il est libéral. Le motif seul fait le mérite
des actions des hommes, et le désintéressement y
met la perfection.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Faire d'avance un plan exact et détaillé,
c'est ôter à son esprit tous les plaisirs de la rencontre
et de la nouveauté dans l'exécution de l'ouvrage.
C'est se rendre à soi-même cette exécution
insipide et par conséquent impossible dans les ouvrages
qui dépendent de l'enthousiasme et de l'imagination. Un
pareil plan est lui-même un demi-ouvrage. Il faut le laisser
imparfait si on veut se plaire.  
    --- Joseph JOUBERT   
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 Il faut, quand on agit, se conformer aux règles,
et quand on juge avoir égard aux exceptions.  
    --- Joseph JOUBERT   
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 La facilité est ennemie des grandes choses.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il y a une infinité de choses qu'on ne fait bien
que lorsqu'on les fait par nécessité.  
    --- Joseph JOUBERT   
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 La vie contemplative est souvent misérable. Il
faut agir davantage, penser moins, et ne pas se regarder vivre.  
    --- CHAMFORT   
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 Les grandes choses sont faites pour enfanter les petites
et les petites pour engendrer les grandes. La montagne produit
une souris ; le polype bâtit un promontoire.  
    --- Victor HUGO   
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 Il y a des gens pour croire sensé tout ce qu'on
fait en prenant un air sérieux.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
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 Je crois que si l'on veut construire sur du sable, autant
que ce soient des forteresses plutôt que des châteaux
de cartes.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Le penchant qu'ont les hommes à tenir pour importantes
des vétilles n'a pas manqué d'avoir de très
grandes conséquences.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 L'homme indécis sur une action qu'il médite,
attend souvent un exemple qui l'encourage ; quelque envie
qu'il ait de la faire, il ne veut pas être le premier, il
attend qu'on lui ouvre le chemin. Aussi voyez, examinez, dans
la société, un acte de bienfaisance succède
à un acte de bienfaisance, un duel à un duel, un
suicide à un suicide, un crime à un crime. L'homme
est imitateur ; confrontez attentivement les registres de
la police avec ceux de la cour d'assises. et vous verrez que l'assassinat
n'est jamais plus fréquent que lorsqu'on vient de condamner
un homme pour assassinat ; six mois passés sans meurtre,
il faut une âme forte pour en commettre un ; il montre
l'exemple, on le suit ; combien qui n'attendaient que cela
pour se décider. En sortant de la cour d'assises, on est
toujours plus disposé à commettre un crime qu'en
y entrant. Il y a ce je ne sais quoi qui diminue l'horreur du
crime, en voyant le criminel fait comme un autre homme, lui que
l'on s'était peint comme un monstre ; un je ne sais
quoi qui fait qu'on n'y trouve plus autant de répugnance,
et si l'accusé est ferme, quel encouragement ! Je
serai comme lui, se dit-on ; ne suis-je pas homme comme lui ?
On s'habitue à cette idée, on ne la chasse plus ;
et si le criminel vient à démontrer que c'est la
société qui a tort avec lui, chacun se dit :
Elle a tort aussi avec moi ; pourquoi la ménagerais-je
plus que lui ? pourquoi craindrais-je plus que lui ?
Tout cela est dans l'homme ; osez me dire que non, je vous
dirai que vous ne le connaissez pas.  
    --- Pierre François LACENAIRE   
%
 Le peintre qui s'apprête à peindre le soleil
fait des théories, et, quand il veut commencer, le soleil
n'est plus là.  
    --- Jules RENARD   
%
 Si tu as plusieurs cordes à ton arc, elles s'embrouilleront,
et tu ne pourras plus viser.  
    --- Jules RENARD   
%
 Echelle de mesure pour tous les jours.
 On se trompera rarement si l'on ramène les actions extrêmes
à la vanité, les médiocres à l'habitude
et les mesquines à la peur.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Défaut principal des hommes d'action.
 C'est le malheur des gens d'action que leur activité est
toujours un peu irraisonnée. On ne peut, par exemple, demander
au banquier qui amasse de l'argent le but de son incessante activité ;
elle est irraisonnée. Les gens d'action roulent comme la
pierre, suivant la loi brute de la mécanique. - Tous les
hommes se divisent, en tout temps et de nos jours, en esclaves
et libres ; car celui qui n'a pas les deux tiers de sa journée
pour lui-même est esclave, qu'il soit d'ailleurs ce qu'il
veut : homme d'Etat, marchand, fonctionnaire, savant.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Comment on gagne les gens courageux.
 On amène les gens courageux à une action en la
leur exposant plus périlleuse qu'elle n'est.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Truc de prophète. - Pour deviner à l'avance
les façons d'agir d'hommes ordinaires, il faut admettre
qu'ils font toujours la moindre dépense d'esprit pour se
libérer d'une situation désagréable.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Cela aussi est héroïque.  -  Faire
les choses les plus décriées, celles dont on ose
à peine parler, mais qui sont utiles et nécessaires,
 -  cela aussi est héroïque. Les Grecs n'ont
pas eu honte de compter parmi les grands travaux d'Hercule le
nettoyage d'une écurie.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Etre dupe.  -  Dès que vous voulez
agir, il vous faut fermer les portes du doute,  -  disait
un homme d'action.  -  Et ne crains-tu pas, de cette façon,
d'être dupe ?  -  rétorqua un contemplatif.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 [...] presque tout ce qui intéresse et séduit
les gens d'un goût assez fin et délicat, et les natures
supérieures, l'homme moyen n'y trouve "aucun intérêt" ;
et s'il remarque malgré tout qu'on se dévoue à
ces choses, il appelle cela de l'esprit désintéressé
et s'étonne qu'il soit possible d'agir de cette façon.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
  -  Quel ennui ! C'est toujours la même
histoire ! Quand on a fini de construire sa maison, on remarque
qu'on a, sans s'en rend compte, appris en la bâtissant une
chose qu'il aurait absolument fallu savoir  -  avant de
commencer. L'éternel et douloureux "trop tard !"  -  mélancolie
de tout ce qui est achevé...  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La source désapprouve presque toujours l'itinéraire
du fleuve.  
    --- Jean COCTEAU   
%
  -  Vous n'y allez pas par quatre chemins, vous !
  -  Jamais ! Un seul, c'est plus court.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Les obstacles sont les signes ambigus devant lesquels
les uns désespèrent, les autres comprennent qu'il
y a quelque chose à comprendre.
 Mais il en est qui ne les voient même pas...  
    --- Paul VALERY   
%
 Que de choses il faut ignorer pour "agir" !  
    --- Paul VALERY   
%
 Qui veut faire de grandes choses doit penser profondément
aux détails.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce qui me fait si lent à bâtir, si temporisateur
est l'étrange manie de vouloir toujours commencer par le
commencement.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il est extrêmement rare que la montagne soit abrupte
de tous côtés.  
    --- André GIDE   
%
 Un chemin droit ne mène jamais qu'au but.  
    --- André GIDE   
%
 Celui qui agit comme tout le monde s'irrite nécessairement
contre celui qui n'agit pas comme lui.  
    --- André GIDE   
%
 L'on me reproche ma démarche oblique... mais qui
ne sait, lorsqu'on a vent contraire, que force est de tirer des
bordées ? Vous en parlez bien à votre aise,
vous qui vous laissez porter par le vent. Je prends appui sur
gouvernail.  
    --- André GIDE   
%
 L'union fait la force. Oui, mais la force de qui ?  
    --- ALAIN   
%
 Le petit mot : "Je ferai" a perdu des empires. Le
futur n'a de sens qu'à la pointe de l'outil. Prendre une
résolution n'est rien ; c'est l'outil qu'il faut prendre.
La pensée suit. Réfléchissez à ceci
que la pensée ne peut nullement diriger une action qui
n'est pas commencée.  
    --- ALAIN   
%
 Nul ne peut vouloir sans faire. Je n'entends pas par là
seulement que l'exécution doit suivre le vouloir, ce qui
est déjà une assez bonne maxime de pratique ;
 j'entends que l'exécution doit précéder
le vouloir. Comment cela ? Rien n'est plus simple ni plus
aisé à comprendre si l'on considère l'homme
tout entier, l'homme dans la situation de l'homme, tel qu'il est
né, tel qu'il a grandi. Que l'homme agisse avant de vouloir,
c'est ce qui est évident par l'enfance. L'homme nage dans
l'univers dès qu'il y est jeté ; et il s'y
trouve toujours jeté, et jamais d'aucune manière
il ne s'en peut retirer. L'action réelle est donc toujours
commencée. Tout le vouloir doit s'appliquer à ce
point où l'homme déjà se sauve par les mouvements
de l'instinct. L'art de naviguer, qui est un des plus admirables,
fournit toujours de bonnes comparaisons pour l'art de vivre. On
sait que 1e gouvernail ne peut agir si le bateau ne reçoit
pas une impulsion, soit du vent, soit des rames ; et disons
même que, tant que la coque n'a pas pris une certaine vitesse
par rapport à l'eau, le gouvernail est une chose morte.  
    --- ALAIN   
%
 Point d'action ni de réussite sans une attention
totale aux causes secondaires.
 La "vie" est une occupation d'insecte.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Un zoologiste qui, en Afrique, a observé de près
les gorilles, s'étonne de l'uniformité de leur vie
et de leur grand désoeuvrement. Des heures et des heures
sans rien faire... Ils ne connaissent donc pas l'ennui ?
 Cette question est bien d'un homme, d'un singe occupé.
Loin de fuir la monotonie, les animaux la recherchent, et ce qu'ils
redoutent le plus c'est de la voir cesser. Car elle ne cesse que
pour être remplacée par la peur, cause de tout affairement.
 L'inaction est divine. C'est pourtant contre elle que l'homme
s'est insurgé. Lui seul, dans la nature, est incapable
de supporter la monotonie, lui seul veut à tout prix que
quelque chose arrive, n'importe quoi. Par là, il se montre
indigne de son ancêtre : le besoin de nouveauté
est le fait d'un gorille fourvoyé.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La devise des spécialistes du détail est :
"Occupez-vous des souris et les montagnes se débrouilleront
bien toutes seules."  
    --- L.J. PETER et R.   
%
 Il semble donc exister trois niveaux d'organisation de
l'action. Le premier, le plus primitif, à la suite d'une
stimulation interne et/ou externe, organise l'action de façon
automatique, incapable d'adaptation. Le second organise l'action
en prenant en compte l'expérience antérieure, grâce
à la mémoire que l'on conserve de la qualité,
agréable ou désagréable, utile ou nuisible,
de la sensation qui en est résultée. L'entrée
en jeu de l'expérience mémorisée camoufle
le plus souvent la pulsion primitive et enrichit la motivation
de tout l'acquis dû à l'apprentissage. Le troisième
niveau est celui du désir. Il est lié à la
construction imaginaire anticipatrice du résultat de l'action
et de la stratégie à mettre en oeuvre pour assurer
l'action gratifiante ou celle qui évitera le stimulus nociceptif.
Le premier niveau fait appel à un processus uniquement
présent, le second ajoute à l'action présente
l'expérience du passé, le troisième répond
au présent, grâce à l'expérience passée
par anticipation du résultat futur.   
    --- Henri LABORIT   
%
 Quelles peuvent être les raisons qui nous empêchent
d'agir ?
 La plus fréquente, c'est le conflit qui s'établit
dans nos voies nerveuses entre les pulsions et l'apprentissage
de la punition qui peut résulter de leur satisfaction.
Punition qui peut venir de l'environnement physique, mais plus
souvent encore, pour l'homme, de l'environnement humain, de la
socio-culture.
 [...]
 Une autre source d'angoisse est celle qui résulte du déficit
informationnel, de l'ignorance où nous sommes des conséquences
pour nous d'une action, ou de ce que nous réserve le lendemain.
Cette ignorance aboutit elle aussi à l'impossibilité
d'agir de façon efficace.
 [...]
 Enfin, chez l'homme, l'imaginaire peut, à partir de notre
expérience mémorisée, construire des scénarios
tragiques qui ne se produiront peut-être jamais mais dont
nous redoutons la venue possible. Il est évidemment difficile
d'agir dans ce cas à l'avance pour se protéger d'un
événement improbable, bien que redouté. Autre
source d'angoisse par inhibition de l'action.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Dans certaines situations, il n'y a qu'une chose à
faire : rien. Mais il faut le faire tout de suite, sans attendre
une minute de plus. On perd toujours trop de temps avant d'agir.  
    --- André FROSSARD   
%
 Casser le thermomètre n'est pas la meilleure façon
de faire baisser la température.  
    --- José ARTUR   
%
 Si vous ne faites pas aujourd'hui ce que vous avez dans
la tête, demain, vous l'aurez dans le cul.  
    --- COLUCHE   
%
 Différer une emmerde, c'est lui donner le temps
de croître.  
    --- Frédéric DARD   
%
 L'homme trop prudent attend qu'il soit trop tard.  
    --- Frédéric DARD   
%
  Michel Hannoun :
 J'étais alors responsable des étudiants gaullistes,
mais aussi étudiant en médecine, et lors d'une rencontre
avec André Malraux, j'ai le courage et la jeunesse de lui
demander : "Pourquoi avez-vous des tics ?"
 Réponse de Malraux : "Parce que ma pensée
va plus vite que l'action, et que l'une est en permanence à
la poursuite de l'autre."  
    --- Georges FILLIOUD   
%
 Ah ! la volupté de régler tout dans
la journée et d'aller se coucher sans qu'aucun papier en
souffrance ne traîne sur le bureau, sans devoir un franc
à personne et  -  mais c'est beaucoup plus rare
 -  sans que personne ne vous doive un franc !...
  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Ce qui n'est pas utile à l'essaim n'est pas non
plus utile à l'abeille.   
    --- MARC-AURELE   
%
 Recevoir des bienfaits de quelqu'un est une manière
plus sûre de se l'attacher que de l'obliger lui-même.
La vue d'un bienfaiteur importune souvent, celle d'un homme à
qui l'on a fait du bien est toujours agréable. Nous aimons
notre ouvrage en lui.
 Vouloir se passer de tous les hommes et n'être obligé
à personne, signe certain d'une âme sans sensibilité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Si vous ne sentez pas que la chose donnée par vous
vous manque, vous n'avez rien donné. On ne donne que ce
dont on se prive.  
    --- Victor HUGO   
%
 Puis-je me permettre de citer ici un mot que Clemenceau
m'a dit un jour :
  -  Je lis souvent dans les journaux des entrefilets
sur vous qui sont bien venimeux. Comment cela se fait-il ?
Vous ne demandez donc jamais de service à personne ?  
    --- Sacha GUITRY   
%
 L'homme qui se dévoue entièrement à
ses semblables risque de passer à leurs yeux pour un être
sans valeur et égoïste, tandis que celui qui ne leur
consacre qu'une petite partie de lui-même est appelé
du nom de bienfaiteur et de philanthrope.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Que l'on observe plutôt des enfants qui pleurent
et crient afin d'être objets de pitié, et pour cela
guettent le moment où leur situation peut tomber sous les
yeux ; qu'on vive dans l'entourage de malades et d'esprits
déprimés et qu'on se demande si les plaintes et
les lamentations éloquentes, l'exhibition de l'infortune,
ne poursuivent pas au fond le but de faire mal aux spectateurs :
la pitié que ceux-ci expriment alors est une consolation
pour les faibles et les souffrants en tant qu'ils y reconnaissent
avoir au moins encore un pouvoir, en dépit de leur faiblesse :
le pouvoir de faire mal. Le malheureux prend une espèce
de plaisir à ce sentiment de supériorité
dont lui donne conscience le témoignage de pitié ;
son imagination s'exalte, il est toujours assez puissant encore
pour causer de la douleur au monde.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 "Etre bon" pour quelqu'un lui suggère de
vous réduire en esclavage. Il ne s'en doute pas. Il n'en
use que plus pleinement avec vous. Il se met à penser sans
effort en disposant de vous. Vous ne faites pas obstacle. Vous
entrez implicitement dans les projets qu'il forme, au titre d'un
moyen facile.  
    --- Paul VALERY   
%
 La mauvaise charité, c'est celle qui offre plutôt
un verre de vin qu'une bouchée de pain.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il est plus facile d'être généreux
que de ne pas le regretter.  
    --- Jules RENARD   
%
 A l'encontre de beaucoup de personnes que je pourrais
nommer, je préfère m'introduire dans un compartiment
déjà presque plein que dans un autre qui serait
à peu près vide.
 Pour plusieurs raisons.
 D'abord, ça embête les gens.
 Etes-vous comme moi ? j'adore embêter les gens,
parce que les gens sont tous des sales types qui me dégoûtent.
 En voilà des sales types, les gens !
 Et puis, j'aime beaucoup entendre dire des bêtises autour
de moi, et Dieu sait si les gens sont bêtes ! Avez-vous
remarqué ?
 Enfin, je préfère le compartiment plein au compartiment
vide, parce que ce manque de confortable macère ma chair,
blinde mon coeur, armure mon âme, en vue des rudes combats
pour la vie (struggles for life).  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Nous connaissons mieux nos propres besoins que ceux des
autres. Satisfaire les siens relève de la bonne gestion.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 L'homme, par nature, n'aimerait que lui, et ce serait
la sauvagerie ; mais les liens de société l'obligent
à compter avec les autres, et à les aimer pour lui,
tant qu'enfin il arrive à croire qu'il les aime pour eux.
Il existe un bon nombre d'ouvrages, assez ingénieux, où
l'on explique assez bien le passage de l'amour de soi à
l'amour d'autrui ; et j'avoue que si l'on commençait
par la solitude et l'amour de soi, on arriverait bientôt
à aimer ses semblables. Mais ce n'est qu'une mauvaise algèbre.
Autant qu'on connaît le sauvage, il vit en cérémonie
et adore la vie commune ; il est aussi peu égoïste
que l'on voudra. L'égoïsme est un fruit de la civilisation,
non de sauvagerie ; et l'altruisme aussi son correctif ;
mais l'un et l'autre sont plutôt des mots que des êtres.  
    --- ALAIN   
%
 La charité a toujours soulagé la conscience
des riches, bien avant de soulager l'estomac du pauvre.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 Celui qui dans la vie est parti de zéro pour n'arriver
à rien dans l'existence n'a de merci à dire à
personne.  
    --- Pierre DAC   
%
 Qui aime veut venir en aide à l'objet aimé.
Mais le désir spontané de voler au secours d'autrui
ne présuppose pas forcément l'existence d'une relation
amoureuse individuelle. Au contraire, l'altruisme qui pousse à
venir en aide à un inconnu est considéré
comme une manifestation d'une particulière noblesse. Cette
aide altruiste constitue un idéal élevé et
(dit-on) contient en elle-même sa propre récompense.
 Cela ne devrait pas forcément faire obstacle à
notre dessein. Comme toute autre attitude noble, l'altruisme,
l'aide désintéressée sont susceptibles de
salissure et d'amoindrissement par la lueur blême de la
pensée. Pour mettre en doute la pureté altruiste,
il suffit de se demander si l'on ne possède pas, dans le
fond, des mobiles cachés. Cette bonne action n'était-elle
pas un dépôt de fonds sur mon compte personnel en
paradis ? Ne visait-elle pas à en mettre plein la
vue à des tiers ? Voulais-je me faire admirer ?
Contraindre quelqu'un à la gratitude envers moi, en faire,
comme on dit si bien, mon "obligé" ? Ne cherchais-je
pas plus simplement à atténuer quelque sentiment
de culpabilité ? Il n'existe manifestement pas de
limite au pouvoir de la pensée négative, il suffit
de chercher pour trouver.  
    --- Paul WATZLAWICK   
%
 Il se trouve assez de personnes qui ont du mérite,
du courage et de l'ambition et qui roulent dans leur esprit des
pensées générales de s'élever et de
rendre leur condition meilleure ; mais il s'en rencontre
rarement qui, après les avoir formées, sachent faire
le choix des moyens qui sont propres à l'exécution,
et qui ne se relâchent pas du soin continuel qu'il faut
avoir pour les faire réussir, ou, quand ils s'en donnent
la peine, c'est presque toujours à contretemps, et avec
trop d'impatience d'en voir le succès.  
    --- Cardinal de RETZ   
%
 On ne s'élève que par de grandes vertus
ou par de grands crimes, par des talents supérieurs ou
par une stupidité avérée, par une extrême
hauteur ou par une extrême bassesse : toujours par
les extrêmes.   
    --- LA BEAUMELLE   
%
 L'esclave n'a qu'un maître ; l'ambitieux en
a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Je ne suis point étonné de voir les ambitieux
se donner un air de modestie et se défendre de l'ambition
comme d'un vice honteux. Celui qui montreroit toute son ambition
étonneroit tous ceux qui voudraient le servir. D'ailleurs,
comme personne n'est assuré de réussir dans le chemin
de la fortune, on se prépare la ressource de faire croire
qu'on l'a méprisée.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 L'ambition prend aux petites âmes plus facilement
qu'aux grandes, comme le feu prend plus aisément à
la paille, aux chaumières qu'aux palais.  
    --- CHAMFORT   
%
 C'est l'ambition qui fait les grands intervalles. Un palefrenier
du roi de France est plus près de son maître que
le chancelier.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Petetin m'avait dit le matin que, pour n'avoir rien à
se reprocher, il avait mis son ambition dans sa poche. Je disais
à Chenavard que je pensais qu'il était impossible
de se trouver mêlé aux affaires des autres et de
s'en tirer complètement honnête. "Comment voulez-vous,
disait-il, qu'il en soit autrement ? Celui qui prend l'équité
pour règle ne peut absolument lutter contre celui qui ne
songe qu'à son intérêt : il sera toujours
battu dans la carrière de l'ambition."  
    --- Eugène DELACROIX   
%
 Ne pas oublier !  -  Plus nous nous élevons,
plus nous paraissons petits aux regards de ceux qui ne savent
pas voler.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 L'ambition ne m'est pas naturelle ; je me la suis
inoculée à propos de ma candidature académique
(1844). J'en éprouve assez pour la comprendre et la sentir
en abrégé. Je ne l'ai pas à l'état
de petite vérole, je l'ai à l'état de vaccine :
je n'en resterai pas gravé.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Pour peu qu'on tâche de se perfectionner, on voit
les autres rapetisser, comme s'ils s'enfonçaient dans le
sable.  
    --- Jules RENARD   
%
 Oh ! madame, mon ambition n'a pas de bornes. Pour
arriver, je vous passerais sur le ventre.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il y a de la place au soleil pour tout le monde, surtout
quand tout le monde veut rester à l'ombre.  
    --- Jules RENARD   
%
 Les arrivistes sont des gens qui arrivent. Ils ne sont
jamais arrivés.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Il y a quelques semaines que je veux noter cette réflexion
qui m'est venue, que les gens qui désirent avoir beaucoup
de choses dans la vie : places, honneurs, influence, décorations,
Académie, sont peut-être des gens qui ont une vitalité
supérieure, qui a besoin d'embrasser beaucoup de choses.
Les gens qui vivent dans leur coin, se contentant de ce qui leur
vient, sans aucune activité pour rien attraper d'autre,
seraient des gens d'une vitalité réduite. On dit
des premiers : arrivistes, ambitieux, et on fait honneur
aux seconds de leur modestie. Les premiers ne sont pas plus à
blâmer que les seconds à féliciter. Notre
caractère est notre maître et toutes nos actions
dépendent de lui. Les premiers et les seconds ne pourraient
pas être autrement qu'ils sont.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il y a des gens qui savent se caser. Il est vrai que c'est
tout ce qu'ils savent.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Si vous êtes un jour traité de parvenu, tenez
pour bien certain que vous serez arrivé.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Etre soi-même !... Mais soi-même
en vaut-il la peine ?  
    --- Paul VALERY   
%
 A strictement parler, il était resté
ce qu'on appelle un espoir ; on nomme espoirs, dans la république
des esprits, les républicains proprement dits, c'est-à-dire
ceux qui s'imaginent qu'il faut consacrer à son travail
la totalité de ses forces, au lieu d'en gaspiller une grande
part pour assurer son avancement social ; ils oublient que
les résultats de l'homme isolé sont peu de chose,
alors que l'avancement  est le rêve de tous, et négligeant
ce devoir social qu'est l'arrivisme, ils oublient que l'on doit
commencer par être un arriviste pour pouvoir offrir à
d'autres, dans les années du succès, un appui à
la faveur duquel ils puissent arriver à leur tour.  
    --- Robert MUSIL   
%
 Méfiez-vous de ceux qui tournent le dos à
l'amour, à l'ambition, à la société.
Ils se vengeront d'y avoir renoncé.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La lucidité sans le correctif de l'ambition conduit
au marasme. Il faut que l'une s'appuie sur l'autre, que l'une
combatte l'autre sans la vaincre, pour qu'une oeuvre, pour qu'une
vie soit possible.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Eût-il tous les mérites, un ambitieux ne
peut être honnête qu'à la surface. N'ayez confiance
que dans les indifférents.   
    --- Emil CIORAN   
%
 Le mot "légitime" perd toute espèce de sens
quand on l'associe à celui d'"ambition".  
    --- André FROSSARD   
%
 L'amoureux véritable des fonctions et des places
ne démissionne jamais, ni pour raison de conscience, ni
faute des conditions techniques nécessaires à son
office. Il sacrifie toujours ce qu'il faut et ceux qu'il faut
à la conservation de son pouvoir, y compris ce pouvoir
même, s'il doit se résigner à n'en plus retenir
que l'apparence. Les trahisons que son arrivisme lui impose et
les volte-face que ses opinions exécutent, il les déguisera
en décisions immaculées, qui coulent de la pure
source d'une conviction intime et d'une méditation toute
personnelle. La démission, s'il y est acculé, il
la négocie contre un autre poste, dans lequel il s'arrange
pour gagner en élévation ce qu'il a perdu en influence.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Les grandes âmes ne sont pas celles qui ont moins
de passions et plus de vertu que les âmes communes, mais
celles seulement qui ont de plus grands desseins.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD  
%
 Les doctes ou les docteurs diront au fou : "Mon ami,
quoique tu aies perdu le sens commun, ton âme est aussi
spirituelle, aussi pure, aussi immortelle que la nôtre ;
mais notre âme est bien logée, et la tienne l'est
mal ; les fenêtres de la maison sont bouchées
pour elle ; l'air lui manque, elle étouffe." Le fou,
dans ses bons moments, leur répondrait : "Mes amis,
vous supposez, à votre ordinaire, ce qui est en question.
Mes fenêtres sont aussi bien ouvertes que les vôtres,
puisque je vois les mêmes objets et que j'entends les mêmes
paroles : il faut donc nécessairement que mon âme
fasse un mauvais usage de ses sens, ou que mon âme ne soit
elle-même qu'un sens vicié, une qualité dépravée.
En un mot, ou mon âme est folle par elle-même, ou
je n'ai point d'âme."  
    --- L'âme et la folie.
   
%
 Quand l'immortalité de l'âme serait une erreur,
je serais très fâché de ne pas la croire.
Je ne sais comment pensent les athées. (J'avoue que je
ne suis point si humble que les athées.) Mais, pour moi,
je ne veux point troquer (et je n'irai point troquer) l'idée
de mon immortalité contre celle de la béatitude
d'un jour. Je suis très charmé de me croire immortel
comme Dieu même. Indépendamment des vérités
révélées, des idées métaphysiques
me donnent une très forte espérance de mon bonheur
éternel, à laquelle je ne voudrais pas renoncer.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Le dogme de l'immortalité de l'âme nous porte
à la gloire, au lieu que la créance contraire en
affaiblit en nous le désir.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 On affirmait à quelqu'un que l'âme était
un point ; à quoi il rétorqua : pourquoi
pas un point virgule, elle aurait ainsi une queue.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Idéal d'une âme.
 Le désir d'avoir une âme et de n'être immortellement
que cette âme, ce désir doit pâlir singulièrement
près du désir d'une âme d'avoir un corps,
et une durée. Elle céderait son royaume même
pour un cheval. Un âne, peut-être ?  
    --- Paul VALERY   
%
 Ame, c'est bien là le mot qui a fait dire
le plus de bêtises. Quand on pense qu'au XVII<SUP>e</SUP> siècle
des gens sensés, de par Descartes, refusaient une âme
aux animaux ! Outre l'ineptie qu'il y avait à refuser
à d'autres êtres une chose dont l'homme n'a pas la
moindre idée, il eût autant valu prétendre
que le rossignol, par exemple, n'a pas de voix, mais, dans le
bec, un petit sifflet fort bien fait, acheté par lui à
Pan ou à quelque autre Satyre, bibelotier de la forêt.  
    --- Jules RENARD   
%
 Cent mille âmes, combien cela peut-il faire d'hommes ?  
    --- Jules RENARD   
%
 Notre âme est immortelle, pourquoi ? Et pourquoi
pas celle des bêtes ? Quand les deux flammes sont éteintes,
quelle différence y a-t-il entre la flamme d'une pauvre
chandelle et celle d'une belle lampe au bec compliqué,
haute sur tige, et dont l'abat-jour s'écarte comme une
jupe.  
    --- Jules RENARD   
%
 Les bêtes ont-elles une âme ? Pourquoi
n'en auraient-elles pas ? J'ai rencontré, dans la
vie, une quantité considérable d'hommes, dont quelques
femmes, bêtes comme des oies, et plusieurs animaux pas beaucoup
plus idiots que bien des électeurs.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 L'âme, c'est la vanité et le plaisir du corps
tant qu'il est bien portant, mais c'est aussi l'envie d'en sortir
du corps dès qu'il est malade ou que les choses tournent
mal. On prend des deux poses celle qui vous sert le plus agréablement
dans le moment et voilà tout !  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 A regarder les choses selon la nature, l'homme
a été fait pour vivre tourné uniquement vers
l'extérieur. Pour voir en lui-même, il lui faut fermer
les yeux, renoncer à l'action, sortir du courant... Ce
qu'on appelle "vie intérieure" est un phénomène
tardif qui n'a été possible que par un ralentissement
systématique de nos fonctions vitales, de sorte que 1'"âme"
n'a pu surgir qu'aux dépens de nos organes.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Cette histoire d'âme, entité invisible, invérifiable
et tellement flatteuse pour celui à qui l'on en concède
une, est une invention formidable. Elle n'est pas la seule, toute
religion est bâtie sur un système d'affirmations
du même genre, impossible à démontrer et donc
irréfutables, tout à la fois consolatrice et terrifiantes,
mais, là, on est obligé d'admirer. Affirmer à
une espèce animale, en l'occurrence la nôtre, qu'elle
n'est qu'en apparence semblable aux autres par son aspect et la
matière dont elle est faite, mais qu'elle possède,
elle, une chose essentielle et sublime, immortelle de surcroît
(vas-y voir !), que les autres créatures de chair
et de sang n'ont pas, que cette entité invisible est son
véritable "moi" qui survivra à tout, le reste n'étant
que vase provisoire, vile dépouille vouée à
la putréfaction, et que cette "étincelle divine"
la rend non seulement supérieure à toute espèce
vivante, mais surtout différente en essence car procédant
de la nature même de Dieu, ce qui lui donne droit de vie
et de mort sur tout ce qui vit, quelle trouvaille ! C'est
là le bon vieux coup de la race élue, c'est le truc
démagogique des nazis affirmant aux Allemands que les Allemands
sont le nec plus ultra de l'humanité, qu'ils sont les seuls
beaux, les seuls intelligents, les seuls purs, en un mot les seuls
vraiment hommes parmi tous les peuples, les autres n'étant
que tentatives avortées ou bâtards dégénérés,
et qu'à ce titre, eux, Allemands, ont tous les droits,
y compris celui de décider de la vie, de la mort et de
la souffrance "utile" des sous-hommes. Ca marche à
tous les coups. Pardi !  
    --- François CAVANNA   
%
 Nous n'avons pas tant à nous servir des services
que nous rendent nos amis, que de l'assurance que nous avons de
ces services.  
    --- EPICURE   
%
 Nous ne pouvons rien aimer que par rapport à nous,
et nous ne faisons que suivre notre goût et notre plaisir
quand nous préférons nos amis à nous-même ;
c'est néanmoins par cette préférence seule
que l'amitié peut être parfaite.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Le temps, qui fortifie les amitiés, affaiblit l'amour.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Vivre avec ses ennemis comme s'ils devaient un jour être
nos amis, et vivre avec nos amis comme s'ils pouvaient devenir
nos ennemis, n'est ni selon la nature de la haine, ni selon les
règles de l'amitié ; ce n'est point une maxime
morale, mais politique.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 De qui dans la vie veut-on se faire aimer ? de ceux
qui ne se soucient pas de nous. Il y a des gens qui donneraient
deux de leurs meilleurs amis, pour avoir l'amitié d'un
homme qui les fuit. Dire du mal de quelqu'un n'est le plus souvent
qu'une manière de se plaindre de son indifférence
pour nous. Dans le temps que j'étais dans le monde, on
me disait qu'il y avait un homme qui marquait toujours de l'aigreur
dans ses discours, quand il parlait de moi : je m'avisai
tout d'un coup de songer que je le saluais froidement quand je
le rencontrais. Je le tiens, dis-je alors en moi-même, cet
homme-là veut que je l'aime, il l'a mis dans sa tête,
parce qu'il s'est imaginé que je ne l'aimais pas ;
et j'avais raison de penser cela, car dès que je l'eus
salué d'un air riant, il me marqua tant d'amitié
que je n'en savais que faire. Mais, malheureusement, j'en pris
pour lui aussi, et cela fit qu'il m'aima toujours bien, mais qu'il
ne me fêtait plus.  
    --- MARIVAUX   
%
 Le seul moyen d'avoir des amis, c'est de tout jeter par
les fenêtres, de n'enfermer rien et de ne jamais savoir
où l'on couchera le soir.
 Il y a, me direz vous, peu de gens assez fous pour prendre ce
parti. Eh qu'ils ne se plaignent donc pas s'ils n'ont pas d'amis,
ils n'en veulent pas.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Quiconque n'est jamais dupe n'est pas ami.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Rien de si aisé que d'être bien avec un homme
qu'on ne voit qu'une fois par mois.  
    --- STENDHAL   
%
 Puisqu'il faut avoir des ennemis, tâchons d'en avoir
qui nous fassent honneur.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Beaucoup d'amis, beaucoup de gants,  -  de peur
de la gale.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Toi, jeune homme, ne te désespère point ;
car, tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion contraire.
En comptant l'acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux
amis !  
    --- Le Comte de LAUTREAMONT   
%
 Comment peut-on prétendre que les amis sont rares,
dans besoin ? Mais c'est le contraire. A peine a-t-on
fait amitié avec un homme, que le voilà aussitôt
dans le besoin et qu'il vous emprunte de l'argent.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 La vie de l'ennemi. - Qui vit de combattre un ennemi a
intérêt à ce qu'il reste en vie.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Tout le monde a eu de ces amis malplaisants à vivre,
mais dont on est sûr, que l'on met "à gauche" pour
ainsi parler, contre le malheur. Tels ces objets de nécessaire
dont on n'use que pris au dépourvu.
 Et tout de suite, ils vous cassent dans la main.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
  -  Ah ! qu'un beau jour, songeait le roi,
quelqu'un m'aimât pour moi-même, sans trahison, ni
calcul, ni mensonge.
 L'aumônier dit :
  -  Prenez un chien.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 La fièvre, à ce que l'on dit, nous délivre
des puces, et l'infortune, de nos amis.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
  -  Mais... mon cher ami !
  -  Là, là. Pas de gros mots.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 La haine soutenant mieux que l'amitié, si l'on
pouvait haïr ses amis on leur serait plus utile.  
    --- Jules RENARD   
%
 Mon ami ne me sert qu'à embêter ceux de mes
ennemis qui sont ses amis.  
    --- Jules RENARD   
%
 Les amis de nos amis sont nos amis.
 Le chevalier du Bran d'Enhaut avait sauvé la vie à
un petit avocat au parlement de Normandie. Quand vint la Terreur,
cet avocat plein de gratitude le recommanda à un savetier,
qui le recommanda à un vidangeur, qui le recommanda à
un bénédictin défroqué, qui le recommanda
à Catherine Théot la prophétesse, qui le
recommanda à Robespierre qui lui fit couper la tête.
Un bienfait  n'est jamais perdu.  
    --- Léon BLOY   
%
 Il se produit quelque chose d'assez mystérieux
au début d'une amitié. Une circonstance imprévue
souvent la détermine et l'on devient l'esclave d'une confidence
ou d'un secret. Plus tard, un jour, on passe en revue ses amis
et l'on constate parmi eux la présence de deux ou trois
individus qui ne devaient pas être là - mais il n'y
a plus rien à faire, le pli est pris. Comment pourriez-vous
prétendre que la raison qui vous avait poussé vers
eux n'existe plus puisqu'il vous est impossible de la formuler.
Vous les trouvez ennuyeux, inutiles et gênants parfois -
tant pis, c'est trop tard, il n'y a plus rien à faire !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Nous ne devrions déranger nos amis que pour notre
enterrement. Et encore !  
    --- Emil CIORAN   
%
 On peut aimer n'importe qui, sauf son voisin.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il est du véritable amour comme de l'apparition
des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en
ont vu.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Quand un discours naturel peint une passion ou un effet,
on trouve dans soi-même la vérité de ce qu'on
entend, laquelle on ne savait pas qu'elle y fût, en sorte
qu'on est porté à aimer celui qui nous la fait sentir ;
car il ne nous a pas fait montre de son bien, mais du nôtre ;
et ainsi ce bienfait nous le rend aimable, outre que cette communauté
d'intelligence que nous avons avec lui incline nécessairement
le coeur à l'aimer.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Qui voudra connaître à plein la vanité
de l'homme n'a qu'à considérer les causes et les
effets de l'amour. La cause est un je ne sais quoi (Corneille),
et les effets en sont effroyables. Ce je ne sais quoi, si peu
de chose qu'on ne peut le reconnaître, remue toute la terre,
les princes, les armées, le monde entier.
 Le nez de Cléopatre : s'il eût été
plus court, toute la face de la terre aurait changé.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Si la morale de Cléopâtre eût été
moins courte, la face de la terre aurait changé. Son nez
n'en serait pas devenu plus long.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 L'enfant dit (retour du cinéma où il a vu
un "drame" et le héros ou le traître tué assez
niaisement) : "S'il avait été malin, il se
serait mis à quatre pattes et il se serait sauvé."
Cette correction est remarquable. Si, etc., le drame eût
été tout autre. 
 Que de gens ont pensé qu'à la place d'Adam ils
n'eussent point mordu ; à la place de Napoléon,
évité la guerre d'Espagne ! A la place
de Pascal, on aurait fait l'économie de la pensée
du nez de Cléopâtre, qui est bien inutile. 
 Cette pensée, si elle eût été moins
naïve... n'eût pas été.  
    --- Paul VALERY   
%
 Le nez de Cléopâtre plus long, voilà
toute la face du monde changée.
 Et la sienne donc.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 L'ironie du nez de Cléopâtre et des sourcils
de Zeus, le contraste dérisoire des petites causes et des
grands effets sont [...] des apparences paradoxales qui se dissipent
quand on considère la susceptibilité infinie et
l'infini pouvoir signifiant d'un esprit capable de convertir tout
excitant en prétexte et en symbole. Si bien qu'en définitive
l'effet grandiose a vraiment une cause grandiose !  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Si le nez de Cléopatre avait été
plus long, Jules César se serait piqué le ventre.  
    --- François CAVANNA   
%
 Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser. L'amour a cela
de commun avec les scrupules, qu'il s'aigrit par les réflexions
et les retours que l'on fait pour s'en délivrer. Il faut,
s'il se peut, ne point songer à sa passion pour l'affaiblir.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 De toutes les façons de faire cesser l'amour, la
plus sûre, c'est de le satisfaire.  
    --- MARIVAUX   
%
 Je me suis toujours défié en amour des passions
qui commencent par être extrêmes ; c'est mauvais
signe pour leur durée. Les gens faits pour être constants,
destinés à cela par leur caractère, sont
difficiles à émouvoir.  
    --- MARIVAUX   
%
 Rarement la beauté et le je ne sais quoi se trouvent
ensemble.
 J'entends par le je ne sais quoi : ce charme répandu
sur un visage et sur une figure, et qui rend une personne aimable,
sans qu'on puisse dire à quoi il tient.  
    --- MARIVAUX   
%
 L'amour tel qu'il existe dans la société,
n'est que l'échange de deux fantaisies et le contact de
deux épidermes.  
    --- CHAMFORT   
%
 On vous dit quelquefois, pour vous engager à aller
chez telle ou telle femme : Elle est très aimable ;
mais si je ne veux pas l'aimer ! Il vaudrait mieux dire :
 Elle est très aimante, parce qu'il y a plus de gens qui
veulent être aimés que de gens qui veulent aimer
eux-mêmes.  
    --- CHAMFORT   
%
 On demandait à M... pourquoi la nature avait rendu
l'amour indépendant de notre raison. "C'est, dit-il, parce
que la nature ne songe qu'au maintien de l'espèce, et,
pour la perpétuer, elle n'a que faire de notre sottise.
Qu'étant ivre, je m'adresse à une servante de cabaret
ou à une fille, le but de la nature peut être aussi
bien rempli que si j'eusse obtenu Clarisse après deux ans
de soins ; au lieu que ma raison me sauverait de la servante,
de la fille, et de Clarisse même peut-être. A
ne consulter que la raison, quel est l'homme qui voudrait être
père et se préparer tant de soucis pour un long
avenir ? Quelle femme, pour une épilepsie de quelques
minutes, se donnerait une maladie d'une année entière ?
La nature, en nous dérobant à notre raison, assure
mieux son empire ; et voila pourquoi elle a mis de niveau
sur ce point Zénobie et sa fille de basse-cour, Marc-Aurèle
et son palefrenier."  
    --- CHAMFORT   
%
 Il n'y a plus aujourd'hui d'inimitiés irréconciliables
parce qu'il n'y a plus de sentiments désintéressés.
C'est un bien qui est né d'un mal.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 On ne souffre jamais que du mal que nous font ceux qu'on
aime. Le mal qui vient d'un ennemi ne compte pas.  
    --- Victor HUGO   
%
 Dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui tu hais.  
    --- Victor HUGO   
%
 Il n'y a qu'une loi en sentiment. C'est de faire le bonheur
de ce qu'on aime.  
    --- STENDHAL   
%
 Ce qu'il y a d'ennuyeux dans l'amour, c'est que c'est
un crime où l'on ne peut pas se passer d'un complice.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Qu'est-ce que l'amour ?
 Le besoin de sortir de soi.
 L'homme est un animal adorateur.
 Adorer, c'est se sacrifier et se prostituer.
 Aussi tout amour est-il prostitution.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 On peut promettre des actions, mais non des sentiments,
car ceux-ci sont involontaires. Qui promet à quelqu'un
de l'aimer toujours, ou de le haïr toujours, ou de lui être
toujours fidèle, promet quelque chose qui n'est pas en
son pouvoir ; ce qu'il peut bien promettre, ce sont des actions
qui, à la vérité, sont ordinairement les
conséquences de l'amour, de la haine, de la fidélité,
mais qui peuvent aussi provenir d'autres motifs, car a une seule
action mènent des chemins et des motifs divers.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ce qu'on fait par amour l'est toujours par-delà
le bien et le mal.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le "je ne sais quoi" d'une femme, il n'y a que ça
qui compte.  
    --- Jules RENARD   
%
 C'est peut-être parce que le chardon pique qu'il
ne craint pas la sécheresse. Il ne faut pas être
trop indulgent : un peu de haine protège.  
    --- Jules RENARD   
%
 Qui les veut faire durer, il faut couvrir son feu de cendres,
et son amour de mystère.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Certains amoureux éprouvent à abaisser leur
maîtresse le même plaisir que les enfants à
éventrer leurs pantins.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 On n'est pas beau après l'amour. Mouvements ridicules,
où on perd chacun un peu de matière. Grandes saletés.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il en est en amour comme en toutes choses. Ce qu'on a
eu n'est rien, c'est ce qu'on n'a pas qui compte.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'amour ! Alors, on aime un appareil respiratoire,
un tube digestif, des intestins, des organes d'évacuation,
un nez qu'on mouche, une bouche qui mange, une odeur corporelle ?
Si on pensait à cela, comme on serait moins fou !  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'amour, c'est le physique. Et La Rochefoucauld l'a oublié :
l'amour est encore une forme de l'intérêt. Ce qu'on
aime dans un autre, c'est soi, c'est son plaisir, c'est le plaisir
qu'on lui donne et qui est encore une forme du nôtre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Pour être aimé, il faut ne pas aimer ou savoir
cacher son amour. C'est une vérité qui n'a pas fini
d'être vraie.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'admirable maxime de La Rochefoucauld : "Il y a
des gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils
n'avaient jamais entendu parler de l'amour", est applicable à
beaucoup d'autres sentiments ; à tous peut-être.
Il faut un esprit extraordinairement averti pour s'en apercevoir.
Et ce serait une profonde erreur de croire que les êtres
les moins cultivés sont les plus spontanés, les
plus sincères. Le plus souvent ce sont, au contraire, les
moins capables de critique, les plus à la merci de l'instar,
les mieux disposés, par faiblesse ou paresse, à
adopter des sentiments de convention et à les exprimer
par des phrases toutes faites qui leur épargnent la peine
d'en chercher d'autres plus précises, phrases dans lesquels
leurs sentiments se glissent prenant tant bien que mal la forme
de cette coquille d'emprunt.  
    --- André GIDE   
%
 Que si le moi est haïssable, aimer son prochain comme
soi-même devient une atroce ironie.  
    --- Paul VALERY   
%
 La haine est clairvoyante en ce sens qu'elle fait être
ce qu'elle suppose, car ignorance, injustice, haine lui répondent
aussitôt. L'amour trouvera toujours moins de preuves ;
car il n'est point promis qu'il suffise de vouloir l'autre attentif,
bienveillant, généreux, pour qu'il le soit. Toutefois,
par cela même, il est clair qu'il faut choisir d'aimer,
et de jurer, et de ne jamais céder là, étant
évident que la plus forte résistance ici ne peut
être vaincue que par la promesse la plus généreuse.  
    --- ALAIN   
%
 Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si
l'amour le frappe, de réagir en midinette.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Aimer son prochain est chose inconcevable. Est-ce qu'on
demande à un virus d'aimer un autre virus ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 Etre aimé, dans la meilleure des circonstances,
est quelque chose de bien mystérieux. Mais il ne sert à
rien de chercher à s'enquérir, car les questions
ne font que brouiller plus encore le sujet. Au mieux, l'autre
est incapable de vous dire pourquoi. Au pire, ses raisons de vous
aimer se révèlent des choses qu'il ne vous serait
jamais venu à l'esprit de trouver aimables -cet affreux
grain de beauté sur votre épaule gauche. Une fois
encore, on se rend compte, trop tard, que le silence est d'or.
 Voici donc une nouvelle leçon utile pour la poursuite
de notre sujet : Il ne faut jamais accepter en toute simplicité
et gratitude ce que la vie peut nous offrir à travers l'affection
d'un partenaire. Il faut supputer. Se demander, plutôt que
lui demander, ce qu'il peut bien trouver en nous. Car il faut
qu'il y ait un intérêt ou quelque autre raison égoïste
qu'il n'est pas près de nous révéler.  
    --- Paul WATZLAWICK   
%
 Avec ce mot on explique tout, on pardonne tout, on valide
tout, parce que l'on ne cherche jamais à savoir ce qu'il
contient. C'est le mot de passe qui permet d'ouvrir les coeurs,
les sexes, les sacristies et les communautés humaines.
Il couvre d'un voile prétendument désintéressé,
voire transcendant, la recherche de la dominance et le prétendu
instinct de propriété. C'est un mot qui ment à
longueur de journée et ce mensonge est accepté,
la larme à l'oeil, sans discussion, par tous les hommes.
Il fournit une tunique honorable à l'assassin, à
la mère de famille, au prêtre, aux militaires, aux
bourreaux, aux inquisiteurs, aux hommes politiques. Celui qui
oserait le mettre à nu, le dépouiller jusqu'à
son slip des préjugés qui le recouvrent, n'est pas
considéré comme lucide, mais comme cynique. Il donne
bonne conscience, sans gros efforts, ni gros risques, à
tout l'inconscient biologique. Il déculpabilise, car pour
que les groupes sociaux survivent, c'est-à-dire maintiennent
leurs structures hiérarchiques, les règles de la
dominance, il faut que les motivations profondes de tous les actes
humains soient ignorés. Leur connaissance, leur mise à
nu, conduirait à la révolte des dominés,
à la contestation des structures hiérarchiques.
Le mot d'amour se trouve là pour motiver la soumission,
pour transfigurer le principe du plaisir, l'assouvissement de
la dominance.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Il y a des milliers d'années que périodiquement
on nous parle de l'amour qui doit sauver le monde. C'est un mot
qui se trouve en contradiction avec l'activité des systèmes
nerveux en situation sociale. Il n'est prononcé d'ailleurs
que par des dominants culpabilisés par leur bien-être
et qui devinent la haine des dominés, ou par des dominés
qui se sont brisé les os contre la froide indifférence
des dominances. Il n'existe pas d'aire cérébrale
de l'amour. C'est regrettable. Il n'existe qu'un faisceau du plaisir,
un faisceau de la réaction agressive ou de fuite devant
la punition et la douleur et un système inhibiteur de l'action
motrice quand celle-ci s'est montrée inefficace. Et l'inhibition
globale de tous ces mécanismes aboutit non à l'amour
mais à l'indifférence.  
    --- Henri LABORIT   
%
 La grande trouvaille des inventeurs du christianisme :
"Dieu est amour !"
 Et alors ? Qu'est-ce que ça change ?
 Tu peux toujours prêcher aux hommes un dieu d'amour, ils
se serviront de lui pour sanctifier leurs crapuleries et leurs
crimes "pour la bonne cause" ainsi que les massacres de masse,
curés bénisseurs en tête.
 Dieu, on lui fait dire ce qu'on veut. C'est d'ailleurs à
ça que ça sert.  
    --- François CAVANNA   
%
 Je suis souvent étonné de voir combien chacun
s'aime lui-même plus que tout et pourtant tienne moins compte
de son propre jugement sur lui-même que celui des autres.
De fait, si un dieu placé près de lui ou un maître
sage l'invite à n'avoir à part lui aucune pensée,
aucune idée qu'il ne profère aussitôt à
haute voix, il ne le supportera pas un seul jour. Et ainsi nous
avons honte de ce que notre prochain pense de nous plus que de
ce que nous en pensons nous-mêmes.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Dites-moi, je vous prie : peut-on aimer quelqu'un
quand on se hait soi-même ? S'entendre avec autrui
si on n'est pas d'accord avec soi-même ? Donner du
plaisir à quelqu'un si on est pour soi-même pénible
et ennuyeux ? Pour l'affirmer je crois qu'il faudrait être
plus fou que la Folie elle-même. Eh bien, si l'on me chassait,
loin de pouvoir supporter les autres chacun se prendra lui-même
en dégoût, méprisera ce qui est à lui,
se haïra lui-même. Car la Nature, en bien des cas plus
marâtre que mère, a gravé dans l'esprit des
mortels, surtout des plus sensés, le mécontentement
de soi et l'admiration d'autrui. De là vient que tous les
dons, toute l'élégance, tout le charme de la vie
s'altèrent et périssent. Car à quoi bon la
beauté, le plus inestimable présent des dieux immortels,
si elle est contaminée par le vice du dégoût
de soi ? Et la jeunesse si elle se corrompt au ferment d'une
mélancolie sénile ?  
    --- ERASME   
%
 On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en
point parler.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu'à proportion
de notre amour-propre.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs
fautes qu'on ne pense, c'est qu'ils n'ont jamais tort quand on
les entend parler de leur conduite : le même amour-propre
qui les aveugle d'ordinaire les éclaire alors, et leur
donne des vues si justes qu'il leur fait supprimer ou déguiser
les moindres choses qui peuvent être condamnées.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur
de nos amis ne vient ni de la bonté de notre naturel, ni
de l'amitié que nous avons pour eux ; c'est un effet
de l'amour propre qui nous flatte de l'espérance d'être
heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité
de leur bonne fortune.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Dans l'adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons
toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 La Rochefoucauld, dans ses Maximes, écrit que "dans
l'adversité de nos meilleurs amis nous trouvons toujours
quelque chose qui ne nous déplaît pas" ; celui
qui en désavoue la vérité, ou bien ne la
comprend pas, ou bien ne se connaît point.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Voulez-vous qu'on croie du bien de vous ? N'en dites
pas.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 L'amour-propre est à peu près à l'esprit
ce qu'est la forme à la matière. L'un suppose l'autre.
Tout esprit a donc de l'amour-propre, comme toute portion de matière
a sa forme : de même aussi que toute portion de matière
est pliable à une forme plus ou moins fine et variée,
suivant qu'elle est plus ou moins fine et délicate elle-même,
de même encore notre amour-propre est-il plus ou moins subtil,
suivant que notre esprit a lui-même plus ou moins de finesse.  
    --- MARIVAUX   
%
 Il y a autant de vices qui viennent de ce qu'on ne s'estime
pas assez, que de ce qu'on s'estime trop.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Il n'est pas étonnant qu'on ait tant d'antipathie
pour les gens qui s'estiment trop : c'est qu'il n'y a pas
beaucoup de différence entre s'estimer beaucoup soi-même
et mépriser beaucoup les autres.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Je ne sais si c'est un goût particulier ; mais
on ne me parait jamais grand, quand on me fait sentir que je suis
petit.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Il est aussi impossible qu'une société puisse
se former et subsister sans amour-propre, qu'il serait impossible
de faire des enfants sans concupiscence, de songer à se
nourrir sans appétit, etc. C'est l'amour de nous-même
qui assiste l'amour des autres ; c'est par nos besoins mutuels
que nous sommes utiles au genre humain ; c'est le fondement
de tout commerce ; c'est l'éternel lien des hommes.
Sans lui il n'y aurait pas eu un art inventé, ni une société
de dix personnes formée ; c'est cet amour-propre que
chaque animal a reçu de la nature qui nous avertit de respecter
celui des autres. La loi dirige cet amour-propre et la religion
le perfectionne.  
    --- VOLTAIRE   
%
 L'amour-propre et toutes ses branches sont aussi nécessaires
à l'homme que le sang qui coule dans ses veines ;
et ceux qui veulent lui ôter ses passions, parce qu'elles
sont dangereuses ressemblent à celui qui voudrait ôter
à un homme tout son sang, parce qu'il peut tomber en apoplexie.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Qui s'amourache de soi procure à son amour au moins
cet avantage que d'avoir fort peu de rivaux.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Dites à Mélanthe qu'il a un grand talent.
Il se tient grave, il est distrait, il n'écoute pas. Dites-lui
qu'il est grand poète, il vous prête quelque attention.
Ajoutez que non seulement il est grand poète, mais le plus
grand de nos poètes, le poète par excellence, il
vous entend, il vous répond, il remercie, il est content.
Vous devinez.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Un acte de vertu, un sacrifice ou de ses intérêts
ou de soi-même, est le besoin d'une âme noble, l'amour-propre
d'un coeur généreux, et, en quelque sorte, l'égoïsme
d'un grand caractère.  
    --- CHAMFORT   
%
 Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre
à se laisser apprendre beaucoup de choses qu'on sait par
des gens qui les ignorent.  
    --- CHAMFORT   
%
 C'est par notre amour-propre que l'amour nous séduit ;
hé ! comment résister à un sentiment
qui embellit à nos yeux ce que nous avons, nous rend ce
que nous avons perdu et nous donne ce que nous n'avons pas ?  
    --- CHAMFORT   
%
 Je demandais à M. de T... pourquoi il négligeait
son talent et paraissait si complètement insensible à
la gloire ; il me répondit ces propres paroles :
Mon amour-propre a péri dans le naufrage de l'intérêt
que je prenais aux hommes.   
    --- CHAMFORT   
%
 Le plus ou moins de finesse qu'on met à satisfaire
les besoins de l'amour-propre, besoins aussi nécessaires
que celui de boire et de manger, indique la classe à laquelle
appartient l'individu.  
    --- STENDHAL   
%
 S'aimer soi-même, c'est se lancer dans une belle
histoire d'amour qui durera toute la vie.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Quand il fait l'éloge de quelqu'un, il lui semble
qu'il se dénigre un peu.  
    --- Jules RENARD   
%
 Comment se fait-il donc qu'on connaissent toutes les bonnes
actions discrètes ?  
    --- Jules RENARD   
%
 L'amour du drapeau, de la patrie, c'est ce petit soldat
perdu dans les rangs, qui traîne un pied, et dont la figure
reluit de cambouis, se croit regardé comme s'il était
colonel à cheval.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je ne suis pas plus bête qu'un autre.
 L'universelle supériorité de l'homme qui n'est
pas plus bête qu'un autre est ce que je connais de plus
écrasant.  
    --- Léon BLOY   
%
 Fréquentation et arrogance.
 On désapprend l'arrogance quand on se sait toujours entre
gens de mérite ; être seul produit l'outrecuidance.
Les jeunes gens sont arrogants, car ils fréquentent leurs
pareils, qui tous, n'étant rien, aiment à passer
pour beaucoup de chose.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Si bonne est l'opinion de chacun sur ses mérites
physiques que la première impression de tout modèle
devant les épreuves de son portrait est presque inévitablement
désappointement et recul (il va sans dire que nous ne parlons
ici que d'épreuves parfaites).
 Quelques-uns ont l'hypocrite pudeur de dissimuler le coup sous
une indifférente apparence, mais n'en croyez rien. Ils
étaient entrés défiants, hargneux dès
la porte et beaucoup sortiront furibonds.
 [...]
 Trois fois heureux l'opérateur qui tombe sur un client
semblable à mon brave Philippe Gille (sans s !)  -  ce
mandarin lettré, toujours de si belle humeur. A
peine ai-je eu le temps de lui soumettre sa première épreuve
que, même sans regarder la seconde, l'excellent homme s'écrie :
  -  Parfait ! Et comme tu as bien rendu mon bon
regard  -  doux  -  loyal  -  et intelligent !  
    --- NADAR   
%
 Nous abritons un ange que nous choquons sans cesse. Nous
devons être gardiens de cet ange.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Le moi est haïssable... mais il s'agit de celui des
autres.  
    --- Paul VALERY   
%
 Je voudrais le dire maladroitement, aussi gauchement que
je le pense : la difficulté n'est pas d'aimer son
prochain comme soi-même, c'est de s'aimer soi-même
assez pour que la stricte observation du précepte ne fasse
pas tort au prochain. Pardonner les offenses ne serait qu'une
disposition de l'âme assez naturelle, si nous pouvions nous
pardonner aussi facilement d'avoir été un imbécile.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 On dit qu'il y a des hommes qui sont assez contents d'eux-mêmes,
mais je n'en ai point vu. Il n'y a pas que les sots qui aient
besoin d'éloges, et renouvelés souvent. Je sais
que le succès donne une espèce d'assurance. Mais
même dans le plein succès, le sentiment le plus ordinaire
est une détresse, par la nécessité de le
soutenir. Il est pénible de déplaire ; il est
délicieux de plaire ; mais quel est l'homme ou la
femme qui soient si sûrs de plaire par leurs ressources
seulement ? Les plus assurés s'entourent de politesse
et de parures, et se fortifient de leurs amis. L'abus des sociétés
oisives et le dégoût de penser à soi jettent
presque tout le monde dans la recherche des flatteries, même
payées ; par ce moyen on arrive à une espèce
d'assurance. Mais cela ce n'est pas l'amour de soi, c'est la vanité.
Personne n'en est exempt que je sache, en ce sens que tout éloge
plaît un petit moment. Je trouve quelque chose de touchant
dans la vanité ; c'est naïvement demander secours
aux autres. Mais cette parure ne tient guère. La vanité
est vanité.  
    --- ALAIN   
%
 J'ai pensé souvent à ce musicien qui, après
quelques oeuvres de grande beauté, ne trouva plus rien
de bon ; sans doute mit-il tout son génie à
se condamner ; il mourut fou. Peut-être est-il sage
de prendre un peu de vanité, mais sans s'y donner, comme
on prend le soleil à sa porte.  
    --- ALAIN   
%
 Nul ne se choisit lui-même. Nul n'a choisi non plus
ses parents ; mais la sagesse commune dit bien qu'il faut
aimer ses parents. Par le même chemin je dirais bien qu'il
faut s'aimer soi-même, chose difficile et belle. En ceux
que l'on dit égoïstes je n'ai jamais remarqué
qu'ils fussent contents d'eux-mêmes ; mais plutôt
ils font sommation aux autres de les rendre contents d'eux-mêmes.
Faites attention que, sous le gouvernement égoïste,
ce sont toujours les passions tristes qui gouvernent. Pensez ici
à un grand qui s'ennuie. Mais quelle vertu, en revanche,
en ceux qui se plaisent avec eux-mêmes ! Ils réchauffent
le monde humain autour d'eux. Comme le beau feu ; il brûlerait
aussi bien seul, mais on s'y chauffe.  
    --- ALAIN   
%
 On ne peut pas dire que l'envieux s'aime lui-même ;
au contraire, il est triste en face de lui-même ; il
voudrait être autre. Ambition exactement vaine, c'est-à-dire
sans substance, sans pouvoir, sans espoir. Aussi l'envie est peut-être
un désespoir. Car vais-je envier une facilité de
mon voisin qui le fait avancer dans les mathématiques ?
Envier cela, qui est de lui, non de moi ? Qu'en ferais-je ?
Toute ma mathématique à moi, il faut qu'elle sorte
de moi, que je la tire de moi. Je n'ai jamais à moi que
ce que je développe de moi. Ce genre de courage et ce genre
d'expérience est le véritable amour de soi.  
    --- ALAIN   
%
 Le grand art est de savoir parler de soi sur un ton impersonnel.
(Le secret des moralistes).  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le mégalomane est un homme qui dit tout haut ce
que chacun pense de soi tout bas.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'homme est né d'abord orgueilleux et l'amour-propre
toujours béant est plus affamé que le ventre. Un
militaire ne se trouve-t-il pas assez payé de risques mortels
par une médaille de laiton ? Chaque fois que vous
portez atteinte au prestige de la richesse, vous rehaussez d'autant
le pauvre à ses propres yeux. Sa pauvreté lui fait
moins honte, il l'endure, et telle est sa folie qu'il finirait
peut-être par l'aimer. Or, la société a besoin
pour sa machinerie de pauvres qui aient de l'amour-propre. L'humiliation
lui en rabat un bien plus grand nombre que la faim et de meilleure
espèce, de celle qui rue aux brancards, mais tire jusqu'au
dernier souffle. Ils tirent comme leurs pareils meurent à
la guerre, non tant par goût de mourir que pour ne pas rougir
devant les copains, ou encore pour embêter l'adjudant. Si
vous ne les tenez pas en haleine, talonnés par le propriétaire,
l'épicier, le concierge, sous la perpétuelle menace
du déshonneur attaché à la condition de clochard,
de vagabond, ils ne cesseront peut-être pas de travailler,
mais ils travailleront moins, ou ils voudront travailler à
leur manière, ils ne respecteront plus les machines. Un
nageur fatigué qui sent sous lui un fond de cinq cents
mètres tire sa coupe avec plus d'ardeur que s'il égratigne
des orteils une plage de sable fin. Et remarquez vous-même
qu'au temps où les méthodes de l'économie
libérale avaient leur entière valeur éducative,
leur pleine efficacité, avant la déplorable invention
des syndicats, le véritable ouvrier, l'ouvrier formé
par vos soins, restait si profondément convaincu d'avoir
à racheter chaque jour par son travail le déshonneur
de sa pauvreté que, vieux ou malade, il fuyait avec une
égale horreur l'hospice ou l'hôpital, moins par attachement
à la liberté que par honte  -  honte de
"ne pouvoir plus se suffire" comme il disait dans son admirable
langage.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Le comble de la suffisance intellectuelle est de croire
qu'on peut apprendre quelque chose en s'écoutant monologuer.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 A partir du moment où le plaisir des autres
nous fait plaisir, les bons sentiments deviennent suspects.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Dommage que l'admiration de soi  -  qui aide à
vivre  -  ne débouche que sur le mépris
des autres  -  qui assombrit l'existence.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le besoin d'entendre affirmer par d'autres tout le bien
qu'on pense de soi trahit le faible crédit qu'on accorde
à sa propre opinion.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Ne vous étonnez pas que les autres animaux aient
à leur disposition tout ce qui est indispensable à
la vie du corps, non seulement la nourriture et la boisson, mais
le gîte, et qu'ils n'aient pas besoin de chaussures, de
tapis, d'habits, tandis que nous, nous en avons besoin. Car il
eût été nuisible de créer de pareils
besoins chez des êtres qui n'ont pas leur fin en eux-mêmes,
mais sont nés pour servir.  
    --- EPICTETE   
%
 Il plut si violemment que tous les porcs furent propres
et tous les hommes crottés.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Celui-là travaillait à un système
de l'histoire de la nature où il avait classé les
animaux d'après la forme de leurs excréments. Il
avait établi trois ordres : les cylindriques, les
sphériques, ceux qui ont la forme de gâteaux.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 A la manière des Métamorphoses d'Ovide,
une chauve-souris pourrait être considérée
comme une souris qui, poursuivie par une autre trop libidineuse,
pria les dieux d'avoir des ailes ; ailes qui lui furent accordées.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Le chien est l'animal le plus vigilant, bien qu'il dorme
toute la journée.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Quel est ce bel et noble animal qui traverse la plaine
haletant de fatigue, les yeux égarés par la frayeur,
et poursuivi par vingt autres animaux, suivis de quelques hommes
qui les ont dressés à cet horrible manège ?
c'est un pauvre cerf, qu'une meute va forcer. Elle va le faire
passer devant le chasseur ; il pourrait le tuer du coup,
s'il voulait, et terminer son agonie ; mais non, ce serait
abréger ses plaisirs. C'en est fait,... il est aux abois,
l'approche de la mort lui arrache des larmes... Il demande grâce,
point de pitié, on va l'égorger ; mais avec
la même précision qu'un maître d'hôtel
met à découper une volaille rôtie, on le dépèce
vivant. Hommes, vous avez inventé des manières de
tuer les animaux proportionnées à la délicatesse
de votre palais. Vous êtes plus féroces que moi.
 Oui, moi qui ai tué, voulez-vous que je vous dise une
chose : je n'ai jamais pu voir souffrir de sang-froid un
être animé, quel qu'il fût. La mort ne me semble
rien, soit que je la regarde comme servant de transition à
une autre vie, soit qu'elle doive amener un anéantissement
complet ; mais j'ai horreur de la souffrance, plus encore
pour les autres que pour moi, parce que je me suppose plus de
force qu'eux pour la supporter. La vue de la souffrance me torture,
lorsqu'elle est le résultat d'un accident de nature ;
elle m'indigne, quand elle est imposée par une créature
à une autre, quelle qu'elle soit, et je m'indigne plus
encore en voyant un agneau égorgé par un boucher
qu'un homme dévoré par un tigre. Honte soit au premier
philosophe qui déclara du haut de sa science que l'animal
était un mécanisme, pour donner ainsi le droit à
l'homme de le torturer à son plaisir, comme un enfant s'amuse
à faire crier les ressorts d'une pendule !  
    --- Pierre François LACENAIRE   
%
 Frédérick Lemaître me contait hier
qu'il entrait un jour dans un bouge, auberge de rouliers pour
y passer la nuit. Il a demandé en entrant : Y a-t-il
des puces ici ? L'hôte a répondu gravement :
- Non, Monsieur. Les poux les mangent.  
    --- Victor HUGO   
%
 La perdrix aime les pois, mais pas ceux qui l'accompagnent
dans la casserole.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 L'éléphant se laisse caresser. Le pou, non.  
    --- Le Comte de LAUTREAMONT   
%
 Voici de bien jolis traits de l'amour des bêtes.
Vallette et Rachilde n'ont pas seulement comme animaux la chatte
qu'ils ont sauvée de l'eau il y a deux ou trois ans. Rachilde
élève également sur des branches de mimosa
deux coccinelles. Mlle Vallette a un escargot. Ils ont encore,
dans leur salle à manger, une simple mouche fort bien apprivoisée,
que les fenêtres ouvertes ne font pas du tout partir, qui
vient manger dans la main. Que de choses mystérieuses cela
évoque. Une simple mouche, s'apprivoiser ainsi, rester
ainsi à demeure, venir ainsi manger tout comme une bête
domestique. Nous le disions ensemble ce matin, Vallette et moi.
A connaître ces choses, on arrive à ne plus
oser marcher de peur de tuer quelque chose. Je lui disais qu'à
la campagne, j'ai vu quelquefois la route barrée d'un large
ruban de fourmis qui traversaient, prenant mes précautions
pour n'en écraser aucune. De même pour les limaces,
dans les sentiers des prés. Hélas ! les voitures,
les paysans ?   
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il est communément admis que le côté
"Art" des corridas en sauve le côté monstrueux.
 Je connais l'argument : il avait déjà cours
au temps du roi Salomon alors que le sacrificateur précipitait
dans la gueule embrasée de Moloch des enfants hurlant d'épouvante.
La vérité est qu'on parle d'art plus facilement
qu'on n'en fait, et qu'il est plus facile d'en faire avec le martyre
des bêtes qu'avec les sept notes de la gamme, les sept couleurs
de l'arc-en-ciel, les vingt-cinq lettres de l'alphabet ou le contenu
d'un baquet de glaise.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 - Moi qui adore la plupart des bêtes, j'ai toujours
professé une ardente répulsion pour le chien, que
je considère comme l'animal le plus abject de la création.
 Le chien est le type de l'animal larbin, sans fierté,
sans dignité, sans personnalité.
 ... Une dame pleurarde et sentimenteuse interrompit ma diatribe :
  -  Oh ! le bon regard humide des bons toutous !
larmoya la personne. Comme ça vous console de la méchanceté
des hommes !
 Il n'en fallut pas plus pour me mettre hors de moi.
 Les bons toutous ! Ah ! ils sont chouettes, les bons
toutous !
 Le chien est aimant et fidèle, dit-on, mais quel mérite
à s'attacher au premier venu uniquement parce qu'il s'intitule
votre maître, beau ou laid, drôle ou rasant, bon ou
mauvais ?
 On a vu des chiens, dit-on encore, se faire tuer en défendant
leur maître contre un bandit.
 Parfaitement, mais le même chien aurait pu être aussi
bien tué en attaquant l'honnête homme pour le compte
du bandit, si ce bandit avait été son maître
et si l'honnête homme avait détenu l'indispensable
revolver.
 Le chien est un pitre qui fait le jacques pendant des heures,
pour avoir du susucre.
 C'est un lâche qui étranglerait un bébé
sur le moindre signe de sa fripouille de patron.
 Dans tout chien, il y a un fauve, mais un fauve idiot qui, sans
l'excusable besoin d'une proie personnelle, fait du mal pour la
quelconque lubie d'un tiers.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 [...] on dit toujours : Lent comme un escargot !
C'est bête ! L'escargot ne marche-t-il pas ventre à
terre ?  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Il ne faut pas vouloir la mort du pêcheur, fût-il
à la ligne.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Le manque de fierté du chien, sa bassesse et sa
peur l'ont fait choisir par l'homme, entre tous les autres animaux,
pour lui être "fidèle", c'est-à-dire servile,
pour lui permettre d'exercer sans contrôle sa tyrannie et
pour le défendre par ses cris. Ses cris, à l'approche
du danger, avertissent l'homme et démontrent le peu de
courage du chien. Le chien ne défend pas l'homme :
il l'appelle à son secours.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Les animaux sont les êtres qui n'ont pas plus d'esprit
que de moyens. En quoi ils sont justes et mesurés et toujours
dignes dans leurs actes (à l'exception de ceux qui ont
quelque ressemblance avec l'homme et qui paraissent agités,
importuns, lubriques, curieux).  
    --- Paul VALERY   
%
 Au Zoo.  -  Toutes ces bêtes ont une tenue
décente, hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas
loin.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Si le chien est le plus méprisé des animaux,
c'est que l'homme se connaît trop bien pour pouvoir apprécier
un compagnon qui lui est si fidèle.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le cafard est universel. Même les poux doivent le
connaître. Aucun moyen de s'en prémunir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Chat n. Automate doux et indestructible fourni par la
Nature pour prendre des coups de pied quand quelque chose ne va
pas dans le cercle familial.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Singe n. Animal arboricole qui se sent également
très à l'aise dans les arbres généalogiques.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Qui aime un chat aime tous les chats.
 Qui aime son chien n'aime pas les autres.  
    --- Roland TOPOR   
%
 La corrida à visage humain : les poseurs de
pansements interviennent après les banderilleros, et avec
quelle adresse !
 Le Mercurochrome ajoute à la couleur locale.  
    --- Roland TOPOR   
%
 La navette qui a explosé avec sept hommes dedans :
si ç'avait été sept singes, les expériences
seraient interdites.  
    --- COLUCHE   
%
 Si tu veux que les chiots de ta chienne soient bien traités,
ne les donne pas, vends-les.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Les hamsters ne connaissent pas leur bonheur qui bénéficient
des nouveaux médicaments aux effets miraculeux cinq années
avant les hommes.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Alexandre le Grand voulant bâtir une ville pour
servir de monument à sa gloire, l'architecte Dinostrate
lui fit voir comment il pourrait la placer sur le mont Athos.
"Ce lieu, dit-il, présente une situation très forte ;
la montagne pourrait se tailler de manière à donner
à cette ville une forme humaine, ce qui la rendrait une
merveille digne de la puissance du fondateur." Alexandre lui ayant
demandé : "De quoi vivront les habitants ?  -  Je
n'y ai pas pensé", répond naïvement l'architecte.
Alexandre se mit à rire ; et laissant là cette
montagne, il bâtit Alexandrie, où les habitants devaient
se plaire par la beauté du pays et les avantages que lui
procure le voisinage de la mer et du Nil.  
    --- MACHIAVEL   
%
 C'est d'une organisation délicate de déséquilibres
que l'équilibre tire son charme. Un visage parfait le démontre
lorsqu'on le dédouble et qu'on le reforme de ses deux côtés
gauches. Il devient grotesque. Les architectes le savaient jadis
et l'on constate, en Grèce, à Versailles, à
Venise, à Amsterdam, de quelles lignes asymétriques
est faite la beauté de leurs édifices. Le fil à
plomb tue cette beauté presque humaine.
 On connaît la platitude, l'ennui mortel de nos immeubles
où l'homme se renonce.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 L'architecture actuelle s'occupe de la maison, de la maison
ordinaire et courante pour hommes normaux et courants. Elle laisse
tomber les palais. Voilà un signe des temps.  
    --- LE CORBUSIER   
%
 Pour nous, chez qui tous les chefs-d'oeuvre n'ont d'autre
destination que d'être exposés aux regards d'un petit
nombre d'hommes riches et d'être emprisonnés et cachés
dans les maisons des grands...  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 On peut peindre tout un visage (avec des traits) dans
un espace qui n'est pas plus large qu'un ongle. Pour le décrire
avec des phrases il faudrait une page entière et encore
on ne parviendrait pas à en donner une idée exacte.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il faut des monuments aux cités de l'homme ;
autrement où serait la différence entre la ville
et la fourmilière ?  
    --- Victor HUGO   
%
 Rembrandt n'aimait pas qu'on regardât sa peinture
de près. Il repoussait les gens du coude et disait :
Un tableau n'est pas fait pour être flairé.  
    --- Victor HUGO   
%
 Quand j'ai fait un beau tableau, je n'ai pas écrit
une pensée. C'est ce qu'ils disent. Qu'ils sont simples !
Ils ôtent à la peinture tous ses avantages.  
    --- Eugène DELACROIX   
%
 Il importe en peinture, que le portrait ressemble au modèle,
mais non pas le modèle au portrait.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 L'art serait, malgré la plus parfaite explication,
de réserver encore de la surprise.  
    --- André GIDE   
%
 Réalisme n. Art de dépeindre la nature telle
qu'elle est vue par les crapauds. Charme qui ressort d'un paysage
peint par une taupe, ou d'une histoire écrite par un asticot.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Une théorie d'art aide à la critique, non
à la création.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Dans les arts, les théories ne valent pas grand'chose...
Mais c'est une calomnie. La vérité est qu'elles
n'ont point de valeur universelle. Ce sont des théories
pour un. Utiles à un. Faites à lui, et pour lui,
et par lui. Il manque, à la critique, qui les détruit
facilement, la connaissance des besoins et des penchants de l'individu ;
et il manque à la théorie même de déclarer
qu'elle n'est pas vraie en général, mais vraie pour
X dont elle est l'instrument.
 On critique un outil sans savoir qu'il sert à un homme
auquel il manque un doigt, ou bien qui en a six.  
    --- Paul VALERY   
%
 Nous avons contracté cette curieuse habitude de
tenir pour médiocre tout artiste qui ne commence par choquer
et par être suffisamment injurié ou moqué.
Qui ne nous heurte ou ne nous fait hausser les épaules
est imperceptible. On en conclut qu'il faut choquer et l'on s'y
consacre. Une bonne étude de l'art moderne devrait mettre
en évidence les solutions trouvées de cinq ans en
cinq ans au problème du choc, depuis deux ou trois quarts
de siècle...  
    --- Paul VALERY   
%
 Il y a un utile et un inutile en art. La majorité
du public ne ressent pas cela, envisageant l'art comme une distraction.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 "Ce que le public te reproche, cultive-le, c'est toi."
 Enfoncez-vous bien cette idée dans la tête. Il faudrait
écrire ce conseil comme une réclame.
 En effet le public aime à reconnaître. Il déteste
qu'on le dérange. La surprise le choque. Le pire sort d'une
oeuvre c'est qu'on ne lui reproche rien  -  qu'on n'oblige
pas son auteur à une attitude d'opposition.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Beaucoup de gens estiment avoir vu un tableau quand ils
en ont vu une "superbe" reproduction en couleurs. Nous savons
fort bien que la photographie d'une personne n'est pas la personne
elle-même, mais nous croyons "voir" des peintures ou des
sculptures en feuilletant les luxueux albums qui leur sont consacrés.  
    --- Jean-François REVEL  
%
 Le musée imaginaire n'est, en somme, que le musée
des gens sans imagination.  
    --- A propos du musée   
%
 Ne l'oublions pas : tout art est aussi un commerce
ou doit pouvoir l'être, sans quoi nous aboutissons à
un art de type soviétique ou nazi, reposant tout entier
sur les commandes officielles, avec les cataclysmes esthétiques
que l'on connaît. La littérature a conquis sa liberté
en devenant un commerce, car, même au plus haut niveau,
il vaut mieux être Balzac, et vivre, fût-ce mal, de
livres achetés par les lecteurs, que Racine ou Boileau,
si grands soient-ils, tributaires de la cassette du prince.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 ... il n'y a point d'absurdités si insupportables
qui ne trouvent des approbateurs. Quiconque a dessein de piper
le monde, est assuré de trouver des personnes qui seront
bien aises d'être pipées ; et les plus ridicules
sottises rencontrent toujours des esprits auxquels elles sont
proportionnées. Après que l'on voit tant de gens
infatués des folies de l'Astrologie judiciaire, et que
des personnes graves traitent cette matière sérieusement,
on ne doit plus s'étonner de rien. Il y a une constellation
dans le ciel qu'il a plu à quelques personnes de nommer
balance, et qui ressemble à une balance comme à
un moulin à vent. La balance est le symbole de la justice :
donc ceux qui naîtrons sous cette constellation seront justes
et équitables. Il y a trois autres signes dans le Zodiaque,
qu'on nomme l'un Bélier, l'autre Taureau, l'autre Capricorne,
et qu'on eût pu aussi bien appeler Eléphant, Crocodile,
et Rhinocéros : le Bélier, le Taureau et le
Capricorne sont des animaux qui ruminent : donc ceux qui
prennent médecine, lorsque la lune est sous ces constellations,
sont en danger de la revomir. Quelques extravagants que soient
ces raisonnements, il se trouve des personnes qui les débitent,
et d'autres qui s'en laissent persuader.  
    --- ARNAULD &#38; NICOLE   
%
 L'entêtement pour l'astrologie est une orgueilleuse
extravagance. Nous croyons que nos actions sont assez importantes
pour mériter d'être écrites dans le grand-livre
du Ciel. Et il n'y a pas jusqu'au plus misérable artisan
qui ne croie que les corps immenses et lumineux qui roulent sur
sa tête ne sont faits que pour annoncer à l'Univers
l'heure où il sortira de sa boutique.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Préludes de la science.  -  Croyez-vous
donc que les sciences se seraient formées et seraient devenues
grandes si les magiciens, les alchimistes, les astrologues et
les sorcières ne les avaient pas précédées,
eux qui durent créer tout d'abord, par leurs promesses
et leurs engagements trompeurs, la soif, la faim et le goût
des puissances cachées et défendues ? Si l'on
n'avait pas dû promettre infiniment plus qu'on ne pourra
jamais tenir pour que quelque chose puisse s'accomplir dans le
domaine de la connaissance ?  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Dans le journal du jour, votre horoscope vous met en garde
(vous et les quelques trois cents millions de personnes qui sont
nés sous le même signe) contre l'éventualité
d'un accident. Et ça ne rate pas, vous glissez et vous
faites une chute. Tant crie-t-on Noël qu'il vient !...L'astrologie,
ce n'est pas si creux que ça, en définitive...
 Mais est-ce bien sûr ? Pourriez-vous jurer que vous
seriez tombé si vous n'aviez pas lu cette prédiction ?
Ou si vous étiez entièrement convaincu de la parfaite
inanité de l'astrologie ? Après coup, il n'est
évidemment pas possible, hélas ! de répondre
à la question.  
    --- Paul WATZLAWICK   
%
 Athées : Quelle raison ont-ils de dire qu'on
ne peut ressusciter ? Quel est le plus difficile, de naître
ou de ressusciter, que ce qui n'a jamais été soit,
ou ce qui a été soit encore ? Est-il plus difficile
de venir en être que d'y revenir ? La coutume nous
rend l'un facile, le manque de coutume rend l'autre impossible :
populaire façon de juger !
 Pourquoi une vierge ne peut-elle enfanter ? Une poule ne
fait-elle pas des oeufs sans coq ? Quoi les distingue par
d'avec les autres ? Et qui nous a dit que la poule n'y peut
former ce germe aussi bien que le coq ?  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Quand un homme me vient dire qu'il ne croit rien et que
la religion est une chimère, il me fait là une fort
mauvaise confidence, car je dois avoir sans doute beaucoup de
jalousie d'un avantage terrible qu'il a sur moi. Comment !
il peut corrompre ma femme et ma fille sans remords, pendant que
j'en serois détourné par la crainte de l'enfer !
La partie n'est pas égale. Qu'il ne croie rien, j'y consens,
mais qu'il s'en aille vivre dans un autre pays, avec ceux qui
lui ressemblent, ou, tout au moins, qu'il se cache et qu'il ne
vienne point insulter à ma crédulité.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Les athées sont pour la plupart des savants hardis
et égarés qui raisonnent mal, et qui, ne pouvant
comprendre la création, l'origine du mal, et d'autres difficultés,
ont recours à l'hypothèse de l'éternité
des choses et de la nécessité.  
    --- VOLTAIRE   
%
 S'il y a des athées, à qui doit-on s'en
prendre, sinon aux tyrans mercenaires des âmes, qui, en
nous révoltant contre leurs fourberies, forcent quelques
esprits faibles à nier le Dieu que ces monstres déshonorent ?  
    --- VOLTAIRE   
%
 L'athéisme est le vice de quelques gens d'esprit,
et la superstition le vice des sots ; mais les fripons, que
sont-ils ? des fripons.  
    --- VOLTAIRE  
%
 C'est un homme si profondément ulcéré
des crimes dont il a été témoin qu'il en
rend la religion chrétienne responsable, en oubliant qu'elle
les condamne. Point de miracle qui ne soit pour lui un objet de
mépris et d'horreur ; point de prophétie qu'il
ne compare à celles de Nostradamus. Il va même jusqu'à
comparer Jésus-Christ à don Quichotte, et saint
Pierre à Sancho-Pansa : et ce qui est le plus déplorable,
c'est qu'il écrivait ces blasphèmes contre Jésus-Christ
entre les bras de la mort, dans un temps où les plus dissimulés
n'osent mentir, et où les plus intrépides tremblent.
 [...]
 On a imprimé plusieurs abrégés de son livre ;
mais heureusement ceux qui ont en main l'autorité les ont
supprimés autant qu'ils l'ont pu.   *
    --- A propos de l'abbé   
%
 Je crois en Dieu, quoique je vive très bien avec
les athées. Je me suis aperçu que les charmes de
l'ordre les captivaient malgré qu'ils en eussent ;
qu'ils étaient enthousiastes du beau et du bon, et qu'ils
ne pouvaient, quand ils avaient du goût, ni supporter un
mauvais livre, ni entendre patiemment un mauvais concert, ni souffrir
dans leur cabinet un mauvais tableau, ni faire une mauvaise action.  
    --- Denis DIDEROT   
%
 Je ne sais comment il arrive qu'il est impossible de former
un système du Monde sans être d'abord accusé
d'athéisme : Descartes, Newton, Gassendi, Malebranche.
En quoi on ne fait autre chose que prouver l'athéisme et
lui donner des forces, en faisant croire que l'athéisme
est si naturel que tous les systèmes, quelque différents
qu'ils soient, y tendent toujours.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Nos fautes sont des dettes contractées ici et payables
ailleurs. L'athéisme n'est autre chose qu'un essai de déclaration
d'insolvabilité.  
    --- Victor HUGO   
%
 Lorsqu'ils rencontrent un homme qui pense librement, les
croyants font le même vacarme que les poules découvrant,
parmi leurs poussins, un caneton qui va vers l'eau. Ils ne songent
pas que des gens vivent aussi sûrement dans cet élément
qu'eux-mêmes sur la terre ferme.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Les libres penseurs qui se convertissent me font l'effet
de ces hommes chastes qui méprisent la femme jusqu'à
ce qu'ils se fassent engluer par la première vieille peau
venue.  
    --- Jules RENARD   
%
 Libre penseur. Penseur suffirait.  
    --- Jules RENARD   
%
 A chaque sou, le mendiant remercie Dieu par un
signe de croix, mais il se détourne, par ce temps de libres
penseurs qui courent les rues et qui se mêlent d'être
charitables.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je suis un incroyant. Je ne serai jamais un impie.  
    --- André GIDE   
%
 Se passer de Dieu... Je veux dire : se passer de
l'idée de Dieu, de la croyance en une Providence attentive,
tutélaire et rémunératrice... n'y parvient
pas qui veut.  
    --- André GIDE  
%
 La gravité maussade et froide avec laquelle ils
parlent du Néant me rend l'idée de Dieu séduisante
au possible.
 Leurs arguments décolorés tombent à plat
- et quand ils cherchent à convaincre, ils en sont pour
leurs frais, car la démonstration qu'ils font de la non-existence
de Dieu leur donne aussitôt l'air de nier l'évidence.
 Ne pas croire en Dieu, c'est repousser une hypothèse ravissante.
 Nier Dieu, c'est croire en soi - comme crédulité,
je n'en vois pas de pire !
 Nier Dieu, c'est se priver de l'unique intérêt que
peut avoir la mort.
 Et, pour tout dire enfin, l'athée n'est à mes yeux
qu'un fanatique sans passion, sans haine, sans amour - sans ironie
d'ailleurs - et, partant, sans excuse.
 Et, s'il faut en conclure, que faut-il en conclure ?
 Les témoignages accumulés de la présence
au Ciel du Divin Créateur sont loin d'être probants.
 Mais, d'autre part - assurément - la "preuve du contraire"
est inimaginable.
 Or donc, précisément, il n'en faut pas conclure.
 Il faut laisser à Dieu le bénéfice du doute.  
    --- A propos des athées   
%
 Ce qu'on a appelé "liberté de conscience",
au long de l'Histoire, c'est la liberté, pour les insatisfaits
du culte officiel massivement majoritaire dans un certain pays,
de pratiquer une religion différente, généralement
simple version légèrement déviante du culte
officiel, à proprement parler : une hérésie.
 Il n'a jamais été question de liberté de
conscience pour les non-croyants. Quand le protestantisme version
Calvin se fut imposé à Genève comme religion
dominante, le simple soupçon d'athéisme vous conduisait
au bûcher plus sûrement que la persistance dans la
religion catholique, devenue à son tour "hérésie".
 Aujourd'hui encore, surtout hors de France, ne pas croire en
une version quelconque de Dieu est proprement impensable. L'athée
est regardé avec une certaine répugnance, comme
une espèce de monstruosité, d'ébauche humaine
inachevée à qui il manque une faculté essentielle.  
    --- François CAVANNA   
%
 L'athée qui irait proclamant que l'inexistence
de Dieu est démontrée serait en contradiction avec
lui-même : il ferait acte de foi, cette foi fût-elle
négative. En effet, ayant admis que la question même
de l'existence d'un Dieu se situe hors du domaine des questions
"permises" et n'a donc pas à être posée puisqu'on
ne pourrait y répondre, dans un sens ou dans l'autre, que
par des affirmations indémontrables, il la pose quand même
et y répond péremptoirement. "Non" est tout aussi
téméraire que "Oui".
 L'athée cohérent se garde bien d'accepter la discussion
sur ce terrain. Une fois pour toutes, il ignore Dieu et le problème
de son existence, il se conduit en tout sans tenir compte de ces
chimères.
 L'agnosticisme est un raisonnement.
 L'athéisme est un comportement.
 L'un découle de l'autre.  
    --- François CAVANNA   
%
 Le véritable et authentique athée est celui
qui croit fermement et dur comme fer que Dieu lui-même ne
croit pas en Lui.  
    --- Pierre DAC   
%
 Pendant des siècles des esprits se sont battus
et ont risqué leur vie pour se libérer de Dieu.
Et nous, au milieu du XX<SUP>e</SUP>, nous regrettons les chaînes qu'Il
représentait et ne savons que faire d'une liberté
pour laquelle nous n'avons fait aucun sacrifice, que nous n'avons
pas conquise. Nous sommes les héritiers ingrats de l'athéisme
héroïque, les épigones de la révolte,
une masse de rebelles qui déplorent secrètement
la disparition des "superstitions", des "préjugés"
et des anciennes "terreurs".  
    --- Emil CIORAN   
%
 Dionisius le fils eust sur ce propos bonne grace. On l'advertit
que l'un de ses Syracusains avoit caché dans terre un thresor.
Il luy manda de le luy apporter, ce qu'il fit, s'en reservant
à la desrobbée quelque partie, avec laquelle il
s'en alla en une autre ville, où, ayant perdu cet appetit
de thesaurizer, il se mit à vivre plus liberallement. Ce
qu'entendant Dionysius luy fit rendre le demeurant de son thresor,
disant que puis qu'il avoit appris à en sçavoir
user, il le luy rendoit volontiers.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 L'avare dépense plus mort en un seul jour, qu'il
ne faisait vivant en dix années ; et son héritier
plus en dix mois, qu'il n'a su faire lui-même en toute sa
vie.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Pour être avare, il ne faut que la paresse, l'inaction.
C'est pour cela que l'avarice est contagieuse.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le prodigue et l'avare aboutissent aux mêmes haillons.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le dédain de l'argent est fréquent surtout
chez ceux qui n'en ont pas. Disons les choses comme elles sont :
il est agréable d'en avoir pour les commodités qu'il
procure, d'abord, et plus encore pour l'impression de sécurité
qu'il dégage et qui tranquillise. Et je crois bien que
l'inexplicable Avarice rencontre son explication dans le développement
poussé à l'excès de ce sentiment de bien-être.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Et, si j'étais le gouvernement, comme dit ma concierge,
c'est sur les signes extérieurs de feinte pauvreté
que je taxerais impitoyablement les personnes qui ne dépensent
pas leurs revenus.
 Je sais des gens qui possèdent sept ou huit cent mille
livres de rentes et qui n'en dépensent pas le quart. Je
les considère d'abord comme des imbéciles et un
peu comme des malhonnêtes gens aussi. Le chèque sans
provision est une opération bancaire prévue au Code
d'Instruction Criminelle, et c'est justice qu'il soit sévèrement
puni. Je serais volontiers partisan d'une identique sévérité
à l'égard des provisions sans chèques. L'homme
qui thésaurise brise la cadence de la vie en interrompant
la circulation monétaire. Il n'en a pas le droit.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Il vaut mieux être l'héritier d'un homme
économe que celui d'un homme riche.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Le Père Buffier a défini la beauté :
l'assemblage de ce qui est le plus commun. Quand sa définition
est expliquée, elle est excellente, parce qu'elle rend
raison d'une chose très obscure, parce que c'est une chose
de goût.
 Le Père Buffier dit que les beaux yeux sont ceux dont
il y en a un plus grand nombre de la même façon ;
de même, la bouche, le nez, etc. Ce n'est pas qu'il n'y
ait un beaucoup plus grand nombre de vilains nez que de beaux
nez ; mais que les vilains sont de bien différentes
espèces ; mais chaque espèce de vilains est
en beaucoup moindre nombre que l'espèce des beaux. C'est
comme si, dans une foule de cent hommes, il y a dix hommes habillés
de vert, et que les quatre-vingt-dix restants soient habillés
chacun d'une couleur particulière : c'est le vert
qui domine.
 Enfin, il me paroît que la difformité n'a point
de bornes. Les grotesques de Callot peuvent être variés
à l'infini. Mais la régularité dans les traits
est entre certaines limites.
 Ce principe du Père Buffier est excellent pour expliquer
comment une beauté françoise est horrible à
la Chine, et une chinoise, horrible en France.
 Enfin, il est excellent peut-être pour expliquer toutes
les beautés de goût, même dans les ouvrages
d'esprit. Mais il faudra penser là-dessus.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Les hommes ne paroissent jamais plus outrés que
lorsqu'ils méprisent, ou lorsqu'ils admirent : il
semble qu'il n'y ait point de milieu entre l'excellent et le détestable.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 L'exclamation "c'est beau !" et son effet. C'est
de tous les mots le plus indéterminé et le mieux
entendu.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ni tous les rossignols ne chantent également bien,
ni toutes les roses ne sentent également bon.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Dans un ouvrage, quel qu'il soit, la symétrie apparente
ou cachée est le fondement visible ou secret du plaisir
que nous éprouvons. C'est elle qui donne une base aux mouvements
qu'excitent les variétés, les contrastes.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Une chose réputée belle qui ennuie les esprits
d'élite n'est point belle.
 Principes : le beau n'est jamais ennuyeux, le mauvais n'est
jamais amusant.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le goût est la qualité fondamentale qui résume
toutes les autres qualités. C'est le nec plus ultra de
l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie
est la santé suprême et l'équilibre de toutes
les facultés.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Il était si laid que, lorsqu'il faisait des grimaces,
il l'était moins  
    --- Jules RENARD   
%
 Ce qui nous paraît de mauvais goût, c'est
ce que nous ne sommes pas en humeur de goûter. Un quart
d'heure plus tard ou plus tôt, et s'était savoureux.  
    --- Jules RENARD   
%
 A son dernier cours, ou à l'avant-dernier,
Valéry a donné cette définition du Beau :
"Le Beau, c'est le rare." On reconnaît bien là le
précieux, le fabricant de poésie qu'est Valéry.
Sa définition est aussi sotte que fausse, et que néfaste
à propager. Le rare, c'est le fabriqué, le maniéré,
le compliqué, le torturé, l'artificiel dans toute
son acception. Quand on sait que les poèmes de Mallarmé,
sous leur vocabulaire quintessencié, ont pour sujet (en
clair) les motifs les plus plats et ainsi ne sont rares que par
leurs chinoiseries de mots et de syllabes, cela en dit long sur
ce qu'entend et propose la définition de Valéry.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Les ingénieurs font de l'architecture, car ils
emploient le calcul issu des lois de la nature, et leurs oeuvres
nous font sentir l'HARMONIE. Il y a donc une esthétique
de l'ingénieur, puisqu'il faut, en calculant, qualifier
certains termes de l'équation, et c'est le goût qui
intervient. Or, lorsqu'on manie le calcul, on est dans un état
d'esprit pur et, dans cet état d'esprit le goût prend
des chemins sûrs.  
    --- LE CORBUSIER   
%
 Tout art et toute recherche, de même que toute action
et toute délibération réfléchie, tendent,
semble-t-il, vers quelque bien. Aussi a-t-on eu parfaitement raison
de définir le bien : ce à quoi on tend en toutes
circonstances.  
    --- ARISTOTE   
%
 Personne, voyant le mal, ne le choisit, mais attiré
par l'appât d'un bien vers un mal plus grand que celui-ci,
l'on est pris au piège.  
    --- EPICURE   
%
 Se dire dès l'aurore : je vais rencontrer
un indiscret, un ingrat, un violent, un perfide, un arrogant.
Tous leurs défauts leur viennent de ce qu'ils ignorent
les biens et les maux. Pour moi, je connais la nature du bien,
c'est l'honnête, et celle du mal, c'est le vil ; je
connais aussi la nature du pécheur : c'est un être
de même race que moi, non pas de même sang ni de même
père, mais participant à la raison et ayant une
part de la divinité ; nul d'entre eux ne peut donc
me nuire, car nul ne peut me faire faire une chose vile ;
et je ne puis non plus m'irriter contre un être de ma race
ni le laisser de côté. Nous sommes nés pour
collaborer, comme les pieds, les mains, les paupières,
ou les deux rangées de dents, celle du haut et celle du
bas. Il est contre nature de s'opposer les uns aux autres :
et c'est s'opposer à eux que de s'irriter ou se détourner
d'eux.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Ce qui n'est pas nuisible à la cité ne l'est
pas non plus au citoyen. Applique cette règle à
tout ce qui te paraît être nuisible : "Si cela
ne nuit pas à la cité, cela ne me nuit pas non plus."  
    --- MARC-AURELE   
%
 Dans le Sunday Times de cette semaine je viens de lire
un article de Raymond Mortimer contre Marc Aurèle, qui
aurait été un "prig" (pédant), un philistin,
un hypocrite. Evidemment on peut tout dire. Je me suis
foutu en colère et j'ai failli écrire une lettre
d'insultes à l'auteur. Puis en pensant à l'empereur,
je me suis calmé. Quel besoin aussi de lire des journaux ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le plus grand bien est celui qui nous délecte avec
tant de force qu'il nous met dans l'impuissance totale de sentir
autre chose, comme le plus grand mal est celui qui va jusqu'à
nous priver de tout sentiment. Voila les deux extrêmes de
la nature humaine, et ces deux moments sont courts.
 Il n'y a ni extrêmes délices ni extrêmes tourments
qui puissent durer toute la vie : le souverain bien et le
souverain mal sont des chimères.  
    --- VOLTAIRE   
%
 La fin du bien est un mal, la fin du mal est un bien.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Une mauvaise action n'est pas plus tôt faite qu'elle
devient une bonne action, et voici comment : Elle punit celui
qui l'a faite.
 Elle se retourne contre lui, et le mord.
 Il semble qu'elle lui dise : Ah ! tu m'as voulue injuste.
Eh bien, je suis juste. Je te châtie.  
    --- Victor HUGO   
%
 Comme nous nous affectionnons de plus en plus aux personnes
à qui nous faisons du bien, de même nous haïssons
violemment ceux que nous avons beaucoup offensés.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Il est bon qu'il y ait dans le Monde des biens et des
maux : sans cela, on seroit désespéré
de quitter la vie.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Telle est la nature des choses que l'abus est très
souvent préférable à la correction, ou, du
moins, que le bien qui est établi est toujours préférable
au mieux qui ne l'est pas.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Le malheur de l'humanité, considérée
dans l'état social, c'est que quoiqu'en morale et en politique
on puisse donner comme définition que le mal est ce qui
nuit, on ne peut pas dire que le bien est ce qui sert ; car
ce qui sert un moment peut nuire longtemps ou toujours.  
    --- CHAMFORT   
%
 On reproche souvent aux grands de n'avoir pas fait tout
le bien qu'ils eussent pu dispenser  -  Ils pourraient
bien répondre : songez seulement à tout le
mal que nous eussions pu faire et dont nous nous sommes abstenus.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 On n'est correct qu'en corrigeant.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La taquinerie est la méchanceté des bons.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le mieux, c'est le bien d'autrui.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 D'être méchant, c'est se venger d'avance.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 On ne se lasse point à parler de ce Franklin, dont
l'image se voit sur les pendules. Il admirait le soin que prenait
la Providence pour envoyer aux baleines arctiques, par le Gulf-Stream,
une certaine espèce de méduses, appelées
orties-de-mer, dont elles sont friandes. Gageons que les orties-de-mer,
si elles savaient, ne donneraient les marques, à la Providence,
que d'une médiocre approbation.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Le mieux n'est l'ennemi que du mal.  
    --- Jules RENARD   
%
 Motif de l'attaque.
 On n'attaque pas seulement pour faire du mal à quelqu'un,
pour le vaincre, mais peut-être aussi pour le seul plaisir
de prendre conscience de sa force.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La méchanceté est rare.
 La plupart des hommes sont bien trop occupés d'eux-mêmes
pour être méchants.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Entre deux maux, il faut choisir le moindre.
 Là-dessus, pas d'incertitude. Les personnes les plus charitables
reconnaissent que le mal du prochain est toujours le moindre et
que c'est bien là qu'il faut choisir. Les moralistes ont
remarqué depuis longtemps qu'on a toujours assez de force
pour supporter les peines d'autrui.  
    --- Léon BLOY   
%
 Faire le bien autour de soi.
 Question de périmètre. Moins il est étendu
et plus on se fait de bien à soi-même.  
    --- Léon BLOY   
%
 Lorsque le médecin vous recoud la peau du visage,
à la suite de quelque petit accident, il y a, parmi les
accessoires, un verre de rhum propre à ranimer le courage
défaillant. Or, communément, ce n'est point le patient
qui boit le verre de rhum, mais l'ami spectateur, qui, sans en
être averti par ses propres pensées, tourne au blanc
verdâtre et perdrait le sentiment. Ce qui fait voir, contre
le moraliste, que nous n'avons pas toujours assez de force pour
supporter les maux d'autrui.  
    --- ALAIN   
%
 Mais non ; il n'est nullement nécessaire d'être
méchant pour blesser autrui. Et c'est bien là le
plus tragique : que des êtres bons et qui s'aiment
puissent s'endolorir et se navrer avec la meilleure volonté
du monde.  
    --- André GIDE   
%
 Sans la paresse qui dissuade de pousser la méchanceté
trop loin et la concurrence à son paroxysme, notre société
ne serait pas vivable.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Il y a peu de belles vies en détail : les
grands hommes ne le sont qu'en gros.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Oh ! qu'il devrait donc bien y avoir, à chaque
biographie de poète, un petit chapitre secret et réservé,
à l'usage des seuls bons esprits, capables de porter la
vérité, toute la vérité, sans la prendre
de travers ni en abuser.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 De nos jours tous les grands hommes ont leurs disciples
et c'est toujours Judas qui rédige la biographie.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Quand on lit le récit d'une vie "exemplaire" comme
celle de Balzac, on arrive toujours au récit de la mort.
Ainsi, à quoi bon ?  
    --- Jules RENARD   
%
 Lis toutes les biographies des grands morts, et tu aimeras
la vie.  
    --- Jules RENARD   
%
 J'aime les anecdotes sur la petitesse des grands de ce
monde. J'aime me dire que Shakespeare levait volontiers le coude.
Je me cramponne même au récit de cette ultime orgie
avec son ami Ben Jonson. Peut-être l'histoire est-elle apocryphe,
mais j'espère que non. J'aime l'imaginer sous les traits
d'un braconnier, d'un bon à rien de village, vilipendé
par le maître d'école, cible constante des sermons
du magistrat local. J'aime songer que Cromwell avait une verrue
sur le nez ; cette pensée me réconcilie avec
mes propres traits. J'aime savoir qu'il mettait des bonbons sur
les chaises pour voir les dames élégantes abîmer
leurs belles robes ; me dire que sa farce idiote le faisait
hurler de rire, comme n'importe quel Dudule de banlieue avec son
pistolet à eau les jours de fête. J'aime lire que
Carlyle balançait des tranches de bacon à la tête
de sa femme et se rendait parfois parfaitement ridicule pour des
contrariétés de rien du tout, qui auraient fait
sourire un homme équilibré. Je songe alors à
la cinquantaine de bourdes que je commets par semaine et je me
dis : "Moi aussi, je suis un homme de lettres."  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 Voix de la chair : ne pas avoir faim, ne pas avoir
soif, ne pas avoir froid ; celui qui dispose de cela, et
a l'espoir d'en disposer à l'avenir, peut lutter pour le
bonheur.  
    --- EPICURE   
%
 N'essaie pas que ce qui arrive arrive comme tu veux, mais
veux ce qui arrive comme il arrive, et tu couleras des jours heureux.  
    --- EPICTETE   
%
 Mais, dit-on, c'est un malheur d'être trompé.
Non, ce n'est pas l'être qui est un très grand malheur.
Car ceux qui croient que le bonheur de l'homme réside dans
les réalités ont vraiment perdu l'esprit. Il dépend
de l'opinion qu'on a d'elles. L'obscurité et la diversité
des choses humaines sont telles qu'on ne peut rien savoir clairement,
comme l'ont bien dit mes Académiciens, les moins orgueilleux
des philosophes. Ou si on peut savoir quelque chose, c'est bien
souvent aux dépens du plaisir de la vie. Enfin, l'âme
humaine est ainsi modelée qu'on la prend beaucoup plus
par le mensonge que par la vérité. Veut-on une expérience
évidente et claire ? Qu'on aille écouter le
sermon à l'église : s'il est question de choses
sérieuses, tout le monde dort, bâille, s'ennuie.
Si le braillard, pardon, je voulais dire l'orateur [jeu de mot
en latin : clamator, celui qui pousse des cris, et declamator,
celui qui déclame = l'orateur] commence, comme il est fréquent,
par quelque histoire de bonne femme, tout le monde se réveille,
se redresse, est bouche bée.
 [...]
 J'ai connu quelqu'un de mon nom qui fit présent à
sa jeune femme de quelques pierres fausses et la persuada, car
c'était un beau parleur, non seulement qu'elles étaient
vraies et naturelles mais qu'elles avaient une valeur rare, inestimable.
Eh bien, qu'est-ce que cela faisait à la jeune femme, puisqu'elle
n'éprouvait pas moins de plaisir à repaître
ses yeux et son esprit de la verroterie et qu'elle gardait cachés
chez elle ces riens comme s'il s'agissait d'un précieux
trésor ? 
 En attendant le mari évitait une dépense, et profitait
de l'illusion de son épouse qui lui était tout aussi
reconnaissante que s'il lui avait offert un cadeau coûteux.  
    --- ERASME   
%
 Par les dieux immortels, y a-t-il plus heureux que cette
espèce d'hommes qu'on appelle vulgairement bouffons, fous,
sots, innocents, les plus beaux noms à mon avis ?
Au premier abord, j'ai peut-être l'air de dire une chose
folle et absurde ; c'est pourtant rigoureusement vrai. D'abord
ils ignorent la crainte de la mort, qui, par Jupiter, n'est pas
une petite misère. Ils ignorent les remords de conscience.
Ils ne sont pas terrifiés par les histoires de revenants.
Ils ne sont pas épouvantés par les spectres et les
lémures, ni torturés par la crainte des maux qui
les menacent, ni écartelés par l'espérance
des biens à venir. Bref, ils ne sont pas déchirés
par les mille tourments auxquels cette vie est en butte. Ils ignorent
la honte, la crainte, l'ambition, l'envie, l'amour. Enfin, s'ils
parviennent à l'inconscience des bêtes brutes, ils
ne commettent même plus de péché, selon les
théologiens.
 Maintenant, sage plein de folie, je voudrais que tu comptes avec
moi tous les soucis qui jour et nuit tourmentent ton esprit, que
tu réunisses en un seul tas tous les ennuis de ta vie,
et tu comprendras enfin de combien de misères j'ai affranchi
mes fous. Ajoutez-y que non seulement ils ne font que jubiler,
s'amuser, chantonner, rire, mais de plus ils apportent à
tous, partout où ils vont, le plaisir, le jeu, l'amusement
et le rire, comme si la bienveillance des dieux les avait destinés
à égayer la tristesse de la vie humaine. Aussi,
tandis que les gens ont les uns envers les autres des sentiments
divers, tout le monde les reconnaît également pour
des amis, les recherche, les régale, les choie, les entoure,
les secourt s'il arrive quelque chose, leur permet de dire ou
de faire n'importe quoi impunément. On désire si
peu leur nuire que même les bêtes sauvages s'abstiennent
de leur faire du mal, les sentant d'instinct inoffensifs. Car
ils sont véritablement consacrés aux dieux, en particulier
à moi ; ce n'est donc pas à tort qu'on les
respecte universellement.  
    --- ERASME   
%
 Les biens de la fortune, tous tels qu'ils sont, encores
faut il avoir du sentiment pour les savourer. C'est le jouïr,
non le posseder, qui nous rend heureux.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 La nature nous rendant toujours malheureux en tous états,
nos désirs nous figurent un état heureux, parce
qu'ils joignent à l'état où nous sommes les
plaisirs de l'état où nous ne sommes pas ;
et, quand nous arriverions à ces plaisirs, nous ne serions
pas heureux pour cela, parce que nous aurions d'autres désirs
conformes à ce nouvel état.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents
et l'ignorance de la vanité des plaisirs absents causent
l'inconstance.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Divertissement : Quand je m'y suis mis quelquefois,
à considérer les diverses agitations des hommes,
et les périls et les peines où ils s'exposent, dans
la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles,
de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc.,
j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une
seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une
chambre.
 ~
 Mais quand j'ai pensé de plus près, et qu'après
avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu
en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en a
une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre
condition faible et mortelle, et si misérable, que rien
ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à
divertir le roi, et à l'empêcher de penser à
lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Il n'y a que trois sortes de personnes : les unes
qui servent Dieu, l'ayant trouvé ; les autres qui
s'emploient à le chercher, ne l'ayant pas trouvé ;
les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé.
Les premiers sont raisonnables et heureux ; les derniers
sont fous et malheureux ; ceux du milieu sont malheureux
et raisonnables.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Pourquoi nous faire horreur de notre être ?
Notre existence n'est point si malheureuse qu'on veut nous le
faire accroire. Regarder l'univers comme un cachot, et tous les
hommes comme des criminels qu'on va exécuter, est l'idée
d'un fanatique ; croire que le monde est un lieu de délices
où l'on ne doit avoir que du plaisir, c'est la rêverie
d'un sybarite. Penser que la terre, les hommes et les animaux
sont ce qu'ils doivent être dans l'ordre de la Providence
est, je crois, d'un homme sage.  
    --- VOLTAIRE   
%
      Un jeune colonel a souvent l'impudence
      De passer en plaisirs un maréchal
de France.
      "Etre heureux comme un roi",
dit le peuple hébété :
      Hélas ! pour le bonheur
que fait la majesté ?
      En vain sur ses grandeurs un monarque
s'appuie ;
      Il gémit quelquefois, et bien
souvent s'ennuie.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Remarquez bien que la plupart des choses qui nous font
plaisir sont déraisonnables.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Le bonheur consiste plus dans une disposition générale
de l'esprit et du coeur, qui s'ouvre au bonheur que la nature
de l'Homme peut prêter, que dans la multiplicité
de certains moments heureux dans la vie. Il consiste plus dans
une certaine capacité de recevoir ces moments heureux.
Il ne consiste point dans le plaisir, mais dans une capacité
aisée de recevoir le plaisir, dans une espérance
bien fondée de le trouver quand on voudra, dans une expérience
que l'on n'a point un certain dégoût général
pour les choses qui font la félicité des autres.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Si on ne vouloit être qu'heureux, cela seroit bientôt
fait. Mais on veut être plus heureux que les autres, et
cela est presque toujours difficile, parce que nous croyons les
autres plus heureux qu'ils ne sont.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Comme l'homme vivrait heureux s'il s'occupait aussi peu
des affaires d'autrui que des siennes !  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Une impression agréable, lorsqu'elle est courte,
c'est plaisir ; lorsqu'elle est longue, c'est volupté ;
lorsqu'elle est permanente, c'est le bonheur. Un bonheur causé
par des impressions douces, flatteuses, que rien n'interrompt
ni ne trouble, c'est félicité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 N'est pas heureux qui ne veut l'être.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Oui, il entre inévitablement dans la composition
de tout bonheur parfait l'idée de l'avoir mérité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Les mouvements de l'esprit, quand ils sont seuls, ne mesurent
rien. Les battements du pouls mesurent le temps, les battements
du coeur mesurent la vie ; mais la paix seule et les mouvements
de notre âme mesurent le bonheur.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Pour être tragiques, il faut que les malheurs soient
rares.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le plaisir n'est que le bonheur d'un point du corps. Le
vrai bonheur, le seul bonheur, tout le bonheur est dans le bien-être
de toute l'âme.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ne vous exagérez pas les maux de la vie et n'en
méconnaissez pas les biens, si vous cherchez à vivre
heureux.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Quand on soutient que les gens les moins sensibles sont,
à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle le proverbe
indien : "Il vaut mieux être assis que debout, être
couché qu'assis ; mais il vaut mieux être mort
que tout cela."  
    --- CHAMFORT   
%
 Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur
de la raison, qui le soumet à l'examen, qui chicane, pour
ainsi dire, ses jouissances, et n'admet que des plaisirs délicats,
finit par n'en plus avoir. C'est un homme qui, à force
de faire carder son matelas, le voit diminuer, et finit par coucher
sur la dure.  
    --- CHAMFORT   
%
 Je conseillerais à quelqu'un qui veut obtenir une
grâce d'un ministre de l'aborder d'un air triste, plutôt
que d'un air riant. On n'aime pas à voir plus heureux que
soi.  
    --- CHAMFORT   
%
 Il est difficile de ne pas s'exagérer le bonheur
dont on ne jouit pas.  
    --- STENDHAL   
%
 A l'individu, dans la mesure où il recherche
son bonheur, il ne faut donner aucun précepte sur le chemin
qui mène au bonheur : car le bonheur individuel jaillit
selon ses lois propres, inconnues de tous, il ne peut être
qu'entravé et arrêté par des préceptes
qui viennent du dehors.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 HEUREUX. - En parlant d'un homme heureux : "Il est
né coiffé." On ne sait pas ce que ça signifie,
et l'interlocuteur non plus.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Pour vivre, je ne dis pas heureux (ce but est une illusion
funeste), mais tranquille, il faut se créer en dehors de
l'existence visible, commune et générale à
tous, une autre exigence interne et inaccessible à ce qui
rentre dans le domaine du contingent, comme disent les philosophes.
Heureux les gens qui ont passé leurs jours à piquer
des insectes sur des feuilles de liège ou à contempler
avec une loupe les médailles rouillées des empereurs
romains ! Quand il se mêle à cela un peu de
poésie ou d'entrain, on doit remercier le ciel de vous
avoir fait ainsi naître.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 On ne devrait vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit
comme le bonheur.  
    --- Oscar WILDE   
%
 [...] un homme qui sait se rendre heureux avec une simple
illusion est infiniment plus malin que celui qui se désespère
avec la réalité.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Chacun trouve son plaisir où il le prend.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il ne suffit pas d'être heureux : il faut encore
que les autres ne le soient pas.  
    --- Jules RENARD   
%
 La gloire d'hier ne compte plus ; celle d'aujourd'hui
est trop fade, et je ne désire que celle de demain.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le bonheur que les autres vous croient ajoute à
notre détresse de savoir que nous ne sommes pas heureux.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le bonheur ne rend pas bon. C'est une remarque qu'on fait
sur le bonheur des autres.  
    --- Jules RENARD   
%
 J'ai toujours vu les gens heureux, mais qui le sont à
trop grands frais, envier le petit bonheur limité, dans
un coin.  
    --- Jules RENARD   
%
 Etre heureux, c'est être envié. Or,
il y a toujours quelqu'un qui nous envie. Il s'agit de le connaître.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le bonheur, c'est d'être heureux ; ce n'est
pas de faire croire aux autres qu'on l'est.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il faut être discret quand on parle de son bonheur,
et l'avouer comme si l'on se confessait d'un vol.  
    --- Jules RENARD   
%
 A quelque chose malheur est bon.
 Le malheur des autres, cela va sans dire. Il n'y a même
que cela de bon. Il est assez difficile de se figurer une chose
heureuse arrivant à un voisin de campagne par exemple,
et dont on puisse tirer parti. La preuve, c'est que le bonheur
des uns ne fait pas le bonheur des autres, comme le dit fort exactement
un autre Lieu Commun presque identique.  
    --- Léon BLOY   
%
 Bonheur n. Agréable sensation qui naît de
la contemplation de la misère d'autrui.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Il vient un âge où le bonheur semble se retirer
de la vie, comme ces lacs qu'un été trop long rétrécit
entre leurs rives.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Le bonheur se serait peut-être d'avoir de l'argent,
une valise avec cinq ou six livres et ses vêtements, et
de vivre tantôt ici, tantôt ailleurs, en changeant
sans cesse de gens, de paysages, d'idées, sans aucun attachement,
et en prenant des notes partout et surtout. On mourrait un jour
ou l'autre, où l'on pourrait. Le moindre sentiment, la
moindre affection, la moindre chose qu'on possède est une
chaîne.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Quand on pense à des choses de ce genre :
le mariage, la guerre, la prison, les estropiés nés,
les tordus, les contrefaits, les idiots, les fous, les syphilitiques,
on sent le prix du bonheur d'y avoir échappé - jusqu'ici,
du moins.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Toute révolution prétend travailler pour
le bien universel et veut propager sa doctrine dans le monde entier.
En 1792, toute l'Europe était contre la Révolution
française. Aujourd'hui, toute l'Europe est contre la Révolution
russe. Il n'y a pas à s'échauffer. Il faut seulement
se méfier des gens qui veulent le bonheur de l'humanité,
d'où qu'ils soient. Les juges de l'Inquisition eux aussi,
voulaient faire le bonheur de leurs victimes.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 C'est une constatation que sont obligés de faire
quelquefois certains hommes : que de sots ont facilement
ce qu'ils n'ont pas.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il arrive chaque jour entre la place de l'Etoile
et la place de la Concorde un nombre d'accidents qui ne varie
guère. Donc chaque accident arrivé à autrui
est un accident évité par vous. 
 Le nombre des maladies et des larmes est équilibré
de la même façon - et chaque fois qu'un homme meurt,
ce n'est pas vous.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Dès longtemps j'avais décelé chez
mes amis les plus intimes comme un secret espoir de me voir malheureux
dans mon propre intérêt.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Vos amis qui vous prédisent des malheurs en arrivent
bien vite à vous les souhaiter - et ils les provoqueraient
au besoin pour conserver votre confiance.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Il y a assez de gens qui s'occupent des malheureux, des
disgraciés, des déshérités, pour que
je défende un peu le bonheur, la grâce et la beauté.
 Il n'y a pas que des malheureux.
 Il n'y a pas que des gens laids.
 Or, sous le prétexte magnifique de favoriser les gens
malheureux, vous risquez de faire du mal à ceux qui ne
le sont pas. C'est très grave.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Vous avez trouvé le bonheur, dites-vous. Prenez
garde ! Car c'est l'oasis, et Pégase ne va pas plus
loin vous porter.  
    --- André GIDE   
%
 Non s'efforcer vers le plaisir mais trouver son plaisir
dans l'effort même, c'est le secret de mon bonheur.  
    --- André GIDE   
%
 Le besoin qu'a Pascal de désespérer l'homme
et de saper ses joies, à seule fin de précipiter
sa conversion, cette systématique dépréciation
du jeu, de l'art ("quelle vanité que la peinture..."),
de tout ce qui distrait l'homme de la nécessité
de la mort - me paraît beaucoup plus vain que le plaisir
même ; et combien me paraît plus sage la boutade
de Hebel : "Que peut faire de mieux le rat pris au piège ?
- C'est de manger le lard."  
    --- André GIDE   
%
 On dit communément que tous les hommes poursuivent
le bonheur. Je dirais plutôt qu'ils le désirent,
et encore en paroles, d'après l'opinion d'autrui. Car le
bonheur n'est pas quelque chose que l'on poursuit, mais quelque
chose que l'on a. Hors de cette possession il n'est qu'un mot.
Mais il est ordinaire que l'on attache beaucoup de prix aux objets
et trop peu de prix à soi. Aussi l'un voudrait se réjouir
de la richesse, l'autre de la musique, l'autre des sciences. Mais
c'est le commerçant qui aime la richesse, et le musicien
la musique, et le savant la science. En acte, comme Aristote disait
si bien. En sorte qu'il n'est point de chose qui plaise, si on
la reçoit, et qu'il n'en est presque point qui ne plaise,
si on la fait, même de donner et recevoir des coups. Ainsi
toutes les peines peuvent faire partie du bonheur, si seulement
on les cherche en vue d'une action réglée et difficile,
comme de dompter un cheval. Un jardin ne plaît pas si on
ne l'a pas fait. Une femme ne plaît pas, si on ne l'a conquise.
Même le pouvoir ennuie celui qui l'a reçu sans peine.
Le gymnaste a du bonheur à sauter, et le coureur à
courir ; le spectateur n'a que du plaisir.  
    --- ALAIN   
%
 Il est proverbial que c'est dans le malheur qu'on apprend
à connaître ses amis. Ce n'est point qu'un malheureux
éloigne par les services qu'il attend ; les hommes
aiment à rendre service ; seulement ils n'aiment point
les visages malheureux. C'est en ces passages que l'amuseur connaît
les amertumes de son métier.  
    --- ALAIN   
%
 Il n'y a pas de bonheur au monde si l'on attend au lieu
de faire, et ce qui plaît sans peine ne plaît pas
longtemps. Faire ce qu'on veut, ce n'est qu'une ombre. Etre ce
qu'on veut, ombre encore. Mais il faut vouloir ce qu'on fait.
Il n'est pas un métier qui ne fasse regretter de l'avoir
choisi, car lorsqu'on le choisissait on le voyait autre ;
aussi le monde humain est rempli de plaintes. N'employez point
la volonté à bien choisir, mais à faire que
tout choix soit bon.  
    --- ALAIN   
%
 Les sages d'autrefois cherchaient le bonheur ; non
pas le bonheur du voisin, mais leur bonheur propre. Les sages
d'aujourd'hui s'accordent à enseigner que le bonheur propre
n'est pas une noble chose à chercher, les uns s'exerçant
à dire que la vertu méprise le bonheur, et cela
n'est pas difficile à dire ; les autres enseignant
que le commun bonheur est la vraie source du bonheur propre, ce
qui est sans doute l'opinion la plus creuse de toutes, car il
n'y a point d'occupation plus vaine que de verser du bonheur dans
les gens autour comme dans des outres percées ; j'ai
observé que ceux qui s'ennuient d'eux-mêmes, on ne
peut point les amuser ;  et au contraire, à ceux qui
ne mendient point, c'est à ceux-là que l'on peut
donner quelque chose, par exemple la musique à celui qui
s'est fait musicien. Bref il ne sert point de semer dans le sable ;
et je crois avoir compris, en y pensant assez, la célèbre
parabole du semeur, qui juge incapables de recevoir ceux qui manquent
de tout. Qui est puissant et heureux par soi sera donc heureux
et puissant par les autres encore en plus.  
    --- ALAIN   
%
 Au lieu de prétendre avec le pessimisme qu'il n'y
a pas de plaisir sans mélange, il faudrait plutôt
s'exprimer ainsi : tous les plaisirs enveloppent leur douleur,
c'est-à-dire une possibilité de conscience qui les
empoisonnera, les rendra fragiles, défiants, soupçonneux ;
à peine avons-nous commencé de les vivres qu'ils
projettent déjà une ombre d'eux-mêmes, infiniment
légère et fugitive, et cette ombre est comme leur
conscience élémentaire. Pour être parfaitement
heureux il faudrait ne rien savoir de son bonheur ; mais
y a-t-il jamais eu un seul sentiment humain, si pur soit-il, que
n'effleurât quelque réflexion imperceptible ?
Voilà la vraie malédiction, la Némésis
dont parle Schelling et qui, en nous proposant le savoir, trouble
le clair miroir de l'innocence. Le drame antique a exprimé
par de profonds symboles cette pudeur d'un bonheur qui craint
d'éveiller la jalousie des dieux... Prendre conscience
de son plaisir, c'est s'apercevoir qu'il n'est qu'un pauvre plaisir
sans lendemain, qu'il nous laisse éternellement inquiets,
désirants, faméliques. La conscience ne se borne
donc pas à faire du plaisir un objet : elle en manifeste
l'insuffisance, elle apporte avec soi le premier doute qui, lentement,
sournoisement, va miner notre bonheur.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Dans toutes les espèces animales et chez l'homme,
la récompense ne s'obtient que par l'action. Le bonheur
ne vous tombe qu'exceptionnellement tout préparé
dans les bras. Il faut aller à sa rencontre, il faut être
motivé à le découvrir, à tel point
qu'il perd de son acuité s'il vous est donné sans
être désiré. La pulsion primitive est indispensable,
celle de la recherche du plaisir, de l'équilibre biologique.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Il est plus que temps de mettre au rancart les contes
de bonne femme qui voudraient nous faire croire que la chance,
le bonheur et la satisfaction sont tout ce qu'il convient de désirer
dans l'existence. Il y a trop longtemps que l'on nous dit -et
que nous croyons naïvement - que la poursuite du bonheur
débouche sur le bonheur.
 [...]
 La littérature mondiale aurait dû suffire à
éveiller nos soupçons. Désastre, tragédie,
catastrophe, crime, péché, démence, danger
- voilà la matière première de toutes les
grandes créations littéraires. L'Enfer de Dante
est beaucoup plus ingénieux que son Paradis. Il en va de
même du Paradis perdu de Milton, à côté
duquel son Paradis retrouvé est assez insipide. Le premier
Faust nous tire des larmes, le second des bâillements.
 Inutile de nous raconter des histoires : que serions-nous,
et où en serions-nous, sans notre malheur ? J'espère
que l'on me passera la vulgarité de l'expression car elle
est littéralement vraie : nous en avons salement besoin.  
    --- Paul WATZLAWICK   
%
 Comme le lecteur le sait probablement déjà,
la devise officieuse du puritanisme est : "Fais ce que tu
voudras, à condition de n'en tirer aucun plaisir." Et il
existe effectivement des gens qui jugent indécent de prendre
plaisir à quoi que ce soit dans un monde tel que celui
où nous vivons aujourd'hui. Et, certes, il devient difficile
de jouir ne serait-ce que d'un verre d'eau à l'instant
où l'on sait qu'un demi-million de civils innocents sont
en train de mourir de soif dans la moitié occidentale de
Beyrouth. Mais, à supposer même que le bonheur mondial
soit pour demain, les pessimistes calvinistes auraient encore
des raisons d'espérer. Ils pourraient toujours avoir recours
à la recette de Laing en reprochant à leurs interlocuteurs
innocemment heureux : "Comment oses-tu t'amuser alors que
le Christ est mort sur la croix pour ton salut ? Tu crois
qu'il s'amusait, lui ? " Le reste n'est plus que silence
gêné.  
    --- Paul WATZLAWICK   
%
 Les hommes recherchent furieusement le plaisir, mais ne
se croiraient pas complets, dignes de vivre, s'ils ne payaient
leur tribut à la souffrance. Donc il faut souffrir. La
plupart s'en tirent fort bien avec les ennuis quotidiens. Pour
celle-ci, c'est le ménage, la queue, la vaisselle, le retour
d'âge, pour celui-ci, le bureau, le manque de tabac, la
brièveté des vacances, le mal de dents. D'autres
supplient quelques bonnes âmes de leur taper dessus, se
nourrissent d'ennuis présumés, et ne sont pleinement
satisfait que lorsque le monde entier semble acharner à
les perdre. Comme s'il était nécessaire de lever
le petit doigt pour avancer un tel résultat. Mais il en
est qui ont lu quelque peu, qui ont une vague idée de la
souffrance "poétique", et pour ceux-là quelques
subtilités s'imposent. Ils trouveront à qui parler,
et souffrance à leur mesure, en se jetant à corps
perdu dans les femmes. Là, c'est gagner d'avance. Ils sautent
sur cette possibilité de tragique avec frénésie.
On s'assure quelques jours de profond chagrin. Il ne peut se faire
qu'un scénario bien conditionné ne déroule
pas irrévocablement sa bobine jusqu'au terme de l'histoire.
Quel plaisir de se donner des airs de Christ parce qu'elle n'est
pas venue au rendez-vous ! De rentrer pleurer entre nos quatre
murs familiers qui en perdent leurs fades couleurs. Est-ce beau !
Est-ce assez "humain".  
    --- Georges PERROS   
%
 Le paradis n'était pas supportable, sinon le premier
homme s'en serait accommodé ; ce monde ne l'est pas
davantage, puisqu'on y regrette le paradis ou l'on en escompte
un autre. Que faire ? où aller ? Ne faisons rien
et n'allons nulle part, tout simplement.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'"homme" - je veux dire je, tu, il, nous tous - croit
vouloir le bonheur. Il croit cela parce qu'il ne l'a pas. Il en
rêve comme l'assoiffé rêve d'oasis. Il se connaît
fort mal lui-même. En fait, ce qu'il veut, peut-être
pas consciemment, mais en tous cas ce qu'il recherche, ce vers
quoi toute sa conduite tend éperdument, c'est exactement
le contraire. Il veut risquer et vaincre, il veut avoir peur et
dominer sa peur, il veut être mieux que son voisin ou avoir
plus que lui, il veut être le premier, il veut dominer,
il veut séduire, il veut, en un mot, non pas une vie harmonieuse,
mais une vie excitante, passionnante. Il croit vouloir le bonheur
mais il veut l'aventure qui, se raconte-t-il, débouchera
sur le bonheur. Il se raconte des histoires.
 Et tous ceux qui se sont terriblement battus, quel qu'ait été
leur combat, croyaient se battre pour l'après, pour la
victoire et ses fruits. Ils ne savaient pas, ils ne voulaient
pas savoir, qu'ils se battaient pour se battre. Pour le combat.
Les Guynemer et les Robespierre, les Napoléon et les Jeanne
d'Arc, les Vincent de Paul et les Hitler, les conquérants
et les martyrs... Leur moteur est leur tempérament même,
leur bilan caractériel, leur dévorant besoin d'activité
ou de dévouement. La "cause" n'est qu'affaire de circonstances.
Ils se seraient tout aussi bien battus ou sacrifiés pour
n'importe quoi d'autre, et avec la même conviction.  
    --- François CAVANNA   
%
 Tout ce qui m'intéresse, soit ça fait grossir,
soit c'est immoral !  
    --- COLUCHE   
%
 La majeure partie de nos ennuis provient de la complexité
de notre nature et de la longévité de l'espèce.
Mon chien qui ignore superbement l'angoisse métaphysique,
la TVA, André Comte-Spongieux et la formation permanente,
coule des jours paisibles et profite sans se poser de vaines questions
de tout ce que la vie peut lui apporter : un rayon de soleil,
un bout de côtelette, un morceau de sucre, la chienne du
tripier. Un homme disposant de possibilités identiques
se préoccupe de la matité de son bronzage, du degré
de cuisson de la viande, de la valeur calorique du sucre et de
la moralité de sa partenaire. C'est l'intelligence qui,
sécrétant plus d'arrière-pensées que
de pensées, dénature les joies simples qui n'ont
nul besoin d'analyse.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le bonheur c'est aussi souvent de ne plus faire certaines
choses qu'on croyait indispensables.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Si l'on te rapporte qu'un tel dit du mal de toi, ne te
défends pas contre ses propos, mais réponds :
"C'est qu'il ignorait mes autres défauts ; sans quoi
il ne se serait pas borné à ceux-là."  
    --- EPICTETE   
%
 L'on me dit tant de mal de cet homme, et j'y en vois si
peu, que je commence à soupçonner qu'il n'ait un
mérite importun qui éteigne celui des autres.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La calomnie est comme la guêpe qui vous importune,
et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à
moins qu'on ne soit sûr de la tuer, sans quoi elle revient
à la charge, plus furieuse que jamais.  
    --- CHAMFORT   
%
 Ne montrez pas le revers et l'exergue à ceux qui
n'auront pas vu la médaille. C'est à dire ne parlez
pas des défauts des gens de bien (et surtout de vos amis)
à ceux qui ne connaissent ni leur visage, ni leur vie,
ni leur mérite.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Calomnie. - Si l'on trouve la trace d'une suspicion vraiment
infamante, il ne faut jamais en chercher la source chez ses ennemis
loyaux et simples ; car, si ceux-ci inventaient sur notre
compte une pareille chose, étant nos ennemis, ils ne trouveraient
pas créance. Mais ceux à qui nous avons été
le plus utiles pendant un certain temps et qui, pour une raison
quelconque, peuvent être secrètement certains de
ne plus rien obtenir de nous, - ceux-là sont capables de
mettre une infamie en circulation : ils trouvent créance,
d'une part parce que l'on admet qu'ils n'inventeraient rien qui
pourrait leur nuire personnellement, d'autre part puisqu'ils ont
appris à nous connaître de plus près. - Pour
se consoler, celui qui est ainsi calomnié peut se dire :
les calomnies sont des maladies des autres qui éclatent
sur ton propre corps ; elles démontrent que la société
est un seul organisme (moral), de sorte que tu peux entreprendre
sur toi la cure qui profitera aux autres.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 On s'attaque à ta vie privée ? 
 C'est que l'on ne trouve rien à redire à tes ouvrages.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Diseur de bons mots, mauvais caractère.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Ne pouvoir supporter tous les mauvais caractères
dont le monde est plein n'est pas un fort bon caractère :
il faut dans le commerce des pièces d'or, et de la monnaie.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Dans la société, c'est la raison qui plie
la première. Les plus sages sont souvent menés par
le plus fou et le plus bizarre : l'on étudie son faible,
son humeur, ses caprices, l'on s'y accommode ; l'on évite
de le heurter, tout le monde lui cède ; la moindre
sérénité qui paraît sur son visage
lui attire des éloges : on lui tient compte de n'être
pas toujours insupportable. Il est craint, ménagé,
obéi, quelquefois aimé.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 "Diseurs de bons mots, mauvais caractère" :
je le dirais, s'il n'avait été dit. Ceux qui nuisent
à la réputation ou à la fortune des autres,
plutôt que de perdre un bon mot, méritent une peine
infamante ; cela n'a pas été dit, et je l'ose
dire.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Le caractère est formé de nos idées
et de nos sentiments : or il est très prouvé
qu'on ne se donne ni sentiments ni idées ; donc notre
caractère ne peut dépendre de nous.
 S'il en dépendait, il n'y a personne qui ne fût
parfait.
 Nous ne pouvons nous donner des goûts, des talents ;
pourquoi nous donnerions-nous des qualités ?
 Quand on ne réfléchit pas, on se croit le maître
de tout ; quand on y réfléchit, on voit qu'on
n'est maître de rien.  
    --- VOLTAIRE   
%
 J'ai toujours trouvé que les personnes prétendument
exécrables gagnaient à être connues de près,
alors que les bonnes gens, elles, y perdaient.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme
il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se
montrent comme ils sont.  
    --- CHAMFORT   
%
 Il faut savoir faire les sottises que nous demande notre
caractère.  
    --- CHAMFORT   
%
 Quiconque n'a pas de caractère n'est pas un homme,
c'est une chose.  
    --- CHAMFORT   
%
 Il faut des vertus qui fassent aimer et des défauts
qui fassent craindre. Probablement ce sont les défauts
qui vous manquent.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Nous sommes tous plus ou moins échos, et nous répétons
malgré nous les vertus, les défauts, les mouvements
et le caractère des autres, j'entends de ceux avec qui
nous vivons.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Les hommes comme moi sont impossibles jusqu'à ce
qu'ils soient nécessaires.  
    --- Victor HUGO   
%
 Homme de caractère. - Un homme paraît avoir
du caractère beaucoup plus souvent parce qu'il suit toujours
son tempérament que parce qu'il suit toujours ses principes.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Une fois la décision prise, rester sourd aux meilleures
objections : preuve de caractère. Donc à l'occasion,
vouloir être stupide...  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Un homme de caractère n'a pas bon caractère.  
    --- Jules RENARD   
%
 La vie est ce que notre caractère veut qu'elle
soit. Nous la façonnons, comme un escargot sa coquille.  
    --- Jules RENARD   
%
 Nous sommes loin de nous douter des services que pourraient
nous rendre nos défauts - si nous savions les mettre en
oeuvre.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Le meilleur moyen pour apprendre à se connaître,
c'est de chercher à comprendre autrui.  
    --- André GIDE   
%
 C'est selon l'ordre des affections que le caractère
se forme ; c'est dans le cercle de la famille et des amitiés
qu'il se fixe ; par les jugements ; cela se voit ;
cela saute aux yeux. On se demande si l'effet des reproches, et
même leur fin, n'est pas de nous rappeler à notre
caractère, et de nous mettre en demeure de faire exactement
ce mélange de bien et de mal que l'on attend de nous. Votre
jeu est de mentir, et je vous le rappelle en annonçant
que je ne vais pas croire un mot de ce que vous direz. Mais l'autre,
par sa manière de dire le vrai comme si c'était
faux, me somme à son tour d'être défiant.
On fuit le brutal ; cela attire les coups, et en quelque
façon les aspire, par ce vide promptement fait. Il est
presque impossible que celui qui est réputé paresseux
s'élance pour rendre service, car l'espace lui manque ;
tout est fermé autour de lui ; nul n'attend rien de
lui. Il ne trouve point passage. Il se heurte, il importune, dans
le moment où il devrait servir. "Toujours le même,
dit-on de lui ; les autres ne sont rien pour lui." Il le
croit, il se le prouve, par la peur de se l'entendre dire.  
    --- ALAIN   
%
 Avoir du caractère n'est point le même qu'avoir
un caractère. Mais le double sens du mot doit nous avertir.
Avoir du caractère, c'est accepter sa propre apparence
et s'en faire une arme. Comme de bégayer, ou d'avoir la
vue basse, ou d'un grand nez faire commandement ; aussi bien
d'un petit. On fait autorité d'une voix forte, mais d'une
voix faible aussi, d'un nasillement. Un boiteux peut être
péremptoire ; on attend qu'il le soit. Le ridicule
n'est que l'absence d'une pensée derrière ces signes
impérieux. Toutefois si l'on se trouvait pourvu d'équilibre,
et de bel aspect, sans aucun ridicule, il ne faudrait pas encore
désespérer. Socrate usait indiscrètement
de ce nez camus ; le beau Platon dut chercher d'autres moyens.
Un orateur ne cache point ses défauts ; il les jette
devant lui. J'ai souvenir d'un avocat sifflotant, et tout à
fait ridicule ; mais il était redouté. Ses
adversaires se moquaient de lui, et, par cela même, l'admiraient.
On ne cite guère d'hommes puissants et libres qui n'aient
conservé et composé ces mouvements de nature, de
façon à s'ouvrir d'abord un chemin parmi les sots.
Il n'y a qu'affectation au monde ; et cela est ridicule si
l'on imite ; puissant au contraire, et respecté, et
redouté, celui qui affecte selon sa nature. "Il t'est naturel
d'être simple, disait quelqu'un, et tu affectes d'être
simple. C'est très fort."  
    --- ALAIN   
%
 On n'est soi qu'en mobilisant tous ses travers, qu'en
se solidarisant avec ses faiblesses, qu'en suivant sa "pente".
Dès qu'on cherche son "chemin", et qu'on s'impose quelque
modèle noble, on se sabote, on s'égare...  
    --- Emil CIORAN  
%
 Dans notre société, on dit que quelqu'un
a du caractère lorsqu'il accorde plus d'importance à
ses propres opinions qu'à celles d'autrui.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Il est préférable d'avoir de très
gros défauts que de toutes petites qualités.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Ce système de la nécessité et de
la fatalité a été inventé de nos jours
par Leibniz, à ce qu'il dit, sous le nom de  raison suffisante ;
il est pourtant fort ancien : ce n'est pas d'aujourd'hui
qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que souvent la plus petite
cause produit les plus grands effets.
 ...
 Mais il me semble qu'on abuse étrangement de la vérité
de ce principe. On en conclut qu'il n'y a si petit atome dont
le mouvement n'ait influé dans l'arrangement actuel du
monde entier ; qu'il n'y a si petit accident, soit parmi
les hommes, soit parmi les animaux, qui ne soit un chaînon
essentiel de la grande chaîne du destin.
 ...
 Tous les événements sont produits les uns par les
autres, je l'avoue ; si le passé est accouché
du présent, le présent accouche du futur ;
tout a des pères, mais tout n'a pas toujours d'enfants.
Il en est ici précisément comme d'un arbre généalogique :
chaque maison remonte, comme on sait, à Adam, mais dans
la famille il y a bien des gens qui sont morts sans laisser de
postérité.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Nous devons croire que tout a une cause, comme l'araignée
tisse sa toile afin d'attraper des mouches, et le fait bien avant
de savoir qu'en ce monde il existe des mouches.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Ce n'est pas parce qu'il y a une rose sur le rosier que
l'oiseau s'y pose : c'est parce qu'il y a des pucerons.  
    --- Jules RENARD   
%
 Nous ne pouvons inférer les événements
de l'avenir des événements présents.
 La croyance au rapport de cause à effet est la superstition.  
    --- Ludwig WITTGENSTEIN   
%
 Quand on dit que les mêmes causes produisent les
mêmes effets, on ne dit rien. Car les mêmes choses
ne se reproduisent jamais  -  et d'ailleurs on ne peut
jamais connaître toutes les causes.  
    --- Paul VALERY   
%
 Cause  -  Si l'on dit que le coup de mer a ruiné
une jetée. Tout ici est homo  -  Coup  -  et
l'emploi du verbe actif comme l'idée de ruine ou de désordre
 -  qui est relative à notre ordre. Et l'on néglige
la modification réciproque de la mer. On ne dit pas :
la jetée a vomi ses pierres sur la mer, a transformé,
dissipé, l'énergie de 1a lame.
 Mais quoi qu'on fasse, c'est toujours un homme qui observe.  
    --- Paul VALERY   
%
 La science, il est vrai, ne progresse qu'en remplaçant
partout le pourquoi par le comment ; mais, si reculé
qu'il soit, un point reste toujours où les deux interrogations
se rejoignent et se confondent. Obtenir l'homme... des milliards
de siècles n'y auraient pu suffire, par la seule contribution
du hasard. Si antifinaliste que l'on soit, que l'on puisse être,
on se heurte là à de l'inadmissible, à de
l'impensable ; et l'esprit ne peut s'en tirer qu'il n'admette
une propension, une pente, qui favorise le tâtonnant, confus
et inconscient acheminement de la matière vers la vie,
vers la conscience ; puis, à travers l'homme, vers
Dieu.  
    --- André GIDE  
%
 Etant philosophe, vous devez savoir ce que l'on
entend par principe de raison suffisante. Malheureusement, pour
tout ce qui le concerne directement, l'homme y fait toujours exception ;
dans notre vie réelle, je veux dire notre vie personnelle,
comme dans notre vie historique et publique, ne se produit jamais
que ce qui n'a pas de raison valable.  
    --- Le Principe de Raison   
%
 Les querelles ne dureraient pas longtemps, si le tort
n'était que d'un côté.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Il n'y a nulle certitude, dès qu'il est physiquement
ou moralement possible que la chose soit autrement. Quoi !
Il faut une démonstration pour oser assurer que la surface
d'une sphère est égale à quatre fois l'aire
de son grand cercle, et il n'en faudra pas pour arracher la vie
à un citoyen par un supplice affreux !  
    --- VOLTAIRE   
%
 EVIDENCE. - Vous aveugle, quand elle ne crève
pas les yeux.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 L'amour de la vérité n'est pas le besoin
de certitude et il est bien imprudent de confondre l'un avec l'autre.  
    --- André GIDE   
%
 Je préfère donner du "Monseigneur" au chef
de la branche bonapartiste plutôt qu'à l'évêque.
 Dame ! Je sais que l'empereur a existé, alors que
pour Dieu, je doute toujours.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Mylord Marlborough étant à la tranchée
avec un de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon fit
sauter la cervelle à cet ami et en recouvrit le visage
du jeune homme, qui recula avec effroi. Marlborough lui dit intrépidement :
"Eh ! quoi monsieur, vous paraissez étonné ?
- Oui, dit le jeune homme en s'essuyant la figure, je le suis
qu'un homme qui a autant de cervelle restât exposé
gratuitement à un danger inutile."  
    --- CHAMFORT   
%
 J'ai vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles
pareilles à la vôtre.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il y a des cases dans le cerveau, avec inscriptions :
A étudier au jour favorable.  -  A n'y penser jamais.
 -  Inutile à approfondir.  -  Contenu
non examiné.  -  Affaire sans issue.  -  Trésor
connu et qui ne pourrait être attaqué que dans une
seconde existence.  -  Urgent.  -  Dangereux.
 -  Délicat.  -  Impossible.  -  Abandonné.
 -  Réservé.  -  A d'autres !
 -  Mon fort.  -  Difficile, etc.   
    --- Paul VALERY   
%
 Un philosophe disait : vous aurez beau explorer le
cerveau, vous n'y verrez nulle pensée. Vous visiterez cette
machine, vous y verrez des roues, des leviers, des pignons, des
mouvements  -  pas la pensée.
 On peut lui répondre : visitez la pensée,
même la vôtre  -  et vous n'y verrez pas trace
de  -  pensée. Vous y verrez des images, des sensations
aussi closes, aussi positives, aussi impénétrables
qu'un morceau de fer, des résonances, des chocs et des
déclenchements,  -   -  des engrenages comme
dans la machine, et des hasards comme dans la rue.
 Cette pensée insaisissable, serait-elle une illusion d'optique,
tenant à un certain point d'où l'on se voit ?  
    --- Paul VALERY   
%
 LE JEU DES CIRCONSTANCES
 A Lou vivait un homme du nom de Che. Il avait deux fils. L'un
aimait l'étude, l'autre aimait le métier des armes.
Celui qui était porté, aux études offrit
ces services au prince de Ts'i. Ce dernier accepta et le fit précepteur
de tous ses fils. Celui qui était habile au maniement des
armes s'adressa au roi de Tch'ou et offrit ses services. Le roi
s'en réjouit et en fit son général. Grâce
aux revenus des deux frères, toute la famille s'enrichit
et, par leur rang, ils faisaient honneur à leurs parents.
 Che avait un voisin qui s'appelait Mong. Ce dernier avait aussi
deux fils qui étaient également l'un un lettré,
l'autre un soldat et ils vivaient dans une grande pauvreté.
Mong fut pris du désir de posséder autant que la
famille Che. C'est pourquoi il s'adressa à Che en s'enquérant
des moyens d'une si rapide ascension. Les deux fils de Che lui
contèrent tout conformément à la vérité.
 Sur quoi, un des fils de Mong fit une démarche à
Ts'in pour offrir ses services comme lettré au roi de ce
pays. Le roi de Ts'in dit : "Par les temps qui courent, les
princes mettent toutes leurs forces dans la guerre. Leur intérêt
se porte tout entier sur les armes et sur les approvisionnements.
Si je cherchais à gouverner mon pays au moyen de l'amour
et de la justice, ce serait là prendre la voie la plus
appropriée pour trouver la ruine et la mort" Cela dit,
il fit châtier le solliciteur, puis le relâcha peu
après.
 L'autre fils se rendit à Wei pour offrir ses services
au prince de la région. Ce dernier s'exprima ainsi :
"Mon pays est faible, il est entouré par de grands Etats
et j'aide les petits Etats : je suis ainsi la voie
de la paix. Si je voulais me fier à la force de mes armes,
je n'aurais pas à attendre longtemps pour consommer ma
ruine. D'autre part, si je laisse partir cet homme indemne, il
s'adressera au prince d'un autre royaume et me causera bien des
ennuis" Sur quoi, il fit couper les pieds du solliciteur et on
le transporta à Lou.
 Là, le père Mong et ses fils se frappaient la poitrine
et accablaient de reproches le père Che. Ce dernier finit
par dire : "Quand les circonstances sont favorables, on réussit.
Dans le cas contraire, c'est la ruine. La voie que vous avez prise
était la même que la nôtre, cependant l'issue
en est différente. Cela provient de ce que vous n'avez
pas trouvé le moment favorable, et non pas que vous l'avez
manqué de votre propre chef. En outre, il n'existe pas
dans le monde de principe qui soit valable en toutes circonstances,
pas un acte qui soit mauvais dans tous les cas. Ce qui fut jadis
en usage est peut-être rejeté aujourd'hui. Ce qu'on
rejette aujourd'hui sera peut-être en usage plus tard. L'usage
et le non-usage ne suivent pas de règle fixe. Comment exploiter
une occasion, trouver le moment opportun, se plier aux circonstances,
voilà ce qui ne dépend d'aucune recette. Il s'agit
ici d'une certaine habileté. Si vous n'avez pas cette habileté,
auriez-vous l'immense savoir de K'ong K'iou et l'adresse d'un
Liu Chang, où que vous alliez, vous échouerez."  
    --- LIE-TSEU   
%
 Les occasions sont indifférentes, l'usage qu'on
en fait ne l'est pas. Comment conserver, avec le calme et l'équilibre,
une attention sans abandon et sans nonchalance ? En imitant
les joueurs de dés : les cailloux sont indifférents,
les dés aussi ; comment saurais-je ce qui va tomber ?
Profiter avec réflexion et selon les règles des
points tombés, voilà quelle est mon affaire. Ainsi,
dans la vie, voici l'essentiel de ce que tu as à faire :
divise et distingue bien les choses ; dis : les choses
extérieures ne dépendent pas de moi ; ma volonté
dépend de moi. Où chercher le bien et le mal ?
En moi- même, dans ce qui est mien. Quant aux choses qui
te sont étrangères, ne prononce jamais à
leur propos les noms de bien et de mal, d'utilité et de
dommage, ni rien de pareil.  
    --- EPICTETE   
%
  Chaque homme vise aux mêmes buts, qui sont les
honneurs et la richesse ; mais ils emploient pour les atteindre
des moyens variés : l'un la prudence, l'autre la fougue ;
l'un la violence, l'autre l'astuce ; celui-ci la patience,
cet autre la promptitude ; et toutes ces méthodes
sont bonnes en soi. Et l'on voit encore de deux prudents l'un
réussir et l'autre échouer ; et à l'inverse
deux homme également prospères qui emploient des
moyens opposés. Tout s'explique par les seules circonstances
qui conviennent ou non à leurs procédés.
De là résulte ce que j'ai dit précédemment :
des façons de faire différentes produisent un même
effet, et de deux conduites toutes pareilles l'une atteint son
but, l'autre fait fiasco.
 ...
 Si tu savais changer de nature quand changent les circonstances,
ta fortune ne changerait point.  
    --- MACHIAVEL   
%
 Deux choses s'opposent à ce que nous puissions
changer : d'abord nous ne pouvons pas résister au
penchant de notre nature ; ensuite un homme à qui
une certaine façon d'agir a toujours parfaitement réussi,
n'admettra jamais qu'il doit agir autrement. C'est de là
que viennent pour nous les inégalités de la fortune :
les temps changent et nous ne voulons pas changer.  
    --- MACHIAVEL   
%
 Les sots qui marchent dans le chemin de la fortune prennent
toujours les routes battues. Un précepteur du Roi est-il
devenu premier ministre ? Tous les petits ecclésiastiques
veulent être précepteurs du Roi, pour être
premiers ministres. Les gens d'esprit se font des routes particulières :
ils ont des chemins cachés, nouveaux ; ils marchent
là où personne n'a encore été. Le
monde est nouveau.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 L'homme est doué de talents que n'éveillent
jamais que des circonstances fortuites.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 L'Ecluse, celui qui a été à la tête
des Variétés amusantes, racontait que, tout jeune
et sans fortune, il arriva à Lunéville, où
il obtint la place de dentiste du roi Stanislas, précisément
le jour où le roi perdit sa dernière dent.  
    --- CHAMFORT   
%
 Les héros ont leurs accès de crainte, les
poltrons des instants de bravoure, et les femmes vertueuses leurs
instants de faiblesse.
 C'est un grand art que de savoir juger et saisir ces moments.  
    --- STENDHAL   
%
 Si j'eusse été à même de fournir
la carrière de ce qu'on appelle honnête homme, j'eusse
été bonapartiste sous Bonaparte, carliste sous Charles
X, et philippiste aujourd'hui, et cela consciencieusement sans
penser être girouette. Mais pourquoi ? direz-vous ;
parce que j'ai toujours pensé que dans les commotions politiques
le mal était toujours au-dessus du bien, parce qu'une révolution
ne profite qu'à quelques intrigants, et qu'il y a toujours
beaucoup de victimes, parce que les hommes sont toujours les hommes,
et qu'ils ne peuvent trouver leur bonheur que dans le fond de
leur coeur et nullement dans la chimère d'une liberté
politique. Il est beau certes le principe de la liberté
et de l'égalité ; mais prouvez-moi qu'elles
ont régné un seul jour, je dis un seul jour sur
la terre, et je vous excuserai de courir après. Vous qui
me stigmatisez du nom de scélérat, dites-moi si
cette chimère, si longtemps poursuivie et jamais atteinte,
vaut le sang qu'elle a déjà coûté.  
    --- Pierre François LACENAIRE   
%
 Le bon champ. - Tout refus et toute négation témoignent
d'un manque de fécondité : au fond, si nous
étions un bon champ de labour, nous ne devrions rien laisser
périr sans l'utiliser et nous verrions en toute chose,
dans les événements et dans les hommes, de l'utile
fumier, de la pluie et du soleil.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les circonstances font plus de la moitié du génie.
Un maçon de village en figure de têtard, velu et
jeté au hasard des batailles : ce qui sort de la fournaise,
une espèce de lion au mufle étonnant, c'est Kléber.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Quand tourne le vent on accuse les girouettes.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Soi.
 Nous ne connaissons de nous-mêmes que celui que les circonstances
nous ont donné à connaître (j'ignorais bien
des choses de moi). Le reste est induction, probabilité :
Robespierre n'avait jamais imaginé qu'il guillotinerait
à ce point ; ni tel autre, qu'il aimerait à
la folie.  
    --- Paul VALERY   
%
 Trahir, qu'on dit, c'est vite dit. Faut encore saisir
l'occasion. C'est comme d'ouvrir une fenêtre dans une prison,
trahir. Tout le monde en a envie, mais c'est rare qu'on puisse.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 Un nommé Hamard assassine une vieille femme dans
sa cave. Il met la main sur le magot : 1.200.000 francs en
espèces, pas moins. Personne ne le soupçonne. Au
lieu de se tenir tranquille, il se lance dans la grande vie, dépense
fastueusement : automobile de luxe, deux chauffeurs, 40.000
francs à une fille ici, 50.000 francs à une autre
là, le reste à l'avenant. Il se fait si bien remarquer
qu'on le pince et le voilà maintenant avec le bagne ou
la guillotine en perspective.
 Dire que c'est toujours à de pareils imbéciles
que tombent de si belles occasions !  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je ne crois pas avoir raté une seule occasion d'être
triste. (Ma vocation d'homme.)  
    --- Emil CIORAN   
%
 "Qu'ai-je fait de ma vie ? ..." Pour ce qui me concerne,
c'est une façon très optimiste de poser la question.
Peut-être conviendrait-il plutôt de me demander ce
que la vie a fait de moi. Je me suis, en effet, rarement dérobé
aux tentations qui s'offraient de part et d'autre de mon chemin,
si bien qu'en me donnant l'illusion de mener mon existence à
ma guise, je n'ai fait que la plier aux sollicitations des circonstances.
De grandes libertés m'ont réduit en esclavage. Je
me suis beaucoup abandonné en route...  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Nous sçavons dire : "Cicero dit ainsi ;
voilà les meurs de Platon ; ce sont les mots mesmes
d'Aristote." Mais nous, que disons nous nous mesmes ? que
jugeons nous ? que faisons-nous ? Autant en diroit bien
un perroquet.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Je n'aime point à citer ; c'est d'ordinaire
une besogne épineuse : on néglige ce qui précède
et ce qui suit l'endroit qu'on cite, et on s'expose à mille
querelles.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Il est des esprits voyageurs qui aiment à parcourir
les livres et en rapportent le souvenir de tout ce qu'ils ont
lu. Ceux-là doivent, comme Bayle, composer des dictionnaires,
des recueils, etc.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ce mot qui finirait très bien un chapitre le commence
mal. C'est que, par sa nature, il est la dernière et non
pas la première expression de la pensée. A
sa place, il est beau. Hors de sa place, il a de la recherche
et de l'affectation. C'est, pour le dire en passant, ce qui dans
les citations fait paraître ridicules en les isolant et
en les déplaçant, des expressions qui étaient
très belles dans le lieu où leur auteur les avait
mises. Un chapiteau, un ornement doit terminer et non commencer
un édifice.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 J'aime les hommes plus ou moins, selon que j'en tire plus
ou moins de notes.  
    --- Jules RENARD   
%
 Achille et Don Quichotte sont, Dieu merci, assez connus,
pour que nous nous dispensions de lire Homère et Cervantès.  
    --- Jules RENARD   
%
 "Livresque", c'est un reproche que l'on me fait souvent ;
j'y donne prise par cette habitude que j'ai de citer toujours
ceux à qui ma pensée s'apparente. On croit que j'ai
pris d'eux cette pensée ; c'est faux, cette pensée
est venue à moi d'elle-même ; mais j'ai plaisir,
et plus elle est hardie, à penser qu'elle habita déjà
d'autres esprits.  
    --- André GIDE   
%
 Il est aussi naturel à celui qui emprunte à
autrui sa pensée d'en cacher la source, qu'à celui
qui retrouve en autrui sa pensée, de proclamer cette rencontre.  
    --- André GIDE   
%
 Je me reproche de n'avoir pas, au jour le jour, transcrit
sur un carnet spécial les phrases glanées au cours
de mes lectures, qui méritaient de retenir l'attention,
dont je voudrais me souvenir pour pouvoir les citer au besoin ;  
    --- André GIDE   
%
 Citation n. Répétition erronée d'une
déclaration d'autrui. Extrait repris avec des erreurs.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Tous les hommes de valeur : écrivains, savants,
artistes, devraient publier chaque année non pas un livre
d'eux, mais un livre de pensées, de pensées des
autres qu'ils auraient choisies et qui seraient annuellement un
portrait d'eux cent fois plus ressemblant qu'aucun autre.
 Car citer les pensées des autres, c'est souvent regretter
de ne pas les avoir eues soi-même et c'est en prendre un
peu la responsabilité !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Bribes, pensées fugitives, dites-vous. Peut-on
les appeler fugitives lorsqu'il s'agit d'obsessions, donc de pensées
dont le propre est justement de ne pas fuir ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 Quiconque nous cite de mémoire est un saboteur
qu'il faudrait traduire en justice. Une citation estropiée
équivaut à une trahison, une injure, un préjudice
d'autant plus grave qu'on a voulu nous rendre service.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Se méfier des penseurs dont l'esprit ne fonctionne
qu'à partir d'une citation.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Un auteur trop souvent cité, on finit par ne plus
avoir envie de le lire. Son nom est profané à force
de circuler. On préfère lire quelqu'un de moins
connu et même de moindre talent, ne serait-ce que parce
qu'il n'appartient pas à tous.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Montrer de la colère ou de la haine dans ses paroles
ou dans ses traits est inutile, est dangereux, imprudent, ridicule,
vulgaire. On ne doit donc témoigner de colère ou
de haine que par des actes. La seconde manière réussira
d'autant plus sûrement qu'on se sera mieux gardé
de la première. Les animaux à sang froid sont les
seuls venimeux.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 La colère est la forme commune des passions dans
leur paroxysme ; de toutes, même de la peur. Et c'est
là qu'on peut voir comment l'homme arrive vite à
oublier son intérêt prudemment calculé, et
même sa propre conservation. Il est ordinaire qu'une colère,
même née de petites causes, nous porte à des
actes extravagants, comme de frapper, de briser, et même
d'injurier des choses. Et j'ose dire que le plus profond de la
colère est la colère d'être en colère,
et de savoir qu'on s'y jettera, et de la sentir monter en soi
comme une tempête physique. Le mot irritation en son double
sens, explique assez cela, si l'on y pense avec suite. L'enfant
crie de plus en plus fort principalement parce qu'il s'irrite
de crier, comme d'autres s'irritent de tousser.  
    --- ALAIN   
%
 Quand nous en avons par-dessus la tête, nous allons
jusqu'à leur reprocher cette facilité avec laquelle
nous les avons eues - dont nous avions été pourtant
si fier !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Courses de taureaux.
 Qu'on tue quelqu'un parce qu'il est en colère, c'est bien ;
mais qu'on mette en colère quelqu'un pour le tuer, cela
est absolument criminel.  
    --- André GIDE   
%
 Après une bonne querelle, on se sent plus léger
et plus généreux qu'avant.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Ne croyez pas (hors des cas très rares) à
l'improvisation : tout ce qui est bien a dû être
prévu et réfléchi. Démosthène
méditait ses harangues et faisait provision d'exordes ;
M. de Talleyrand prévoyait à l'avance ses bons mots,
que la circonstance lui tirait ensuite à l'impromptu ;
si Bonaparte, dans les revues, savait nommer chaque soldat par
son nom, c'est qu'il s'était couché la veille en
étudiant à fond ce qu'on appelle les Cadres de l'armée.
 Tout est comédie, et toute comédie a eu sa répétition.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 La comédie a un grand avantage sur la tragédie :
c'est de peindre les caractères ; la tragédie
ne peint que les passions.  
    --- STENDHAL   
%
 Le terrorisme et le communisme, combinés et se
prêtant un mutuel appui, ne sont autre chose que l'antique
attentat contre les personnes et contre les propriétés.
Quand on plonge au plus profond de ces théories, quand
on creuse le fond des choses, on descend même au-delà
de Marat et du père Duchesne, et il se trouve que le communisme
s'appelle Cartouche et que le terrorisme s'appelle Mandrin.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le Socialisme s'est constitué en parti, en religion ;
a codifié ses formules, promulgué son évangile.
Il a placé sur le lit de Procuste le matelas de théories
filandreuses cardé par Marx, et invite l'humanité
à s'y étendre. Les Socialistes scientifiques, pleins
d'eux-mêmes et le nez collé aux pages moisies du
Capital, s'étonnent que l'humanité ne réponde
point à leur appel et ne se hâte point, au sortir
du régiment, de s'engouffrer dans leur caserne. Leur science...
cochonne de science ! Autant, n'est-ce pas ? n'en pas
parler. Leurs théories ne méritent pas la discussion.
Leurs pontifes sont au-dessous de l'insulte. On ne peut cependant
s'empêcher de considérer comme monstrueux, dans ce
pays de France qui vit éclore, et qui voit éclore
tous les jours, tant d'idées hautes et simples, l'accaparement
d'une partie de l'intelligence populaire par les doctrines du
collectivisme. Ces doctrines ne sont pas seulement imbéciles ;
elles sont infâmes. Si elles étaient réalisables,
elles mèneraient directement, ainsi que l'a démontré
Herbert Spencer, à une nouvelle forme d'esclavage, plus
hideuse que toute celles qui firent jusqu'ici gémir l'humanité.  
    --- Georges DARIEN   
%
 La bassesse du socialisme, c'est de poursuivre, non pas
le plus grand bien, mais le moindre mal.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Tout le monde sait que la terre, chose bizarre, produit
dix fois moins lorsque ceux qui la travaillent n'ont aucun droit
sur elle.  
    --- André FROSSARD   
%
 "Plutôt rouge que mort", disent les pacifistes allemands,
qui semblent oublier qu'un homard n'est jamais aussi rouge que
lorsqu'il est mort.
 Mais renoncer à sa liberté, faire taire sa conscience,
tricher avec soi-même pour sauver sa vie, c'est cela, la
perdre.  
    --- André FROSSARD   
%
 Les anticommunistes sont terriblement désoeuvrés.  
    --- Roland TOPOR   
%
 La pitié est souvent un sentiment de nos propres
maux dans les maux d'autrui. C'est une habile prévoyance
des malheurs où nous pouvons tomber ; nous donnons
du secours aux autres pour les engager à nous en donner
en de semblables occasions ; et ces services que nous leur
rendons sont à proprement parler des biens que nous nous
faisons à nous-même par avance.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Si Malherbe imposait l'aumône aux autres, il ne
paraît pas avoir prêché d'exemple. Quand un
pauvre lui demandait quelque charité en disant : "Je
prierai Dieu pour vous".
 "Eh ! répondait-il, comment voulez-vous que Dieu
fasse attention à vos prières ? Vous n'avez
pas sur lui grand crédit. Regardez dans quel état
il vous laisse."  
    --- Lorédan LARCHEY   
%
 L'anecdote racontée aujourd'hui par D'Arnaud. "D'où
venez-vous, mesdemoiselles ?  -  Maman, nous venons
de voir guillotiner ; ah mon Dieu, que ce pauvre bourreau
a eu de peine." Cet horrible déplacement de la pitié
peint un siècle où tout est renversé.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'indifférence donne un faux air de supériorité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il est certain que l'attention que nous donnons aux maux
d'autrui nous fait oublier les nôtres. C'est même
un fait dont la cause est physique.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Voudrais-je prétendre par-là que je n'aie
jamais rencontré d'hommes bons et vertueux et que je me
sois cru supérieur aux autres ? Non sans doute ;
j'ai rencontré souvent des hommes qui avaient de rares
et précieuses qualités, des hommes honnêtes
et délicats, des hommes attachés à leurs
devoirs et pratiquant la vertu, ce que vous appelez la vertu vous
autres du moins. Quant à moi, je ne connais qu'une seule
vertu, mais elle vaut toutes les autres, c'est la sensibilité.
Or, combien peu d'hommes la possèdent ! combien peu
d'hommes compatissent aux misères d'autrui autrement qu'en
théorie et dans de beaux livres ! chez la plupart,
quelle dureté, quelle indifférence pour tous les
maux qui ne les touchent pas ! combien en est-il qui n'ont
d'autre aumône à donner à celui qui leur tend
la main, que ces mots jetés du haut de leur morgue stoïque :
Travaille, paresseux ! Il ne faut pas encourager le vice
et l'oisiveté, disent-ils pour excuse. Vice tant que vous
voudrez ; si le vice ne devait pas manger, seriez-vous bien
certains de dîner aujourd'hui, riches si froids et si orgueilleux,
qui ne savez même pas placer un bienfait sans humilier et
qui le faites même à dessein pour montrer une supériorité
que vous ne devez qu'à votre or ?  
    --- Pierre François LACENAIRE   
%
  Ce qui adoucit encore beaucoup d'horreurs et d'inhumanités
dans l'histoire, auxquelles l'on voudrait à peine ajouter
foi, c'est cette considération que l'ordonnateur et l'exécuteur
sont des personnages différents : le premier n'a pas
la vue du fait, ni par conséquent la forte impression sur
l'imagination, le second obéit à un supérieur
et se sent irresponsable. La plupart des princes et des chefs
militaires font aisément, par manque d'imagination, l'effet
d'hommes cruels et durs sans l'être.
 ...
 La souffrance d'autrui est chose qui doit s'apprendre :
et jamais elle ne peut être apprise pleinement.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les compatissants.
 Les natures compatissantes, à chaque instant prêtes
à secourir dans l'infortune, sont rarement en même
temps les conjouissantes : dans le bonheur d'autrui, elles
n'ont que faire, sont superflues, ne se sentent pas en possession
de leur supériorité et montrent pour cela facilement
du dépit.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Explication de la joie maligne. - La joie maligne que
l'on éprouve en face du mal d'autrui provient du fait que
chacun se sent mal à l'aise sous bien des rapports, qu'il
éprouve, lui aussi, souci, jalousie, douleur et qu'il ne
les ignore pas : le dommage qui touche l'autre fait de lui
son égal, il réconcilie sa jalousie. - S'il a des
raisons momentanées pour être heureux lui-même,
il n'en accumule pas moins les malheurs du prochain, dans sa mémoire,
comme un capital pour le faire valoir dès que sur lui aussi
le malheur se met à fondre : c'est là également
une façon d'avoir une "joie maligne".  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Pourquoi les mendiants survivent. - La plus grande dispensatrice
d'aumônes, c'est la lâcheté.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Pour que la charité puisse être pratiquée,
il faut que quelques-uns acceptent de ne pas la faire, ou ne soient
pas en état de la faire. C'est une vertu réservée
à quelques-uns ; la morale, au contraire, par définition,
doit être commune à tous, accessible à tous.
On ne saurait donc voir dans le sacrifice, le dévouement
inter-individuel, le type de l'acte moral.  
    --- Emile DURKHEIM   
%
 Que la Compassion humanitaire aille contre la Nature en
assurant la survie du raté peut amener l'homme de science
à abhorrer ses vertus faciles. L'économiste peut
la dénoncer parce qu'elle élève l'imprévoyant
au même niveau que le prévoyant et prive ainsi la
vie de son incitation au travail la plus puissante, parce que
la plus sordide. Mais, aux yeux du penseur, le véritable
tort que cause cette compassion émotionnelle, c'est de
limiter la connaissance et de nous empêcher par là
de résoudre ne serait-ce qu'un seul problème social.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Le crime le plus horrible des riches envers les pauvres
est de s'être arrogé le droit de leur distribuer
la justice et l'assistance, de leur faire la charité. Ce
sont les misérables qui paient eux-mêmes, avec des
intérêts usuraires, les frais de la justice dérisoire,
de l'assistance immonde et de la charité dégradante
qu'ils sont assez vils pour quémander et recevoir. Voilà
le comble de la lâcheté, de la dérision et
de l'hypocrisie.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Un bienfait n'est jamais perdu.
 Ou, s'il est perdu, il n'est pas perdu pour tout le monde.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Faire la charité, c'est bien. La faire faire par
les autres, c'est mieux.
 On oblige ainsi son prochain, sans se gêner soi-même.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Le miracle de la charité, ce fut de la faire faire
par les pauvres. Cela s'appelle : mutualité.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Une fourreuse du passage Dauphine, une soixantaine d'années,
à qui j'ai souvent parlé à cause de ses chiens,
s'est jetée à la Seine il y a quelques jours. Inconsolable
de la mort d'un fils il y a une dizaine d'années. Pertes
d'argent. Mauvaises affaires. Mari toujours dehors. Le "Fléau"
me parlait de cela ce soir dans mon bureau. Je me suis mis à
éclater de rire. Scandalisée de cela. Me traitant
de monstre, homme abominable. Je n'en riais que plus fort. C'est
vrai, à la fin. Faut-il que je me désole parce que
cette femme s'est jetée à l'eau ? Je m'en fiche
complètement. Va-t-il falloir aussi que je m'attendrisse
sur les tuberculeux, les goitreux, les borgnes, les bancals, les
gens qui n'ont qu'un testicule, tous les mal bâtis d'une
façon ou d'une autre. C'est agaçant, à la
fin. Je m'en fiche complètement. Toutes ces jérémiades
à la mode d'aujourd'hui ! C'est comme l'affaire des
timbres antituberculeux. Des timbres antituberculeux ? Quel
français ! J'attends qu'on vienne m'en offrir dans
la rue. Car c'est devenu maintenant une sorte de quête.
Je crois bien que je m'offrirai ce plaisir de répondre
que je m'en fiche complètement.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Les journaux, ce matin, annoncent que Gandhi a été
assassiné par un indou [sic]. C'est bien fait. Cela lui
apprendra à s'occuper du bonheur des autres. C'est une
réflexion, de ce genre que Marquet, l'ancien maire de Bordeaux,
a fait dans son procès en Cour de Justice : "Si
je ne m'étais pas occupé de sauver la vie à
58 Bordelais que les Allemands voulaient fusiller, je ne serais
pas ici." "Jésus, a-t-il ajouté, a fait la même
expérience il y a longtemps."  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Tout homme est sensible quand il est spectateur. Tout
homme est insensible quand il agit. Cela explique assez les tours
et retours des choses humaines, pourvu qu'on y pense. Toutefois,
on n'y peut presque point penser. Car dès que j'imagine
le crime d'un autre, je l'imagine en spectateur ; il me semble
que le criminel a le coeur déchiré pour toujours.
Et il l'aurait s'il était spectateur. On a plus d'une fois
remarqué qu'au théâtre ce ne sont pas toujours
les plus tendres et les plus scrupuleux qui font voir des sentiments
humains et même des larmes. Mais la résolution inflexible,
la précaution, la décision, la vitesse de l'homme
qui agit sont incompréhensible pour celui qui le regarde.
D'où ces crimes de la guerre qui passent toute mesure,
et qui ne révèlent rien sur la nature de ceux qui
les commettent. Coeurs secs, ou irritables, ou sensibles, dans
la vie ordinaire, c'est tout un dès que l'action les emporte.
Et le remords, chez les meilleurs, est certainement volontaire
et tout abstrait ; ce genre de remords ne mord point du tout.
Un chasseur, souvent, est un ami des bêtes ; mais,
s'il est bon tireur, les perdrix ne doivent pas compter sur cet
amour-là.  
    --- ALAIN   
%
 Certaines contradictions de l'histoire moderne se sont
éclairées à mes yeux dès que j'ai
bien voulu tenir compte d'un fait qui d'ailleurs crève
les yeux : l'homme de ce temps a le coeur dur et la tripe
sensible. Comme après le Déluge la terre appartiendra
peut-être demain aux monstres mous.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Les gens du peuple ont un mot très profond lorsqu'ils
s'encouragent à la sympathie. "Mettons-nous à sa
place", disent-ils. On ne se met aisément qu'à la
place de ses égaux. A un certain degré d'infériorité,
réelle ou imaginaire, cette substitution n'est plus possible.
Les délicats du XVIIe siècle ne se mettaient nullement
à la place des nègres dont la traite enrichissait
leurs familles.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Méfions-nous des entraînements de la sensibilité !
On commence par plaindre les assassins et par un enchaînement
fatal on finit par s'apitoyer sur les victimes...  
    --- André FROSSARD   
%
 La compassion n'engage à rien, d'où sa fréquence.
Nul n'est jamais mort ici-bas de la souffrance d'autrui. Quant
à celui qui a prétendu mourir pour nous, il n'est
pas mort : il a été mis à mort.  
    --- Emil CIORAN   
%
 "Celui qui est enclin à la luxure est compatissant
et miséricordieux ; ceux qui sont enclins à
la pureté ne le sont pas." (Saint Jean Climaque.)
 Pour dénoncer avec une telle netteté et une telle
vigueur, non pas les mensonges, mais l'essence même de la
morale chrétienne, et de toute morale, il y fallait un
saint, ni plus ni moins.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Laissez donc les autres tels qu'ils sont, et ils vous
en seront reconnaissants. Voulez-vous à tout prix leur
bonheur ? Ils se vengeront.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La promotion des grands sentiments engraisse les crapules.  
    --- Roland TOPOR   
%
 On a toujours la possibilité de se défendre
contre la haine, la médisance, la jalousie. On ne peut
rien contre les bons sentiments. Ils paralysent les forces vives
comme la glu colle les pattes des mouches trop aventureuses. Allez
donc dire leur fait aux dames patronnesses, aux confits en dévotion,
aux maniaques de l'altruisme, aux professionnels de la charité !
Tous ces gens-là pataugent dans le miel de la solidarité
humaine. Ils sont inattaquables jusqu'au moment où l'on
découvre que leur charité a commencé par
eux-mêmes.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Louis XI, la Brinvilliers se confessaient dès qu'ils
avaient commis un grand crime, et se confessaient souvent, comme
les gourmands prennent médecine pour avoir plus d'appétit.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Confession. - On oublie sa faute quand on l'a confessée
à un autre, mais d'ordinaire l'autre ne l'oublie pas.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
  Le fait qu'on se confesse de plus en plus à la
radio et de moins en moins dans les églises semble indiquer
que la publicité est plus précieuse que le pardon...  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 La confession la plus vraie est celle que nous faisons
indirectement, en parlant des autres.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On m'a rapporté qu'un jour Malraux interrogea un
vieux prêtre, pour savoir ce qu'il retenait de toute une
vie de confesseur, quelle leçon il tirait de cette longue
familiarité avec le secret des âmes... Le vieux prêtre
lui répondit : "Je vous dirai deux choses : la
première, c'est que les gens sont beaucoup plus malheureux
qu'on ne le croit ; la seconde, c'est qu'il n'y a pas de
grandes personnes." C'est beau, non ? Le secret, c'est qu'il
n'y a pas de secret. Nous sommes ces petits enfants égoïstes
et malheureux, pleins de peur et de colère...  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 On peut à force de confiance mettre quelqu'un dans
l'impossibilité de nous tromper.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Contre les familiers.
 Les gens qui nous donnent leur pleine confiance croient par là
avoir un droit sur la nôtre. C'est une erreur de raisonnement ;
des dons ne sauraient donner un droit.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les grands chefs qui se fient à leurs propres décisions,
et qui se jurent, en quelque sorte, de ne s'être point trompés,
ont, ce me semble, une grande vertu pour réaliser les hommes
dont ils se servent. Car il est merveilleux de voir comme nous
sommes incertains de nous-mêmes et déplacés
aisément jusque dans notre intérieur par les changements
d'opinion sur nous. Un homme ferme et même inébranlable
dans son jugement sur nous nous donne force et consistance. Il
est très rare que l'on trahisse celui qui fait toute confiance ;
mais au rebours la défiance est une excuse et presque une
raison à la tromperie.  
    --- ALAIN   
%
 Etre comme il faut.
 Règle sans exception. Les hommes dont il ne faut pas ne
peuvent jamais être comme il faut. Par conséquent,
exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit
de tous les gens supérieurs. Un homme comme il faut doit
être, avant tout, un homme comme tout le monde. Plus on
est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut.
C'est le sacre de la multitude.
 Etre habillé comme il faut, parler comme il faut,
manger comme il faut, marcher comme il faut, vivre comme il faut,
j'ai entendu cela toute ma vie.  
    --- Léon BLOY   
%
 N'être pas le premier venu.
 Le plus haut titre aux yeux du Bourgeois, c'est de n'être
pas le premier venu. Il vous accablerait de son mépris,
si vous lui disiez que Napoléon était le premier
venu. Le soixante-dix-huitième, si vous voulez, mais pas
le premier, jamais de la vie. Le dernier non plus. L'Evangile
dit que les derniers seront les premiers, et le Bourgeois s'en
souvient.
 Ce qu'il déteste par-dessus tout, c'est qu'on soit le
premier ou le dernier n'importe où, n'importe comment et
n'importe quand. Il faut être dans le tas, résolument
et pour toujours.  
    --- Léon BLOY   
%
 Je ne suis pas le premier venu, moi ! comme disait
le prétentieux jeune homme qui, invité à
dîner en ville, arrivait lorsque tout le monde était
à table depuis un bon quart d'heure.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Les extrêmes se touchent.
 Tous les bourgeois vous diront qu'il n'y a pas l'épaisseur
d'un cheveu entre les extrêmes. C'est pour cela qu'ils en
ont horreur et  qu'ils préconisent la médiocrité,
le juste milieu, la bonne moyenne, le fil à couper le beurre,
estimant, dans leur sagesse, que les taupes n'ont pas besoin de
l'oculiste et que les crapauds sont moins exposés aux coups
de soleil que les licornes ou les alérions.  
    --- Léon BLOY   
%
 Les extrêmes se touchent, les dégueulasses !  
    --- Frédéric DARD   
%
 La princesse de Portugal étant promise à
Charles II, il envoya une flotte pour la chercher. On lui manda
qu'elle étoit prête à s'embarquer et qu'on
l'avoit fait raser. Il dit qu'il n'avoit que faire de cela et
qu'il n'aimoit point le c... rasé. Les ministres, qui craignoit
qu'il ne la renvoyât ou qu'il n'en eût du dégoût,
ordonnèrent à l'amiral d'attendre jusqu'à
ce que son poil fût revenu, et on fit la supputation combien
chaque poil coûtoit à la nation.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Un joli mot que Régnier m'a raconté cette
après-midi, de M. Nisard, notre ambassadeur à Rome.
 Dans un groupe, on parlait d'un absent.
  -  C'est un imbécile, dit l'un,
  -  C'est un sot, dit un autre.
  -  C'est un con, dit un troisième.
  -  Vous exagérez, dit M. Nisard. Il n'en a ni
l'agrément, ni la profondeur.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le mois de l'année où le politicien dit
le moins de conneries, c'est le mois de février, parce
qu'il n'y a que vingt-huit jours.  
    --- COLUCHE   
%
 De conin, qui signifiait lapin en vieux français,
mais désignait également le sexe féminin,
ne demeure que le con. On a remplacé lapin par chatte.
Le sexe est devenu carnivore.  
    --- Roland TOPOR   
%
 Gardons-nous de donner la parole aux cons. Ils ne veulent
jamais la rendre.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 N'éveillez pas le con qui dort, c'est toujours
ça de pris.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Chacun de nous est le seul être au monde qui ne
soit pas toujours une mécanique.  
    --- Paul VALERY   
%
 La conscience est soutenue par le corps, et vacille et
se tient sur la pression tremblante du sang comme la coquille
d'oeuf sur un jet d'eau.  
    --- Paul VALERY   
%
 La mauvaise conscience est rare ; si rare qu'elle
est, en somme, à peine une expérience psychologique ;
la mauvaise conscience est plutôt une limite métempirique*,
et le consciencieux n'atteint cette limite que dans la tangence
de l'instant, tangence aussitôt interrompue par la complaisance
de la bonne conscience... C'est pourquoi la crise aiguë du
remords est inséparable de la tension tragique. En dehors
de Boris Godounov et de Macbeth, tout le monde a en général
bonne conscience. Personne ne se reconnaît de torts, cela
est assez connu, ni ne s'estime le moins du monde coupable ;
chacun est convaincu de son bon droit, et de l'injustice des autres
à son égard. Méchants ou non, les égoïstes
sont en général bien contents, très satisfaits
de ce qu'ils font, et ils jouissent le plus souvent d'un excellent
sommeil ; ils ne regrettent jamais leurs mesquineries...
Malgré son caractère ambigu, la mauvaise conscience,
conscience honteuse d'elle-même, est une exaltation de la
conscience en général.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique,
nous sommes programmés depuis l'oeuf fécondé
pour cette seule fin, et toute structure vivante n'a pas d'autre
raison d'être, que d'être. Mais pour être elle
n'a pas d'autres moyens à utiliser que le programme génétique
de son espèce. Or, ce programme génétique
chez l'Homme aboutit à un système nerveux, instrument
de ses rapports avec l'environnement inanimé et animé,
instrument de ses rapports sociaux, de ses rapports avec les autres
individus de la même espèce peuplant la niche où
il va naître et se développer. Dès lors, il
se trouvera soumis entièrement à l'organisation
de cette dernière. Mais cette niche ne pénétrera
et ne se fixera dans son système nerveux que suivant les
caractéristiques structurales de celui-ci. Or, ce système
nerveux répond d'abord aux nécessités urgentes,
qui permettent le maintien de la structure d'ensemble de l'organisme.
Ce faisant, il répond à ce que nous appelons les
pulsions, le principe de plaisir, la recherche de l'équilibre
biologique, encore que la notion d'équilibre soit une notion
qui demande à être précisée. Il permet
ensuite, du fait de ses possibilités de mémorisation,
donc d'apprentissage, de connaître ce qui est favorable
ou non à l'expression de ces pulsions, compte tenu du code
imposé par la structure sociale qui le gratifie, suivant
ses actes, par une promotion hiérarchique. Les motivations
pulsionnelles, transformées par le contrôle social
qui résulte de l'apprentissage des automatismes socio-culturels,
contrôle social qui fournit une expression nouvelle à
la gratification, au plaisir, seront enfin à l'origine
aussi de la mise en jeu de l'imaginaire. Imaginaire, fonction
spécifiquement humaine qui permet à l'Homme contrairement
aux autres espèces animales, d'ajouter de l'information,
de transformer le monde qui l'entoure. Imaginaire, seul mécanisme
de fuite, d'évitement de l'aliénation environnementale,
sociologique en particulier, utilisé aussi bien par le
drogué, le psychotique, que par le créateur artistique
ou scientifique. Imaginaire dont l'antagonisme fonctionnel avec
les automatismes et les pulsions, phénomènes inconscients,
est sans doute à l'origine du phénomène de
conscience.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Il est bien difficile de décider à quel
stade de l'évolution on peut déceler un début
de conscience de soi. Peut-être en trouve-t-on une indication
dans la capacité de se reconnaître dans un miroir.
Et cette capacité, on ne la voit apparaître qu'à
un certain niveau de complexité dans l'évolution
des primates. Quand elle est combinée avec le pouvoir de
former des images de la "réalité", de les recombiner,
de se former ainsi par l'imagination une représentation
de mondes possibles, la conscience de soi donne à l'être
humain le pouvoir de reconnaître l'existence d'un passé,
d'un avant sa propre vie. Elle lui permet aussi d'imaginer des
lendemains, d'inventer un avenir qui contient sa propre mort et
même un après sa mort. Elle lui permet de s'arracher
à l'actuel pour créer un possible.  
    --- François JACOB   
%
 L'Univers roulait ses sphères, roulait, roulait,
la vie naissait et mourrait, naissait et mourait, et nul ne s'en
doutait, nul capable de s'en douter n'existait, et la matière
diffuse se condensait, les volcans surgissaient, les torrents
bondissaient, les herbes fleurissaient, se fanaient, fleurissaient
de nouveau, les bêtes naissaient, grandissaient et mourraient,
et ça ne gênait personne, n'angoissait personne.
 Il a fallu que survienne cette saloperie : la conscience.
Et maintenant il y a quelqu'un pour contempler l'Univers, il y
a quelqu'un qui sait qu'il est là, qu'il vit, qu'il vit
très provisoirement, et qu'il va mourir : moi. La
conscience est là, je ne peux pas faire qu'elle n'y soit
pas, je ne peux pas faire comme si elle n'y était pas,
je ne peux pas  redevenir singe, ou chien, ou limace, ou caillou...
La conscience est là, c'est à dire l'angoisse, en
pleine gueule.
 Heureux les croyants, ils ont réponse à ça.
Ils ont réponse à tout. Ils ont leur morphine.
 Heureux les croyants, mais je préfère mon angoisse
et ses yeux grands ouverts.  
    --- François CAVANNA   
%
 "La souffrance est l'unique cause de la conscience" (Dostoïevski).
Les hommes se partagent en deux catégories : ceux
qui ont compris cela, et les autres.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La lucidité : avoir des sensations à
la troisième personne.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Tout ce qui nous gêne nous permet de nous définir.
Sans infirmités, point de conscience de soi.  
    --- Emil CIORAN  
%
 Un homme possédait un arbre desséché.
Le père de son voisin dit : "Un arbre sec est de mauvaise
augure." L'autre l'abattit bien vite. Alors le père du
voisin le pria de lui céder le bois comme combustible.
L'homme, alors, s'irrita et dit : "Le père du voisin
n'avait pas d'autres intentions, quand il m'a conseillé,
que d'avoir du bois à brûler. C'est pourquoi il m'a
poussé à l'abattre. Mon voisin est un danger. Que
faire maintenant ?"   
    --- Un conseil intéressé :
   
%
 Certains s'imaginent que les princes qui ont une réputation
de sagesse la doivent seulement à leurs conseillers, non
à leurs qualités naturelles, mais ils se trompent.
Car voici une règle infaillible : un prince qui manque
de sagesse ne sera jamais sagement conseillé, à
moins qu'il ne s'en remette complètement au choix du hasard,
et que le hasard désigne un sage second. En ce cas, on
pourrait bien évoquer la sagesse du prince, mais elle serait
de courte durée, car ce gouverneur lui ravirait son Etat.
S'il écoute les conseils de plusieurs, ce même seigneur
dépourvu de sagesse recevra toujours des avis contradictoires,
et de lui-même ne saura point les mettre en accord ;
en fait, chaque conseiller pensera seulement à son intérêt
personnel, et lui ne saura ni les juger, ni les corriger. Les
choses ne peuvent aller autrement, car les hommes finiront toujours
par mal te servir, si aucune nécessité ne les oblige
au bien. C'est pourquoi je conclus que les bons conseils, d'où
qu'ils viennent, procèdent toujours de la sagesse du prince,
et non la sagesse du prince de ces bons conseils.  
    --- MACHIAVEL   
%
 Le chemin est long par les préceptes et court par
les exemples.  
    --- François des RUES   
%
 Les vieillards aiment à donner de bons préceptes,
pour se consoler de n'être plus en état de donner
de mauvais exemples.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 On ne donne rien si libéralement que ses conseils.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Il est vrai que la plupart de ces hommes extraordinaires
que les autres vont consulter comme des oracles, et qui pénètrent
si vivement dans l'avenir sur les intérêts qui leur
sont indifférents, deviennent presque toujours aveugles
sur ceux qui leur importent davantage. Ils sont en cela plus malheureux
que les autres, qu'ils ne sauraient se conduire ni par leur raison
ni par celle de leurs amis.  
    --- Cardinal de RETZ   
%
 Le conseil, si nécessaire pour les affaires, est
quelquefois dans la société nuisible à qui
le donne, et inutile à celui à qui il est donné.
Sur les moeurs, vous faites remarquer des défauts ou que
l'on n'avoue pas, ou que l'on estime des vertus ; sur les
ouvrages, vous rayez les endroits qui paraissent admirables à
leur auteur, où il se complaît davantage, où
il croit s'être surpassé lui-même. Vous perdez
ainsi la confiance de vos amis, sans les avoir rendus meilleurs
ni plus habiles.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Il y a dans les meilleurs conseils de quoi déplaire ;
ils viennent d'ailleurs que de notre esprit, c'est assez pour
être rejetés d'abord par présomption et par
humeur, et suivis seulement par nécessité, ou par
réflexion.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Il y avait un vieil étudiant de quinzième
année appelé Lequeux. Ce pauvre diable avait du
coeur et de l'esprit ; il eût pu avoir de l'avenir ;
il le noya dans le vin. Il mourut à trente-six ans. Quelque
temps avant sa mort, il donnait, dans le café où
il passait ses journées, des conseils aux jeunes gens,
de bons conseils de travail et de persévérance,
et il ajoutait tristement :  -  Je suis un cadran
d'horloge sur la façade d'une maison qui montre l'heure
à tout le monde, excepté à celui qui est
dans la maison.  
    --- Victor HUGO   
%
 Quand un homme est placé en haut, regardez ce qui
est autour de lui. Il y a deux sortes d'hommes puissants, et il
n'y en a que deux : ceux qui s'entourent de gens qui leur
sont supérieurs, et ceux qui s'entourent de gens qui leur
sont inférieurs. Le goût du grand et le goût
du médiocre ; la haute et la basse nature. Les premiers
trouvent difficilement qui vaille mieux qu'eux ; les derniers
trouvent difficilement qui vaille moins. Cependant, comme c'est
un instinct qui les guide, les uns et les autres réussissent
également à se procurer ce qu'ils cherchent, les
uns des génies, les autres des laquais.  
    --- Victor HUGO   
%
 Un méchant peut donner un bon avis ; une chandelle
pue, mais éclaire.  
    --- Victor HUGO   
%
 Lorsque Milan [= Napoléon] voulut rétablir
la religion en France, il gardait encore quelques ménagements
avec les gens éclairés dont il avait voulu fortifier
son gouvernement. Il fit donc venir Volney dans son cabinet et
lui dit que le peuple français lui demandait la religion,
qu'il croyait devoir à son bonheur de la lui rendre.
 " Mais, citoyen consul, si vous écoutez le peuple il vous
demandera aussi un Bourbon."
 Là-dessus, Milan se mit dans une colère épouvantable,
appela ses gens, le fit mettre dehors de chez lui, lui donna même
des coups de pied, à ce qu'on dit et lui défendit
de plus revenir chez lui. Voilà bien le ridicule du demandeur
de conseils développé.  
    --- STENDHAL   
%
 Il y a des gens qui donnent un conseil comme on donne
un coup de poing. On en saigne un peu, et on riposte en ne le
suivant pas.  
    --- Jules RENARD   
%
 On ne demande conseil que pour raconter ses ennuis.  
    --- Jules RENARD   
%
 On est si heureux de donner un conseil à quelqu'un
qu'il peut arriver, après tout, qu'on le lui donne dans
son intérêt.  
    --- Jules RENARD   
%
 Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes,
si seulement tout le monde suivait nos conseils. Je me demande
si Jérusalem aurait été la cité impeccable
qu'on nous décrit si, au lieu de s'occuper à balayer
devant sa pauvre petite porte, chaque citoyen était sorti
dans la rue pour adresser à tous les autres habitants de
l'endroit d'éloquents sermons sur le chapitre de l'hygiène
et du système sanitaire.  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 Ne conseiller personne, ne rien révéler,
indiquer à personne. Pourquoi hâter et favoriser
le développement d'autrui ?  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Les maximes générales sont surtout bonnes
contre les peines et les erreurs du voisin. Mais contre une fureur
d'amour trompé ou d'ambition, ou d'envie, que pourrait
une maxime ? Autant vaudrait, contre la fièvre, lire
l'ordonnance du médecin.  
    --- ALAIN   
%
 Ma mère me disait : "Si tu sors dans la rue,
fais bien attention qu'il ne t'arrive rien." Mais s'il ne t'arrive
rien, c'est ce qui peut arriver de pire quand t'es môme.  
    --- COLUCHE   
%
 Trop de choses se font en ce bas monde sans qu'on me demande
mon avis.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Une des choses qui fait que l'on trouve si peu de gens
qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation,
c'est qu'il n'y a presque personne qui ne pense plutôt à
ce qu'il veut dire qu'à répondre précisément
à ce qu'on lui dit. Les plus habiles et les plus complaisants
se contentent de montrer seulement une mine attentive, au même
temps que l'on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un égarement
pour ce qu'on leur dit, et une précipitation pour retourner
à ce qu'ils veulent dire ; au lieu de considérer
que c'est un mauvais moyen de plaire aux autres ou de les persuader,
que de chercher si fort à se plaire à soi-même,
et que bien écouter et bien répondre est une des
plus grandes perfections qu'on puisse avoir dans la conversation.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 L'esprit de la conversation consiste bien moins à
en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres :
celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit,
l'est de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à
vous admirer, ils veulent plaire ; ils cherchent moins à
être instruits, et même réjouis, qu'à
être goûtés et applaudis ; et le plaisir
le plus délicat est de faire celui d'autrui.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 C'est une grande misère que de n'avoir pas assez
d'esprit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire.
Voilà le principe de toute impertinence.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Sans une grande roideur et une continuelle attention à
toutes ses paroles, on est exposé à dire en moins
d'une heure le oui et le non sur une même chose ou sur une
même personne, déterminé seulement par un
esprit de société et de commerce qui entraîne
naturellement à ne pas contredire celui-ci et celui-là
qui en parlent différemment.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Les inconvénients dans lesquels on a coutume de
tomber dans les conversations sont sentis de presque tout le monde.
Je dirai seulement que nous devons nous mettre dans l'esprit trois
choses :
 La première, que nous parlons devant des gens qui ont
de la vanité, tout comme nous, et que la leur souffre à
mesure que la nôtre se satisfait ;
 La seconde, qu'il y a peu de vérités assez importantes
pour qu'il vaille la peine de mortifier quelqu'un et le reprendre
pour ne les avoir pas connues ;
 Et enfin, que tout homme qui s'empare de toutes les conversations
est un sot ou un homme qui seroit heureux de l'être.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Le bavard est celui qui parle plus qu'il ne pense. Celui
qui pense beaucoup et qui parle beaucoup ne passe point pour un
bavard.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ecumer son esprit, l'écumer tous les jours.
C'est une opération qui se fait à Paris facilement
par la conversation, et qui se fait comme l'autre par une sorte
d'ébullition que produit à coup sûr le commerce
des gens d'esprit. Ecumer son esprit, c'est épurer
son goût.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il ne faut jamais écouter. Ecouter est une
marque d'indifférence vis-à-vis de vos auditeurs.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Quand au sceptique "pourquoi ?" le "parce que" crédule
a répondu, la discussion est close.  
    --- Jules RENARD   
%
 Faire tous les frais de la conversation, c'est encore
le meilleur moyen de ne pas s'apercevoir que les autres sont des
imbéciles.  
    --- Jules RENARD   
%
 Quand on commet une indiscrétion, l'on se croit
quitte en recommandant à la personne d'être... plus
discrète qu'on ne l'a été soi-même.  
    --- Jules RENARD   
%
 Aujourd'hui on ne sait plus parler, parce qu'on ne sait
plus écouter. Rien ne sert de parler bien : il faut
parler vite, afin d'arriver avant la réponse, on n'arrive
jamais. On peut dire n'importe quoi n'importe comment : c'est
toujours coupé. La conversation est un jeu de sécateur,
où chacun taille la voix du voisin aussitôt qu'elle
pousse.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il faut, pour soutenir une conversation en société,
savoir une foule de choses inutiles. Il faut se tenir au courant.
Je ne sais pas courir. Reste donc chez toi.  
    --- Jules RENARD   
%
 Chaque fois que je viens de parler un peu trop longtemps
à quelqu'un, je suis comme un homme qui s'est grisé
et qui, tout honteux, ne sait où se fourrer.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je n'aime à parler qu'avec les gens plus grands
que moi et dont la bouche me dépasse, parce qu'ainsi les
odeurs montent.  
    --- Jules RENARD   
%
 A la fin d'une longue discussion, nous arrivâmes
à conclure qu'au fond il n'y a rien de plus particulier
qu'une idée générale.  
    --- Jules RENARD   
%
  -  Comment vous portez-vous ? dis-je.
  -  Oh ! je vais mieux.
  -  Vous avez donc été malade ?
 Et voilà qu'il faut avoir l'air de s'intéresser
à la santé d'une personne qui se porte bien, quand
on serait à peine touché par la nouvelle de sa mort.  
    --- Jules RENARD   
%
 Les discussions les plus passionnées, il faudrait
toujours les terminer par ces mots : "Et puis, nous allons
bientôt mourir."  
    --- Jules RENARD   
%
 Il y a des gens qui retirent volontiers ce qu'ils ont
dit, comme on retire une épée du ventre de son adversaire.  
    --- Jules RENARD   
%
 Quand un homme ne parle que de ce qu'il sait, il a toujours
l'air plus savant que nous.  
    --- Jules RENARD   
%
 La conversation doit tout aborder mais ne rien approfondir.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Conversation n. Foire où chacun propose ses petits
articles mentaux, chaque exposant étant trop préoccupé
par l'arrangement de ses propres marchandises pour s'intéresser
à celles de ses voisins.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Raseur n. Personne qui vous parle quand vous souhaitez
qu'elle écoute.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 On parle bien plus volontiers de ce qu'on ignore. Car
c'est à quoi l'on pense. Le travail de l'esprit se porte
là, et ne peut se porter que là.  
    --- Paul VALERY   
%
 Quand il parlait, il ne levait jamais un bras ni un doigt :
il avait tué la marionnette.  
    --- Paul VALERY   
%
 Le meilleur moyen pour amener autrui à "partager"
votre conviction, n'est pas toujours de proclamer celle-ci.  
    --- André GIDE   
%
 Il faut en prendre son parti : plutôt que de
demeurer renfrogné, consentir à débiter quelques
banalités, quelques bêtises. Et puis cela met l'autre
à son aise.  
    --- André GIDE   
%
 Il y a une forte raison de ne pas dire au premier arrivant
ce qui vient à l'esprit, c'est qu'on ne le pense point ;
aussi n'y a-t-il rien de plus trompeur que cette sincérité
de premier mouvement. Il faut plus de précautions dans
le jeu des paroles, d'où dépend souvent l'avenir
des autres et de soi. Il n'y a rien de plus commun que de s'obstiner
sur ce que l'on a dit par fantaisie ; mais quand on saurait
pardonner à soi-même, et, mieux encore faire oublier
ce qui fut mal dit et mal pensé, on ne saurait toujours
pas l'effacer dans la mémoire de l'autre ; car on
dit trop que les hommes croient aisément ce qui les flatte ;
mais je dirais bien qu'ils croient plus aisément encore
ce qui les blesse.  
    --- ALAIN   
%
 La conversation n'est féconde qu'entre esprits
attachés à consolider leurs perplexités.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Si on ne dit pas ce qu'on pense au moment où on
le pense, on ne pensera plus ce qu'on dit au moment où
on le dira.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Dans la conversation, sois optimiste, indulgent, paradoxal
et cruel. Si tu as de l'esprit, sois féroce, impitoyable.
Un "mot", c'est sacré. Tu dois le faire contre ta soeur,
contre ta femme, s'il le faut  -  pourvu que le mot soit
drôle. On n'a pas le droit de garder pour soi un mot drôle.
Il y a des mots mortels. Tant pis ! Les mots qui sont mortels
font vivre du moins ceux qui les font.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Comme de nombreux bègues, j'ai toujours beaucoup
aimé la nuit. Le temps ralenti s'y accorde à notre
discours, lorsque nous hésitons ou en tire une accélération
qui ne semble due qu'à notre débit précipité.
D'ailleurs, à partir de 4 heures du matin, tout le monde
bégaie.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Le courageux a du courage et le brave aime à le
montrer.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Nul ne brave mieux le danger que celui qui le dédaigne ;
nul ne le dédaigne mieux que celui qui l'ignore. Dans les
temps de crise, ceux-là surtout font la force d'une nation
qui ne croient pas à ses périls.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les hommes qui ne se battent pas en duel croient que les
hommes qui se battent au duel à mort sont courageux.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Il faut avoir le courage de préférer l'homme
intelligent à l'homme très gentil.  
    --- Jules RENARD   
%
 N'écoutant que son courage, qui ne lui disait rien,
il se garda d'intervenir.  
    --- Jules RENARD   
%
 On ne se refait pas. C'est un mot de phénix découragé.
Les joueurs le disent aussi quelquefois, mais sans conviction.  
    --- Léon BLOY   
%
 Il n'est pas de vertus humaines que je prise autant ou
aussi peu, suivant les cas, que le courage.
 "Le vrai courage, disait Napoléon, c'est celui de trois
heures du matin." Il voulait dire par là, sans doute, que
le courage auquel il accordait estime était celui d'où
toute griserie, toute vanité, toute émulation fussent
exclues. Un courage sans témoins, sans complices ;
un courage à froid et à jeun.  
    --- André GIDE   
%
 Ce matin, dans les journaux, cette nouvelle : "Hier
en Méditerranée, un bâtiment pétrolier
a sombré dans la tempête. Son capitaine, sur le pont,
s'est englouti avec lui." Celui-là, pour le coup, un simple
imbécile.
 La mort de Péguy, par exemple, telle qu'on l'a racontée,
restant debout devant les balles, alors que tous ses hommes 1ui
criaient : "Couchez-vous, lieutenant, couchez-vous !"
et restant debout, droit comme un i. Que veut-on que me fasse
la mort de cet homme ? Il eût mieux servi son pays
en se conservant vivant. Son acte est imbécile. "L'héroïsme",
est souvent cela.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 C'est un stoïque des grandes circonstances, que désemparent
facilement les petits tracas de la vie courante.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Un peu plus tard, et quand j'étais remonté
aux batteries, le capitaine fut blessé à la tête,
et revint après un petit mois d'hôpital. "Je fus
blessé, me dit-il, par ma bêtise. Je sors au matin
de mon abri, portant ma cuvette. Il y avait un tir sur la batterie
à côté ; quelques éclats volaient
jusqu'à moi ; je remportai ma cuvette ; mais
alors je me dis que je subissais la volonté de l'ennemi,
ce qui est se reconnaître vaincu. Je sortis de nouveau,
portant ma cuvette, et c'est alors que j'eus ce coup sur la tête.
Vous qui écrivez sur le courage, retenez cela."  
    --- ALAIN   
%
 La peur est ce qui gronde dans le courage ; la peur
est ce qui pousse le courage au delà du but. Car l'homme
ne pense qu'à cette victoire sur soi poltron, et ne la
voit jamais gagnée, puisque l'homme peut avoir peur de
ses propres actions, à seulement y penser, et même
de son propre courage. C'est pourquoi il n'écoute point
conseil. Je le vois plutôt qui tient conseil entre les parties
de lui-même, méditant contre les conspirateurs et
les traîtres, qui lui sont intimes et quelquefois impudemment.
Qui n'a pas palpé sa propre peur, en vue de la démasquer,
de la traîner nue, de l'injurier ?  
    --- ALAIN   
%
 Qu'il est difficile d'être courageux sans se faire
méchant !  
    --- ALAIN   
%
 Alors comme ça, ce voyou de Tom a reçu la
Victoria Cross. Il s'est précipité sous une pluie
de projectiles pour sauver le drapeau en lambeaux. Qui l'aurait
cru ? On aurait pourtant juré que le troquet du village
était le but suprême de toutes ses ambitions. Le
hasard vient trouver Tom et nous le découvrons. Pour Harry,
le sort s'est montré moins clément. Harry a toujours
été un vaurien. Il buvait et on dit même qu'il
battait sa femme. Qu'on l'enterre, bon débarras, il n'était
bon à rien. En sommes-nous bien sûrs ?  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 On dirait qu'on peut toujours trouver pour n'importe quel
homme une sorte de chose pour laquelle il est prêt à
mourir et tout de suite et bien content encore. Seulement son
occasion ne se présente pas toujours de mourir joliment,
l'occasion qui lui plairait. Alors il s'en va mourir comme il
peut, quelque part... Il reste là l'homme sur la terre
avec l'air d'un couillon en plus et d'un lâche pour tout
le monde, pas convaincu seulement, voilà tout. C'est seulement
en apparence la lâcheté.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 La lâcheté rend subtil.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'homme se distingue de l'animal en ceci qu'il est doué
d'arrière-pensées. Ayez confiance en lui :
on peut exiger à l'intérieur ce que l'on ne voit
pas à la devanture. Quand Guillaumet en détresse
dans la cordillère des Andes déclare : "Ce
que j'ai fait, une bête ne l'aurait pas fait", nous le croyons
d'autant plus que ses actes sont chargés de sens et de
prix. La signification est un des privilèges de l'espèce.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Je suis frappé de voir à quel point le moindre
risque physique ou naturel devient une excuse. ("Je ne suis pas
venu, la météo annonçait du verglas...")
A quel point nous laissons se développer une sorte
de peur collective de tout ce qui pourrait être une menace
ou même un changement. Le moindre excès de pluie
ou de neige, de vent, de froid ou de chaleur, provoque une sorte
de réaction apeurée qu'entretiennent les médias.
Certes les catastrophes font de bons titres, mais certains jours
la dramatisation est abusive pour 40 centimètres de montée
des rivières ou 6 degrés de température en
trop ou en moins ! Elle habitue le public à l'idée
qu'il est normal de ne plus rien supporter.
 Je m'en inquiète parce que la lâcheté physique
précède la lâcheté morale et y conduit.
Mettre sur le même plan le brouillard qui bloque une autoroute
un jour de départ en vacances scolaires et l'évocation
de la déroute de juin 40 entraîne à l'esprit
de déroute.  
    --- Jean-François DENIAU   
%
 Ce qui m'étonne le plus dans le courage humain
est celui que l'on pourrait appeler du dernier message.
 Sans remonter aux siècles passés, au cours de ce
XX<SUP>e</SUP> siècle seulement, combien d'hommes et de femmes, que
rien ne préparait à l'héroïsme, sont
morts héroïquement. C'est un mystère. Les cas
de supplications, panique, gémissements sont extrêmement
peu nombreux. Non, au contraire, face au peloton ou à l'exécution
de masse, les vieillards relèvent la tête, les impotents
se dressent, les jeunes mûrissent, les hésitants
s'affirment, les sceptiques s'assurent, les agnostiques crient
leur foi. Des mots admirables jaillissent alors que leurs auteurs
ne peuvent même pas être portés par le sentiment
que leur dernier cri sera connu et leur survivra.
 L'un des plus bouleversants est sans doute celui de ce jeune
communiste fusillé par les nazis et tombant en criant :
"Vive le peuple allemand !" Mais combien d'autres, partout,
en tous temps, dans les guerres civiles en Amérique latine,
dans les révolutions chinoises, dans les guerres européennes,
ont eu à coeur, alors qu'ils savaient que c'était
fini, la beauté du dernier mot, ou seulement du dernier
instant. Le plus souvent en silence.  
    --- Jean-François DENIAU   
%
 Les loix de la conscience, que nous disons naistre de
nature, naissent de la coustume ; chacun ayant en veneration
interne les opinions et moeurs approuvées et receuës
autour de luy, ne s'en peut desprendre sans remors, ny s'y appliquer
sans applaudissement.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 On dit de tel usage qu'il est grec, romain ou barbare,
et moi je dis qu'il est humain, et que les hommes s'en avisent
et l'inventent partout où ils en ont besoin.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Une fois n'est pas coutume.
 Formule d'absolution à l'usage des bourgeois. Tout va
bien si la coutume n'est pas implantée. L'essentiel c'est
de ne tuer son père qu'une fois.  
    --- Léon BLOY   
%
 Ne pas : - Définir ce qui est connu :
un bavardage. Obscurcir ce qui est clair : barbouillage.
Mettre en question ce qui est en fait : mauvaise foi, ignorance.
Rendre abstrait ce qui est palpable : charlatanisme. Et offrir
des difficultés qui ne s'offrent pas elles-mêmes
ou n'ont qu'une vaine apparence : chicane.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 QUELQUES AVIS QUI, ETANT SAGES, SONT FORCEMENT
DE NOMBRE LIMITE
 Dis ce que tu penses.
 Paye ce que tu dois.
 Ne vends pas plus cher que ça ne vaut.
 Méfie-toi des conseils, mais suis les bons exemples.
 Laisse la clé sur le buffet si tu ne veux pas qu'on te
vole.
 Ne perds jamais de vue que le bon beurre est la base de la bonne
cuisine, et souviens-toi que faire le malin est le propre de tout
imbécile.
 Enfin  -  uti, non abuti, nous recommande la sagesse
antique  -  , use de tout, mais n'abuse de rien. Bois
 -  sans excès ; fume  -  sans excès ;
aime  -  sans excès ; et que, toujours, la
bonne qualité de l'objet détermine ton choix et
le fixe. Mieux vaut boire trop de bon vin qu'un petit peu de mauvais
et pratiquer l'amour avec deux belles filles qu'avec une seule
vieille femme en ruine. L'agrément y trouve son compte,
et l'économie animale plus encore.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Décalogue n. Ensemble de commandements, au nombre
de dix  -  chiffre suffisant si l'on veut s'en tenir à
une stricte observance, mais toutefois légèrement
insuffisant si l'on préfère avoir l'embarras du
choix. Voici l'édition révisée du Décalogue,
strictement ajustée à ce méridien :
 
 Tu n'adoreras pas un autre Dieu que moi :
 Cela revient trop cher d'en célébrer plus d'un.
 
 Ne feras ni d'images ni de statues sacrées,
 Car les marchands du temple ont l'exclusivité.
 
 N'utiliseras pas en vain le nom de Dieu,
 Attends le bon moment où ça fait son effet
 
 Tu ne travailleras pas la journée du Sabbat,
 Ce jour est consacré aux matchs de football.
 
 En bon fils garderas chez toi tes vieux parents ;
 Ca vient en déduction de ta déclaration.
 
 Jamais tu ne tueras, ni ne seras complice ;
 D'ailleurs tu jetteras la facture du boucher.
 
 Tu n'embrasseras pas la femme de ton voisin,
 Sauf si la tienne a succombé à ses caresses.
 
 Tu ne voleras pas. Le vol est pernicieux ;
 La carambouille dans les affaires est bien plus sûre.
 
 Tu n'apporteras jamais de faux témoignages ;
 Fais-toi seulement l'écho des racontars publics.
 
 Enfin tu cesseras de convoiter en vain
 Ce que par bec et ongles tu n'as pu obtenir.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Je parlerais tout à fait autrement aux jeunes lionceaux
dès qu'ils commencent à aiguiser leurs griffes sur
les manuels de morale, sur les catéchismes, sur toutes
coutumes, sur tous barreaux. Je leur dirais : n'ayez peur
de rien ; faites ce que vous voulez. N'acceptez aucun esclavage,
ni chaîne dorée, ni chaîne fleurie. Seulement,
mes amis, soyez rois en vous-mêmes. N'abdiquez pas. Soyez
maîtres des désirs et de la colère aussi bien
que de la peur. Exercez-vous à rappeler la colère
comme un berger rappelle son chien. Soyez rois sur vos désirs.
Si vous avez peur, marchez tranquillement à ce qui vous
fait peur. Si vous êtes paresseux, donnez-vous une tâche.
Si vous êtes indolent, pliez-vous aux jeux athlétiques.
Si vous êtes impatient, donnez-vous des pelotons de ficelle
à démêler. Si le ragoût est brûlé,
donnez-vous le luxe royal de le manger de bon appétit.
Si la tristesse vous prend, décrétez la joie en
vous-même. Si l'insomnie vous retourne comme une carpe sur
l'herbe, exercez-vous à rester immobile, et à dormir
au commandement. Après cela, mes bons amis, puisque vous
serez rois en vous, agissez royalement, et faites ce qui vous
semblera bon.  
    --- ALAIN   
%
 Conseils pour la route :
 Pars de zéro.
 Mets tout à plat.
 Rejette toute tradition.
 Méprise tout rituel
 Ne respecte aucun tabou.
 Tiens tout symbole pour ce qu'il est : du vent
 Pisse sur le sacré.
 N'écoute aucune parole "révélée".
 Fuis ceux qui ont la vérité par la foi.
 Crache à la gueule des charlatans du "merveilleux".
 Ris de tout, pleure de tout, mais selon ton humeur.
 Eduque ta raison, tu n'as rien d'autre.
 N'admets pour provisoirement acceptable que ce que ta raison
estime dûment démontré.
 Laisse de côté les questions sans réponse.
 Fuis la métaphysique.
 Ne te conduis pas en fonction d'une morale transcendante.
 Mais que ta morale soit faite des règles nécessaires
à la vie de chacun dans une société harmonieuse
et fraternelle.
 ... Sauf, bien sûr, si les hommes noirs prennent le pouvoir
et rallument les bûchers. Dans ce cas, mon fils, fais semblant !  
    --- François CAVANNA   
%
 A l'égard de la propriété,
de l'amour, de la fortune et du succès, j'applique "la
règle des Dudu" : rien n'est dû, rien n'est
durable.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Combattre les objections, ce n'est souvent détruire
que des fantômes. On n'éclaire rien par là ;
seulement on rend muets ceux qui obscurcissent.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Toute bonne objection éclaircit la matière
qui est en doute ; celle qui l'obscurcit est mauvaise, elle
fait perdre l'objet de vue.  -  Mais celle qui montre
l'objet en détruisant le système est la seule bonne.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Tout critique de profession, homme médiocre par
nature.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 On critique les morts pour les beautés et les vivants
pour les défauts.  
    --- Victor HUGO   
%
 On est stupéfait de la quantité de critique
que peut contenir un imbécile.  
    --- Victor HUGO   
%
 Il faut, selon moi, compter au nombre des plus grandes
découvertes faites tout récemment par la raison
humaine l'art de juger les livres sans les avoir lus.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Il n'est pas de genres inférieurs ; il n'est
que des productions ratées et le bouffon qui divertit prime
le tragique qui n'émeut pas.
 Exiger simplement et strictement des choses les qualités
qu'elles ont la prétention d'avoir : tout le sens
critique tient là-dedans.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Un jour, dans un club littéraire, je prenais le
café avec un romancier qui se trouvait être un garçon
athlétique, aux larges épaules. Un autre membre
se joignit à nous et dit au romancier : "Je viens
de terminer votre dernier livre et je vais vous dire franchement
ce que j'en pense." Et mon ami de répondre du tac au tac :
"Je vous préviens en toute honnêteté que si
vous le faites, je vous casse la figure." Eh bien, nous n'avons
jamais su ce qu'il en pensait franchement.  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 Tout commentaire d'une oeuvre est mauvais ou inutile,
car tout ce qui n'est pas direct est nul.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Qu'est donc affirmer et qu'est-ce que nier ? Qu'est-ce
que construire (puisqu'on nous rebat les oreilles de la nécessité
d'être "constructifs", efficaces, voire "efficients") et
détruire ? Que faut-il entendre exactement par négation ?
Dans quels cas peut-on parler d'ouvrage négatif, d'esprit
négatif, de propos négatif ?
 Ces expressions sont couramment employées pour désigner
deux opérations opposées :
 1. Détruire quelque chose de positif ;
 2. Décrire quelque chose de négatif.
 La pensée conservatrice a naturellement intérêt
à confondre la seconde opération avec la première,
autrement dit à postuler ce qui est précisément
en question, à savoir le caractère positif des conceptions
visées par la critique.
 Or, dans l'ordre intellectuel, détruire quelque chose
de positif par la seule critique est impossible : il y faut
d'autres moyens, tels que la censure, ou ces formes indirectes
de censure que sont le protectionnisme de l'enseignement officiel,
les pressions exercées sur les maisons d'édition,
sur les revues et les journaux, le discrédit moral jeté
sur la "mentalité" du critiqueur, sur ses mobiles supposés
et remplaçant la discussion des preuves ; bref, les
freins mis à l'information.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Le vray champ et subject de l'imposture sont les choses
inconnuës. D'autant qu'en premier lieu l'estrangeté
mesme donne credit ; et puis, n'estant point subjectes à
nos discours ordinaires, elles nous ostent le moyen de les combattre.
A cette cause, dict Platon, est-il bien plus aisé de satisfaire
parlant de la nature des Dieux que de la nature des hommes, par
ce que l'ignorance des auditeurs preste une belle et large carrière
et toute liberté au maniement d'une matière cachée.
 Il advient de là qu'il n'est rien creu si fermement que
ce qu'on sçait le moins, ny gens si asseurez que ceux qui
nous content des fables, comme Alchimistes, Prognostiqueurs, Judiciaires,
Chiromantiens, Medecins, "id genus omne".  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Ce qui nous fait croire si facilement que les autres ont
des défauts, c'est la facilité que l'on a de croire
ce qu'on souhaite.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Crédulité. Plus difficile à dissuader
qu'à persuader, et plus facile à tromper qu'à
détromper.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'homme peut croire l'impossible mais jamais il ne pourra
croire à l'improbable.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Ne combattez l'opinion de personne ; songez que,
si l'on voulait dissuader les gens de toutes les absurdités
auxquelles ils croient, on n'en aurait pas fini, quand on atteindrait
l'âge de Mathusalem.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 Il est [...] possible que la ruine des croyances idéalistes
soit destinée à suivre la ruine des croyances surnaturelles,
et qu'un abaissement réel du moral de l'humanité
date du jour où elle a vu la réalité des
choses. A force de chimères, on avait réussi
à obtenir du bon gorille un effort moral surprenant ;
ôtées les chimères, une partie de l'énergie
factice qu'elles éveillaient disparaîtra. Même
la gloire, comme force de traction, suppose à quelques
égards l'immortalité, le fruit n'en devant d'ordinaire
être touché qu'après la mort. Supprimez l'alcool
au travailleur dont il fait la force, mais ne lui demandez plus
la même somme de travail.  
    --- Ernest RENAN   
%
 On se persuade de tout et l'on croit ce que l'on veut
croire. Puis on appelle "réalité supérieure"
cette construction de l'esprit. Comment ne serait-elle pas supérieure
à tout, dès qu'on y croit ? Et comment y pourrait-on
croire, sinon en la croyant supérieure à tout... ?
 Et si "la perle de grand prix" pour la possession de laquelle
un homme laisse tous ses biens, se découvre une perle fausse ?...
 - Qu'importe ? Si celui qui la possède ne le sait
pas.  
    --- André GIDE   
%
 Ces idées dont on croit d'abord ne point pouvoir
se passer. D'où grand danger d'installer son confort moral
sur des idées fausses. Contrôlons, vérifions
d'abord. Naguère le soleil tournait autour de la terre ;
celle-ci, point fixe, demeurait le centre du monde, foyer d'attention
du bon Dieu... Et puis non ! C'est la terre qui tourne. Mais
alors, tout chavire ! Tout est perdu !... Pourtant rien
n'est changé que la croyance. L'homme doit apprendre à
s'en passer. De l'une, puis de l'autre, il se délivre.
Se passer de la Providence : l'homme est sevré.
 Nous n'en sommes pas là. Nous n'en sommes pas encore là.
Cet état d'athéisme complet, il faut beaucoup de
vertu pour y atteindre ; plus encore pour s'y maintenir.
Le "croyant" n'y verra sans doute qu'invite à la licence.
S'il en allait ainsi : vive Dieu ! Vive le sacré
mensonge qui préserverait l'humanité de la fail1ite,
du désastre. Mais l'homme ne peut-il apprendre à
exiger de soi, par vertu, ce qu'il croit exigé par Dieu ?
Il faudrait bien pourtant qu'il y parvienne ; que quelques-uns,
du moins, d'abord ; faute de quoi la partie serait perdue.
Elle ne sera gagnée, cette étrange partie que voici
que nous jouons sur terre (sans le vouloir, sans le savoir, et
souvent à coeur défendant), que si c'est à
la vertu que l'idée de Dieu, en se retirant, cède
la place ; que si c'est la vertu de l'homme, sa dignité,
qui remplace et supplante Dieu. Dieu n'est plus qu'en vertu de
l'homme. Et eritis sicut dei. (C'est ainsi que je veux comprendre
cette vieille parole du Tentateur - lequel, ainsi que Dieu, n'a
d'existence qu'en notre esprit - et voir dans cette offre, qu'on
nous a dite fallacieuse, une possibilité de salut.)   
    --- André GIDE   
%
 Le conteur, qui veut faire paraître des choses absentes,
y réussit bien mieux par le frisson de la peur que par
une suite raisonnable de causes et d'effets ; les membres
sanglants d'un homme tombant par la cheminée dans la poêle
à frire, cela se passe de preuves, par l'épouvante ;
tout se trouve lié dans l'imagination par l'impression
forte, dès que l'expérience réelle est impossible,
ou n'est point faite. Ce qui est indifférent n'est jamais
cru, si vraisemblable qu'il soit ; ce qui touche violemment
est toujours cru, et l'absurde est bien loin d'y faire obstacle,
puisque l'absurde lui-même épouvante.  
    --- ALAIN   
%
 Croire est agréable. C'est une ivresse dont il
faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté,
à justice, à paix. Il est naturel et il est délicieux
de croire que la république nous donnera tous ces biens ;
ou, si la république ne peut, on veut croire que coopération,
socialisme, communisme ou quelque autre constitution nous permettra
quelque jour de nous fier au jugement d'autrui, enfin de dormir
les yeux ouverts comme font les bêtes. Mais non. La fonction
de penser ne se délègue point. Dès que la
tête humaine reprend son antique mouvement de haut en bas,
pour dire oui, aussitôt les tyrans reviennent.  
    --- ALAIN   
%
 Où allons-nous si les gens commencent à
croire vraiment ce qu'on leur dit  -  et qui est fait
pour n'être pas cru ! Qui sait si, au lieu du mensonge,
il ne faudra pas finir par leur dire un jour la vérité ?  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Toute croyance rend insolent ; nouvellement acquise,
elle avive les mauvais instincts ; ceux qui ne la partagent
pas font figure de vaincus et d'incapables, ne méritant
que pitié et mépris. Observez les néophytes
en politique et surtout en religion, tous ceux qui ont réussi
à intéresser Dieu à leurs combines, les convertis,
les nouveaux riches de l'Absolu. Confrontez leur impertinence
avec la modestie et les bonnes manières de ceux qui sont
en train de perdre leur foi et leurs convictions...  
    --- Emil CIORAN   
%
 N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La croyance en la fortune est une marque d'orgueil et,
de ce fait, est antiscientifique. Les dieux ont les yeux fixés
sur moi. Ils me veulent du bien... ou bien ils me veulent du mal ;
en tout cas, je ne passe pas inaperçu.  
    --- Alfred SAUVY  
%
 Dès qu'on ne cerne pas bien les causes d'une maladie,
on a tendance à invoquer la logique de déséquilibre,
c'est à dire les facteurs psychosociaux. Les maladies dans
lesquelles l'intervention de tels facteurs est postulée
ont le plus souvent une étiologie inconnue ou mal établie
et les possibilités d'intervention thérapeutique
sont habituellement limitées voire inexistantes. Face à
une telle incertitude, le modèle de causalité linéaire
dans lequel il suffit qu'un événement en précède
un autre pour qu'il en soit une cause possible devient prépondérant.
Le caractère spectaculaire de la cause postulée
suffit à la rendre crédible, surtout si sa possibilité
d'intervention est entretenue par la culture ambiante. A
partir du moment où la croyance s'est établie, elle
s'entretient d'elle-même par l'attention sélective
accordée aux autres cas venant renforcer la possibilité
d'intervention des facteurs psychiques. La croyance est antinomique
du sens critique.  
    --- Croyance et maladie :
   
%
 Ce qui m'intéresse rétrospectivement, dans
ma mésaventure gurdjieffienne, c'est l'expérience
que je fis sur mon propre cas de l'aptitude des hommes à
se persuader de la vérité de n'importe quelle théorie,
de bâtir dans leur tête un attirail justificatif de
n'importe quel système, fût-ce le plus extravagant,
sans que l'intelligence et la culture puissent entraver cette
intoxication idéologique.  
    --- Jean-François REVEL  
%
 On possède [...] de César des lettres à
Cicéron, et sa correspondance avec ses amis sur ses affaires
domestiques. Il y employait, pour les choses tout à fait
secrètes, une espèce de chiffre (les lettres étant
disposées de manière à ne pouvoir jamais
former un mot), et qui consistait, je le dis pour ceux qui voudront
les déchiffrer, à changer le rang des lettres, à
écrire la quatrième pour la première, comme
le d pour l'a, et ainsi des autres.  
    --- Le chiffre de Jules   
%
 Accroissement de l'intéressant.
 Au fur et à mesure que sa culture s'accroît, tout
devient intéressant pour l'homme, il sait rapidement trouver
le côté instructif d'une chose et saisir le point
où elle peut combler une lacune de sa pensée ou
confirmer une de ses idées. Ainsi disparait de jour en
jour l'ennui, ainsi aussi l'excitabilité excessive du coeur.
Il finit par circuler parmi les hommes comme un naturaliste parmi
les plantes, et par s'observer lui-même comme un phénomène
qui n'excite fortement que son instinct de connaître.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Aux nouveaux riches :
 Quand on vous reproche une faute de français, répondez
que c'est un latinisme.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 On a trop réduit la connaissance de la langue à
la simple mémoire. Faire de l'orthographe le signe de la
culture, signe des temps et de sottise.  
    --- Paul VALERY   
%
 Quand on dit d'une femme qu'elle est cultivée,
je m'imagine qu'il lui pousse de la scarole entre les jambes et
du persil dans les oreilles.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Elle m'avait dit un jour : 
 - Chéri, est-ce que tu savais qu'oroscope, idrogène,
ipocrite et arpie ne sont pas dans le dictionnaire ?  
    --- Sacha GUITRY   
%
 D'abord, l'homme que l'on dit cultivé est celui
qui a le temps de le devenir, celui que sa vie professionnelle
laisse suffisamment disponible, ou dont la vie professionnelle
est elle-même inscrite dans la culture. Dans une société
marchande, être cultivé, c'est déjà
appartenir à la partie favorisée de la société
qui peut se permettre de le devenir. Accorder à ceux qui
n'ont pas cette chance une participation à la culture,
c'est en quelque sorte leur permettre une ascension sociale. C'est
un moyen de les gratifier narcissiquement, d'améliorer
leur standing, d'enrichir l'image qu'ils peuvent donner d'eux-mêmes
aux autres.  
    --- Henri LABORIT   
%
 En matière de culture, je fais mon marché
tout seul. Je suis le terrain, je sais ce qui pousse.  
    --- Roland TOPOR   
%
 La culture, c'est comme l'amour. Il faut y aller à
petits coups au début pour bien en jouir plus tard. Du
reste, "est-il vraiment indispensable d'être cultivé
quand il suffit de fermer sa gueule pour briller en société",
dit judicieusement La Rochefoucauld, qui ajoute : "La culture
et l'intelligence, c'est comme les parachutes. Quand on n'en a
pas, on s'écrase."  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Et puis quoi, qu'importe la culture ? Quand il a
écrit Hamlet, Molière avait-il lu Rostand ?
Non.  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Ce qu'on nomme culture consiste, pour une partie des intellectuels,
à persécuter l'autre partie. Dans les sociétés
totalitaires, cette persécution est institutionnalisée,
elle fait corps avec l'Etat. Dans les sociétés
ouvertes, si elle est diffuse, elle n'est pas pour autant absente.
Les intellectuels s'y organisent fort adroitement pour reconstituer
l'ostracisme. Le "politiquement correct" qui a sévi aux
Etats-Unis à partir du milieu des années
quatre-vingt en est un effroyable échantillon.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Il n'y a pas de culture, il n'y a que des gens cultivés.
Il n'y a pas plus de culture en général, hors les
individus, qu'il n'y a d'art du piano dans l'abstrait, en l'absence
de pianistes. Une culture meurt quand disparaissent ceux qui l'incarnent,
non comme institution officielle, mais dans l'originalité
unique de leur propre sensibilité, de leur propre intelligence.
Le reste n'est que colportage.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Regards neufs, vieux trous de serrure.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 La science restera toujours la satisfaction du plus haut
désir de notre nature, la curiosité ; elle
fournira à l'homme le seul moyen qu'il ait pour améliorer
son sort. Elle préserve de l'erreur plutôt qu'elle
ne donne la vérité ; mais c'est déjà
quelque chose d'être sûr de n'être pas dupe.  
    --- Ernest RENAN   
%
 On faisait reproche à quelqu'un, devant moi, pour
sa curiosité. Je me récriai : "Etre curieux ?
Ne blâmez pas ! C'est une qualité. La curiosité
est un côté de l'intelligence. Il n'y a que les sots,
les niais, les cerveaux inertes, qui ne sont pas curieux. Il faut
être curieux le plus possible. Se mêler de ce qui
ne vous regarde pas, écouter aux portes, regarder aux fenêtres
pour voir ce qui se passe chez les gens, suivre d'autres dans
la rue pour écouter ce qu'ils disent, lire les lettres
qui traînent, faire parler telle personne sur telle autre,
provoquer les confidences, lire au travers des enveloppes, faire
semblant de dormir dans une réunion pour amener les autres
à parler plus librement, payer des domestiques pour savoir
des histoires sur leurs maîtres, épier, écouter,
regarder, fouiller, surprendre, découvrir, avec l'air de
l'homme le plus indifférent,  -  le comble de l'adresse
en cette matière !  -  c'est ainsi qu'on
apprend quelque chose dans la vie. Les gens qui ne sont pas curieux
sont des sots. La curiosité, c'est le besoin de savoir.
Celui qui n'est pas curieux n'apprendra jamais rien."   
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il faut en convenir : un bon accident, un petit scandale,
une mort, chez des gens que nous connaissons, dans le cercle de
nos relations, chez l'un ou l'autre de nos collègues, si
nous sommes employés, c'est une diversion agréable.
Multipliez cela à l'échelle du public : vous
avez les crimes, les grands accidents de chemin de fer, les scandales
politiques ou financiers, sur les récits et descriptions
desquels tout le monde se jette.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Cher Monsieur, vous êtes parfaitement "dénué
d'intérêt"  -  Mais pas votre squelette  -  ni
votre foie, ni lui-même votre cerveau  -  Et ni
votre air bête et ni ces yeux tard venus  -  et
toutes vos idées. Que ne puis-je seulement connaître
le mécanisme d'un sot ?  
    --- Paul VALERY   
%
 Paraître toujours heureux.  -  Lorsque la
philosophie était affaire d'émulation publique,
dans la Grèce du troisième siècle, il y avait
nombre de philosophes que rendait heureux l'arrière-pensée
du dépit que devait exciter leur bonheur, chez ceux qui
vivaient selon d'autres principes et y trouvaient leur tourment :
ils pensaient réfuter ceux-ci avec le bonheur, mieux qu'avec
toute autre chose, et ils croyaient que, pour atteindre ce but,
il leur suffisait de paraître toujours heureux ; mais
cette attitude devait, à la longue, les rendre véritablement
heureux ! Ce fut par exemple le sort des cyniques.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Cynique n. Grossier personnage dont la vision déformée
voit les choses comme elles sont, et non comme elles devraient
être. De là l'ancienne coutume scythe d'arracher
les yeux d'un cynique pour améliorer sa perspective.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Si l'on veut savoir ce qu'il est facile ou difficile de
 persuader à un peuple, il faut faire cette distinction :
l'entreprise dont tu as à le persuader présente
au premier abord soit un profit soit une perte, et paraît
ou lâche ou magnanime. Lui apparaît-elle comme magnanime
et profitable, rien de plus aisé que de le persuader même
si la ruine de la république se cache sous cette apparence.
Rien de si difficile au contraire s'il y voit lâcheté
ou perte possible, quand bien même le salut réel
de l'Etat en dépendrait. Ce que je dis là
est appuyé sur mille exemples tirés de l'histoire
des Romains et de celle des Barbares, pris chez les anciens et
chez les modernes.  
    --- MACHIAVEL   
%
 Isocrate, ce grand ennemi de la démocratie, donne
la préférence à la monarchie "parce que (dit-il)
les meilleurs y commandent" : et il ajoute : "rien n'est
plus fâcheux pour ceux qui excellent que de vivre sans dignités
et d'être cachés dans la foule !" O le
méprisable lettré !
 [...] Voici une de ses observations qui est digne d'être
recueillie : "Rien de ce qui se fait par hasard (dit-il)
n'est durable ni solide." Il est cependant possible qu'un peuple
recouvre par hasard sa liberté et qu'il la conserve par
une volonté forte et par la prudence. Le hasard est alors
d'accord avec le temps, c'est à dire avec les moeurs et
le caractère d'un siècle.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le suffrage universel ne sera légitime que quand
tous auront cette part d'intelligence sans laquelle on ne mérite
pas le titre d'homme, et si, avant ce temps, il doit être
conservé, c'est uniquement comme pouvant servir puissamment
à l'avancer. La stupidité n'a pas le droit de gouverner
le monde. Comment, je vous prie, confier les destinées
de l'humanité à des malheureux, ouverts par leur
ignorance à toutes les captations du charlatanisme, ayant
à peine le droit de compter pour des personnes morales ?
Etat déplorable que celui où, pour obtenir
les suffrages d'une multitude omnipotente, il ne s'agit pas d'être
vrai, savant, habile, vertueux, mais d'avoir un nom ou d'être
un audacieux charlatan !  
    --- Ernest RENAN   
%
 Je le dis avec timidité et avec la certitude que
ceux qui liront ces pages ne me prendront pas pour un séditieux,
je le dis comme critique pur, en me posant devant les révolutions
du présent comme nous sommes devant les révolutions
de Rome, par exemple, comme on sera dans cinq cents ans vis-à-vis
des nôtres : l'insurrection triomphante est parfois
un meilleur critérium du parti qui a raison que la majorité
numérique. Car la majorité est souvent formée
ou du moins appuyée de gens fort nuls, inertes, soucieux
de leur seul repos, qui ne méritent pas d'être comptés
dans l'humanité ; au lieu qu'une opinion capable de
soulever les masses, et surtout de les faire triompher, témoigne
par là de sa force. Le scrutin de la bataille en vaut bien
un autre ; car, à celui-là, on ne compte que
les forces vives, ou plutôt on soupèse l'énergie
que l'opinion prête à ses partisans : excellent
critérium ! On ne se bat pas pour la mort ; ce
qui passionne le plus est le plus vivant et le plus vrai.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Voter équivaut toujours à jouer des jeux
tels que les échecs ou le jacquet avec, en prime, une petite
nuance morale ; on joue avec le bien et le mal, avec des
questions morales. Il va de soi que les paris font partie du jeu.
Le caractère de ceux qui votent n'entre pas en ligne de
compte : d'aventure, je place mon vote selon ce que j'estime
juste, mais le triomphe de la cause juste ne revêt pas une
importance vitale à mes yeux et je suis tout disposé
à l'abandonner à la majorité. De ce fait,
son caractère obligatoire n'excède jamais le terrain
de l'opportunité. Qui plus est, voter pour ce qui est juste
ne revient pas à faire avancer la cause de la justice.
Tout au plus est-ce exprimer faiblement, à l'intention
des hommes, notre désir de la voir triompher. Un homme
sage ne consentira pas à l'abandonner aux aléas
du hasard, pas plus qu'il ne se satisfera de ce qu'elle l'emporte
par l'intermédiaire de la majorité.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Le plus grand nombre est bête, il est vénal,
il est haineux. C'est le plus grand nombre qui est tout. Voilà
la démocratie, celle que nous avons, du moins. Et toute
autre forme de régime ne vaut probablement pas mieux, pour
d'autres raisons ? La sagesse : supporter, sans participer.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Les six millions de voix refroidirent Pécuchet
à l'encontre du Peuple, et Bouvard et lui étudièrent
la question du suffrage universel.
 Appartenant à tout le monde, il ne peut avoir d'intelligence.
Un ambitieux le mènera toujours, les autres obéiront
comme un troupeau, les électeurs n'étant pas même
contraints de savoir lire : c'est pourquoi, suivant Pécuchet,
il y avait eu tant de fraudes dans l'élection présidentielle.
 "Aucune, reprit Bouvard ; je crois plutôt à
la sottise du Peuple. Pense à tous ceux qui achètent
la Revalescière, la pommade Dupuytren, l'eau des châtelaines,
etc. Ces nigauds forment la masse électorale, et nous subissons
leur volonté. Pourquoi ne peut-on se faire, avec des lapins,
trois mille livres de rente ? C'est qu'une agglomération
trop nombreuse est une cause de mort. De même, par le fait
seul de la foule, les germes de bêtise qu'elle contient
se développent et il en résulte des effets incalculables.

 - Ton scepticisme m'épouvante !" dit Pécuchet.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 La démocratie ne régnera que le jour où
mille culs-de-jatte persuaderont le reste des hommes de se couper
les jambes. Car c'est au profit d'un petit nombre qu'elle tend,
 -  d'un vilain petit nombre.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 La démocratie est l'état naturel des citoyens
aptes à tout. Dès qu'ils sont en nombre, ils s'agglomèrent
et forment une démocratie. Le mécanisme du suffrage
universel leur convient à merveille, parce qu'il est logique
que ces citoyens interchangeables finissent par s'en remettre
au vote pour décider ce qu'ils seront chacun. Ils pourraient
aussi bien employer le procédé de la courte paille.
Il n'y a pas de démocratie populaire, une véritable
démocratie du peuple est inconcevable. L'homme du peuple,
n'étant pas apte à tout, ne saurait parler que de
ce qu'il connaît, il comprend parfaitement que l'élection
favorise les bavards. Qui bavarde sur le chantier est un fainéant.
Laissé à lui-même, l'homme du peuple aurait
la même conception du pouvoir que l'aristocrate  -  auquel
il ressemble d'ailleurs par tant de traits  -  ,
le pouvoir est à qui le prend, à qui se sent la
force de le prendre.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 On ne peut pas trop se fier à Jean-Jacques Rousseau.
Il est le père de la démocratie moderne, c'est vrai,
mais il ne s'est jamais beaucoup soucié de ses enfants.  
    --- André FROSSARD   
%
 Ce serait une erreur de croire que les abstentionnistes
ne votent pas : ils font simplement baisser le niveau de
la majorité, donc ils favorisent le plus fort et votent
tout de même à leur façon.  
    --- André FROSSARD   
%
 Avec la proportionnelle, le pouvoir se trouve à
la merci de ces "petits groupes charnières" qui font chanter
les grandes formations et qui finissent par avoir dix fois plus
d'importance que le corps électoral ne leur en a accordé.  
    --- André FROSSARD   
%
 Je ne puis pardonner à Descartes : il aurait
bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu ;
mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude,
pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il
n'a plus que faire de Dieu.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Cartésien adj. Relatif à Descartes, philosophe
réputé, auteur de la célèbre proposition
Cogito ergo sum  -  par laquelle il se plaisait à
penser qu'il avait démontré la réalité
de l'existence humaine. La proposition peut être cependant
améliorée de la manière suivante : Cogito
cogito ergo cogito sum  -  "Je pense que je pense, donc
je pense que je suis" ; une approche plus poussée
vers la certitude que tout ce qui n'a jamais été
écrit jusque-là dans toute la philosophie.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 J'aime Descartes à cause de la pureté simple
et grandiose de son être, de la fermeté de sa pensée,
de l'impression générale d'honnêteté
et d'ordre qui paraît dans toute sa démarche..  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce serait un puissant briseur de mythes, l'auteur qui
parviendrait à défaire le lien établi entre
l'adjectif "cartésien" et la notion de rationalité,
qui nous délivrerait de l'usage habituel de "cartésien"
comme synonyme de "méthodique" et de "logiquement cohérent".
Une grave erreur historique serait ainsi effacée et, d'autre
part, on verrait disparaître un tic de langage bien superflu
 -  l'invocation du patronage cartésien à
propos de toute démarche impliquant apparemment quelque
suite dans les idées.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Je n'ignore pas cette croyance fort répandue :
les affaires de ce monde sont gouvernées par la fortune
et par Dieu ; les hommes ne peuvent rien y changer, si grande
soit leur sagesse ; il n'existe même aucune sorte de
remède ; par conséquent il est tout à
fait inutile de suer sang et eau à vouloir les corriger,
et il vaut mieux s'abandonner au sort. Opinion qui a gagné
du poids en notre temps, à cause des grands bouleversements
auxquels on assiste chaque jour, et que nul n'aurait jamais pu
prévoir. Si bien qu'en y réfléchissant moi-même,
il m'arrive parfois de l'accepter. Cependant, comme notre libre
arbitre ne peut disparaître, j'en viens à croire
que la fortune est maîtresse de la moitié de nos
actions, mais qu'elle nous abandonne à peu près
l'autre moitié.  
    --- MACHIAVEL   
%
 Les rivières sont des chemins qui marchent, et
qui portent où l'on veut aller.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Nous ne parlons guère de Pascal que pour nous gausser
de la sottise de ses annotateurs. Par exemple, Ernest Havet sur :
Les rivières sont des chemins qui marchent. "Oui, mais
à condition qu'ils aillent où l'on veut aller.".  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Ou le monde subsiste par sa propre nature, par ses lois
physiques, ou un Etre suprême l'a formé suivant ses
lois suprêmes : dans l'un et l'autre cas, ces lois
sont immuables ; dans l'un et l'autre cas, tout est nécessaire ;
les corps graves tendent vers le centre de la terre, sans pouvoir
tendre à se reposer en l'air. Les poiriers ne peuvent jamais
donner d'ananas. L'instinct d'un épagneul ne peut être
l'instinct d'une autruche. Tout est arrangé, engendré,
limité.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Il est contradictoire que ce qui fut hier n'ait pas été,
que ce qui est aujourd'hui ne soit pas ; il est aussi contradictoire
que ce qui doit être puisse ne pas devoir être.
 Si tu pouvais déranger la destinée d'une mouche,
il n'y aurait nulle raison qui pût t'empêcher de faire
le destin de toutes les autres mouches, de tous les autres animaux,
de tous les hommes, de toute la nature ; tu te trouverais
au bout du compte plus puissant que Dieu.  
    --- VOLTAIRE  
%
 Il y a des gens qui vous disent : "Ne croyez pas au
fatalisme ; car alors tout vous paraissant inévitable,
vous ne travaillerez à rien, vous croupirez dans l'indifférence,
vous n'aimerez ni les richesses, ni les honneurs, ni les louanges ;
vous ne voudrez rien acquérir, vous vous croirez sans mérite
comme sans pouvoir ; aucun talent ne sera cultivé,
tout périra par l'apathie."
 Ne craignez rien, messieurs, nous aurons toujours des passions
et des préjugés, puisque c'est notre destinée
d'être soumis aux préjugés et aux passions ;
nous saurons bien qu'il ne dépend pas plus de nous d'avoir
beaucoup de mérite et de grands talents que d'avoir les
cheveux bien plantés et la main belle ; nous serons
convaincus qu'il ne faut tirer vanité de rien, et cependant
nous aurons toujours de la vanité.  
    --- Sur le raisonnement paresseux   
%
 Il faut être caillou dans le torrent, garder ses
veines et rouler sans être dissous (ni dissolu).  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 De certaines destinées ont deux noms. Le premier
est comme la préface de l'autre. On est Poquelin avant
d'être Molière, Arouet avant d'être Voltaire,
et Bonaparte avant d'être Napoléon. Cela tient à
ce que ces hommes ont deux aspects, valet de chambre et génie,
courtisan et roi, soldat républicain et empereur.  
    --- Victor HUGO   
%
 La prétention, ultime consolation. - Si l'on s'arrange
pour voir dans un insuccès, dans son insuffisance intellectuelle
ou sa maladie le sort auquel on était prédestiné,
l'épreuve que l'on doit subir, ou le châtiment mystérieux
d'une faute antérieure, on se rend par là son propre
être plus intéressant et l'on s'élève
par la pensée au-dessus de ses semblables. Le pécheur
orgueilleux est une figure connue dans toutes les sectes religieuses.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le fataliste. - Il faut que tu croies à la fatalité
- la science peut t'y forcer. Ce qui naîtra alors de cette
croyance - la lâcheté et la résignation ou
la grandeur et la droiture - témoignera du terrain où
cette semence fut jetée ; mais non point de la semence
elle-même, car d'elle toutes choses peuvent sortir.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Dans ma jeunesse, la question qui me préoccupait
au premier chef était la suivante : "Quel genre d'homme
vais-je décider d'être ?" A dix-neuf
ans, c'est une question que l'on se pose. A trente-neuf,
on dit : "Si seulement le destin n'avait pas fait de moi
l'homme que je suis."  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 Destinée n. Justification du Tyran pour ses crimes,
excuse de l'imbécile pour ses échecs.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Ce qu'on appelle la destinée physiologique n'est
souvent qu'une mauvaise hygiène. Ce qu'on appelle la destinée
psychologique n'est souvent qu'une mauvaise éducation.
Ce qu'on appelle la fatalité n'est le plus souvent qu'incurie
politique et légèreté. S'il est une leçon
que l'âge apporte à celui qui lit et réfléchit,
c'est que les possibilités de l'homme, dans le bien, sont
infinies ; alors que ses possibilités dans le vice
et dans le mal sont assez courtes ; c'est que sa responsabilité
est entière et reste entière.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Le fatalisme est une disposition à croire que tout
ce qui arrivera dans le monde est écrit ou prédit,
de façon que, quand nous le saurions, nos efforts ne feraient
pas manquer la prédiction, mais au contraire, par détour
imprévu, la réaliseraient. Cette doctrine est souvent
présentée théologiquement, l'avenir ne pouvant
pas être caché à un Dieu très clairvoyant ;
il est vrai que cette belle conclusion enchaîne Dieu aussitôt ;
sa puissance réclame contre la prévoyance. Mais
nous avons jugé ces jeux de paroles. Bien loin qu'ils fondent
jamais quelque croyance, ils ne sont supportés que parce
qu'ils mettent en argument d'apparence ce qui est déjà
l'objet d'une croyance ferme, et mieux fondée que sur des
mots. Le fatalisme ne dérive pas de la théologie ;
je dirais plutôt qu'il la fonde. Selon le naïf polythéisme,
le destin est au-dessus des dieux.  
    --- ALAIN   
%
 Ces temps de destruction mécanique ont offert des
exemples tragiques de cette détermination par les causes
sur lesquels des millions d'hommes ont réfléchi
inévitablement. Un peu moins de poudre dans la charge,
l'obus allait moins loin, j'étais mort. L'accident le plus
ordinaire donne lieu a des remarques du même genre ;
si ce passant avait trébuché, cette ardoise ne l'aurait
point tué. Ainsi se forme l'idée déterministe
populaire, moins rigoureuse que la scientifique, mais tout aussi
raisonnable. Seulement l'idée fataliste s'y mêle,
on voit bien pourquoi, à cause des actions et des passions
qui sont toujours mêlées aux événements
que l'on remarque. On conclut que cet homme devait mourir là,
et que c'était sa destinée, ramenant ainsi en scène
cette opinion de sauvage que les précautions ne servent
à rien contre le dieu, ni contre le mauvais sort. Cette
confusion est cause que les hommes peu instruits acceptent volontiers
l'idée déterministe ; elle répond au
fatalisme, superstition bien forte et bien naturelle comme on
l'a vu.  
    --- ALAIN   
%
 Je vois des gens, qui, avec assez de moyens, ne sont arrivés
qu'à une maigre et petite place. Mais que voulaient-ils ?
Leur franc parler ? Ils l'ont. Ne point flatter ? Ils
n'ont point flatté et ne flattent point. Pouvoir par le
jugement, par le conseil, par le refus ? Ils peuvent. Il
n'a point d'argent ? Mais n'a-t-il pas toujours méprisé
l'argent ? L'argent va à ceux qui l'honorent. Trouvez-moi
seulement un homme qui ait voulu s'enrichir et qui ne l'ait point
pu. Je dis qui ait voulu. Espérer ce n'est pas vouloir.
Le poète espère cent mille francs ; il ne sait
de qui ni comment ; il ne fait pas le moindre petit mouvement
vers ces cent mille francs ; aussi ne les a-t-il point. Mais
il veut faire de beaux vers. Aussi les fait-il. Beaux selon sa
nature, comme le crocodile fait ses écailles et l'oiseau
ses plumes. On peut appeler aussi destinée cette puissance
intérieure qui finit par trouver passage ; mais il
n'y a de commun que le nom entre cette vie si bien armée
et composée, et cette tuile de hasard qui tua Pyrrhus.
Ce que m'exprimait un sage, disant que la prédestination
de Calvin ne ressemblait pas mal à la liberté elle-même.  
    --- ALAIN   
%
 Je n'ai pas présente à l'esprit la définition
du Fataliste par Tolstoï - j'ignore même si cette question
existe dans son oeuvre, mais elle en émane du moins, et
je croirais volontiers que, être fataliste, ce n'est pas
tellement croire en Dieu. C'est bien plutôt, je pense, une
sorte de lassitude, une forme du dilettantisme et un manque presque
total de volonté. C'est une espèce de renoncement
que l'on veut croire momentané et, tandis que la confiance
en soi somnole, c'est une résignation passive et presque
souriante en présence d'une volonté supérieure
- que l'on suppose bienfaisante, que les uns appellent la volonté
du Destin, d'autres la volonté de Dieu, et qui n'est, somme
toute, en général que la volonté des autres.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Que pense la toile sur laquelle on est en train de peindre
un chef-d'oeuvre ? "On me salit. On me brutalise. On me cache."
Ainsi l'homme boude son beau destin.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 De tous les problèmes qui nous embrouillent, celui
du destin et du libre arbitre est le plus obscur. Quoi ?
la chose est écrite à l'avance et nous pouvons l'écrire,
nous pouvons en changer la fin ? La vérité
est différente. Le temps n'est pas. Il est notre pliure.
Ce que nous croyons exécuter à la suite, s'exécute
d'un bloc. Le temps nous le dévide. Notre oeuvre est déjà
faite. Il ne nous reste pas moins à la découvrir.
C'est cette participation passive qui étonne. Et il y a
de quoi. Elle laisse le public incrédule. Je décide
et je ne décide pas. J'obéis et je dirige. C'est
un grand mystère.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Alors, Ulrich se souhaita d'être un homme sans qualités.
Mais les choses ne sont pas tellement différentes chez
les autres hommes. Au fond, il en est peu qui sachent encore,
dans le milieu de leur vie, comment ils ont bien pu en arriver
à ce qu'ils sont, à leurs distractions, leur conception
du monde, leur femme, leur caractère, leur profession et
leurs succès ; mais ils ont le sentiment de n'y plus
pouvoir changer grand-chose. On pourrait même prétendre
qu'ils ont été trompés, car on n'arrive jamais
à trouver une raison suffisante pour que les choses aient
tourné comme elles l'ont fait ; elles auraient aussi
bien pu tourner autrement ; les événements
n'ont été que rarement l'émanation des hommes,
la plupart du temps ils ont dépendu de toutes sortes de
circonstances, de l'humeur, de la vie et de la mort d'autres hommes,
ils leur sont simplement tombés dessus à un moment
donné. Dans leur jeunesse, la vie était encore devant
eux comme un matin inépuisable, de toutes parts débordante
de possibilités et de vide, et à midi déjà
voici quelque chose devant vous qui est en droit d'être
désormais votre vie, et c'est aussi surprenant que le jour
où un homme est assis là tout à coup, avec
qui l'on a correspondu pendant vingt ans sans le connaître,
et qu'on s'était figuré tout différent. Mais
le plus étrange est encore que la plupart des hommes ne
s'en aperçoivent pas ; ils adoptent l'homme qui est
venu à eux, dont la vie s'est acclimatée en eux,
les événements de sa vie leur semblent désormais
l'expression de leurs qualités, son destin est leur mérite
ou leur malchance. Il leur est arrivé ce qui arrive aux
mouches avec le papier tue-mouches : quelque chose s'est
accroché à eux, ici agrippant un poil, là
entravant leurs mouvements, quelque chose les a lentement emmaillotés
jusqu'à ce qu'ils soient ensevelis dans une housse épaisse
qui ne correspond plus que de très loin à leur forme
primitive. Dès lors, ils ne pensent plus qu'obscurément
à cette jeunesse où il y avait eu en eux une force
de résistance : cette autre force qui tiraille et
siffle, qui ne veut pas rester en place et déclenche une
tempête de tentatives d'évasion sans but ; l'esprit
moqueur de la jeunesse, son refus de l'ordre établi, sa
disponibilité à toute espèce d'héroïsme,
au sacrifice comme au crime, son ardente gravité et son
inconstance, tout cela n'est que tentatives d'évasion.  
    --- Robert MUSIL   
%
 Puissance sans victoires. - La connaissance la plus forte
(celle de l'absolue non-liberté de la volonté humaine)
est pourtant celle qui aboutit aux résultats les plus pauvres :
car elle a toujours eu l'adversaire le plus fort, la vanité
humaine.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le "déterministe" nous jure que si l'on savait
tout, l'on saurait aussi déduire et prédire la conduite
de chacun en toute circonstance, ce qui est assez évident.
Le malheur veut que "tout savoir" n'ait aucun sens.  
    --- Paul VALERY   
%
 Le "déterminisme" est la seule manière de
se représenter le monde. Et l'indéterminisme, la
seule manière d'y exister.  
    --- Paul VALERY   
%
 Le déterminisme auquel il semble bien que notre
esprit, non plus que notre corps, ne puisse échapper est
si subtil, répond à des causes si diverses, si multiples
et si ténues, qu'il paraît enfantin de chercher à
les dénombrer, et plus encore à les réduire.
Et je consens que l'homme ne soit jamais libre ; mais le
plus simple et le plus honnête est de faire comme s'il l'était.
On risque moins, ainsi, de se blouser qu'en cherchant sans cesse
à reconnaître dans tous ses gestes une grossière
motivation et influence de sa race, de son hérédité
et de l'époque et du climat.  
    --- André GIDE   
%
 Ce grand precepte est souvent allegué en Platon :
"Fay ton faict et te cognoy." Chascun de ces deux membres enveloppe
generallement tout nostre devoir, et semblablement enveloppe son
campagnon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa
premiere leçon, c'est cognoistre ce qu'il est et ce qui
luy est propre. Et qui se cognoist, ne prend plus l'estranger
faict pour le sien ; s'ayme et se cultive avant toute autre
chose ; refuse les occupations superflues et les pensées
et propositions inutiles.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Nos devoirs  -  ce sont les droits que les autres
ont sur nous.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Devoirs absolus.  -  Tous les hommes qui sentent
qu'il leur faut les paroles et les intonations les plus violentes,
les attitudes et les gestes les plus éloquents, pour pouvoir
agir, les politiciens révolutionnaires, les socialistes,
les prédicateurs, avec ou sans christianisme, tous ceux
qui veulent éviter les demi-succès : tous ceux-là
parlent de "devoirs", et toujours de devoirs qui ont un caractère
absolu  -  autrement ils n'auraient point droit à
leur pathos démesuré : ils le savent fort bien.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Si tu veux être sûr de toujours faire ton
devoir, fais ce qui t'es désagréable.  
    --- Jules RENARD   
%
 Au-dessus du devoir, il y a le bonheur.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le devoir est une chose triste, laide, inventée
pour abêtir et duper les hommes. Rien que le mot est disgracieux.
Il éveille la contrainte, l'ennui. Il n'y a que les sots
pour le prendre au sérieux. Regardez la figure niaise d'un
homme qui se félicite d'accomplir son devoir. Voyez comme
sont peu aimables les femmes qui n'ont jamais oublié leur
devoir. Rappelez-vous toutes les phrases hypocrites et creuses
avec lesquelles on célèbre le devoir. Il en est
du devoir comme de la vertu : chose et mot, c'est haïssable.
Le plaisir est bien autrement important. Il ne faut jamais hésiter
à le faire passer avant. La vie est si courte, si rapide !
Serons-nous encore là demain ? Il faut détester
tout ce qui, sous une forme ou une autre, s'oppose au plaisir.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'impossibilité où je suis de prouver que
Dieu n'est pas me découvre son existence.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La religion est vraie, ou elle est fausse : si elle
n'est qu'une vaine fiction, voilà, si l'on veut, soixante
années perdues pour l'homme de bien, pour le chartreux
ou le solitaire : ils ne courent pas un autre risque. Mais
si elle est fondée sur la vérité même,
c'est alors un épouvantable malheur pour l'homme vicieux :
l'idée seule des maux qu'il se prépare me trouble
l'imagination ; la pensée est trop faible pour les
concevoir, et les paroles trop vaines pour les exprimer. Certes,
en supposant même dans le monde moins de certitude qu'il
ne s'en trouve en effet sur la vérité de la religion,
il n'y a point pour l'homme un meilleur parti que la vertu.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Mystère de la Grâce. On voit dans la même
chaire Dieu tendre la main au pécheur le plus endurci et
réprouver le juste pour quelques fautes.  
    --- MONTESQUIEU  
%
 Je ne voudrais pas avoir affaire à un prince athée,
qui trouverait son intérêt à me faire piler
dans un mortier : je suis bien sûr que je serais pilé.
Je ne voudrais pas, si j'étais souverain, avoir affaire
à des courtisans athées, dont l'intérêt
serait de m'empoisonner : il me faudrait prendre au hasard
du contre-poison tous les jours. Il est donc absolument nécessaire
pour les princes et pour les peuples, que l'idée d'un Etre
suprême, créateur, gouverneur, rémunérateur
et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits.  
    --- Nécessité pratique de l'existence   
%
 Le grand objet, le grand intérêt, ce me semble,
n'est pas d'argumenter en métaphysique, mais de peser s'il
faut, pour le bien commun de nous autres animaux misérables
et pensants, admettre un Dieu rémunérateur et vengeur,
qui nous serve à la fois de frein et de consolation, ou
de rejeter cette idée en nous abandonnant à nos
calamités sans espérances, et à nos crimes
sans remords.  
    --- Nécessité pratique de l'existence  
%
 Dès que les hommes vécurent en société,
ils durent s'apercevoir que plusieurs coupables échappaient
à la sévérité des lois. Ils punissaient
les crimes publics : il fallut établir un frein pour
les crimes secrets ; la religion seule pouvait être
ce frein.  
    --- Insuffisance de la justice  
%
 Nous sommes des êtres intelligents ; or des
êtres intelligents ne peuvent avoir été formés
par un être brut, aveugle, insensible : il y a certainement
quelques différences entre les idées de Newton et
des crottes de mulet. L'intelligence de Newton venait donc d'une
autre intelligence.  
    --- Le supérieur ne peut  
%
 Quand nous voyons une belle machine, nous disons qu'il
y a un bon machiniste, et que, ce machiniste a un excellent entendement.
Le monde est assurément une machine admirable : donc
il y a dans le monde une admirable intelligence, quelque part
où elle soit. Cet argument est vieux et n'en est pas plus
mauvais.  
    --- Argument d'intention : Toute  
%
 ... Spinosa lui-même admet cette intelligence, c'est
la base de son système. Vous ne l'avez pas lu et il faut
le lire. Pourquoi voulez-vous aller plus loin que lui, et plonger
par un sot orgueil votre faible raison dans un abîme où
Spinosa n'a pas osé descendre ?  
    --- Argument d'autorité :
   
%
 L'erreur n'était pas d'adorer un morceau de bois
ou de marbre, mais d'adorer une fausse divinité représentée
par ce bois et ce marbre. La différence entre eux et nous
n'est pas qu'ils eussent des images et que nous n'en ayons point :
la différence est que leurs images figuraient des êtres
fantastiques dans une religion fausse, et que la nôtre figurent
des êtres réels dans une religion véritable.  
    --- Sur les idolâtres :
   
%
 Il y a des gens dont il ne faut pas dire qu'ils craignent
Dieu, mais bien qu'ils en ont peur.  
    --- Denis DIDEROT   
%
 Le Dieu des chrétiens est un père qui fait
grand cas de ses pommes, et fort peu de ses enfants.  
    --- Denis DIDEROT   
%
 A propos des choses de ce bas monde, qui vont de
mal en pis, M... disait : "J'ai lu quelque part, qu'en politique
il n'y avait rien de si malheureux pour les peuples que les règnes
trop longs. J'entends dire que Dieu est éternel ;
tout est dit."  
    --- CHAMFORT   
%
 La Fontaine, entendant plaindre le sort des damnés
au milieu du feu de l'Enfer, dit : "Je me flatte qu'ils s'y
accoutument, et qu'à la fin, ils sont là comme le
poisson dans l'eau."  
    --- CHAMFORT   
%
 M. Arago avait une anecdote favorite. Quand Laplace eut
publié sa Mécanique céleste, disait-il, l'empereur
le fit venir. L'empereur était furieux. "  -  Comment,
s'écria-t-il en apercevant Laplace, vous fait tout le système
du monde, vous donnez les lois de toute la création et
dans tout votre livre vous ne parlez pas une seule fois de l'existence
de Dieu !  -  Sire, répondit Laplace, je n'avais
pas besoin de cette hypothèse."  
    --- Victor HUGO   
%
 L'Eternel a créé le monde tel qu'il
est : il montrerait beaucoup de sagesse si, pendant le temps
strictement nécessaire pour briser d'un coup de marteau
la tête d'une femme, il oubliait sa majesté sidérale,
afin de nous révéler les mystères au milieu
desquels notre existence étouffe, comme un poisson au fond
d'une barque.  
    --- Le Comte de LAUTREAMONT   
%
 "Est-il vrai que le bon Dieu est présent partout ?
demanda une petite fille à sa mère : mais je
trouve cela inconvenant."  -  Une indication pour les
philosophes !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Luttes nouvelles.  -  Après la mort de
Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre
dans une caverne,  -  une ombre énorme et épouvantable.
Dieu est mort : mais, à la façon dont sont
faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des
milliers d'années des cavernes où l'on montrera
son ombre.  -  Et nous  -  il nous faut encore
vaincre son ombre !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Si Dieu avait voulu devenir un objet d'amour, il aurait
dû commencer par renoncer à rendre la justice :
 -  un juge, et même un juge clément, n'est
pas un objet d'amour.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Dieu est le seul être qui, pour régner, n'ait
même pas besoin d'exister.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Quand le bon Dieu, sortant enfin de son antique routine,
se résolut à mettre un peu d'ordre dans le chaos,
il s'occupa d'abord de séparer la Lumière des Ténèbres.
 Les mémoires de l'époque sont assez chiches de
détails sur la façon dont s'opéra cette division.
 Les ecclésiastiques prétendent que le Créateur
n'eut qu'à prononcer les mots Fiat lux et que la lumière
fut ; mais pour tout homme un peu versé dans la pratique
des sciences physiques, il est clair que les choses ne s'accomplirent
pas aussi facilement.
 Quoi qu'il en soit, l'opération laissa fort à désirer.
 La science actuelle, qui a déjà construit des appareils
photographiques infiniment plus parfaits que l'oeil humain, est
en train de reconnaître le peu de conscience ou tout au
moins l'étrange ignorance dont Dieu fit preuve en cette
occasion.
 Dieu, à qui nous reconnaissons, d'ailleurs, une foule
d'autres mérites, a agi, dans tout cela, comme un enfant.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Dieu, celui que tout le monde connaît, de nom.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je croirai à tout ce qu'on voudra, mais la justice
de ce monde ne me donne pas une rassurante idée de la justice
dans l'autre. Dieu, je le crains, fera encore des bêtises :
il accueillera les méchants au Paradis et foutra les bons
dans l'Enfer.
 Un chat qui dort vingt heures sur vingt-quatre, c'est peut-être
ce que Dieu a fait de plus réussi.
 Oui, Dieu existe, mais il n'y entend rien, pas plus que nous.
 Ah ! il l'a, lui, le divin sourire !
 C'est à nous de réparer ses injustices ! Nous
sommes plus que des dieux.
 J'ignore s'il existe, mais il vaudrait mieux, pour son honneur,
qu'il n'existât point.  
    --- Jules RENARD   
%
 Dieu, modeste, n'ose pas se vanter d'avoir créé
le monde.  
    --- Jules RENARD   
%
 Très attaqué, Dieu se défend par
le mépris, en ne répondant pas.  
    --- Jules RENARD   
%
 On raconte que Dieu a créé l'homme à
son image. Il nous a donné là une faible idée
de ses charmes. Toutes fois que je rencontre N... qui est bas
de ventre, court-jambé, avec une tête piriforme et
des aubergines pour mains, j'ai envie de lui dire : Est-ce
que vous n'avez pas honte de représenter la divinité
de cette façon-là ?  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 C'est encore adorer ses Dieux que de leur jeter des pierres.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Que m'importe que Dieu n'existe pas ! Dieu donne
à l'homme de la divinité.  
    --- Antoine de SAINT-EXUPERY   
%
 Il est bon de laisser croire à l'enfant que Dieu
le voit, car il doit agir comme sous le regard de Dieu et faire
de cela sa conscience.  
    --- André GIDE   
%
 L'homme vaut-il la peine de déranger un Dieu pour
le "créer" ?  
    --- Paul VALERY   
%
 EX NIHILO : Dieu a tout fait de rien. Mais le rien
perce.  
    --- Paul VALERY   
%
 Je me disais en descendant qu'il n'est décidément
pas drôle d'être né à cette époque,
bien que toutes aient dû se valoir et avoir leurs événements
embêtants. Etre né Adam, par exemple, Adam avec Eve.
Il est vrai qu'ils devaient être assommés par le
Seigneur, avec ses observations à chaque instant :
"Vous abîmez le jardin. Marchez dans les allées.
Faites attention aux fleurs, etc., etc." Pas moyen d'être
tranquilles.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Non seulement Dieu n'existe pas, mais essayez d'avoir
un plombier pendant le week-end !  
    --- Woody ALLEN   
%
 Je ne puis me satisfaire du nihilisme absolu de Roger
Martin du Gard. Je ne m'en écarte pas, ne le repousse pas,
mais prétends passer outre, le traverser. C'est par-delà,
que je veux reconstruire. Il me parait monstrueux que l'homme
ait besoin de l'idée de Dieu pour se sentir d'aplomb sur
terre ; qu'il soit forcé de consentir à des
absurdités pour édifier quoi que ce soit de solide ;
qu'il se reconnaisse incapable d'exiger de lui-même ce qu'obtenaient
artificiellement de lui des convictions religieuses, de sorte
qu'il laisse aller tout à néant sitôt qu'on
dépeuple son ciel.  
    --- André GIDE   
%
 L'infini n'existe pas. L'univers est fini quoique illimité.
Il n'y a pas de place pour Dieu.  
    --- Raymond QUENEAU  
%
 Tout au long de l'Origine des espèces, Darwin insiste
sur les imperfections de structure et de fonction du monde vivant.
Il ne cesse de souligner les bizarreries, les solutions étranges
qu'un Dieu raisonnable n'aurait jamais utilisées. Et l'un
des meilleurs arguments contre la perfection vient de l'extinction
des espèces. On peut estimer à plusieurs millions
le nombre des espèces animales vivant actuellement. Mais
le nombre des espèces qui ont disparu après avoir
peuplé la terre à une époque ou une autre
doit, d'après un calcul de G.G. Simpson, s'élever
à quelques cinq cents millions au moins.  
    --- Contre l'argument d'intention :
   
%
 Si Dieu nous avait vraiment fait à son image, il
y aurait moins de chirurgiens esthétiques.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Dieu voit tout, entend tout, confond tout.  
    --- Roland TOPOR   
%
 Que Dieu existe ou non n'a aucune importance. Il ne s'ensuit
aucune influence sur notre conduite.
 Dieu, par définition, est inconnaissable. Sa nature et,
à plus forte raison, ses desseins, ne nous sont pas accessibles.
Si vraiment il existe et nous a voulus tels que nous sommes, c'est-à-dire
incapables de le concevoir tout en étant torturés
par la question de son existence et par celle de nos fins dernières,
laissons-lui le soin de gérer tout cela. Il l'a créé ?
Qu'il s'en démerde !  
    --- François CAVANNA   
%
 Si vraiment ce monde où nous sommes a été
créé, créé par quelqu'un qu'il est
convenu d'appeler Dieu, alors tout se passe comme si ce personnage
doué du pouvoir de créer (par définition)
était un arriéré mental incohérent
et brouillon, un impulsif à tendances sadiques, un caractériel
infantile... En somme, un enfant dieu débile et dangereux
qu'on aurait isolé dans un coin lointain d'univers pour
qu'il fiche la paix au monde en faisant joujou sur son tas de
sable à arracher les pattes des mouches. Les mouches, c'est
nous.  
    --- François CAVANNA   
%
 Dieu ne recevra jamais le prix Nobel de la paix.  
    --- José ARTUR   
%
  "Mon Dieu, soyez humain" est l'invocation la plus bête
du monde.  
    --- José ARTUR   
%
 Dieu a créé l'homme à son image,
et la gonzesse à l'idée qu'il s'en faisait, ça
peut paraître dégueulasse, mais ça partait
d'un bon sentiment.  
    --- COLUCHE   
%
 Il m'arrive d'éprouver une sorte de stupeur à
l'idée qu'il ait pu exister des "fous de Dieu", qui lui
ont tout sacrifié, à commencer par leur raison.
Souvent il me semble entrevoir comment on peut se détruire
pour lui dans un élan morbide, dans une désagrégation
de l'âme et du corps. D'où l'aspiration immatérielle
à la mort. Il y a quelque chose de pourri dans l'idée
de Dieu !  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il tombe sous le sens que Dieu était une solution,
et qu'on n'en trouvera jamais une aussi satisfaisante.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Qu'adviendra-t-il de l'humanité si, dans un siècle
ou dans un millénaire, l'homme s'avisait avec certitude
que Dieu n'existe pas ? Les religions  -  et les
guerres qu'elles ont suscitées  -  deviendraient
sans objet, la moitié de la littérature n'aurait
plus aucun sens, des centaines de partitions seraient privées
de leur substance, des milliers de tableaux deviendraient ridicules,
les trois quarts de la morale s'écrouleraient tandis que
des dizaines de milliers de professionnels de la génuflexion
se retrouveraient à la rue. On conserverait la foi pour
moins que cela.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Si Dieu n'existe pas, je plains ceux qui, pour conquérir
là-haut un paradis hypothétique, ont transformé
ici-bas leur vie en un enfer de contraintes et de renoncements.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Si l'homme est vraiment ce que le créateur a fait
de mieux, ça ne vaut pas la peine de s'agenouiller devant
lui.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Je ne puis pas encore m'expliquer aujourd'hui, à
cinquante-deux ans, la disposition au malheur que me donne le
dimanche. Cela est au point que je suis gai et content ;
au bout de deux cents pas dans la rue, je m'aperçois que
les boutiques sont fermées : "Ah ! c'est dimanche",
me dis-je.
 A l'instant toute disposition intérieure au bonheur
s'envole.
 Est-ce envie pour l'air content des ouvriers ou des bourgeois
endimanchés ?
 J'ai beau me dire : "Mais je perds ainsi cinquante-deux
dimanches par an et peut-être dix fêtes." La chose
est plus forte que moi. Je n'ai de ressource qu'un travail obstiné.  
    --- STENDHAL   
%
 L'oisiveté pèse aux races laborieuses. Ce
fut un coup de maître de l'instinct anglais de faire du
dimanche une journée si sainte et si ennuyeuse, que l'Anglais
en vient, à son insu, à désirer le retour
des jours de semaine et de travail.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Je sais pourquoi je déteste le dimanche :
c'est parce que des gens , occupés à rien, se permettent
d'être oisifs comme moi.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le dimanche est ennuyeux parce qu'il est dimanche pour
tout le monde.  
    --- Georges PERROS   
%
 Pourquoi donc pense-t-on plus respectueusement du philosophe
que du bel esprit ? Ne serait-ce pas que le philosophe, ou
bien l'homme au système, nous proposant une connaissance
expresse de nous-mêmes, nous fait penser que nous sommes
difficiles à comprendre, et par là importants ;
au lieu que le philosophe qui fait un poème ou une ode
semble ne nous exposer à nos propres yeux que pour nous
divertir : ce dessein-là ne nous fait pas tant d'honneur.  
    --- MARIVAUX   
%
 L'exception vient toujours de la raison de la règle.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La règle nous délivre des fantaisies, des
tourments de l'incertitude.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Les règles sont utiles aux talents et nuisibles
aux génies.  
    --- Victor HUGO   
%
 EXCEPTION. - Dites qu'elle confirme la règle. Ne
vous risquez pas à expliquer comment.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Un système, c'est une épopée sur
les choses. Il serait aussi absurde qu'un système renfermât
le dernier mot de la réalité qu'il le serait qu'une
épopée épuisât le cercle entier de
la beauté. Une épopée est d'autant plus parfaite
qu'elle correspond mieux à toute l'humanité, et
pourtant, après la plus parfaite épopée,
le thème est encore nouveau et peut prêter à
d'infinies variations, selon le caractère individuel du
poète, son siècle ou la nation à laquelle
il appartient.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Si une doctrine est vraie, il ne faut pas la craindre ;
si elle est fausse, encore moins, car elle tombera d'elle-même.
Ceux qui parlent de doctrines dangereuses devraient toujours ajouter
dangereuses pour moi.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Qui veut de la cohérence ? Les imbéciles
et les doctrinaires, les ennuyeux qui poussent leurs principes
jusqu'à la fin amère de l'action, jusqu'à
la reductio ad absurdum de leur mise en pratique. Pas moi.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Les gens qui veulent suivre des règles m'amusent,
car il n'y a dans la vie que de l'exceptionnel.  
    --- Jules RENARD   
%
 On attaque les principes au nom de l'homme. Mais l'homme
est tel à cause des principes qui l'ont formé. Ainsi
chaque libération est destructive.  
    --- Antoine de SAINT-EXUPERY   
%
 Un homme compétent est un homme qui se trompe selon
les règles.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce n'est pas l'Utopie qui est dangereuse, car elle est
indispensable à l'évolution. C'est le dogmatisme,
que certains utilisent pour maintenir leur pouvoir, leurs prérogatives
et leur dominance.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Il y a de grandes perturbations dans le monde, qui sont
dues à la coexistence de "vérités", d'idéaux,
de valeur comparable, et difficiles à distinguer.
 Les débats les plus violents ont toujours eu lieu entre
des doctrines ou des dogmes très peu différents.
 Lutte plus aigre et plus aiguë entre orthodoxes et hérétiques
qu'entre l'orthodoxe et le païen.
 Le degré de précision d'une dispute en accroît
la violence et l'acharnement. On se bat plus furieusement pour
une lointaine décimale.  
    --- Paul VALERY   
%
 Avoir un système borne son horizon ; n'en
avoir pas est impossible. Le mieux est d'en posséder plusieurs.  
    --- Raymond QUENEAU   
%
 Ce n'est pas seulement l'intérêt qui fait
s'entre-tuer les hommes. C'est aussi le dogmatisme. Rien n'est
aussi dangereux que la certitude d'avoir raison. Rien ne cause
autant de destruction que l'obsession d'une vérité
considérée comme absolue. Tous les crimes de l'histoire
sont des conséquences de quelque fanatisme. Tous les massacres
ont été accomplis par vertu, au nom de la religion
vraie, du nationalisme légitime, de la politique idoine,
de l'idéologie juste ; bref au nom du combat contre
la vérité de l'autre, du combat contre Satan.  
    --- François JACOB   
%
 Il devrait être bien clair aujourd'hui qu'on n'expliquera
pas l'univers dans tous ses détails par une seule formule
ou par une seule théorie. Et pourtant le cerveau humain
a un tel besoin d'unité et de cohérence que toute
théorie de quelque importance risque d'être utilisée
de manière abusive et de déraper vers le mythe.  
    --- François JACOB   
%
 Les idéaux ont de curieuses qualités, entre
autres celle de se transformer brusquement en absurdité
quand on essaie de s'y conformer strictement.  
    --- Robert MUSIL   
%
 L'orgueil philosophique est le plus stupide de tous. Si
un jour par miracle la tolérance s'instaure parmi les hommes,
les philosophes seront les seuls à ne pas en vouloir et
à ne pas en bénéficier. C'est qu'une vision
du monde ne peut pas s'accorder avec une autre vision, ni l'admettre,
encore moins la justifier. Etre philosophe, c'est croire
que vous êtes le seul à l'être, que personne
d'autre ne peut avoir cette qualité. Seuls les fondateurs
de religions ont une mentalité pareille. Construire un
système, c'est de la religion en plus bête.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Toute douleur est facile à mépriser :
celle dont la peine est intense est d'une brève durée,
celle qui dure dans la chair s'accompagne d'une faible peine.  
    --- EPICURE   
%
 Malgré les admirables services qu'ont rendus l'éther
et le chloroforme, il me semble qu'au point de vue de la philosophie
spiritualiste, la même flétrissure morale s'applique
à toutes les inventions modernes qui tendent à diminuer
la liberté humaine et l'indispensable douleur. Ce n'est
pas sans une certaine admiration que j'entendis une fois le paradoxe
d'un officier qui me racontait l'opération cruelle pratiquée
sur un général français à El-Aghouat,
et dont celui-ci mourut malgré le chloroforme. Ce général
était un homme très brave, et même quelque
chose de plus, une de ces âmes à qui s'applique naturellement
le terme : chevaleresque. "Ce n'était pas, me disait-il,
du chloroforme qu'il lui fallait, mais les regards de toute l'armée
et la musique des régiments. Ainsi peut-être il eût
été sauvé !" Le chirurgien n'était
pas de l'avis de cet officier ; mais l'aumônier aurait
sans doute admiré ces sentiments.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'en empêcher
et faire quelque chose de mieux.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Sagesse dans la douleur.  -  Dans la douleur il
y a autant de sagesse que dans le plaisir : tous deux sont
au premier chef des forces conservatrices de l'espèce.
S'il n'en était pas ainsi de la douleur, il y a longtemps
qu'elle aurait disparu ; qu'elle fasse mal, ce n'est pas
là un argument contre elle, c'est au contraire son essence.
J'entends dans la douleur le commandement du capitaine de vaisseau :
"Amenez les voiles !" L'intrépide navigateur "homme"
doit s'être exercé à disposer les voiles de
mille manières, autrement il en serait trop vite fait de
lui, et l'océan bientôt l'engloutirait. Il faut aussi
que nous sachions vivre avec une énergie réduite :
aussitôt que la douleur donne son signal de sûreté,
il est temps de réduire cette énergie,  -  quelque
grand danger, une tempête se prépare et nous agissons
prudemment en nous "gonflant" aussi peu que possible.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Nous nous avouons ceci, quand un être qui nous est
cher est malade, et que la mort est toute prête, nous souffrons
d'avance des gestes qu'il faudra faire pour montrer notre douleur,
mais nous ne pensons pas à l'être qui nous est cher.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il faut gémir, mais en cadence.  
    --- Jules RENARD   
%
 Les grandes douleurs sont muettes.
 Essayez de vous représenter un fabricant de tubes en caoutchouc,
un constructeur de ressorts à boudin pour les sommiers
élastiques, un gommeur de papier à lettres, un agent
voyer de première classe ou bien un architecte vérificateur
poussant des cris effroyables et dégainant le lyrisme d'un
Sophocle pour déplorer le trépas d'une personne
de sa famille !  
    --- Léon BLOY   
%
 On dirait que la douleur donne à certaines âmes
une espèce de conscience.
 C'est comme aux huîtres le citron.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Si tu pleures de joie, ne sèche pas tes larmes :
tu les voles à la douleur.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 La plus grande partie du corps ne parle que pour souffrir.
Tout organe qui se fait connaître est déjà
suspect de désordre. Silence bienheureux des machines qui
marchent bien.  
    --- Paul VALERY   
%
 La douleur est toujours question et le plaisir, réponse.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce vers, de Vigny, je crois, me revenait tantôt :
      J'aime la majesté des souffrances
humaines.
 Où a-t-il vu des souffrances humaines avoir de la majesté ?
A ajouter à ce que j'ai dit des choses qu'on écrit
parce que cela fait bien.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Progrès. Est-il bon d'accoucher à l'américaine
(sommeil et forceps) et ce progrès qui consiste à
souffrir moins n'est-il pas, comme la machine, le symptôme
d'un univers où l'homme épuisé substitue
d'autres forces à la sienne, évite les secousses
d'un système nerveux affaibli ?  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Je tire de la douleur un bénéfice :
elle me rappelle sans cesse à l'ordre. Les longs temps
où je ne pensais à aucune chose, ne laissant naviguer
en moi que les mots : chaise, lampe, porte, ou autres objets
sur quoi se promenaient mes yeux, ces longs temps de néant
n'existent plus. La douleur me harcèle et je dois penser
pour m'en distraire. C'est à l'inverse de Descartes. Je
suis, donc je pense. Sans la douleur je n'étais pas.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 En ce qui concerne la douleur, je ne puis me convaincre
qu'elle élève, et les hommes que j'ai vus souffrir
m'ont toujours paru enfermés dans leur douleur et non point
ouverts sur des vues cosmiques. Si la douleur élève,
je voudrais savoir vers quoi.  
    --- Henri LABORIT   
%
 D'abord, ne pas interpréter, ni justifier. La douleur
est un fait, et ne veut rien dire. Elle n'a pas de sens, pas de
valeur, pas d'excuses. Même atroce, elle est insignifiante
(et cela est le plus atroce peut-être, qu'elle ne signifie
rien) ; même légère, elle est insensée.
Quoi de plus bête qu'une rage de dents ? Le réel
se reconnaît là, qui se contente d'exister. "Pourquoi ?",
demande-t-on devant celui qui souffre. Mais il n'y a pas de réponse
(on souffre toujours pour rien), ni même, en vérité,
de question. Le corps hurle, mais n'interroge pas. On parle pourtant
des leçons de la douleur, et chacun, qui l'a vécue,
y reconnaît quelque chose de son expérience. Mais
ces leçons sont toutes négatives, ou critiques :
la douleur n'apprend rien, qu'en annulant ce qu'on croyait savoir.
Sa leçon est une anti-leçon : tout discours
doit cesser, devant elle, qui parait ridicule, insupportable ou
lâche. Non pas tout discours, pourtant. Et cela fait un
sacré tri. Combien de livres supportent la proximité
immédiate de l'horreur ?  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Ne désespère pas : si tout le monde
t'abandonne, tu pourras toujours compter sur tes douleurs.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le doute sage et vraiment philosophique (s'il existait)
consisterait donc à éteindre (ou plutôt à
voiler) les lumières qui nous éblouissent, pour
juger par un autre organe de l'esprit que celui de sa vue.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Douter, c'est sortir d'une erreur, et souvent d'une vérité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Douter ne signifie rien d'autre que d'être vigilant,
sinon cela peut être dangereux.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Le doute est un hommage rendu à l'espoir. Ce n'est
pas un hommage volontaire. L'espoir ne consentirait pas à
n'être qu'un hommage.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Quand un homme doute au sujet de ses propres entreprises,
il craint toujours trois choses ensemble, les autres hommes, la
nécessité extérieure, et lui-même.
Or c'est de lui même qu'il doit s'assurer d'abord ;
car, qui doute s'il sautera le fossé, par ce seul doute
il y tombe. Vouloir sans croire que l'on saura vouloir, sans se
faire à soi-même un grand serment, sans prendre,
comme dit Descartes, la résolution de ne jamais manquer
de libre arbitre, ce n'est point vouloir. Qui se prévoit
lui-même faible et inconstant, il l'est déjà.
C'est se battre en vaincu. Quand on voit qu'un homme qui entreprend
quelque chose doute déjà de réussir avant
d'avoir essayé, on dit qu'il n'a pas la foi. Ainsi l'usage
commun nous rappelle que la foi habite aussi cette terre, et que
le plus humble travail l'enferme toute. Encore plus sublime sans
promesse ; au fond, toujours sans promesse. Car le parti
de croire en soi n'enferme pas que tous les chemins s'ouvriront
par la foi ; mais il est sûr seulement que tous les
chemins seront fermés et tous les bonheurs retranchés
si vous n'avez pas d'abord la foi.  
    --- ALAIN   
%
 La foi ne peut aller sans l'espérance. Quand les
grimpeurs observent de loin la montagne, tout est obstacle ;
c'est en avançant qu'ils trouvent des passages. Mais ils
n'avanceraient point s'ils n'espéraient pas de leur propre
foi. En revanche, qui romprait sa propre espérance, toute
de foi, romprait sa foi aussi. Essayer avec l'idée que
la route est barrée, ce n'est pas essayer. Décider
d'avance que les choses feront obstacle au vouloir, ce n'est pas
vouloir. Aussi voit-on que les inventeurs, explorateurs, réformateurs
sont des hommes qui ne croient pas à ce barrage imaginaire
que fait la montagne de loin ; mais plutôt ils ont
le sentiment juste, et finalement vérifié, mais
seulement pour ceux qui osent, que la variété des
choses, qui est indifférente, n'est ni pour nous ni contre
nous, d'où vient que l'on trouve toujours occasion et place
pour le pied. Et cette vertu, d'essayer aussitôt et devant
soi, est bien l'espérance.  
    --- ALAIN   
%
 La liberté intellectuelle, ou Sagesse, c'est le
doute. Cela n'est pas bien compris, communément. Mais pourquoi ?
Parce que nous prenons comme douteurs des gens qui pensent par
jeu, sans ténacité, sans suite ; des paresseux
enfin. Il faut bien se garder de cette confusion. Douter, c'est
examiner, c'est démonter et remonter les idées comme
des rouages, sans prévention et sans précipitation,
contre la puissance de croire qui est formidable en chacun de
nous.  
    --- ALAIN   
%
 Le principe du vrai courage, c'est le doute. L'idée
de secouer une pensée à laquelle on se fiait est
une idée brave. Tout inventeur a mis en doute ce dont personne
ne doutait. C'était l'impiété essentielle.  
    --- ALAIN   
%
 Le professeur de philosophie qui doute professionnellement
de l'existence de cette table ne tient pas particulièrement
compte dans sa vie des conséquences d'une tel négation.
Le coeur n'y est pas, et cette méfiance n'est pas véritablement
convaincue : c'est en classe seulement que les tables sont
douteuses, et pour les besoins d'une leçon sur l'idéalisme,
mais non pas le soir quand le philosophe se met à table
pour souper.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Voici la drogue sous vos yeux : un peu de confiture
verte, gros comme une noix, singulièrement odorante, à
ce point qu'elle soulève une certaine répulsion
et des velléités de nausées, comme le ferait,
du reste, toute odeur fine et même agréable, portée
à son maximum de force et pour ainsi dire de densité.
Qu'il me soit permis de remarquer, en passant, que cette proposition
peut être inversée, et que le parfum le plus répugnant,
le plus révoltant, deviendrait peut-être plaisir
s'il était réduit à son minimum de quantité
et d'expansion. - Voilà donc le bonheur ! il remplit
la capacité d'une petite cuiller ! le bonheur avec
toutes ses ivresses, toutes ses folies, tous ses enfantillages !
Vous pouvez avaler sans crainte ; on n'en meurt pas. Vos
organes physiques n'en recevront aucune atteinte. Plus tard peut-être
un trop fréquent appel au sortilège diminuera-t-il
la force de votre volonté, peut-être serez-vous moins
homme que vous ne l'êtes aujourd'hui ; mais le châtiment
est si lointain, et le désastre futur d'une nature si difficile
à définir ! Que risquez-vous ? demain
un peu de fatigue nerveuse. Ne risquez-vous pas tous les jours
de plus grands châtiments pour de moindres récompenses ?
Ainsi, c'est dit : vous avez même, pour lui donner
plus de force et d'expansion, délayé votre dose
d'extrait gras dans une tasse de café noir ; vous
avez pris soin d'avoir l'estomac libre, reculant vers neuf ou
dix heures du soir le repas substantiel, pour livrer au poison
toute liberté d'action ; tout au plus dans une heure
prendrez-vous une légère soupe. Vous êtes
maintenant suffisamment lesté pour un long et singulier
voyage. La vapeur a sifflé, la voiture est orientée,
et vous avez sur les voyageurs ordinaires ce curieux privilège
d'ignorer où vous allez. Vous l'avez voulu ; vive
la fatalité !  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Si encore, au prix de sa dignité, de son honnêteté
et de son libre arbitre, l'homme pouvait tirer du haschisch de
grands bénéfices spirituels, en faire une espèce
de machine à penser, un instrument fécond ?
C'est une question que j'ai souvent entendue poser, et j'y réponds.
D'abord, comme je l'ai longuement expliqué, le haschisch
ne révèle à l'individu rien que l'individu
lui-même. Il est vrai que cet individu est pour ainsi dire
cubé et poussé à l'extrême, et comme
il est également certain que la mémoire des impressions
survit à l'orgie, l'espérance de ces utilitaires,
ne paraît pas au premier aspect tout à fait dénuée
de raison. Mais je les prierai d'observer que les pensées,
dont ils comptent tirer un si grand parti, ne sont pas réellement
aussi belles qu'elles le paraissent sous leur travestissement
momentané et recouvertes d'oripeaux magiques. Elles tiennent
de la terre plutôt que du ciel, et doivent une grande partie
de leur beauté à l'agitation nerveuse, à
l'avidité avec laquelle l'esprit se jette sur elles. Ensuite,
cette espérance est un cercle vicieux : admettons
un instant que le haschisch donne, ou du moins augmente le génie,
ils oublient qu'il est de la nature du haschisch de diminuer la
volonté, et qu'ainsi il accorde d'un côté
ce qu'il retire de l'autre, c'est-à-dire l'imagination
sans la faculté d'en profiter. Enfin il faut songer, en
supposant un homme assez adroit et assez vigoureux pour se soustraire
à cette alternative, à un autre danger, fatal, terrible,
qui est celui de toutes les accoutumances. Toutes se transforment
bientôt en nécessités. Celui qui aura recours
à un poison pour penser ne pourra bientôt plus penser
sans poison.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 N'attendez pas de moi que je trahisse. Naturellement l'opium
reste unique et son euphorie supérieure à celle
de la santé. Je lui dois mes heures parfaites. Il est dommage
qu'au lieu de perfectionner la désintoxication, la médecine
n'essaye pas de rendre l'opium inoffensif.
 Mais là, nous retombons sur le problème du progrès.
La souffrance est-elle une règle ou un lyrisme ?
 Il me semble que, sur une terre si vieille, si ridée,
si replâtrée, où tant de compromis sévissent
et de conventions risibles, l'opium éliminable adoucirait
les moeurs et causerait plus de bien que la fièvre d'agir
ne fait de mal.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 L'opium permet de donner forme à l'informe ;
il empêche, hélas ! de communiquer ce privilège
à autrui. Quitte à perdre le sommeil, je guetterai
le moment unique d'une désintoxication où cette
faculté fonctionnera encore un peu et coïncidera,
par mégarde, avec le retour du pouvoir communicatif.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 L'opium dégage l'esprit. Jamais il ne rend spirituel.
Il éploie l'esprit. Il ne le met pas en pointe.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 L'opium nous désocialise et nous éloigne
de la communauté. Du reste la communauté se venge.
La persécution des fumeurs est une défense instinctive
de la société contre un geste antisocial.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Les Européens qui fument de l'opium me font penser
aux Chinois qui portent des chapeaux melon.  
    --- Sacha GUITRY /L'Esprit /   
%
 Axiome : les maux qu'engendre la littérature
ne peuvent être guéris que par la littérature.
 Corollaire : Un volume erroné se réfute, non
par une brochure accessible à tous, sommaire ou primaire,
du genre "bon pour le peuple", mais par un autre volume allant
à la racine du fléau, ou par une longue série
d'actions fortement pensées et solidement déduites.
 N'oublions jamais que ce sont les encyclopédistes qui
ont préparé la Révolution. Ces erreurs meurtrières
ne pouvaient être détruites que par un corps de doctrine
approfondie, que par une propagande intellectuelle de niveau supérieur.
Dans toute affection du système nerveux central, il faut
soigner le cerveau et la moelle, non les nerfs.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Il n'est pas de contact plus agréable, ni plus
chaud et roboratif que celui d'un officier de carrière,
et je donnerais la conversation de dix académiciens pour
celle d'un général Mercier, d'un Marchand ou d'un
Baratier.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Vous distinguerez d'emblée le libéral à
la crainte qu'il a d'être taxé de réactionnaire.
Est-il rien de plus beau, de plus net, de plus harmonieux, de
plus efficace aussi, je vous le demande, que de s'affirmer en
réaction contre la sottise et le mal, ceux-ci eussent-ils
pour eux le nombre et la force ? Comment le corps humain
sort-il de la maladie ? Par la réaction. C'est cette
réaction que cherche le médecin hardi et intelligent,
tant que les sources de la vie ne sont point taries, tant que
le grand ressort n'est pas brisé. Il en est de même
en politique.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Conservateur n. Politicien qui affectionne les maux existants,
qu'il ne faut pas confondre avec le Libéral qui souhaite
les remplacer par d'autres.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 La vie systématique, qui ne gêne en rien
la liberté individuelle, n'existe encore nulle part et
pour aucun peuple à la surface du globe. L'hygiène
du genre humain n'est pas encore créée. Un jour
on comprendra que tous les éléments dont le globe
se compose, toutes les productions qu'il engendre, toutes les
effluves [sic] qu'il rayonne, toutes les forces qu'il dégage
doivent se mettre en équilibre avec la vie humaine et que
le secret de la vie est là tout entier. C'est ce que l'avenir
saura et verra.  
    --- Victor HUGO   
%
 Si, par amour des bois, un homme s'y promène pendant
la moitié de la journée, il risque fort de passer
pour un fainéant. Si, au contraire, il emploie toutes ses
journées à spéculer, à raser les bois
et à rendre la terre chauve avant son heure, on le tiendra
en haute estime, on verra en lui un homme industrieux et entreprenant.
Est-ce donc qu'une ville ne porte d'intérêt à
ses forêts que pour les faire abattre ?  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 En permettant l'homme, la nature a commis beaucoup plus
qu'une erreur de calcul : un attentat contre elle-même.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La forêt, partout on la rase, cette inutile, cette
grande feignasse. Tiens, les Brésiliens : la fameuse
forêt vierge amazonienne, "le poumon du monde", eh bien,
ils sont en train de la supprimer. Et tu sais pourquoi ?
Pour cultiver massivement de la canne à sucre. Mais du
sucre, on a déjà trop, on sait pas quoi en faire,
on en crève, du sucre ! Oui, mais les Brésiliens,
eux, ils en font de l'alcool. Pas de l'alcool pour boire, non,
de l'alcool pour remplacer l'essence dans les voitures. Alors,
là, je m'incline. Préférer la forêt
à la bagnole, faudrait être maso, fou dingue dans
sa tête. Et où ils iront avec leurs voitures, les
Brésiliens ? Oh, ils iront à l'hôtel
de la Forêt, au camping des Trois Acajous Géants,
dont les noms romantiques leur diront que, là, autrefois,
à ce qu'on dit, il y avait une forêt.
 On la tolère encore un peu, la forêt, pour la hacher
en pâte à papier ou la laminer en simili-massif.
Le jour où la civilisation n'aura plus besoin de papier
ni de maquiller le plastique en faux bois, adieu le dernier arbre !
 Oh, et puis, hein, qu'est-ce qu'on en a à foutre, de la
forêt ? Une grande dalle de ciment d'un pôle
à l'autre, peinte en vert, si tu veux, pour nos rallyes
et nos Tours de France, un peu d'eau sale pour nos planches à
voile, des parasols pour picoler à l'ombre... Le bonheur.  
    --- François CAVANNA  
%
 Le dictionnaire nous dit que l'écologie est l'étude
des rapports existants entre les êtres vivants et leur milieu
(en gros, ça doit être ça, j'écris
en voltige, pas de dico sous la main). Mais c'était avant
la survenue du "mouvement écologique". Depuis, le mot "écologie"
a pris de l'ampleur et de l'ambition. Je crois pouvoir le définir
en disant qu'il exprime l'inquiétude d'UN être vivant
(l'homme civilisé) devant la dégradation accélérée
de son propre milieu d'existence. Je pense que cette définition
est suffisamment générale pour mettre tout le monde
d'accord.
 Si maintenant on veut un peu affiner, par exemple poser les questions
du "pourquoi", du "comment" et du "qu'est-ce qu'il faut faire ?",
ça diverge tout de suite.  
    --- Définition :
     
%
 L'illusion écologique est un consolationnisme comme
tous les systèmes fondés sur la donnée de
base que l'homme veut avant tout vivre heureux dans un monde heureux
et harmonieux. C'est le principe, proclamé et allant de
soi, de toutes les utopies sociales, que ce soit les innombrables
variétés du socialisme, de l'anarchie, du communisme...
De l'écologie. Toutes entrevoient les lendemains radieux
dans un avenir à portée de main, il suffit d'en
mettre un bon coup, par la révolution ou par l'éducation
des masses, pour que le bon sens et l'altruisme prennent enfin
les commandes.
 Ce ne sont que des aide-à-vivre, des, comme je disais,
consolationnismes, des, si vous préférez, euphorisants,
qui, d'abord, rejettent le pessimisme insupportable et le remplacent
par l'agréable espoir, ensuite placent cet espoir au bout
d'un effort à accomplir, c'est à dire débouchent
sur l'action. Espoir et action, c'est tout ce que demandent nos
petites machineries intimes pour tuer l'angoisse ou, du moins,
l'oublier. Toute utopie, tout système "généreux"
a pour but - non avoué, mais bien réel - de faire
oublier l'angoisse dite "existentielle" à ceux dont le
psychisme n'est pas suffisamment polarisé sur cette autre
illusion : l'ambition personnelle, le désir de "réussir
sa vie", dans quelque domaine que ce soit et quelles que soient
les motivations intimes, qui ne sont que des justifications modulées
par le hasard (hasard de la distribution des gènes ou hasards
des circonstances de la vie...) Dévouement, vengeance,
arrivisme, volonté de puissance, art, cupidité,
ascétisme pieux...ceux que l'une ou l'autre de ces passions
anime n'ont pas besoin de consolationnisme. Leur drogue apaisante-stimulante,
il la sécrète eux-même.
 L'écologie, comme toutes les utopies sociales, est une
religion. Une religion sans dieu, mais une religion n'a pas forcément
besoin d'un dieu. La foi suffit. Et aussi le dogme.  
    --- Définition :
     
%
  "Ah, vous êtes écolo ?" Succès
de rire assuré. En France , en tout cas. Ailleurs, je ne
sais pas. Parait qu'en Allemagne les Verts sont pris au sérieux.
Les Allemands n'ont aucun sens de l'humour.  
    --- Définition :
     
%
 On ne doit pas plus régler les habits, du riche
que les haillons du pauvre. Tous deux, également citoyens,
doivent être également libres. Chacun s'habille,
se nourrit, se loge, comme il peut. Si vous défendez au
riche de manger des gelinottes, vous volez le pauvre, qui entretiendrait
sa famille du gibier qu'il vendrait au riche. Si vous ne voulez
pas que le riche orne sa maison, vous ruinez cent artistes. Le
citoyen qui par son faste humilie le pauvre enrichit le pauvre
par ce même faste beaucoup plus qu'il ne l'humilie. L'indigence
doit travailler pour l'opulence, afin de s'égaler un jour
à elle.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Le luxe est un besoin des grands états et des grandes
civilisations. Cependant il y a des heures où il ne faut
pas que le peuple le voie. Mais qu'est-ce qu'un luxe qu'on ne
voit pas ? Problème. Une magnificence dans l'ombre,
une profusion dans l'obscurité, un faste qui ne se montre
pas, une splendeur qui ne fait mal aux yeux à personne.
Cela est-il possible ? Il faut y songer pourtant. Quand on
montre le luxe au peuple dans des jours de disette et de détresse,
son esprit, qui est un esprit d'enfant, franchit tout de suite
une foule de degrés ; il ne se dit pas que ce luxe
le fait vivre, que ce luxe lui est utile, que ce luxe lui est
nécessaire. Il se dit qu'il souffre, et que voilà
des gens qui jouissent. Il se demande pourquoi tout cela n'est
pas à lui. Il examine toutes ces choses non avec sa pauvreté
qui a besoin de travail et par conséquent besoin des riches,
mais avec son envie. Ne croyez pas qu'il conclura de là :
Eh bien ! cela va me donner des semaines de salaire, et de
bonnes journées. Non, il veut, lui aussi, non le travail,
non le salaire, mais du loisir, du plaisir, des voitures, des
chevaux, des laquais, des duchesses. Ce n'est pas du pain qu'il
veut, c'est du luxe. Il étend la main en frémissant
vers toutes ces réalités resplendissantes qui ne
seraient plus que des ombres s'il y touchait. Le jour où
la misère de tous saisit la richesse de quelques-uns, la
nuit se fait, il n'y a plus rien.  
    --- Victor HUGO   
%
 L'impôt du luxe. - On achète dans les magasins
les choses nécessaires et les plus indispensables et on
les paye fort cher, car on vous fait payer en même temps
pour ce qu'il y a d'autre à vendre et qui ne trouve que
rarement acquéreur : les objets de luxe et les fantaisies.
C'est ainsi que le luxe met un impôt continuel sur les choses
simples qui peuvent se passer de lui.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents
d'arriver au même but, celui de posséder ce que l'on
désire. Le commerce n'est autre chose qu'un hommage rendu
à la force du possesseur par l'aspirant à la possession.
C'est une tentative pour obtenir de gré à gré
ce qu'on n'espère plus conquérir par la violence.
Un homme qui serait toujours le plus fort n'aurait jamais l'idée
du commerce. C'est l'expérience qui, en lui prouvant que
la guerre, c'est-à-dire, l'emploi de sa force contre la
force d'autrui, est exposée à diverses résistances
et à divers échecs, le porte à recourir au
commerce, c'est-à-dire, à un moyen plus doux et
plus sûr d'engager l'intérêt des autres à
consentir à ce qui convient à son intérêt.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Le commerce donne à la propriété
une qualité nouvelle, la circulation. Sans circulation,
la propriété n'est qu'un usufruit. L'autorité
peut toujours influer sur l'usufruit ; car elle peut enlever
la jouissance. Mais la circulation met un obstacle invisible et
invincible à cette action du pouvoir social.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Il y a des gens chez lesquels la simple certitude de les
pouvoir satisfaire fait naître des besoins spontanés.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 A la pédagogie normale s'ajoute une pédagogie
incessante et d'une efficacité extraordinaire, et qui est
la publicité. Une industrie basée sur le profit
tend à créer  -  par l'éducation
 -  des hommes pour les chewing-gums et non du chewing-gum
pour les hommes. Ainsi de la nécessité pour l'automobile
de créer la valeur "automobile" est né le stupide
petit gigolo de 1926 exclusivement animé dans les bars
par des images et comparaisons de carrosseries. Ainsi, du film,
est née, dans la pâte humaine la plus admirable du
monde, la star vide et stupide entre les stupides. Cet animal
creux, et dont je ne crois même point qu'elle s'ennuie,
car elle n'est pas née encore.  
    --- Antoine de SAINT-EXUPERY   
%
 Il faut rappeler aux nations croissantes qu'il n'y a point
d'arbre dans la nature qui, placé dans les meilleures conditions
de lumière, de sol et de terrain, puisse grandir et s'élargir
indéfiniment.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les décisions politiques peuvent longtemps galoper,
sans encourir la dure sanction des faits ; mais il n'en est
pas de même pour l'économie.  
    --- Alfred SAUVY  
%
 L'opinion croit volontiers que le chômage est un
phénomène moderne, propre aux pays industriels,
et conséquence de la mécanisation. Ce qui est nouveau,
ce n'est pas le chômage, c'est son enregistrement, sa rémunération,
sa mise en statistiques et la publicité dont elle fait
l'objet. C'est précisément parce qu'il est, dans
notre économie moderne, considéré comme un
mal, comme un fléau, qu'on en parle.  
    --- Le chômage :
   
%
 La population active a partout fortement augmenté
dans les pays qui ont eu recours à l'automatisation. En
outre, c'est plutôt dans les pays où la production
par tête s'est le plus élevée que le nombre
d'emplois a le plus augmenté. Enfin, nouveau mythe, l'opinion
croit que l'électronique supprime les manoeuvres, alors
qu'il s'agit surtout des ouvriers qualifiés.
 Bien entendu, les emplois ne se multiplient pas nécessairement
dans la branche qui bénéficie du progrès.
Un grand nombre d'emplois nouveaux naissent dans les branches
nouvelles, par accroissement de la richesse.  
    --- L'automatisation :
     
%
 Les hommes libérés dans certaines branches
par la machine retrouveront du travail tant qu'il y aura de nouveaux
besoins à satisfaire. Si le chômage existe, c'est
parce que les pays industriels ont du mal à assurer l'emboîtage
des activités et des besoins, essentiels évidemment
pour assurer le plein emploi.  
    --- L'automatisation :
    
%
 Depuis la guerre, la stimulation permanente de la demande
fait apparaître peu à peu des besoins qui n'étaient
que potentiels, privés et publics.
 Le besoin privé, objecte-t-on, ne peut-il pas être
limité par le manque de temps pour consommer ? Non :
vers 1800-1810, le voyageur en malle poste acquittait, en une
heure de route, l'équivalent de 10 heures de travail (de
manoeuvre). Aujourd'hui, le voyageur en avion acquitte, en une
heure de vol, environ 40 heures de travail et s'il avait des revenus
plus élevés, il voyagerait en 1<SUP>er</SUP> classe et consommerait
60 heures.  
    --- Le besoin :
   
%
 Ce mot exerce une force attractive d'une rare intensité.
La gratuité, c'est non seulement un avantage matériel,
mais une détente, une rupture des contraintes.
 Mais la gratuité n'est jamais gratuite.
 En régime capitaliste, si une catégorie sociale
obtient la gratuité ou la semi-gratuité de tel produit
ou service, elle y trouve le plus souvent son compte, au détriment
des autres. La revendication est donc, sinon légitime,
du moins logique.
 Si, par contre, il s'agit d'une gratuité générale,
par exemple les produits pharmaceutiques, le métro, il
faut voir où est la contrepartie. L'opération revient,
en général, à faire payer le contribuable
au lieu de l'usager.  
    --- La gratuité :
   
%
 Le mythe prend deux formes : 
 a) La croyance selon laquelle la mesure sera gratuite, sans pertes,
ni manque à gagner. Il serait certes possible aujourd'hui
le ne travailler que 15 heures ou même moins, si nous nous
contentions des consommations de 1900. Mais le même progrès
technique ne se mange pas deux fois.
 b) La croyance, plus répandue encore, selon laquelle la
réduction de la durée du travail augmente à
proportion le nombre des emplois. Cette idée résulte
d'une opération arithmétique simple, qui suppose
implicitement que rien n'est changé dans l'économie,
en dehors de cette durée, comme si le travail total était
une masse déterminée que l'on peut partager de diverses
façons.
 Ces sophismes sont si séduisants qu'il est difficile d'y
résister. Ceux qui les dénoncent passent pour des
attardés, ou pour les défenseurs du camp des propriétaires.  
    --- La durée du travail   
%
 L'opinion ignore le plus souvent ou sous-estime l'importance
du commerce extérieur. Exporter, croit-elle volontiers,
c 'est écouler au-dehors des excédents ; il
faut exporter, car il est avantageux de vendre. Que la nation
exporte pour pouvoir acquérir des produits indispensables,
laine, coton, jute, cuivre, zinc, pétrole, caoutchouc,
huile, pour ne parler que des matières premières,
n'est pas bien présent à l'esprit.  
    --- La durée du travail   
%
 A un enfant de maison qui recherche les lettres, non pour
le gaing (car une fin si abjecte est indigne de la grace et faveur
des Muses, et puis elle regarde et depend d'autrui), ny tant pour
les commoditez externes que pour les sienes propres, et pour s'en
enrichir et parer au dedans, ayant plustost envie d'en tirer un
habil'homme qu'un homme sçavant, je voudrois aussi qu'on
fut soigneux de luy choisir un conducteur qui eust plutost la
teste bien faicte que bien pleine, et qu'on y requit tous les
deux, mais plus les meurs et l'entendement que la science ;  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Enseigner, c'est apprendre deux fois.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Peu d'esprits sont spacieux ; peu même ont
une place vide et offrent quelque point vacant. Presque tous ont
des capacités étroites et occupées par quelque
savoir qui les bouche. Quel supplice de parler à des têtes
pleines, et où rien d'extérieur ne peut entrer !
Il faut qu'un bon esprit, pour jouir de lui même et en laisser
jouir les autres, se conserve toujours plus grand que ses propres
pensées. Et pour cela il faut qu'il donne à celles-ci
une forme ployante, aisée à resserrer et à
étendre, propre enfin à en maintenir la flexibilité
naturelle.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 On parle de têtes bien faites et on ne parle pas
de coeurs bien faits.
 Les coeurs bien faits sont ceux où toutes les sortes d'affections
sont bien casées et n'ont que leur juste étendue.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Donnez leur la physique d'aujourd'hui, la littérature
et la morale d'autrefois.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Je crains que notre éducation trop soigneuse ne
donne que des fruits nains.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Les maîtres d'école sont des jardiniers en
intelligences humaines.  
    --- Victor HUGO   
%
 L'école est la vraie concurrence du temple.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Je veux de l'érudition, mais une érudition
maîtrisée par le jugement et organisée par
le goût.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Plus abstraite est la vérité que tu veux
enseigner, plus tu dois en sa faveur séduire les sens.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 L'éducation est une chose admirable, mais il convient
de se rappeler de temps à autre que rien de ce qui vaut
d'être connu ne saurait s'enseigner.  
    --- Oscar WILDE   
%
 La lecture des classiques - comme l'accordera tout esprit
cultivé - est, telle qu'elle est pratiquée partout,
un procédé monstrueux : elle se fait devant
des jeunes gens qui, à aucun égard, ne sont mûrs
pour elle, par des maîtres dont chaque parole, dont souvent
l'aspect seul met une couche de poussière sur un bon auteur.
Mais voici où réside l'utilité que d'ordinaire
on méconnaît - c'est que ces maîtres parlent
la langue abstraite de la haute culture, lourde et difficile à
comprendre, mais qui est une gymnastique supérieure du
cerveau ; c'est que dans leur langage apparaissent continuellement
des idées, des expressions, des méthodes, des allusions
que les jeunes gens n'entendent presque jamais dans la conversation
de leurs parents et dans la rue. Quand les écoliers ne
feraient qu'entendre, leur intelligence subit bon gré mal
gré une formation préalable à une manière
scientifique de concevoir.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 L'instruction publique. - L'instruction, dans les grands
Etats, sera toujours tout au plus médiocre, par
la même raison qui fait que, dans les grandes cuisines,
on cuisine tout au plus médiocrement.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Et puis l'école obligatoire, c'est très
joli... Pourtant, ce n'est pas l'école qui forme l'esprit,
l'intelligence et le coeur. C'est la nature ; c'est le contact
avec la vie ; le commerce libre des deux sexes. L'école
est un bâtiment. Tous les bâtiments sont des prisons.
Ce n'est pas le maître d'école qui doit être
le vrai éducateur et le guide du peuple. Le maître
d'école est un maître. Tous les maîtres guident
l'homme vers une seule direction : la servitude. Les éducateurs
et les guides de l'enfance, ce sont tous les hommes qui vivent
bien, c'est-à-dire librement ; et tous les morts qui
ont bien vécu, c'est-à-dire qui ont librement vécu.  
    --- Georges DARIEN   
%
 L'instruction apprise ne prouve rien, ne rime à
rien, est complètement inutile, pour ne pas dire malfaisante,
et ne fera jamais d'un imbécile un homme intelligent, d'un
cerveau obtus un cerveau actif, et d'un être sans compréhension
un être capable de jugement personnel. La seule instruction
qui compte, et qui donne des fruits, c'est celle qu'on se donne
soi-même car seule elle prouve chez un individu le désir
de savoir et l'aptitude au savoir. Elle a de plus cet avantage
qu'on s'instruit selon le sens de son esprit, en conformité
avec lui, d'une manière appropriée à la nature
de son être, à ses tendances et à ses goûts,
ce qui ajoute encore à l'efficacité de cette instruction.
En réalité, l'enseignement pédagogique est
fait pour les paresseux, pour les esprits sans curiosité,
pour les individus qui resteraient complètement ignares
si on ne leur apprenait pas quelque chose de force, pour ainsi
dire. Il n'y a que l'élite qui compte, et l'élite
ne se constitue pas avec des diplômes. Elle tient à
la nature même de certains individus, supérieurs
aux autres de naissance, et qui développent cette supériorité
par eux-mêmes, sans avoir besoin de l'aide d'aucuns pédagogues,
gens, le plus souvent, fort bornés et fort nuisibles.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'instruction gratuite et obligatoire. Pour mieux former
des citoyens modèles, bien soumis aux règles du
régime et bien crédules aux bourdes qu'on leur sert.
Le bon sens détruit, remplacé par la prétention.
Anes à diplômes qui n'en restent pas moins
des ânes, rien ne remplaçant l'intelligence et la
curiosité d'esprit natives.
 Disparition de l'esprit de fronde, de l'esprit satirique. Le
gavroche loustic qui dégonflait les baudruches sociales
d'un lazzi, n'existe plus.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Education n. Ce qui révèle, dans
les manières et les façons d'un imbécile,
son manque d'intelligence.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Lycée n. 1/. Ecole antique où l'on
s'entretenait de morale et de philosophie. 2/. Ecole moderne
où l'on discute de football.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 L'enseignement doit être résolument retardataire.
Non pas rétrograde, tout au contraire. C'est pour marcher
dans le sens direct qu'il prend du recul ; car, si l'on ne
se place point dans le moment dépassé, comment le
dépasser ? Ce serait une folle entreprise, même
pour un homme dans toute la force, de prendre les connaissances
en leur état dernier ; il n'aurait point d'élan,
ni aucune espérance raisonnable. Ne voyant que l'insuffisance
partout, il se trouverait, je le parie, dans l'immobilité
pyrrhonienne, c'est-à-dire que, comprenant tout, il n'affirmerait
rien. Au contraire celui qui accourt des anciens âges est
comme lancé selon le mouvement juste ; il sait vaincre ;
cette expérience fait les esprits vigoureux.  
    --- ALAIN   
%
 Tu ne m'apprends rien si tu ne m'apprends à faire
quelque chose.  
    --- Paul VALERY   
%
 N'hésitez jamais à priver vos mômes
de dessert, surtout s'il n'y en a pas beaucoup et que vous l'aimez !  
    --- Frédéric DARD   
%
 Règle pédagogique fondamentale : la
valeur et la fécondité d'un spécialiste,
sont définies par le niveau d'instruction générale
à partir duquel la spécialisation a commencé.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 C'est un phénomène classique, observable
dans de nombreux pays, que la déchéance des études
s'accompagne de l'inflation des diplômes et des titres.
Rien ni personne ne peut plus empêcher cela en France.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Seuls les bons professeurs forment les bons autodidactes.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Tout homme naît avec un penchant assez violent pour
la domination, la richesse et les plaisirs, et avec beaucoup de
goût pour la paresse ; par conséquent tout homme
voudrait avoir l'argent et les femmes ou les filles des autres,
être leur maître, les assujettir à tous ses
caprices, et ne rien faire, ou du moins ne faire que des choses
très agréables. Vous voyez bien qu'avec ces belles
dispositions il est aussi impossible que les hommes soient égaux
qu'il est impossible que deux prédicateurs ou deux professeurs
de théologie ne soient pas jaloux l'un de l'autre.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Le genre humain, tel qu'il est, ne peut subsister, à
moins qu'il n'y ait une infinité d'hommes utiles qui ne
possèdent rien du tout ; car, certainement, un homme
à son aise ne quittera pas sa terre pour venir labourer
la vôtre ; et, si vous avez besoin d'une paire de souliers,
ce ne sera pas un maître des requêtes qui vous la
fera. L'égalité est donc à la fois la chose
la plus naturelle et en même temps la plus chimérique.  
    --- VOLTAIRE   
%
 La variété, c'est de l'organisation ;
l'uniformité, c'est du mécanisme. La variété,
c'est la vie ; l'uniformité, c'est la mort.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Esclaves et ouvriers. - Le fait que nous attachons plus
de prix à la satisfaction de notre vanité qu'à
tout autre avantage (sécurité, emploi, plaisirs
de toute espèce) se montre à un degré ridicule
en ceci, que chacun (abstraction faite de raisons politiques)
souhaite l'abolition de l'esclavage et repousse avec horreur l'idée
de mettre des hommes dans cet état : cependant que
chacun doit se dire que les esclaves ont à tous égards
une existence plus sûre et plus heureuse que l'ouvrier moderne,
que le travail servile est peu de chose par rapport au travail
de l'ouvrier. On proteste au nom de la "dignité humaine" :
mais c'est, pour parler plus simplement, cette vanité chérie
qui regarde comme le sort le plus dur de n'être pas sur
un pied d'égalité, d'être publiquement compté
pour inférieur. - Le cynique pense autrement à ce
sujet, parce qu'il méprise l'honneur ; - et c'est
ainsi que Diogène fut un temps esclave et précepteur
domestique.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Chemin de l'égalité. - Une heure d'ascension
dans les montagnes fait d'un gredin et d'un saint deux créatures
à peu près semblables. La fatigue est le chemin
le plus court vers l'égalité et la fraternité
- et durant le sommeil la liberté finit par s'y ajouter.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les hommes naissent égaux. Dès le lendemain,
ils ne le sont plus.  
    --- Jules RENARD   
%
 La loterie plaît, parce qu'elle tire l'inégalité
de l'égalité ; l'assurance déplait parce
qu'elle fait justement le contraire.  
    --- ALAIN   
%
 Dans une société d'égaux, l'individu
agit contre l'égalité. Dans une société
d'inégaux, le plus grand nombre travaille contre l'inégalité.  
    --- Paul VALERY   
%
 Rien n'est plus semblable à l'identique que ce
qui est pareil à la même chose.  
    --- Pierre DAC   
%
 Dès que quelqu'un me parle d'élites, je
sais que je me trouve en présence d'un crétin.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Malgré certaines affirmations, ce n'est pas la
science qui détermine la politique, mais la politique qui
déforme la science et en mésuse pour y trouver justification
et alibi. Par une singulière équivoque, on cherche
à confondre deux notions pourtant bien distinctes :
l'identité et l'égalité. L'une réfère
aux qualités physiques ou mentales des individus ;
l'autre à leurs droits sociaux et juridiques. La première
relève de la biologie et de l'éducation ; la
seconde de la morale et de la politique. L'égalité
n'est pas un concept biologique. On ne dit pas que deux molécules
ou deux cellules sont égales. Ni même deux animaux ;
comme l'a rappelé George Orwell. C'est bien sûr l'aspect
social et politique qui est l'enjeu de ce débat, soit qu'on
veuille fonder l'égalité sur l'identité,
soit que, préférant l'inégalité, on
veuille la justifier par la diversité. Comme si l'égalité
n'avait pas été inventée précisément
parce que les êtres humains ne sont pas identiques. S'ils
étaient tous aussi semblables que des jumeaux univitellins,
la notion d'égalité n'aurait aucun intérêt.
Ce qui lui donne sa valeur et son importance, c'est la diversité
des individus ; ce sont leurs différences dans les
domaines les plus variés. La diversité est l'une
des grandes règles du jeu biologique.
 ~
 La diversité est une façon de parer au possible.
Elle fonctionne comme une sorte d'assurance sur l'avenir.  
    --- Confusion des ordres :
   
%
 L'égoïsme intellectuel est peut-être
l'héroïsme de la pensée.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 De voir les autres égoïstes, cela nous stupéfie,
comme si nous seuls avions le droit de l'être et l'ardeur
de vivre.  
    --- Jules RENARD   
%
 Mais, enfin, pourquoi donc mépriser un homme qui
a de l'égoïsme plutôt qu'un homme qui a du coeur ?  
    --- Jules RENARD   
%
 Il n'y a qu'une façon d'être un peu moins
égoïste que les autres : c'est d'avouer son égoïsme.  
    --- Jules RENARD   
%
 Quand vous me dites que je suis égoïste, c'est
comme si vous me disiez que je suis bien "moi".  
    --- Jules RENARD   
%
 Le véritable égoïste accepte même
que les autres soient heureux, s'ils le sont à cause de
lui.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le véritable égoïste est celui qui
ne pense qu'à lui quand il parle d'un autre.  
    --- Pierre DAC   
%
 Nous sommes à une telle époque d'individualisme
qu'on ne parle plus jamais de disciples ; on parle de voleurs.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 L'enfance des princes est la même que celle des
autres hommes, à cela près qu'il est donné
aux princes de dire une infinité de jolies choses avant
que de savoir parler.  
    --- Denis DIDEROT   
%
 Mon voisin Biais, vieux campagnard tourangeau, 76 ans,
peste constamment sur toutes les tuiles que nous vaut la guerre.
Il me disait encore ce soir : "Toutes les misères
du monde nous sont tombées dessus. Tout ça, pour
quelques individus qu'on aurait mieux fait d'écheniller
à leur naissance." Je lui ai répondu : "Hé !
monsieur Biais, on ne pouvait pas savoir. On les trouvait mignons
comme les autres. Ils disaient si gentiment papa, maman... Ce
qui prouve qu'on ne doit pas faire risette aux nouveau-nés.
On ne sait pas ce qu'ils deviendront."   
    --- Paul LEAUTAUD    
%
 Je n'ai pas eu d'enfants, dont j'ai toujours eu une horreur
sans bornes, leur stupidité, leur cruauté, leur
bruit. "Lorsque l'enfant paraît... ", je prends mon chapeau
et je m'en vais. Etre grand-père équivaut
pour moi à une déchéance. Quand cela arrive
à un de mes amis, je romps toutes relations.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Bébé n. Créature difforme à
l'âge, au sexe et à la condition indéterminés,
hautement remarquable par la violence des sympathies et des antipathies
qu'elle provoque chez les autres, sans exprimer elle-même
de sentiment ni d'émotion.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Un des plus clairs effets de la présence d'un enfant
dans le ménage est de rendre complètement idiots
de braves parents qui, sans lui, n'eussent peut-être été
que de simples imbéciles.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Ce petit bonhomme aveugle, âgé de quelques
jours, qui tourne la tête de tous côtés en
cherchant on ne sait quoi, ce crâne nu, cette calvitie originelle,
ce singe infime qui a séjourné des mois dans une
latrine et qui bientôt, oubliant ses origines, crachera
sur les galaxies...  
    --- Emil CIORAN   
%
 J'ai toujours été frappé par le comportement
d'ivrogne des enfants en bas âge : ils bégaient,
titubent, trébuchent, hurlent, passent sans transition
du rire aux larmes et réciproquement, s'endorment d'un
seul coup, se réveillent en sursaut, vomissent, se soulagent
dans leurs vêtements ou leurs draps.
 Qu'est-ce que ce serait si, en plus, ils buvaient de l'alcool !  
    --- Roland TOPOR   
%
 L'extrême ennui sert à nous désennuyer.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Ennui. - Rien n'est si insupportable à l'homme
que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire,
sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant,
son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance,
son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l'ennui,
la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 L'ennui est entré dans le monde par la paresse,
elle a beaucoup de part dans la recherche que font les hommes
des plaisirs, du jeu, de la société ; celui
qui aime le travail a assez de soi-même.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Il me semble que la Nature a travaillé pour des
ingrats : nous sommes heureux, et nos discours sont tels
qu'il semble que nous ne le soupçonnions pas. Cependant,
nous trouvons partout des plaisirs : ils sont attachés
à notre être, et les peines ne sont que des accidents.
Les objets semblent partout préparés pour notre
plaisir : lorsque le sommeil nous appelle, les ténèbres
nous plaisent ; et lorsque nous nous éveillons, la
lumière du jour nous ravit. La nature est parée
de mille couleurs ; nos oreilles sont flattées par
les sons ; les mets ont des goûts agréables ;
et, comme si ce n'étoit pas assez du bonheur de l'existence,
il faut encore que notre machine ait besoin d'être réparée
sans cesse pour nos plaisirs.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Les princes, dit l'abbé de Mongault, s'ennuient
parce qu'on les élève pour ne s'ennuyer jamais.
Toujours de nouveaux amusements. Il faut leur apprendre à
s'ennuyer quelquefois, pour être gais dans la suite.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 La peur de l'ennui est la seule excuse du travail.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je ne m'embête nulle part, car je trouve que, de
s'embêter, c'est s'insulter soi-même.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il voyait le moins possible de personnes qu'il pouvait
afin de s'épargner le plus possible l'ennui des enterrements.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il faut aussi se plaindre de son sort pour faire valoir
celui des autres.  
    --- Jules RENARD   
%
 La vie est courte, mais on s'ennuie quand même.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il faut savoir s'embêter, pour que la vie ne paraisse
pas trop courte.  
    --- Jules RENARD   
%
 Une grande habileté, c'est de se dire que ce qui
vous ennuie vous éduque.  
    --- André GIDE   
%
 Je m'amuse tout de même plus lorsque je m'ennuie
que lorsque je ne m'ennuie pas - parce que lorsque je ne m'ennuie
pas, je pense aux choses qui me sont imposées pour me distraire,
tandis que lorsque je m'ennuie je pense aux choses que je choisis
moi-même pour me désennuyer - et ça ne traîne
pas.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 J'avoue qu'il ne manque pas de malheurs réels,
et que celui qui les attend ne tarde pas à avoir raison ;
mais s'il y pense trop, il trouve de plus un mal certain et immédiat
dans son corps inquiet ; et ce pressentiment aggrave la tristesse
et ainsi se vérifie aussitôt ; c'est une porte
d'enfer. Par bonheur la plupart en sont détournés
par d'autres causes et n'y reviennent que dans la solitude oisive.
Contre quoi ce n'est pas un petit remède de comprendre
que l'on est toujours triste si l'on y consent. Par où
l'on voit que l'appétit de mourir est au fond de toute
tristesse et de toute passion, et que la crainte de mourir n'y
est pas contraire. Il y a plus d'une manière de se tuer,
dont la plus commune est de s'abandonner. La crainte de se tuer,
jointe à l'idée fataliste, est l'image grossie de
toutes nos passions, et souvent leur dernier effet. Dès
que l'on pense, il faut apprendre à ne pas mourir.  
    --- ALAIN   
%
 Les extrêmes se rejoignent ; et comme on désespère
d'être pauvre et seul, on s'ennuie d'être trop riche
ou trop heureux ; tout se change en or, et l'on crève
d'indifférence, comme les hommes pauvres et seuls meurent
d'indigence. Si tout est permis, rien n'est permis. Cette âme
neurasthénique par trop grande liberté, trop grande
virtuosité, trop grande oisiveté, ressemble à
un navigateur qui meurt de soif au milieu de l'océan. Car
l'abondance avilit : telle est la dérision de la concurrence.
L'ennui est donc le désespoir renversé, le désespoir
des millionnaires, des acrobates et des humoristes ; c'est
la façon qu'ont les riches d'être pauvres. Quelle
dérision !  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Le seul argument contre l'immortalité est l'ennui.
De là dérivent d'ailleurs toutes nos négations.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il faut à la fois rire, vivre en philosophe, diriger
sa propre maison, et encore nous servir de tout ce qui nous est
propre, et ne jamais cesser de prononcer les formules issues de
la droite philosophie.   
    --- EPICURE   
%
 Nul plaisir n'est en lui-même un mal ; mais
les causes productrices de certains d'entre eux apportent de surcroît
bien plus de perturbations que de plaisirs.  
    --- EPICURE   
%
 Une autre fois qu'il [Lucullus] soupait tout seul, ses
gens n'avaient apprêté qu'une table et moyennement
à souper ; il s'en courrouça, et fit appeler
celui de ses serviteurs qui avait charge de cela, lequel lui dit :
"Pour autant, seigneur, que tu n'as envoyé semondre personne,
j'ai pensé qu'il ne fallait déjà faire grand
appareil pour le souper.  -  Comment, lui répliqua-t-il,
ne savais-tu pas que Lucullus devait aujourd'hui souper chez Lucullus ?"  
    --- PLUTARQUE   
%
 Rien ne rapetisse l'homme comme les petits plaisirs.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Fête de 4000 francs, organisée par Musset
aux Frères Provençaux.
 Pour moi, le plus grand reproche que je fais à Musset,
puisqu'il voulait se passer ce caprice d'imagination et s'accorder,
une bonne fois, son idéal d'orgie, c'est d'y être
venu déjà ivre et hors d'état de savourer
la jouissance morale de son désir accompli. Il convient
de faire même les choses grossières, en délicat.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Les Anciens avaient remarqué que de toutes les
écoles de philosophie on passait dans celle d'Epicure,
mais qu'une fois dans celle-ci on y restait et qu'on ne passait
point à d'autres. Cela est encore vrai, même des
modernes ; les vrais épicuriens, ceux qui sont allés
une fois au fond, m'ont bien l'air de vivre tels jusqu'au bout
et de mourir tels, sauf les convenances.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.
 Ce qu'on mange avec goût se digère aisément.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est
une volupté de fin gourmet.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 La perfection du palais buccal est l'apanage des hommes
d'esprit.  
    --- Léon DAUDET   
%
 S'il est vrai qu'Epicure vomissait deux fois par
jour, ce détail à lui seul nous fournit la clef
de son ataraxie et nous dispense d'en chercher ailleurs les raisons.
Quelle révolution dans l'organisme, dans "l'âme"
même, quand on dégueule ! On comprend bien alors
qu'on veuille paix, sérénité, et qu'on exècre
toute sorte de trouble. 
 Il ne devrait y avoir biographie que de nos maux.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Rien n'est plus voluptueux pour un pas-con que d'être
pris pour un con par un con.  
    --- Frédéric DARD   
%
 On supporte toujours facilement une puissance qu'on espère
pouvoir exercer un jour.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'Espérance. - Pandore apporta la boîte remplie
de maux et l'ouvrit. C'était le présent des dieux
aux hommes, un présent beau d'apparence et séduisant,
surnommé la "boîte à bonheur". Alors sortirent
d'un vol tous les maux, êtres vivants ailés :
depuis lors ils rôdent autour de nous et font tort à
l'homme jour et nuit. Un seul mal n'était pas encore échappé
de la boîte : alors Pandore, suivant la volonté
de Zeus, remit le couvercle, et il resta dedans. Pour toujours,
maintenant, l'homme a chez lui la boîte à bonheur
et pense merveilles du trésor qu'il possède en elle,
elle est à sa disposition, il cherche à la saisir
quand lui en prend l'envie ; car il ne sait pas que cette
boîte apportée par Pandore est la boîte des
maux, et tient le mal resté au fond pour la plus grande
des félicités - c'est l'Espérance. Zeus voulait
en effet que l'homme, quelques tortures qu'il endurât des
autres maux, ne rejetât cependant point la vie, continuât
à se laisser torturer toujours à nouveau. C'est
pourquoi il donne à l'homme l'Espérance : elle
est en vérité le pire des maux, parce qu'elle prolonge
les tortures des hommes.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 L'espoir fait vivre, mais comme sur une corde raide.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce qui irrite dans le désespoir, c'est son bien-fondé,
son évidence, sa "documentation" : c'est du reportage.
Examinez, au contraire, l'espoir, sa générosité
dans le faux, sa manie d'affabuler, son refus de l'événement :
une aberration. une fiction. Et c'est dans cette aberration que
réside la vie, et de cette fiction qu'elle s'alimente.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Tout n'est pas perdu, tant qu'on est mécontent
de soi.  
    --- Emil CIORAN   
%
 A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il
y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent point
de différence entre les hommes.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Différence entre l'esprit de géométrie
et l'esprit de finesse.
 En l'un, les principes sont palpables, mais éloignés
de l'usage commun ; de sorte qu'on a peine à tourner
la tête de ce côté-là, manque d'habitude :
mais, pour peu qu'on l'y tourne, on voit les principes à
plein ; et il faudrait avoir tout à fait l'esprit
faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu'il est presque
impossible qu'ils échappent.
 Mais, dans l'esprit de finesse, les principes sont dans l'usage
commun et devant les yeux de tout le monde. On n'a que faire de
tourner la tête, ni de se faire violence ; il n'est
question que d'avoir bonne vue, mais il faut l'avoir bonne ;
car les principes sont si déliés et en si grand
nombre, qu'il est presque impossible qu'il n'en échappe.
Or, l'omission d'un principe mène à l'erreur ;
ainsi il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes,
et ensuite l'esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur
des principes connus.
 Tous les géomètres seraient donc fins s'ils avaient
la vue bonne, car ils ne raisonnent pas faux sur les principes
qu'ils connaissent ; et les esprits fins seraient géomètres
s'ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés
de géométrie.  
    --- Blaise PASCAL   
%
  "Esprit de finesse", "esprit de géométrie",
toutes les sottises qu'ont fait dire ces mots.
 Cela a le vice de toutes les expressions auxquelles il faut commencer
par donner un sens avant d'en considérer l'application.
Mais alors, il est trop tard...  
    --- Paul VALERY   
%
 La même chose souvent est, dans la bouche d'un homme
d'esprit, une naïveté ou un bon mot, et dans celle
du sot, une sottise.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Presque tous les esprits errent autour de la chose qu'ils
veulent exprimer, sans aller jusqu'à elle, ou sans l'entamer
entière. De là vient peut-être qu'en matière
d'esprit, on a nommé sublime ce qui n'est que cet excellent
vrai toujours manqué.  
    --- MARIVAUX   
%
 Les grands esprits sont ceux qui déguisent leurs
bornes, qui masquent leur médiocrité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'esprit éminemment faux est celui qui ne sent
jamais qu'il s'égare.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 On n'est point un homme d'esprit pour avoir beaucoup d'idées,
comme on n'est pas un bon général pour avoir beaucoup
de soldats.  
    --- CHAMFORT   
%
 Veux-tu doubler ton esprit ?  -  Conduis-le
avec ordre.  
    --- STENDHAL   
%
 Le trait d'esprit invente, l'entendement constate.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Je suis sûr que le chat ne pense pas ; pourtant,
il a l'air aussi profond que s'il pensait.  
    --- Jules RENARD   
%
 Penser ne suffit pas : il faut penser à quelque
chose.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'esprit est le compagnon hardi de l'héroïsme,
de la colère, du repentir et du pardon. Il adoucit les
feux de la haine, et ceux, mêmement embrasés, de
l'amour. Il prévoit et pare les contrecoups et chocs que
toute action décisive déchaîne contre celui
qui vient d'agir, et dont le pire est l'à quoi bon. Car
il blague jusqu'au scepticisme, dangereux dès qu'il devient
solennel, et qu'il fleurit en docteurs et en sentences. L'esprit
français n'est pas seulement un redresseur de torts. Il
est un avertisseur et un guide. Ses flèches peuvent écarter
de grands maux, nés souvent de l'incompréhension
et de la laideur, plus souvent encore de l'excessif. Elles dissipent
enfin la confusion, qui naît du heurt des concepts et des
systèmes, et crée une sorte de nuit mentale, où
les orgueilleux de l'esprit se bousculent et se meurtrissent à
tâtons.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Certes, il est beau d'être intelligent, mais l'intelligence,
sans l'esprit, n'est qu'une chose pesante, pédante et prétentieuse.
L'esprit, c'est la clairvoyance, la légèreté,
le sens de la relativité, le don de l'observation, la pénétration
profonde des sentiments et des idées. C'est le jeu, l'intuition
rapide, là où l'intelligence cherche et ne fait
qu'un lent travail. Que d'hommes intelligents j'ai vus se montrer
sots par manque d'esprit ! Savoir rire  -  le rire
n'est pas toujours la gaieté  -  savoir se moquer,
des autres et de soi-même, c'est le don suprême, c'est
la marque de la liberté, c'est savoir s'élever au-dessus
de la vie et la railler.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Principe de Carnot = Un sot ne devient pas homme d'esprit
mais un homme d'esprit contient un sot qui tantôt se montre,
et parfois l'emporte.
 La sottise serait donc une forme de dégradation plus naturelle.
 Il est plus naturel d'être bête  -  donc
plus commun, et c'est cette fréquence qui fait le prix
de l'être non bête.  
    --- Paul VALERY   
%
 Socrate n'était nullement un petit esprit, quoiqu'il
ignorât beaucoup de choses que nous savons. Il y a plus
d'esprit à se tromper à la manière de Descartes,
qu'à redresser Descartes comme un petit bachelier peut
faire. Et cette grandeur d'esprit se voit encore mieux dans l'erreur,
quand l'erreur est selon l'esprit, non selon les passions. Un
esprit est grand parce qu'il se gouverne plutôt que parce
qu'il s'étend.  
    --- ALAIN   
%
 L'esprit ne doit jamais obéissance. Une preuve
de géométrie suffit à le montrer ; car
si vous la croyez sur parole, vous êtes un sot ; vous
trahissez l'esprit.  
    --- ALAIN   
%
 Un bon esprit est nécessairement un esprit lent.
Quand je dis une chose pareille, on dresse contre moi vingt exemples
qui veulent prouver le contraire. Mais cela ne me trouble point.
Rien n'est plus facile que d'imiter l'intelligence par la mémoire.
On dresse bien des chiens ; ils comptent correctement, en
ce sens que, quand on leur montre le carton huit et le carton
sept, ils savent aller chercher le carton quinze, et le présenter
à leur maître avec cet air zélé et
important qu'ont les chiens.  
    --- ALAIN   
%
 [...] il ne faut pas vouloir être trop fin si l'on
veut éviter les bévues, ou plutôt il faut
l'être assez pour ne l'être pas quand on doit avant
tout être simple.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 On pouvait dire sans crainte d'erreur qu'Ulrich aurait
voulu être quelque chose comme un seigneur ou un prince
de l'esprit : en vérité, qui ne le souhaite ?
C'est même si naturel que l'esprit est considéré
comme ce qu'il y a de plus élevé dans le monde,
le tout puissant souverain. C'est là matière d'enseignement.
Tout ce qui le peut s'orne d'esprit, s'en chamarre. L'esprit,
combiné avec autre chose, est ce qu'il y a de plus répandu
au monde. "L'esprit de fidélité", "l'esprit d'amour",
un "esprit viril", un "esprit cultivé", "le plus grand
esprit de notre temps", "nous voulons sauvegarder l'esprit de
telle ou telle chose", "nous voulons agir dans l'esprit de notre
mouvement" : ah ! le beau son de tout cela jusque dans
les plus basses classes ! Tout le reste, à côté,
le crime quotidien, la cupidité assidue, apparaît
alors comme l'inavouable crasse que Dieu enlève aux ongles
de ses orteils.
 Mais quand l'esprit demeure tout seul, substantif nu, glabre
comme un fantôme à qui l'on aimerait prêter
un suaire, qu'en est-il donc ? On peut lire les poètes,
étudier les philosophes, acheter des tableaux, discuter
toute la nuit : mais ce que l'on y gagne, est-ce de l'esprit ?
En admettant même qu'on en gagne, le possédera-t-on
pour autant ? Cet esprit-là est si étroitement
lié à la forme fortuite qu'il a prise pour entrer
en scène ! Il passe à travers celui qui aimerait
l'accueillir, ne lui laissant qu'un ébranlement léger.
Qu'allons-nous faire de tout cet esprit ? On ne cesse d'en
produire en quantités proprement astronomiques sur des
tonnes de papier, de pierre et de toile, on ne cesse pas davantage
d'en ingérer et dans consommer dans une gigantesque dépense
d'énergie nerveuse : qu'en advient-il ensuite ?
Disparaît-il comme un mirage ? Se dissout-il en particules ?
Se soustrait-il à la loi terrestre de la conservation de
la matière ? Les parcelles de poussière qui
descendent au fond de nous et lentement s'y immobilisent n'ont
aucun rapport avec la dépense faite. Où est-il parti ?
Où est-il, qu'est-il ? Peut-être se formerait-il
autour de ce mot "esprit", si l'on en savait davantage, un cercle
de silence angoissé...  
    --- Robert MUSIL   
%
 La fameuse question spartiate doit être ici posée.
Pourquoi Sparte n'eut pas de grands hommes. La perfection de la
race empêcha l'exaltation de l'individu. Mais cela leur
permit de créer le canon masculin ; et l'ordre dorique.
Par la suppression des malingres, on supprime la variété
rare - fait bien connu en botanique ou du moins en floriculture ;
les plus belles fleurs étant données souvent par
les plantes de chétif aspect.  
    --- André GIDE  
%
 L'évolution ne tire pas ses nouveautés du
néant. Elle travaille sur ce qui existe déjà,
soit qu'elle transforme un système ancien pour lui donner
une fonction nouvelle, soit qu'elle combine plusieurs systèmes
pour en échafauder un autre plus complexe. Le processus
de sélection naturelle ne ressemble à aucun aspect
du comportement humain. Mais si l'on veut jouer avec une comparaison,
il faut dire que la sélection naturelle opère à
la manière non d'un ingénieur, mais d'un bricoleur ;
un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu'il va produire, mais
récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les
objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle,
morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement
lui fournir des matériaux ; bref, un bricoleur qui
profite de ce qu'il trouve autour de lui pour en tirer quelque
objet utilisable.
 [...]
 Comme l'a souligné Claude Levi-Strauss, les outils du
bricoleur, contrairement à ceux de l'ingénieur,
ne peuvent être définis par aucun programme. Les
matériaux dont il dispose n'ont pas d'affectation précise.
Chacun d'eux peut servir à des emplois divers. Ces objets
n'ont rien de commun si ce n'est qu'on peut en dire : "ça
peut toujours servir." A quoi ? Ca dépend
des circonstances.
 [...]
 L'évolution procède comme un bricoleur qui pendant
des millions et des millions d'années, remanierait lentement
son oeuvre, la retouchant sans cesse, coupant ici, allongeant
là, saisissant toutes les occasions d'ajuster, de transformer,
de créer.  
    --- Evolution et bricolage :
   
%
 Parmi les événements les plus dramatiques
de l'évolution, certains sont liés à des
changements qui avancent la maturité sexuelle à
un stade plus précoce du développement. Des traits
qui jusque-là caractérisaient l'embryon deviennent
alors ceux de l'adulte, tandis que disparaissent des caractères
qui auparavant appartenaient à l'adulte. Ce processus représente
l'un des grands stratagèmes de l'évolution. Tout
se passe comme si certains animaux pouvaient pour ainsi dire se
débarrasser de la part terminale de leur vie puis reconstruire
un nouveau cycle fondé sur les formes de la larve ou de
l'embryon. C'est très vraisemblablement un tel mécanisme
qui a donné naissance aux vertébrés à
partir de quelque invertébré marin. C'est ce même
processus qui semble avoir joué un rôle majeur dans
la voie qui a mené à l'homme. L'embryon humain se
développe selon un schéma de retardement conservant
chez l'adulte une série de traits qui, chez les autres
primates et les ancêtres de l'homme, caractérisent
le petit. A cet égard, il est frappant de constater
que les humains ressemblent plus à un bébé
chimpanzé qu'à un chimpanzé adulte. Bien
évidemment, l'homme ne descend pas des grands singes. Depuis
qu'ont divergé les lignées menant vers l'homme ou
vers les grands singes, chacune a poursuivi sa propre évolution
en s'adaptant à des vies différentes. Pourtant l'ancêtre
commun ressemblait plus aux singes qu'à l'homme.  
    --- Evolution et bricolage :
   
%
 Si la création par Dieu ne demande qu'un miracle
initial, l'explication du monde à partir d'un nuage de
gaz résolument évolutionniste exige un miracle par
microseconde.  
    --- André FROSSARD   
%
 Dans la recherche commune des arguments, celui qui est
vaincu a gagné davantage, à proportion de ce qu'il
vient d'apprendre.  
    --- EPICURE   
%
 Quand les enfants demandent une explication, qu'on la
leur donne et qu'ils ne l'entendent pas, ils s'en contentent néanmoins
et leur esprit est en repos. Et cependant qu'ont-ils appris ?
Ils ont appris que ce qu'ils ne vouloient plus ignorer est très
difficile à connoître, et cela même est un
savoir. Ils attendent, ils patientent, et avec raison.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Comme les crimes ont multiplié les lois, les erreurs
ont multiplié les explications.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Cette manie qu'ont les sots de vouloir qu'on leur donne
la raison de ce qu'ils ne peuvent comprendre et de se fâcher
quand ils ne comprennent pas est un des plus grands obstacles
au progrès.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Les bornes de notre faculté d'entendre.  -  On
entend seulement les questions auxquelles on est capable de trouver
une réponse.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Aujourd'hui comme autrefois, expliquer, c'est montrer
comment une chose participe d'une ou de plusieurs autres. On a
dit que les participations dont les mythologies postulent l'existence
violent le principe de contradiction et que, par là, elles
s'opposent à celles qu'impliquent les explications scientifiques.
Poser qu'un homme est un kangourou, que le Soleil est un oiseau,
n'est-ce pas identifier le même et l'autre ? Mais nous
ne pensons pas d'une autre manière quand nous disons de
la chaleur qu'elle est un mouvement, de la lumière qu'elle
est une vibration de l'éther, etc. Toutes les fois que
nous unissons par un lien interne des termes hétérogènes,
nous identifions forcément des contraires. Sans doute,
les termes que nous unissons ainsi ne sont pas ceux que rapproche
l'Australien ; nous les choisissons d'après d'autres
critères et pour d'autres raisons ; mais la démarche
même par laquelle l'esprit les met en rapports ne diffère
pas essentiellement.  
    --- Emile DURKHEIM   
%
 Une explication n'est pas nécessairement une approbation ;
mais le plus souvent on estime inutile de chercher à comprendre
ce que l'on réprouve.  
    --- André GIDE   
%
 Le mélange inextricable des sentiments de chacun
et des exigences communes donne occasion à des dissentiments
infinis. Rien de plus naturel que de ne point s'entendre ;
le contraire est toujours surprenant. Je crois que l'on ne s'accorde
sur rien que par méprise, et que toute harmonie des humains
est le fruit heureux d'une erreur.  
    --- Paul VALERY   
%
 Peu d'esprits s'inquiètent d'examiner la question
avant de fournir la réponse.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il est peut-être moins difficile d'expliquer la
vie et la pensée par des machines que d'expliquer une machine
par des considérations spirituelles ; plus facile
d'expliquer la pensée par la nécessité et
les lois que la presse hydraulique par la spontanéité
et la liberté  -  ou par l'amour.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les idées expliquent, si l'on veut, éclaircissent,
mais ne montrent pas. On vous demande ce qu'est le cogito, et
vous vous servez du cogito pour expliquer ? C'est paresseux.
L'acte par excellence, c'est la parabole qui laisse à l'autre
son champ d'intelligence libre. Ce qu'il importe de comprendre,
de faire comprendre, c'est la règle qui pourra servir à
la solution de mille problèmes apparemment étrangers
les uns aux autres. Non, la solution d'un de ces problèmes.
Socrate savait cela à merveille. C'est si l'on veut la
méthode indirecte, qui ne vexe ni la question ni la réponse,
détourne leur difficulté individuelle pour viser
leur difficulté d'espèce. Laisse la permission d'être
inspirée. Du même coup échappe à la
"philosophie", à l'exercice intellectuel.  
    --- Georges PERROS   
%
 Une théorie aussi puissante que celle de Darwin
ne pouvait guère échapper à un usage abusif.
Non seulement l'idée d'adaptation permettait d'expliquer
n'importe quel détail de structure trouvé à
n'importe quel organisme ; mais devant le succès rencontré
par l'idée de sélection naturelle pour rendre compte
de l'évolution du monde vivant, il devenait tentant de
généraliser l'argument, de le retailler, d'en faire
le modèle universel pour expliquer tout changement survenant
dans le monde. C'est ainsi qu'on a invoqué des systèmes
de sélection semblables pour décrire n'importe quel
type d'évolution : cosmique, chimique, culturelle,
idéologique, sociale, etc. Mais de telles tentatives sont
condamnées au départ. La sélection naturelle
représente le résultat de contraintes spécifiques
imposées à chaque être vivant. C'est donc
un mécanisme ajusté à un niveau particulier
de complexité. A chaque niveau, les règles
du jeu sont différentes. A chaque niveau, il faut
donc trouver de nouveaux principes.  
    --- François JACOB   
%
 C'est la compréhension qui fait naître le
besoin d'explication, et à celui qui cherche à expliquer
ou même qui y parvient il n'est pas besoin de répéter
qu'il doit avant tout comprendre car, s'il l'ignorait, il n'éprouverait
même pas le besoin d'expliquer. Pour comprendre, nous n'avons
besoin que de nous-mêmes, c'est pour expliquer que la science
est nécessaire. Que peut m'importer la "compréhension
d'autrui", de M. X. ou Y. ? J'ai la mienne, et elle m'intéressera
toujours plus que la sienne. Par contre, ce qui me paraîtrait
vraiment nouveau, ce que je ne pourrai jamais trouver tout seul,
c'est l'éventuelle explication commune à ces deux
compréhensions.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Le fanatisme est à la superstition ce que le transport
est à la fièvre, ce que la rage est à la
colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend
des songes pour des réalités, et ses imaginations
pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui
soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Les lois sont encore très impuissantes contre ces
accès de rage ; c'est comme si vous lisiez un arrêt
du conseil à un frénétique. Ces gens-là
sont persuadés que l'esprit saint qui les pénètre
est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi
qu'ils doivent entendre.
 Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime
mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence,
est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?  
    --- VOLTAIRE   
%
 Ce sont d'ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques,
et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent
à ce Vieux de la Montagne qui faisait, dit-on, goûter
les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur
promettait une éternité de ces plaisirs dont il
leur avait donné un avant-goût, à condition
qu'ils iraient assassiner tous ceux qu'il leur nommerait.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Je pense avec vous que le fanatisme est un monstre mille
fois plus dangereux que l'athéisme philosophique. Spinosa
n'a pas commis une seule mauvaise action : Chastel et Ravaillac,
tous deux dévots, assassinèrent Henri IV.  
    --- VOLTAIRE   
%
 La manie de presque tous les hommes, c'est de se montrer
au-dessus de ce qu'ils sont. La manie des écrivains, c'est
de se montrer des hommes d'Etat. En conséquence,
tous les grands développements de force extra-judiciaire,
tous les recours aux mesures illégales dans les circonstances
périlleuses, ont été, de siècle en
siècle, racontés avec respect et décrits
avec complaisance. L'auteur, paisiblement assis à son bureau,
lance de tous côtés l'arbitraire, cherche à
mettre dans son style la rapidité qu'il recommande dans
les mesures, se croit, pour un moment, revêtu du pouvoir,
parce qu'il en prêche l'abus, réchauffe sa vie spéculative
de toutes les démonstrations de force et de puissance dont
il décore ses phrases, se donne ainsi quelque chose du
plaisir de l'autorité, répète à tue-tête
les grands mots de salut du peuple, de loi suprême, d'intérêt
public, est en admiration de sa profondeur, et s'émerveille
de son énergie. Pauvre imbécile ! Il parle
à des hommes qui ne demandent pas mieux que de l'écouter,
et qui, à la première occasion, feront sur lui-même
l'expérience de sa théorie.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Les disciples aveugles.
 Sans les disciples aveugles, jamais encore l'influence d'un homme
et de son oeuvre n'est devenu grande. Aider au triomphe d'une
idée n'a souvent d'autre sens que : l'associer si
fraternellement à la sottise que le poids de la seconde
emporte aussi la victoire pour la première.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ennemis de la vérité. - Les convictions
sont des ennemis de la vérité plus dangereux que
les mensonges.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Une conviction est la croyance d'être, sur un point
quelconque de la connaissance, en possession de la vérité
absolue. Cette croyance suppose donc qu'il y a des vérités
absolues ; en même temps, que l'on a trouvé
les méthodes parfaites pour y parvenir ; enfin que
tout homme qui a des convictions applique ces méthodes
parfaites. Ces trois conditions montrent tout de suite que l'homme
à convictions n'est pas l'homme de la pensée scientifique ;
il est devant nous à l'âge de l'innocence théorique,
il est un enfant, quelle que soit sa taille. Mais des siècles
entiers ont vécu dans ces idées naïves, et
c'est d'eux qu'ont jailli les plus puissantes sources de force
de l'humanité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 C'est le fanatisme de la liberté, seul, qui peut
avoir raison du fanatisme de la servitude et de la superstition.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Le fanatisme n'est sans doute pas autre chose que le sentiment
d'une fatalité effrayante qui se réalise par l'homme.
L'âme fataliste, ou si l'on veut prophétique, comme
parle Hegel, est aux écoutes ; elle cherche les signes,
elle les appelle ; elle va au devant des signes, elle les
fait surgir par incantation. D'un côté elle méprise,
elle écarte, elle fait taire par violence tout ce qui n'est
pas signe ; et le simple bonheur lui est par là plus
directement odieux qu'aucune autre chose. De l'autre, elle s'entraîne
elle-même vers l'état sibyllin, déclamant
à elle-même et aux autres. On comprend déjà
en quel sens le fatalisme est guerre, et d'abord guerre contre
tout ce qui est raison exploratrice et humaine espérance,
enfin contre toute ferme volonté. Tout cela est, pour le
fanatique, l'impiété même, non seulement par
méconnaissance des signes, mais aussi par cette influence
contraire aux signes, que tous les magiciens connaissent. Remarquez
ici que, ce que nous voulons prouver, ils le savent déjà ;
c'est qu'un homme raisonnable, oui, un seul homme raisonnable
peut beaucoup dans une assemblée de mystiques, et jusqu'à
faire taire ces murmures de l'univers, annonciateurs par le sentiment.
Or cela même, qui est à mes yeux le plus grand bien,
est exactement pour eux l'impiété, l'impureté,
le sacrilège. Au fond de toute discussion religieuse on
retrouve ce conflit là ; oui, jusqu'à la table
de famille. Et j'ai vu plus d'une sybille barbue dans son fauteuil.
Par là le conflit religieux est relié profondément
au conflit entre guerre et paix. Un fataliste ne peut annoncer
le bonheur et la paix puisqu'on les veut ; il y aurait apparence
qu'on peut vouloir ; c'est pourquoi l'espérance est
réduite à l'espérance du plus grand mal,
dans ces âmes enchaînées. Par là le
fatalisme est guerre.  
    --- ALAIN   
%
 On parle toujours de "fanatisme aveugle", comme s'il y
avait des fanatismes clairvoyants.  
    --- André FROSSARD   
%
 L'expérience prouve qu'il est beaucoup plus facile
de prendre des otages que de les relâcher.  
    --- André FROSSARD   
%
 Le seul barrage au fanatisme meurtrier est de vivre dans
une société pluraliste où le contrepoids
institutionnel d'autres doctrines et d'autres pouvoirs nous empêche
toujours d'aller jusqu'au bout des nôtres.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Une femme infidèle, si elle est connue pour telle
de la personne intéressée, n'est qu'infidèle :
s'il la croit fidèle, elle est perfide.
 On tire ce bien de la perfidie des femmes, qu'elle guérit
de la jalousie.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 A juger de cette femme par sa beauté, sa
jeunesse, sa fierté et ses dédains, il n'y a personne
qui doute que ce ne soit un héros qui doive un jour la
charmer. Son choix est fait : c'est un petit monstre qui
manque d'esprit.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Les femmes sont extrêmes : elles sont meilleures
ou pires que les hommes.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Il y a peu de femmes si parfaites, qu'elles empêchent
un mari de se repentir du moins une fois le jour d'avoir une femme,
ou de trouver heureux celui qui n'en a point.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 On dit communément : "La plus belle femme
du monde ne peut donner que ce qu'elle a" ; ce qui est très
faux : elle donne précisément ce qu'on croit
recevoir, puisqu'en ce genre c'est l'imagination qui fait le prix
de ce qu'on reçoit.  
    --- CHAMFORT   
%
 M. de Voltaire, étant chez Mme du Châtelet
et même dans sa chambre, s'amusait avec l'abbé Mignot,
encore enfant, et qu'il tenait sur ses genoux. Il se mit à
jaser avec lui et à lui donner des instructions. "Mon ami,
lui dit-il, pour réussir avec les hommes, il faut avoir
les femmes pour soi ; pour avoir les femmes pour soi, il
faut les connaître. Vous saurez donc que toutes les femmes
sont fausses et catins... - Comment, toutes les femmes !
Que dites-vous là, monsieur ? " dit Mme du Châtelet
en colère. "Madame, dit M. de Voltaire, il ne faut pas
tromper l'enfance."  
    --- CHAMFORT   
%
 Il en est de la femme comme de l'hostie consacrée :
pour le croyant, c'est Dieu même ; pour l'incrédule,
ce n'est que du pain sans levain.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Pensée d'avril  -  Ce qui fait la beauté
d'un rosier fait la laideur d'une femme, avoir beaucoup de boutons.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les Toscans ont ce proverbe : les cornes sont comme
les dents ; elles font mal quand elles poussent, mais on
mange avec.
 Ils ont cette prière :
   -  Mon Dieu, faites que je ne prenne pas femme. Si
je prends femme, faites que je ne sois pas cocu. Si je suis cocu,
faites que je ne le sache pas. Si je le sais, faites que je m'en
f...  
    --- Victor HUGO   
%
 Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir
le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Une maladie des hommes. - Contre la maladie des hommes
qui consiste à se mépriser, le remède le
plus sûr est qu'ils soient aimés d'une femme habile.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les femmes deviennent par amour tout à fait ce
qu'elles sont dans l'idée des hommes dont elles sont aimées.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 JEUNE FILLE. - Articuler ce mot timidement. Toutes les
jeunes filles sont pâles et frêles, toujours pures.
Eviter pour elles toute espèce de livres, les visites
dans les musées, les théâtres et surtout le
Jardin des Plantes, côté singes.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Les femmes le savent bien que les hommes ne sont pas si
bêtes qu'on croit  -  qu'ils le sont davantage.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Battre les femmes avec une fleur, eh, pourquoi faire ?
Ca ne leur ferait pas du tout de mal.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Les femmes d'âge ont une espèce de naturel
dans l'abandon, et de savoir-faire qui insensiblement engagent.
On dirait ces livres de chevet qui d'eux-mêmes s'ouvrent,
et nous découvrent leurs bons endroits.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Appelons la femme un bel animal sans fourrure dont la
peau est très recherchée.  
    --- Jules RENARD   
%
 Dites à une femme deux ou trois mots qu'elle ne
comprenne pas, d'aspect profond. Ils la déroutent, l'inquiètent,
la rendent anxieuse, la forcent à réfléchir
et vous la ramènent consciente de son infériorité,
sans défense. Car le reste est jeu d'enfant.
 Il n'est, bien entendu, pas nécessaire que vous les compreniez
vous-même.  
    --- Jules RENARD   
%
 Si jamais une femme me fait mourir, ce sera de rire.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je ne m'en cache pas, j'adore les jeunes femmes un peu
fortes, mais je les préfère énormes et voici
la raison :
 J'ai un faible pour la peau humaine lorsqu'elle est tendue sur
le corps d'une jolie femme ; or j'ai remarqué que
les grosses personnes offrent infiniment plus de peau que les
maigres. Voilà.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Jeune homme, qui voulez être un grand poète,
gardez-vous du paradoxe en amour ; laissez les écoliers
ivres de leur première pipe chanter à tue-tête
les louanges de la femme grasse ; abandonnez ces mensonges
aux néophytes de l'école pseudo-romantique. Si la
femme grasse est parfois un charmant caprice, la femme maigre
est un puits de voluptés ténébreuses !  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Il y a des gens qui rougissent d'avoir aimé une
femme, le jour qu'ils s'aperçoivent qu'elle est bête.
Ceux-là sont des aliborons vaniteux, faits pour brouter
les chardons les plus impurs de la création, ou les faveurs
d'un bas-bleu. La bêtise est souvent l'ornement de la beauté ;
c'est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des
étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales.
La bêtise est toujours la conservation de la beauté ;
elle éloigne les rides ; c'est un cosmétique
divin qui préserve nos idoles des morsures que la pensée
garde pour nous, vilains savants que nous sommes !  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Lune de miel.
  -  Dis-moi, ma chérie, à quel moment t'es-tu
aperçue, pour la première fois, que tu m'aimais ?
  -  C'est quand je me suis sentie toute chagrine chaque
fois qu'on te traitait d'idiot devant moi, répondit-elle
en souriant.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Les femmes ont des tas de défauts, mais, Dieu merci,
elles ont toutes une vertu qui les sauve : pas une d'entre
elles n'est sans défaut.  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 La prétention des hommes à une grande supériorité
sur les femmes est simplement grotesque. Leur immense vanité
les empêche de voir que cette supériorité
consiste à placer un carcan au cou d'un être qui
leur met à son tour des menottes aux poignets ; après
quoi ils n'ont plus qu'à tourner en rond, ensemble, au
bout d'une chaîne bénie par l'église, dans
l'ornière qu'a creusée la tradition.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Une dame disait un jour devant moi, d'elle-même,
comme la chose la plus naturelle du monde :
  -  Je ne pense jamais, cela me fatigue ;  -  ou,
si je pense, je ne pense à rien.
 Comme dit Hugo : ceci est grand jusqu'au sublime.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 La femme ne voit jamais ce que l'on fait pour elle ;
elle ne voit que ce qu'on ne fait pas.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 L'homme est le seul mâle qui batte sa femelle. Il
est donc le plus brutal des mâles, à moins que, de
toutes les femelles, la femme ne soit la plus insupportable  -  hypothèse
très soutenable, en somme.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Il faut bien l'avouer, le soin de la parure est chez la
femme beaucoup plus fort que celui de se vêtir ; outre
qu'il n'y a que trois choses de son corps qu'elle aime à
masquer, ses pieds, ses mains et son visage ; et si, comme
elles font de leurs épaules, elles découvraient
leur pensée, nous apprendrions que l'on peut se vêtir
très bien avec des gants, deux ou trois bracelets, une
paire de bottines à hauts talons, et un grand, grand chapeau
à plumes.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Il n'est point d'homme qui soit tout à fait indifférent
aux raffinements et aux grâces de la parure chez la femme
qui lui tient le bras ; signe qu'il est heureux de l'approbation
des autres ; vanité certainement. Or j'ai fait une
remarque qui étonnera les hommes tout à fait jeunes ;
c'est que la femme, même la plus élégante
et la plus attentive aux modes, ne fait jamais attention au vêtement
d'un homme qui lui plaît. Il n'y aurait donc point de vanité
du tout dans l'amour féminin ? C'est trop dire. Mais
enfin ne soyez pas dupe de ceci que les femmes sont plus parées
et ornées que les hommes, et n'allez pas en conclure que
ce sont les femmes qui tiennent aux ornements extérieurs ;
si cela était, on verrait les hommes en dentelles, en soie,
en chapeaux à plume. Et c'est la vanité des hommes
qui explique la parure des femmes.  
    --- ALAIN   
%
 La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle
a...
  -  Mieux vaut souvent qu'elle le garde !  
    --- Paul VALERY   
%
 Il n'est pas gai pour un amant de perdre le mari de sa
maîtresse. Il est obligé d'entendre un panégyrique
presque lyrique du défunt, recouvrant soudain toutes les
qualités les plus exemplaires, après tous les quolibets
et les injures dont on le couvrait de son vivant.  
    --- Paul LEAUTAUD    
%
 Je finirai par croire que les femmes qui viennent vous
chercher vous jouent plus de tours que les femmes auxquelles on
a dû faire une longue cour avant de les obtenir, comme ayant
moins de prix pour elle (vanité) dans le premier cas que
dans le second.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 J'ai vu des maris houspillés, j'en ai vu de ridiculisés,
j'en ai vu de trompés avec la plus belle ardeur, et une
ingéniosité, une adresse qui touchaient à
l'esprit. Mon bon coeur me faisait les plaindre. Je ne les plains
plus. Le jour qu'ils meurent, quelle réparation leur est
faite ! Il n'est pas de qualités, de mérites,
de talents que leurs épouses en larmes ne leur découvrent
soudain, pas d'éloges qu'elles n'en fassent, de regrets
qu'elles n'expriment, avec cet accent de sincérité
qui n'appartient qu'aux femmes. On consentirait à être
cocu pour entendre dire un pareil bien de soi.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il est curieux que ce soit toujours la femme qui "accorde
ses faveurs" à l'homme. Ce n'est pourtant qu'un échange
de bons procédés ?  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Une femme ne trouve jamais très intelligent l'homme
qui l'aime.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 J'imagine un cocu disant : 
 - Ce qui m'exaspère, c'est de penser que ce monsieur sait
maintenant de quoi je me contentais !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Elles croient volontiers que parce qu'elles ont fait le
contraire de ce qu'on leur demandait, elles ont pris une initiative.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Il y a celles qui vous disent qu'elles ne sont pas à
vendre, et qui n'accepteraient pas un centime de vous ! 
 Ce sont généralement celles-là qui vous
ruinent.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 De temps à autre, elles ont douze ans. Mais qu'un
événement grave se produise - et crac ! elles
en ont huit.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 C'en est encore une, celle-là, tenez, qui prend
l'entêtement pour de la volonté, qui confond excentrique
avec original et susceptible avec sensible - encore une, tenez,
qui reste convaincue que la contradiction tient lieu de caractère
- et qui croit volontiers que faire des façons c'est avoir
des manières.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Tu as un charme irrésistible - en ton absence -
et tu laisses un souvenir que ton retour efface.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Une femme, une vraie femme, c'est une femme avant tout
qui n'est pas féministe.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Il y a des femmes qui se jettent à votre cou comme
elles se lanceraient à la tête d'un cheval - pour
vous faire croire que vous êtes emballé.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Elle s'est donnée à moi - et c'est elle
qui m'a eu.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Je n'aime pas les femmes qui font l'enfant - à
l'exception, bien entendu, des femmes enceintes de neuf mois.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Quand une femme a des moments agréables, on n'ose
plus bouger. Ces instants devraient être précédés
par le roulement de tambour qui annonce le numéro-clou
dans les cirques.  
    --- Georges PERROS   
%
 Toutes les femmes sont fatales ; on commence par
leur devoir la vie, elles finissent par causer notre perte.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Les femmes seront les égales des hommes le jour
où elles accepteront d'être chauves et de trouver
ça distingué.  
    --- COLUCHE   
%
 Les femmes sont plus franchement mammifères que
les hommes.  
    --- Roland TOPOR   
%
 Il existe trois catégories de femmes : les
putes, les salopes et les emmerdeuses. Les putes couchent avec
tout le monde, les salopes couchent avec tout le monde sauf avec
toi, les emmerdeuses ne couchent qu'avec toi.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Il me suffira ici de poser en principe ce qui doit être
reconnu par tous : tous les hommes naissent ignorants des
causes des choses, et tous ont envie de rechercher ce qui leur
est utile, ce dont ils ont conscience.
 D'où il suit, en premier lieu, que les hommes se croient
libres parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leur
appétit, et qu'ils ne pensent pas, même en rêve,
aux causes qui les disposent à désirer et à
vouloir, parce qu'ils les ignorent.
 Il suit, en second lieu, que les hommes agissent toujours en
vue d'une fin, c'est-à-dire en vue de l'utile qu'ils désirent ;
d'où il résulte qu'ils ne cherchent jamais à
savoir que les causes finales des choses une fois achevées,
et que, dès qu'ils en ont connaissance, ils trouvent le
repos, car alors ils n'ont plus aucune raison de douter. S'ils
ne peuvent avoir connaissance de ces causes par autrui, il ne
leur reste qu'à se retourner vers eux-mêmes et à
réfléchir aux fins qui les déterminent d'habitude
à des actions semblables, et à juger ainsi nécessairement,
d'après leur naturel propre, celui d'autrui. En outre,
ils trouvent en eux-mêmes et hors d'eux-mêmes un grand
nombre de moyens qui leur servent excellemment à se procurer
ce qui leur est utile, comme par exemple, les yeux pour voir,
les dents pour mâcher, les herbes et les animaux pour s'alimenter,
le soleil pour s'éclairer, la mer pour nourrir les poissons,
etc., ils finissent donc par considérer toutes les choses
naturelles comme des moyens pour leur utilité propre. Et
comme ils savent que ces moyens, ils les ont trouvés, mais
ne les ont pas agencés eux-mêmes, ils y ont vu une
raison de croire qu'il y a quelqu'un d'autre qui a agencé
ces moyens à leur usage. Car, ayant considéré
les choses comme des moyens, ils ne pouvaient pas croire qu'elles
se fussent faites elles-mêmes ; mais, pensant aux moyens
qu'ils ont l'habitude d'agencer pour eux-mêmes, ils ont
dû conclure qu'il y a un ou plusieurs maîtres de la
Nature, doués de la liberté humaine qui ont pris
soin de tout pour eux et qui ont tout fait pour leur convenance.
Or, comme ils n'ont jamais eu aucun renseignement sur le naturel
de ces êtres, ils ont dû en juger d'après le
leur, et ils ont ainsi admis que les Dieux disposent tout à
l'usage des hommes, pour se les attacher et être grandement
honorés par eux. D'où il résulta que chacun
d'eux, suivant son naturel propre, inventa des moyens divers de
rendre un culte à Dieu, afin que Dieu l'aimât plus
que tous les autres et mît la Nature entière au service
de son aveugle désir et de son insatiable avidité.
Ainsi, ce préjugé est devenu superstition et a plongé
de profondes racines dans les esprits ; ce qui fut une raison
pour chacun de chercher de toutes ses forces à comprendre
les causes finales de toutes choses et à les expliquer.
Mais en voulant montrer que la Nature ne fait rien en vain (c'est-à-dire
qui ne soit à l'usage des hommes), ils semblent avoir uniquement
montré que la Nature et les Dieux délirent aussi
bien que les hommes. Voyez, je vous prie, où cela conduit !
Parmi tant d'avantages qu'offre la Nature, ils ont dû trouver
un nombre non négligeable d'inconvénients, comme
les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc.,
et ils ont admis que ces événements avaient pour
origine l'irritation des Dieux devant les offenses que leur avaient
faites les hommes ou les fautes commises dans leur culte ;
et quoique l'expérience s'inscrivît chaque jour en
faux contre cette croyance et montrât par d'infinis exemples
que les avantages et les inconvénients échoient
indistinctement aux pieux et aux impies, ils n'ont cependant renoncé
à ce préjugé invétéré :
il leur a été, en effet, plus facile de classer
ce fait au rayon des choses inconnues, dont ils ignoraient l'usage,
et de garder ainsi leur état actuel et inné d'ignorance,
que de ruiner toute cette construction et d'en inventer une nouvelle.
Ils ont donc pris pour certain que les jugements de Dieux dépassent
de très loin la portée de l'intelligence humaine ;
et cette seule raison , certes, eût suffi pour que la vérité
demeurât à jamais cachée au genre humain,
si la Mathématique, qui s'occupe non des fins, mais seulement
des essences et des propriétés des figures, n'avait
montré aux hommes une autre règle de vérité.  
    --- Baruch SPINOZA   
%
 Il paraît qu'il faut être forcené pour
nier que les estomacs soient faits pour digérer, les yeux
pour voir, les oreilles pour entendre. D'un autre côté,
il faut avoir un étrange amour des causes finales pour
assurer que la pierre a été formée pour bâtir
des maisons, et que les vers à soie sont nés à
la Chine afin que nous ayons du satin en Europe.
 [...]
 Je crois qu'on peut aisément éclaircir cette difficulté.
Quand les effets sont invariablement les mêmes en tout lieu
et en tout temps, quand ces effets uniformes sont indépendants
des êtres auxquels ils appartiennent, alors il y a visiblement
une cause finale.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Je sais bien que plusieurs philosophes, et surtout Lucrèce,
ont nié les causes finales ; et je sais que Lucrèce,
quoique peu châtié, est un très grand poète
dans ses descriptions et dans sa morale ; mais en philosophie,
il me paraît, je l'avoue, fort au-dessous d'un portier de
collège et d'un bedeau de paroisse. Affirmer que ni l'oeil
n'est fait pour voir, ni l'oreille pour entendre, ni l'estomac
pour digérer, n'est-ce pas là la plus énorme
absurdité, la plus révoltante folie qui soit jamais
tombée dans l'esprit humain ? Tout douteur que je
suis, cette démence me parait évidente et je le
dis.
 Pour moi, je ne vois dans la nature comme dans les arts, que
des causes finales ; et je crois un pommier fait pour porter
des pommes comme je crois une montre faite pour marquer l'heure.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Si une horloge n'est pas faite pour montrer l'heure, j'avouerai
alors que les causes finales sont des chimères ; et
je trouverai fort bon qu'on m'appelle cause-finalier, c'est-à-dire
un imbécile.  
    --- VOLTAIRE   
%
 L'esprit trouve des mystères parce qu'il cherche
d'instinct un but et une utilité à toute chose.
Il semble qu'il lui soit interdit de concevoir les choses telles
quelles  -  tout au moins telles qu'elles se montrent.  
    --- Paul VALERY   
%
 L'on s'insinue auprès de tous les hommes, ou en
les flattant dans les passions qui occupent leur âme, ou
en compatissant aux infirmités qui affligent leur corps ;
en cela seul consistent les soins que l'on peut leur rendre :
de là vient que celui qui se porte bien, et qui désire
peu de choses, est moins facile à gouverner.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Les louanges d'un sot ne devraient pas me flatter, et
cependant me flattent presque autant que celles d'un homme d'esprit :
un sot, dans le moment qu'il me loue, devient homme d'esprit ;
l'homme d'esprit qui me loue n'est qu'un juge équitable.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Nous croyons le faux qui nous flatte. Vous feriez aisément
accroire que le blanc est noir à celui qui a des cheveux
blancs.  
    --- Victor HUGO   
%
 Aussi infailliblement que le chat se met à ronronner
quand on lui caresse le dos, aussi sûrement on voit une
douce extase se peindre sur la figure de l'homme qu'on loue, surtout
quand la louange porte sur le domaine de ses prétentions,
et quand même elle serait un mensonge palpable.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 Sterne, dans son Voyage sentimental, raconte qu'il voulut,
une soirée, essayer jusqu'où on pouvait louer quelqu'un
sans cesser de lui plaire. Il fit l'épreuve sur trois personnes
qui n'étaient pas sans mérite ; il commença
par les écouter, ce qui est une flatterie très agréable ;
ensuite il en redemanda ; et enfin il les reconnus supérieurs
comme ils voulaient l'être, sans restriction, disant par
exemple au diplomate : "J'ai entendu souvent parler de politique
extérieure ; mais je ne soupçonnais même
pas cette solidité de doctrine, cette profondeur de vues,
cette connaissance des hommes que vous venez de me montrer." Naturellement
ces éloges furent savourés ; il essaya de les
forcer ; mais plus il exagérait, plus l'autre y trouvait
de plaisir. Le flatteur reçut en échange quelques
compliments qu'il n'attendait point, qu'il s'efforça de
mépriser, mais qui trouvèrent tout de même
asile au plus profond de son coeur. Bref, pour avoir été
trois fois flatteur dans cette soirée, et impudemment flatteur,
il se fit trois amis, trois vrais et fidèles amis, qui
ne l'oublièrent jamais et lui rendirent mille services
sans qu'il le demandât. Voilà de ces terribles histoires,
dont le sel est bien anglais ; cette froide plaisanterie
glace comme une douche, et laisse une trace brûlante. Leurs
clowns grands et petits sont comme leurs épices ;
quand on en a goûté, tout le reste paraît fade.  
    --- ALAIN   
%
 Or l'histoire du déluge étant la chose la
plus miraculeuse dont on ait jamais entendu parler, il serait
insensé de l'expliquer : ce sont des mystères
qu'on croit par la foi ; et la foi consiste à croire
ce que la raison ne croit pas, ce qui est encore un miracle.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Repoussez l'incrédulité : vous me ferez
plaisir.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 La foi sera toujours en raison inverse de la vigueur de
l'esprit et de la culture intellectuelle. Elle est là derrière
l'humanité attendant ses moments de défaillance,
pour la recevoir dans ses bras et prétendre ensuite que
c'est l'humanité qui s'est donnée à elle.
Pour nous, nous ne plierons pas ; nous tiendrons ferme comme
Ajax contre les dieux ; s'ils prétendent nous faire
fléchir en nous frappant, ils se trompent. Honte aux timides
qui ont peur ! Honte surtout aux lâches qui exploitent
nos misères et attendent pour nous vaincre que le malheur
nous ait déjà à moitié vaincus.  
    --- Ernest RENAN   
%
 A vrai dire, la foi n'a pas encore réussi
à déplacer de vraies montagnes, quoique cela ait
été affirmé par je ne sais plus qui ;
mais elle sait placer des montagnes où il n'y en a point.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Foi n. Croyance sans preuve dans ce qui est affirmé
par quelqu'un qui parle sans savoir, ou qui pense sans comparer.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Le débat religieux n'est plus entre religions,
mais entre ceux qui croient que croire a une valeur quelconque,
et les autres.  
    --- Paul VALERY   
%
 La bonne foi est une vertu essentiellement laïque,
que remplace la foi tout court.  
    --- André GIDE   
%
 La foi comporte un certain aveuglement où se complaît
l'âme croyante ; quand elle échappe aux entraves
de la raison, il lui semble qu'elle bat son plein. Elle n'est
que dévergondée.  
    --- André GIDE   
%
 La Foi soulève des montagnes ; oui :
des montagnes d'absurdités. Je n'oppose pas à la
Foi le doute ; mais l'affirmation : ce qui ne saurait
être n'est pas.  
    --- André GIDE   
%
 Et si la foi n'était qu'une forme très particulière
de l'aliénation mentale ?   
    --- Philippe BOUVARD   
%
 On appelle "mauvaise foi" les convictions d'autrui qu'on
ne partage pas...  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Il semble que la foi du charbonnier soit un peu moins
vive depuis la découverte du pétrole.  
    --- André FROSSARD   
%
 Qu'est-ce que la foi ?... Ce qui permet à
l'intelligence de vivre au-dessus de ses moyens.  
    --- André FROSSARD   
%
 D'après certains savants travaux, la montagne des
Dix commandements ne se trouverait plus sur le Sinaï :
ce n'est plus la foi, c'est le doute, maintenant, qui déplace
les montagnes.  
    --- André FROSSARD   
%
 Il devrait être entendu une fois pour toutes parmi
les fidèles que toutes les reliques sont authentiques,
qu'il suffit en tout cas qu'on ait prié devant elles pour
qu'elles le deviennent.  
    --- André FROSSARD   
%
 La foi, c'est prier un doute pour qu'il protège
des réalités.  
    --- Frédéric DARD   
%
 La bonne foi n'étant pas la vertu la plus répandue
chez l'homme, c'est fréquemment à propos de l'accessoire
que l'on vous fait un procès, pour mieux éluder
l'essentiel.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et
modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre
doit toujours être direct et nécessairement clair.
Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite
le verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action :
voilà la logique naturelle à tous les hommes ;
voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si
favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours
contraire aux sensations, qui nomment le premier l'objet qui frappe
le premier. C'est pourquoi tous les peuples, abandonnant l'ordre
direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon
que leurs sensations ou l'harmonie des mots l'exigeaient ;
et l'inversion a prévalu sur la terre, parce que l'homme
est plus impérieusement gouverné par les passions
que par la raison.
 Le français, par un privilège unique, est seul
resté fidèle à l'ordre direct, comme s'il
était tout raison, et on a beau par les mouvements les
plus variés et toutes les ressources du style, déguiser
cet ordre, il faut toujours qu'il existe ; et c'est en vain
que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre
l'ordre des sensations : la syntaxe française est
incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable
clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n'est
pas clair n'est pas français ; ce qui n'est pas clair
est encore anglais, italien, grec ou latin.  
    --- RIVAROL   
%
 Le français ne veut exprimer que des choses claires ;
or les lois les plus importantes, celles qui tiennent aux transformations
de la vie, ne sont pas claires : on les voit dans une sorte
de demi-jour. C'est ainsi qu'après avoir aperçu
la première les vérités de ce qu'on appelle
maintenant le darwinisme la France a été la dernière
à s'y rallier. On voyait bien tout cela, mais cela sortait
des habitudes ordinaires de la langue et du moule des phrases
bien faites. La France a ainsi passé à côté
de précieuses vérités, non sans les voir,
mais en les jetant au panier, comme inutiles ou impossibles à
exprimer.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Clarté du français. 
 Qui sait si cette clarté n'est point due à la diversité
des races en présence sur notre sol. Une population mêlée
formerait pour s'entendre un langage moyen. Inverse de Babel.
Chez nous Latins et Germains et Celtes.  
    --- Paul VALERY   
%
 J'aime passionnément la langue française,
je crois tout ce que la grammaire me dit, et je savoure les exceptions,
les irrégularités de notre langue.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je lis de moins en moins l'anglais et l'allemand ;
ce sont des langues qui mettent trop de flou dans mon esprit  -  qui
n'en a vraiment pas besoin.
 Et puis j'ai plus que l'impression, la certitude, qu'on ne peut
formuler qu'en français, et qu'en tout autre langue on
se laisse aller au charme et à la débauche de l'approximation.
 Le français est la langue non géniale par excellence.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La preuve que, pour parler avec Rivarol, la probité
définit la langue française, c'est que le subjonctif
y abonde plus que dans d'autres. Le français ou le respect
de l'incertitude.  
    --- Emil CIORAN   
%
  -  Vous parlez un français très
châtié !
  -  Qui aime bien châtie bien !  
    --- Frédéric DARD   
%
 [...] c'est une plaisante nation que la nôtre ;
sa vanité n'est pas faite comme celle des autres peuples :
ceux-ci sont vains tout naturellement, ils n'y cherchent point
de subtilité, ils estiment tout ce qui se fait chez eux
cent fois plus que tout ce qui se fait partout ailleurs ;
ils n'ont point de bagatelles qui ne soient au-dessus de ce que
nous avons de plus beau ; ils en parlent avec un respect
qu'ils n'osent exprimer, de peur de le gâter ; et ils
croient avoir raison ; ou si quelquefois ils ne le croient
point, ils n'ont garde de le dire, car où serait l'honneur
de la patrie ? et voilà ce qu'on appelle une vanité
franche ; voilà comme la nature nous la donne de la
première main, et même comme le bon sens serait vain
si jamais le bon sens pouvait l'être.
 Mais nous autres Français, il faut que nous touchions
à tout, et nous avons changé tout cela. Vraiment
nous y entendons bien plus de finesse, nous sommes bien autrement
déliés sur l'amour-propre : estimer ce qui
se fait chez nous ? eh ! où en serait-on, s'il
fallait louer ses compatriotes ? ils seraient trop glorieux,
et nous trop humiliés ; non, non, il ne faut pas donner
cet avantage-là à ceux avec qui nous vivons tous
les jours, et qu'on peut rencontrer partout. Louons les étrangers,
à la bonne heure, ils ne sont pas là pour en devenir
vains ; et au surplus nous ne les estimons pas plus pour
cela, nous saurons bien les mépriser quand nous serons
chez eux, mais pour ceux de notre pays, myrmidons que tout cela.  
    --- MARIVAUX   
%
 M... disait, à propos de sottises ministérielles
et ridicules : "Sans le gouvernement, on ne rirait plus en
France."  
    --- CHAMFORT   
%
 Un homme d'esprit me disait un jour : que le gouvernement
de France était une monarchie absolue tempérée
par des chansons.  
    --- CHAMFORT   
%
 La France serait-elle si bien la France, si elle n'avait
pour exalter sa personnalité l'antithèse de l'Angleterre ?  
    --- Ernest RENAN   
%
 Plutôt qu'une race et même qu'une nation,
la France est une idée.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Que représente la France, pour les Français ?
Aux yeux des gens graves qui possèdent, et qui réfléchissent
profondément et pompeusement, c'est un poids nécessaire
à l'équilibre européen ;  pour les autres,
c'est un hexagone.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Guillotine n. Machine qui, à juste titre, fait
hausser les épaules à un français. Dans son
magistral ouvrage, Voies Divergentes de l'Evolution Raciale,
le docte Professeur Brayfugle argue sur l'importance de ce mouvement
 -  le haussement d'épaules  -  chez
les français, du fait qu'ils descendent probablement des
tortues et qu'il s'agit simplement d'une survivance de l'habitude
de rétracter la tête dans la carapace. C'est avec
répugnance que je m'écarte d'une autorité
si éminente, mais selon mon opinion (abondamment développée
et argumentée dans mon ouvrage intitulé Emotions
Héréditaires - lib. II, c. XI), le haussement d'épaules
est une piste trop ténue pour aboutir à une théorie
aussi catégorique, d'autant plus que le geste était
inconnu avant la Révolution. Je ne doute pas un seul instant
qu'il doive son origine à la terreur inspirée par
la guillotine pendant la période de l'activité de
cet instrument.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Le mouvement de population et de l'émigration est
biologique ; nul n'y peut rien. Supposons une infiltration
d'étrangers par centaines de mille, et d'étrangers
qui restent étrangers, le problème silésien
peut se poser en Champagne. Ainsi la guerre se montre, mais elle
est moins effet que cause ; c'est parce qu'elle se montrait
d'abord que les difficultés s'élèvent. Si
les pensées étaient occupées de bonne entente,
d'association, d'échanges fructueux, et non point de guerre,
le fleuve humain coulerait lentement du continent vers nos rivages,
comme il l'a toujours fait, et les Français ne craindraient
nullement de devenir Allemands par cette force du nombre, évidemment
invincible ; au contraire les immigrants allemands deviendraient
Français. La France a toujours dû sa nature propre
à de tels mélanges ; et je crois que toujours
la géographie vaincra l'histoire.  
    --- ALAIN   
%
 A chaque règlement nouveau qu'on impose
à la France, chaque citoyen français s'inquiète
de savoir non point comment le suivre, mais comment l'éluder.
J'en reviens toujours à ceci : on parle de défaut
d'organisation ; c'est défaut de conscience qu'il
faut dire.  
    --- André GIDE   
%
 Qu'est-ce que la France, je vous le demande ? Un
coq sur un fumier. Otez le fumier, le coq meurt. C'est ce
qui arrive lorsqu'on pousse la sottise jusqu'à confondre
tas de fumier et tas d'ordures.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Un coq sur un tas de fumier a satisfait, un moment, l'image
que Jean Cocteau se faisait de la France. Ce fumier fécond,
que nos hommes de gouvernement ont trop souvent tendance à
prendre pour une pourriture (sic), c'est le bienfaisant désordre.
Le coq est le poète lui-même. Les vertus du désordre
engendrent spontanément celles du poète : l'artisanat
ou industrie désinvolte, l'invention, la trouvaille et
la contradiction qui constitue la forme la plus haute de la création.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Seuls les peuples querelleurs, indiscrets, jaloux, rouspéteurs,
ont une histoire intéressante : celle de la France
l'est au suprême degré. Fertile en événements
et, plus encore, en écrivains pour les commenter, elle
est la providence de l'amateur de Mémoires.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Les Français ont tous les défauts, sauf
un : ils ne sont pas obséquieux. Ils l'ont assez démontré
pendant l'Occupation ; je n'en ai vu aucun qui, dans la rue
ou ailleurs, se soit aplati devant l'occupant ou qui ait pris
un air servile (la Collaboration est tout autre chose ; les
collaborateurs se sont vendus : cela est différent).
C'est là où les Français ont une nette supériorité
sur les Allemands, lesquels dès qu'ils sont battus, deviennent
rampants. Mais même en dehors de la défaite, ils
sont toujours à plat ventre devant un supérieur
hiérarchique : leur obéissance est à
base de lâcheté civile et non de consentement à
l'ordre.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le goût des Français pour le droit est bien
connu ; c'est probablement le seul pays où l'on entende
parler d'un "droit à l'erreur", bien que personne ne s'y
trompe jamais.  
    --- André FROSSARD   
%
 En France, les procès finissent toujours par celui
de la Justice.  
    --- André FROSSARD   
%
 Les Français ces derniers temps, sont de plus en
plus cartésiens : ils doutent de tout.  
    --- André FROSSARD   
%
 A ceux qui remarquent que la France est vingt fois
moins peuplée que la Chine, je réponds que le rayonnement
d'un pays est moins lié au nombre des vivants qu'à
la qualité des morts.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Ah ! que Freud est gênant ! et qu'on fût
bien arrivé sans lui à découvrir son Amérique !
Il me semble que ce dont je lui doive être le plus reconnaissant,
c'est d'avoir habitué les lecteurs à entendre traiter
certains sujets sans avoir à se récrier ni à
rougir. Ce qu'il nous apporte surtout c'est de l'audace ;
ou plus exactement, il écarte de nous certaine fausse et
gênante pudeur.
 Mais que de choses absurdes chez cet imbécile de génie !  
    --- André GIDE   
%
 J'ai lu de ce même M. Freud, il y a quelques
années, un travail sur Le Rire. C'est fort incomplet. Il
manque une sorte importante du Rire. Celui dont on est pris à
la lecture de ces pauvretés prétentieuses, lesquelles
naturellement, à notre époque de jobardise, ont
trouvé des adeptes hommes et femmes, heureux de se distinguer
en "glosant" sur cette "nouveauté".  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 J'ai trop été nourri de la lecture de Freud,
qui d'ailleurs a été assassiné beaucoup plus
par ses disciples que par ses détracteurs, pour le rejeter
entièrement, comme on a tendance à le faire en cette
fin du XX<SUP>e</SUP> siècle. Je n'en professe pas moins qu'il faut
avoir un champ de vision d'une étroitesse de corridor et
une insensibilité daltonienne aux couleurs de la vie pour
se condamner à la portion congrue et à la morne
pitance de la seule et unique sexualité comme source, thème
et vecteur exclusifs des riches et innombrables passions humaines.  
    --- Jean-François REVEL   
%
  Gaspiller ton patrimoine te porte tort. Et il n'y a chose
au monde qui se consume elle-même plus vite que la générosité :
pendant que tu l'emploies, tu perds la faculté de l'employer,
tu deviens pauvre et méprisable, ou, pour échapper
à la pauvreté, rapace et détestable. Or un
prince doit éviter par-dessus tout d'inspirer la haine
et le mépris : deux malheurs auxquels la libéralité
conduit inévitablement. Il y a donc plus de sagesse à
accepter l'appellation de lésineur, qui engendre un mauvais
renom sans haine, qu'à ambitionner celle de libéral,
qu'accompagne nécessairement celle de rapace, qui engendre
un mauvais renom avec haine.  
    --- MACHIAVEL   
%
 Rendre. - Hésiode conseille de rendre au voisin
qui nous a aidés, dès que nous le pouvons, et, si
possible, en une plus large mesure. Car le voisin prend grand
plaisir à voir sa bienveillance de jadis lui rapporter
des intérêts ; mais celui qui rend a, lui aussi,
son plaisir, en ce sens qu'il rachète par un petit excédent
qu'il donne à son tour la petite humiliation qu'il a dû
subir jadis en se laissant aider.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Mettre un peu d'argent de côté.
 En mettant un peu d'argent de côté, vous préparez
votre avenir et vous donnez aux pauvres un exemple infiniment
plus précieux que toutes les aumônes.
 Croyez-moi, fussiez-vous très riche, il faut mettre un
peu d'argent de côté. Si vous rencontrez un miséreux,
un mourant de faim  que sauverait le don de quelque monnaie, il
se peut, le coeur de l'homme étant fragile, que vous vous
sentiez ému. Prenez garde, c'est le moment de l'épreuve,
c'est l'heure de la tentation redoutable. Soyez généreux
et refusez avec énergie. Souvenez-vous que le premier de
tous vos devoirs est de mettre de l'argent de côté
et que l'ombre de Benjamin Franklin vous regarde.  
    --- Léon BLOY   
%
 Avoir un coeur d'or.
 Quel privilège ! Plus de palpitations, plus d'émotions,
plus d'amour bête, plus d'entraînements irréfléchis.
On est tranquille Baptiste et heureux comme les cochons. Cessation
des phénomènes absurdes. On ne se ronge plus le
coeur, le coeur ne saigne plus. On n'a plus un coeur d'airain,
ni un coeur de pierre, encore moins un coeur de lion, mais un
bel organe rutilant conoïde et creux tout en or et parfaitement
insensible. C'est le privilège inestimable du vrai Bourgeois.
 Le plus bel éloge qu'on puisse faire de lui, c'est qu'il
a un coeur d'or. Les propriétaires, les huissiers, les
usuriers ont presque toujours un coeur d'or et cela ce voit tellement !
Si vous essayez de les troubler, de les impressionner, de les
émouvoir d'une façon quelconque, vous perdrez vos
peines. Le coeur d'or vous mettra du plomb dans la tête,
du plomb dans les jambes et vous aurez bientôt une mine
de plomb.  
    --- Léon BLOY   
%
 On a volé au Louvre L'Indifférent de Watteau,
cette merveille. C'est bien fait (en quelque sorte). On a mis
comme gardiens des mutilés, des amputés, des individus,
somme toute, qui n'ont pas toute la validité nécessaire
pour ces fonctions. La pitié, la générosité,
etc., etc., c'est très joli, mais les merveilles du Louvre ?
C'est tout de même d'une autre importance.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 On a ou on n'a pas le coeur sur la main. 
 Mais, en réalité, ce qu'on entend par avoir du
coeur, c'est avoir une faiblesse des glandes lacrymales en même
temps qu'une légère paralysie du cervelet.
 Mais, pour la plupart des gens, avoir du coeur, c'est sauver
un papillon qui allait se brûler à la lampe, alors
qu'on vient de tuer une douzaine de mouches. Avoir du coeur, c'est
porter longtemps le deuil de son oncle, c'est faire soigner sa
bonne par son propre médecin et c'est pleurer abondamment
en présence d'un malheur au lieu d'en conjurer les effets.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Appelons donc hommes de génie ceux qui font vite
ce que nous faisons lentement.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Je n'ai aucune foi dans l'esprit des enfants annonçant
un homme supérieur. Dans un genre moins sujet à
illusions, car enfin les monuments restent, tous les mauvais peintres
que j'ai connus ont fait des choses étonnantes vers huit
ou dix ans et annonçant le génie.
 Hélas ! rien n'annonce le génie, peut-être
l'opiniâtreté est-elle un signe.  
    --- STENDHAL   
%
 La chute des grands hommes rend les médiocres et
les petits importants. Quand le soleil décline à
l'horizon, le moindre caillou fait une grande ombre et se croit
quelque chose.  
    --- Victor HUGO   
%
 L'homme fort dit : je suis. Et il a raison. Il est.
L'homme médiocre dit également : je suis. Et
lui aussi a raison. Il suit.  
    --- Victor HUGO   
%
 Tous les grands hommes sont de grands travailleurs, infatigables
non seulement à inventer, mais encore à rejeter,
passer au crible, modifier, arranger.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Qu'est-ce que le génie ? - Avoir un but élevé
et vouloir les moyens d'y parvenir.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Illusion des esprits supérieurs. - Les esprits
supérieurs ont de la peine à se délivrer
d'une illusion : ils se figurent qu'ils éveillent
la jalousie des médiocres et qu'ils sont considérés
comme des exceptions. Mais en réalité on les considère
comme quelque chose de superflu, dont on ne serait pas privé
si cela n'existait pas.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ce n'est pas l'amour seul où la familiarité
est exclusive de l'admiration. "M. Descartes, disaient ces
bonnes gens : un grand homme ? Lui que nous avons connu
tout petit."  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Le génie est moins rare aujourd'hui qu'au temps
de M. Ingres. Il y a mille peintres, et plus, qui jouent du violon.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Les plus grands hommes sont des hommes qui ont osé
se fier à leurs jugements propres,  -  et pareillement
les plus sots.  
    --- Paul VALERY   
%
 Je ne puis penser que la "Nature" était inconnue
avant Rousseau ; ni la méthode avant Descartes ;
ni l'expérience avant Bacon ; ni tout ce qui est évident
avant quelqu'un.  -  
 Mais quelqu'un a battu le tambour.  
    --- Paul VALERY   
%
 L'homme de génie est celui qui m'en donne.  
    --- Paul VALERY   
%
 La société nomme dépravation le génie
des sens et le condamne parce que les sens relèvent de
la cour d'assises. Le génie relève de la cour des
miracles. La société le laisse vivre. Elle ne le
prend pas au sérieux.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Le génie est l'extrême pointe du sens pratique.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Chacun des miracles du génie humain, et même
dans l'algèbre, offre cet aspect paradoxal qui fait dire,
après le succès, qu'on aurait pu et qu'on aurait
dû le prévoir, mais enfin qu'on ne l'a point prévu ;
comme on voit que Fermat, en ses recherches sur les maxima et
minima, tenait la dérivée au bout de la plume, et
s'en servait, sans savoir encore ce que c'était. D'un autre
côté, il faut bien convenir que ce succès
étonnant ne pouvait s'offrir qu'à un Fermat, et
qu'il avait dû auparavant comprendre bien des choses, sans
quoi il ne serait pas arrivé à ce résultat
pour lui incompréhensible.  
    --- ALAIN   
%
 Cette espèce de malaise lorsqu'on essaie d'imaginer
la vie quotidienne des grands esprits... Vers deux heures de l'après-midi,
que pouvait bien faire Socrate ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'opportunité des novateurs ne consiste pas à
être en harmonie avec l'évolution matérielle,
mais avec les hommes. Les institutions et les esprits ont toujours
du retard sur la technique. Par suite, celui qui serait à
la hauteur de celle-ci et en prévoirait correctement les
conséquences n'aurait aucune chance d'être entendu.
 Tout l'art du grand homme, du génie, consiste à
savoir trahir ; entre le pilori et le panthéon, la
zone est étroite.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 Le calembour représente l'unique point de jonction
entre un imbécile et un génie.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Il [Caligula] avait sans cesse à la bouche ce mot
d'une tragédie : "Qu'on me haïsse pourvu qu'on
me craigne"*.  
    --- SUETONE   
%
 Les hommes sages savent se faire toujours un mérite
de ce que la nécessité les contraint de faire.  
    --- MACHIAVEL   
%
 * Les finances sont presque partout mal administrées,
moins par l'incapacité de ceux qui les gèrent, que
par l'incertitude où ils sont s'ils les géreront
longtemps.
 * Que peut entreprendre de grand un homme, qui craint à
chaque instant qu'on ne lui demande ses comptes ? Quelle
apparence qu'il travaille pour son successeur ?
 * Presque tous les projets utiles sont d'une lente exécution.
La guérison est longue, le palliatif s'applique en un moment.
 Quel est le ministre qui fera planter tous les bords de nos mers
de bois propres à la construction des vaisseaux ?
Cette plantation ne sera utile que dans un siècle ou dans
un siècle et demi.
 * Au lieu de travailler pour le bien de l'Etat, le ministre
des finances travaille pour sa gloire.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Il faut que les lois empêchent la constitution de
vieillir, parce que la constitution ne se rajeunit jamais.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Plus on corrompt, plus la corruption coûte, et elle
ne rend point à proportion de l'achat.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 La raison pourquoi la plupart des gouvernements de la
Terre sont despotiques, c'est que cela se fait tout seul. Mais,
pour des gouvernements modérés, il faut combiner,
tempérer les puissances ; savoir ce qu'on donne à
l'un, ce qui reste à l'autre ; enfin il faut un système,
c'est-à-dire une convention de plusieurs et une discussion
d'intérêts. Le gouvernement despotique est uniforme
partout : il saute aux yeux.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 La république est le seul remède aux maux
de la monarchie, et la monarchie le seul remède aux maux
de la république.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Lorsqu'on vante le despotisme, l'on croit toujours n'avoir
de rapports qu'avec le despote ; mais on en a d'inévitables
avec tous les agents subalternes. Il ne s'agit plus d'attribuer
à un seul homme des facultés distinguées
et une équité à toute épreuve. Il
faut supposer l'existence de cent ou deux cent mille créatures
angéliques, au-dessus de toutes les faiblesses et de tous
les vices de l'humanité.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Longtemps encore l'humanité aura besoin qu'on lui
fasse du bien malgré elle. Gouverner pour le progrès,
c'est gouverner de droit divin.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Je disais hier à Ch. Dupin :  -  M.
Guizot est personnellement incorruptible et il gouverne par la
corruption. Il me fait l'effet d'une femme honnête qui tiendrait
un bordel.  
    --- Victor HUGO   
%
 C'est de tout coeur que je souscris à la maxime
selon laquelle "le meilleur des gouvernements est celui qui gouverne
le moins", maxime que j'aimerais voir suivie d'effet de manière
plus rapide et plus systématique. Si on pousse le raisonnement
à l'extrême, on finit par en arriver à l'idée
suivante, à laquelle je crois aussi, que "le meilleur des
gouvernements est celui qui ne gouverne pas du tout". D'ailleurs,
lorsque les hommes y seront prêts, ils connaîtront
une telle forme de gouvernement.  
    --- Henry D. THOREAU  
%
 J'appelle ploutocratie un état de société
où la richesse est le nerf principal des choses, où
l'on ne peut rien faire sans être riche, où l'objet
principal de l'ambition est de devenir riche, où la capacité
et la moralité s'évaluent généralement
(et avec plus ou moins de justesse) par la fortune, de telle sorte,
par exemple, que le meilleur critérium pour prendre l'élite
de la nation soit le cens<SUP>*</SUP>.  
    --- Définition originale du terme   
%
  M. de Faverges déclara son dévouement pour
Chambord. "Les abeilles prouvent la monarchie."
 "Mais les fourmilières la République !" Du
reste, le médecin n'y tenait plus.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 FONDS SECRETS. - Sommes incalculables avec lesquelles
les ministres achètent les consciences. S'indigner contre.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Fonte de la civilisation. - La civilisation est née
comme une cloche, à l'intérieur d'un moule de matière
plus grossière, plus commune : fausseté, violence,
extension illimitée de tous les individus, de tous les
peuples, formaient ce moule. Est-il temps de l'ôter aujourd'hui ?
La coulée s'est-elle figée, les bons instincts utiles,
les habitudes de la conscience noble sont-ils devenus si assurés
et si généraux qu'on n'ait plus besoin d'aucun emprunt
à la métaphysique et aux erreurs des religions,
d'aucunes duretés ni violences comme des plus puissants
liens entre homme et homme, peuple et peuple ? - Pour répondre
à cette question, aucun signe de tête d'un dieu ne
peut nous servir : c'est notre propre discernement qui doit
en décider. Le gouvernement de la terre en somme doit être
pris en main par l'homme lui-même, c'est son "omniscience"
qui doit veiller d'un oeil pénétrant sur la destinée
ultérieure de la civilisation.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Si les locomotives étaient conduites comme l'Etat,
le machiniste aurait une femme sur les genoux.  
    --- ALAIN   
%
 J'ai trouvé une définition du "Suffrage
universel" : Le vote d'un intrigant, d'une canaille ou d'un
imbécile a son effet. Le vote d'un honnête homme,
ayant des idées et du jugement désintéressé,
n'en a aucun.
 Je ne suis, pas peu fier de n'avoir jamais été
dupe dans ce domaine et de n'avoir jamais voté. Je dis
jamais, même quand j'étais jeune homme et que j'aurais
pu être fier de cette affaire.
 J'ai perdu toute estime pour la démocratie telle que nous
la voyons. C'est le règne des partis, des faiseurs de politique,
des bavards, des sots, des profiteurs, tel qu'on l'a vu dès
la Révolution française avec les clubs. Pour le
reste, pas de différence avec la monarchie. Un ministre
comme Poincaré passe les traités qu'il lui plaît
(exemple : le traité secret avec la Pologne, qui nous
coûtera peut-être cher un jour). II n'est tenu de
mettre au courant que le président de la République,
qui généralement n'en peut mais. Le jour qu'il faut
payer, on paie, sans que personne soit responsable.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 A dire vrai, les devoirs envers l'Etat sont
ceux que j'ai mis le plus de temps et eu le plus de mal à
apprendre. Je suis resté longtemps à leur égard
dans cette confiance naïve de l'enfant qui s'imagine que
son chocolat du matin arrive tout chaud quotidiennement sur sa
table, en vertu de quelque nécessité cosmique. Il
est bon, pour l'éducation de l'enfant, que, par quelque
perturbation familiale, son chocolat, de temps à autre,
soit renversé. La peur de ne plus avoir de chocolat du
tout est salutaire.  
    --- André GIDE   
%
 La contradiction de l'anarchie : le culte de l'individu,
mais une fois épanoui, celui qui peut être lumière
pour les hommes, il ne peut jouer aucun rôle (son talent
oratoire seul entre comme critère, car c'est le seul moyen
d'empire sur la force). Et il n'est point de roi pour imposer,
au besoin, un Vauban bègue mais génial.  
    --- Antoine de SAINT-EXUPERY   
%
 Les démocraties ne peuvent pas plus se passer d'être
hypocrites que les dictatures d'être cyniques.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 On ne doit jamais laisser se produire un désordre
pour éviter une guerre ; car on ne l'évite
jamais, on la retarde à son désavantage.  
    --- MACHIAVEL   
%
 Les Anciens ont dit que les hommes s'affligeaient du mal
et se lassaient du bien, et que ces deux contraires amenaient
les mêmes résultats. En effet, toutes les fois que
les hommes sont privés de combattre par nécessité,
ils combattent par ambition. Cette passion est si puissante qu'elle
ne les abandonne jamais, à quelque rang qu'ils soient élevés.
La raison, la voici : la nature a créé l'homme
tel qu'il peut désirer tout sans pouvoir tout obtenir ;
ainsi le désir étant toujours supérieur à
la faculté d'acquérir, il obtient le mécontentement
de celui qu'il dépossède pour n'avoir lui-même
que petit contentement de sa conquête. De là naît
la diversité de la Fortune humaine. Partagés entre
la cupidité de conquérir davantage et la peur de
perdre leur conquête, les citoyens passent des inimitiés
aux guerres, et des guerres il s'ensuit la ruine de leur pays
et le triomphe d'un autre.  
    --- MACHIAVEL  
%
 Il n'y a pas d'opinion plus fausse que celle qui veut que
l'argent soit le nerf de la guerre. Elle a été formulée
par Quinte-Curce, à l'occasion de la guerre d'Antipater,
roi de Macédoine, contre Lacédémone. Il raconte
que par défaut d'argent, le roi de Sparte fut obligé
de livrer bataille et fut vaincu ; que, s'il eût pu
différer de quelques jours, la nouvelle de la mort d'Alexandre
serait arrivée et qu'il eût été vainqueur
sans coup férir : mais manquant d'argent, et craignant
que son armée, faute de paye, ne l'abandonnât, il
fut obligé de hasardé la bataille, et c'est là-dessus
que l'historien se fonde pour écrire que l'argent est le
nerf de la guerre.
 [...]
 Ce n'est pas l'or, ce sont les bons soldats qui sont le nerf
de la guerre. L'or ne fait pas trouver de bonnes troupes, mais
les bonnes troupes font trouver de l'or. Si les Romains avaient
voulu faire la guerre avec de l'or plus qu'avec du fer, tous les
trésors de l'univers ne leur auraient pas suffi, à
en juger par la grandeur de leurs entreprises et par les difficultés
qu'ils y rencontrèrent ; mais l'usage qu'ils faisaient
du fer les empêchait de manquer d'or : les peuples
qui les redoutaient leur apportaient leurs richesses jusque dans
leur camp.  
    --- Le nerf de la  
%
 Toutes les fois que plusieurs potentats se liguent contre
un seul, en dépit de la supériorité de tant
de forces réunies, il faut toujours miser plutôt
sur l'isolé, tout faible qu'il est, que sur les coalisés,
tout puissants qu'ils sont. En effet, sans parler des avantages
sans nombre que lui vaudra le fait qu'il est seul et non "multiple",
il pourra toujours, avec un peu d'adresse, démembrer ce
grand corps, et, de gaillard qu'il était, le rendre débile.  
    --- Des coalitions :
    
%
 La religion naturelle a mille fois empêché
des citoyens de commettre des crimes. Une âme bien née
n'en a pas la volonté ; une âme tendre s'en
effraye ; elle se représente un Dieu juste et vengeur.
Mais la religion artificielle encourage à toutes les cruautés
qu'on exerce de compagnie, conjurations, séditions, brigandages,
embuscades, surprises de villes, pillages, meurtres. Chacun marche
gaiement au crime sous la bannière de son saint.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Ce qu'il y a de pis, c'est que la guerre est un fléau
inévitable.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Le célèbre Montesquieu, qui passait pour
humain, a pourtant dit qu'il est juste de porter le fer et la
flamme chez ses voisins, dans la crainte qu'ils ne fassent trop
bien leurs affaires. Si c'est là l'esprit des lois, c'est
celui des lois de Borgia et de Machiavel. Si malheureusement il
a dit vrai, il faut écrire contre cette vérité,
quoiqu'elle soit prouvée par les faits.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Il n'est pas vrai que la guerre soit toujours un mal.
A de certaines époques de l'espèce humaine,
elle est dans la nature de l'homme. Elle favorise alors le développement
de ses plus belles et de ses plus grandes facultés. Elle
lui ouvre un trésor de précieuses jouissances. Elle
le forme à la grandeur d'âme, à l'adresse,
au sang-froid, au courage, au mépris de la mort, sans lequel
il ne peut jamais se répondre qu'il ne commettra pas toutes
les lâchetés et bientôt tous les crimes. La
guerre lui enseigne des dévouements héroïques
et lui fait contracter des amitiés sublimes. Elle l'unit
de liens plus étroits, d'une part, à sa patrie,
et de l'autre, à ses compagnons d'armes. Elle fait succéder
à de nobles entreprises de nobles loisirs. Mais tous ces
avantages de la guerre tiennent à une condition indispensable,
c'est qu'elle soit le résultat naturel de la situation
et de l'esprit national des peuples.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Les journaux anglais racontent qu'il est arrivé
du continent à Hull plusieurs millions de boisseaux d'ossements
humains. Ces ossements, mêlés d'ossements de chevaux,
ont été ramassés sur les champs de bataille
d'Austerlitz, de Leipsick, d'Iéna, de Friedland, d'Eylau,
de Waterloo. On les a transportés dans le Yorckshire, où
on les a broyés et mis en poudre, et de là envoyés
à Duncaster où on les vend comme engrais.
 Ainsi, dernier résidu des victoires de l'empereur :
engraisser des vaches anglaises.  
    --- Victor HUGO   
%
 Tous les gouvernements ont de tout temps violé
tous les droits, à commencer par le droit des gens. Les
canons s'appelaient l'ultima ratio. Qui a force a droit, voilà
quelle était la maxime ; les petits états dévorés
par les grands ; les poules mangées par les renards,
1es renards mangés par les loups, les loups mangés
par les lions, voilà quelle était la pratique. Ce
qui est une nouveauté, c'est le respect du droit. Ceci
est l'honneur de la civilisation du XIX<SUP>e</SUP> siècle de vouloir
que le faible soit respecté par le fort, et que la morale
éternelle soit au-dessus des piques et des mousquets.  
    --- Victor HUGO   
%
 D'ordinaire les empires conquérants meurent d'indigestion.  
    --- Victor HUGO   
%
 HOSTILITES. - Les hostilités sont comme
les huîtres, on les ouvre. "Les hostilités sont ouvertes."
Il semble qu'il n'y a plus qu'à se mettre à table.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Bismarck, un jour qu'il avait bu, a prononcé un
mot que la Prusse a recueilli, qu'elle a pris au sérieux
et dont elle périra.
  -  La Force, a-t-il dit, prime le Droit.
 C'est là une vérité d'une heure, une vérité
momentanée, et toute vérité qui n'est pas
éternelle n'est pas une vérité du tout.
 La Force prime si peu le Droit qu'en aucun cas elle ne l'engendre
et que le Droit, lui, au contraire, finit toujours par engendrer
la Force, qui en devient le mur de soutènement.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Il y a encore des sots qui coupent encore dans les phrases
sur l'armée, le drapeau, la patrie. Ces idées sont
aussi malfaisantes que les idées religieuses. Je ne sais
pas si le métier d'officier n'est pas encore plus bas que
celui de prêtre ou de magistrat. Alors que tout être
aspire à la liberté, se faire volontairement esclave,
machine à obéir. Le besoin de dominer est aussi
bas que le besoin d'être dominé.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 La société, qui a besoin d'individus dociles
et relativement honnêtes, maintient les hommes, en temps
de paix, sous un réseau de lois qui les rendent à
peu près vertueux. Vienne la guerre : elle élargit
les mailles de ce réseau et laisse les hommes livrés
à leurs plus bas et plus cruels instincts, que, par besoin
social encore, elle qualifie d'héroïsme. En un mot,
ce qui, en temps de paix, est un délit et un crime, devient
alors un acte de bravoure et de patriotisme.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Les scandales qui se révèlent en ce moment
me donnent une jouissance intense. Enfin, il n'y a pas au monde
que les imbéciles, je parle des deux côtés,
qui se font trouer la peau. Il y a aussi les malins qui emplissent
leurs poches. Quel beau pamphlet on pourrait écrire, cinglant,
moqueur, joyeux, pitoyable, méprisant, comique, semblable
à un grand éclat de rire, sur tout cela. D'un côté
les imbéciles, les héros, comme ou dit, le malheureux
troupeau, parti ivre de grandes phrases, saoulé de mensonges,
pour tuer et se faire tuer, leurs veuves plus ou moins plongées
dans le chagrin. De l'autre, les grands coquins faisant superbement
leurs affaires, tout en criant : La patrie avant tout, gloire
aux héros. Ah ! il faudrait un grand talent, quel
beau morceau ce serait. Pour moi, je jubile. Mieux, je jouis intellectuellement
de cet admirable spectacle social. Je n'aime pas la bêtise,
l'imbécillité servile, la jocrisserie. J'apprécie
bien autrement les malins qui ont su faire leurs affaires, que
les mille pauvres diables qui n'ont su que mourir pour de prétendus
grands mots. Au moins, il y aura eu dans cette histoire quelques
individus intelligents.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 On a débaptisé l'eau de Cologne, devenue
Eau de Louvain, les chiens de berger allemands, devenus des bergers
alsaciens, la rue de Berlin, devenue rue de Liège, et les
propriétaires de la rue Richard-Wagner l'ont muée
en rue Albéric-Magnard. J'espère bien qu'à
la paix on débaptisera la rue de la Victoire.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'apothéose de la guerre continue dans les journaux
avec tous les dithyrambes à propos du Maréchal Foch.
Les hommes sont serviles incurablement. Ils ont besoin d'admirer
et de se courber. Le "chef" en quelque domaine que ce soit, surtout
dans le domaine militaire, est pour eux d'une essence supérieure
à la leur et ils vont, dans cette vénération,
jusqu'au sacrifice. Ces discours, ce cortège, cette apothéose
sur des milliers de morts, ces anciens combattants fiers de s'exhiber
et avides de saluer la dépouille de leur chef, il n'y a
pas à dire, il y a là une idolâtrie digne
des peuplades les plus sauvages. La vraie civilisation est encore
loin, si elle vient jamais.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je ne sais pourquoi, je me suis rappelé un mot
qu'on a prêté à Clemenceau quand il a pris
en main les affaires de la guerre : "La guerre est une affaire
trop sérieuse pour qu'on la confie à des militaires."
Evidemment, cela ressemble à une boutade, peut passer
pour un paradoxe. Pourtant, il semble bien qu'il y ait là
l'expression d'un grand bon sens, d'un jugement clairvoyant à
l'égard des capacités intellectuelles du monde des
officiers en général. Si on prend un garçon
de vingt ans qui choisit la carrière militaire, qui entre
aux Ecoles par lesquelles il faut passer pour devenir officier,
on peut bien dire que ce qui l'attire, ce qui lui plaît,
ce qui décide de son choix, c'est l'uniforme, c'est le
sabre au côté, c'est le prestige, c'est l'idée
d'autorité sur d'autres, le goût du commandement,
la préséance qu'il y voit dans la société,
toutes raisons assez enfantines, somme toute, et qui relèvent
très peu de l'intelligence vraie, critique et profonde.
Un  attrait de gloriole, pour tout dire. Ce n'est pas la vie militaire
qui l'élèvera au-dessus de tout cela. Au contraire.
Il est connu que le monde des officiers, dans son ensemble, est
composé de bien pauvres bonshommes au point de vue intellectuel.
Si on renonce aux considérations de bêtise civique
et patriotique, ce ne sont jamais eux qui concourent à
la grandeur spirituelle (la seule qui compte, en définitive)
d'aucun pays. Je pose en fait qu'un homme véritablement
intelligent ne s'avise pas de vouloir être officier ou prêtre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Albert Dauzat rappelle, dans La Volonté, en parlant
du dernier volume des Mémoires de Poincaré, ce que
disait fréquemment le comte Albert de Mun : qu'il
faudrait une bonne guerre pour purifier et moraliser la France.
 La guerre purificatrice et moralisatrice !
 Sottise qui n'est pas neuve. Voir Joseph de Maistre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 C'est Fernand Vandérem qui a eu l'idée,
 -  dont on parle  -  de donner la croix
de guerre à la Tour Eiffel. On est renseigné sur
l'esprit d'un homme après ce trait.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Celui qui parle de la paix a plus d'avenir que celui qui
parle de la guerre. Car la guerre n'est qu'un état passager.
On la fait pour arriver à la paix, tandis qu'on ne fait
pas la paix pour récolter la guerre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'existence des voisins est la seule défense des
nations contre une perpétuelle guerre civile.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ceux qui exposent leur vie jugent peut-être qu'ils
donnent assez. Examinons ceux qui n'exposent point leur vie. Beaucoup
se sont enrichis, soit à fabriquer pour la guerre, soit
à acheter et revendre mille denrées nécessaires
qui sont demandées à tout prix. J'admets qu'ils
suivent les prix ; les affaires ont leur logique, hors de
laquelle elles ne sont même plus de mauvaises affaires.
Bon. Mais, la fortune faite, ne va-t-il pas se trouver quelque
bon citoyen qui dira : "J'ai gagné deux ou dix millions ;
or j'estime qu'ils ne sont pas à moi. En cette tourmente
où tant de nobles hommes sont morts, c'est assez pour moi
d'avoir vécu ; c'est trop d'avoir bien vécu ;
je refuse une fortune née du malheur public ; tout
ce que j'ai amassé est à la patrie ; qu'elle
en use comme elle voudra ; et je sais que, donnant ces millions,
je donne encore bien moins que le premier fantassin venu" ?
Aucun citoyen n'a parlé ainsi. Aucune réunion d'enrichis
n'a donné à l'Etat deux ou trois cent millions.
Or si la patrie était réellement aimée plus
que la vie, on connaîtrait ce genre d'héroïsme,
et même, puisque celui qui donne sa vie devait la donner,
les héros du coffre-fort donneraient encore moins que leur
dû.  
    --- ALAIN   
%
 Je veux dire ici quelque chose que l'on ne discutera point ;
c'est qu'il faut se défier beaucoup des opinions et des
sentiments de l'élite au sujet de la guerre. Pourquoi ?
Parce que l'élite trouve trop d'avantages dans cet ordre
resserré que la guerre impose. Qu'un banquier, un chef
d'industrie, et même un inventeur ambitieux y trouvent occasion
de dominer, cela est connu. Mais il faut dire que tous ceux qui
exercent un pouvoir retrouvent en cet état violent l'importance
et la majesté, idoles presque oubliées aux temps
heureux de la paix. Le jeu de la force a des suites effrayantes ;
le simple citoyen en fait le compte, et considère comme
évident pour tous que la guerre est le plus grand des maux ;
d'où il conclut trop vite que tout homme, à toute
place, s'efforce contre la guerre, et que, donc, si la guerre
vient, c'est qu'on ne pouvait y échapper. Idée funeste,
qui frappe de stérilité tous les sentiments pacifiques.  
    --- ALAIN   
%
 Mes réflexions n'iront donc point contre ce principe
que me rappelait une femme cultivée, comme nous discutions
assez vivement sur la guerre et sur la paix. "L'honneur, disait-elle,
est plus précieux que la vie." Sur quoi je fis cette remarque
cruelle, mais juste, à ce qu'il me semble : "Vous
choisissez, lui dis-je, présentement entre votre honneur
et la vie des autres." Cette pensée irrite au premier moment ;
je la crois pourtant capable d'apaiser, chez ceux qui ne mettent
point leur vie au jeu. Je compte ici, pour apaiser l'honneur,
sur l'honneur même.  
    --- ALAIN   
%
 Il y a un certain esprit religieux, qui n'est pas le meilleur,
et qui s'accorde avec la guerre par le dessous, comme on peut
voir chez bon nombre d'officiers que je prends pour sincères.
D'abord cette idée que l'homme n'est pas bon, et, en conséquence,
que l'épreuve la plus dure est encore méritée.
Aussi l'idée que, selon l'impénétrable justice
de Dieu, l'innocent paie pour le coupable. Enfin cette idée
aussi que notre pays, léger et impie depuis tant d'années,
devait un grand sacrifice. Sombre mystique de la guerre, qui s'accorde
avec l'ennui, la fatigue et la tristesse de l'âge.  
    --- ALAIN   
%
 Pour ou contre la guerre. Il s'agit de juger ; j'entends
de décider au lieu d'attendre les preuves. Situation singulière ;
si tu décides pour la guerre, les preuves abondent, et
ta propre décision en ajoute encore une ; jusqu'à
l'effet, qui te rendra enfin glorieux comme un docteur en politique.
"Je l'avais bien prévu." Eh oui. Vous étiez milliers
à l'avoir prévu ; et c'est parce que vous l'avez
prévu que c'est arrivé.
 Contre ce vertige d'esprit, ne cherches point de preuves. Tant
qu'un homme libre n'a pas prononcé contre la guerre, il
n'y a pas de preuve. Mais toi, si tu juges contre, ce sera une
forte preuve. Ne t'aides donc point de preuves, et marches sans
béquilles. Décides d'après ton gouvernement
intérieur et souverainement. C'est ainsi qu'il faut faire,
dès qu'il s'agit non de ce qui est, mais de ce qui doit
être.  
    --- ALAIN   
%
 Vous n'avez pas rêvé, non ; vous avez
bien lu que la croix de guerre fut solennellement donnée
à un pigeon, selon les phrases consacrées :
"A assuré la liaison entre l'infanterie et l'artillerie
malgré un bombardement violent." Cela, si on l'examine,
dépasse ce que les plus hardis comiques ont osés.
Mais on n'examine point ; tout est sacré, l'oiseau,
la phrase et le personnage. Tu commences par rire du pigeon, de
la phrase et du personnage ; mais, le personnage et la phrase,
tu t'aperçois qu'il est défendu d'en rire. Des milliers
de pigeons t'entraîneraient à te moquer de trop de
choses. On décore des villes. On décore un officier
parce que son abri s'est écroulé sur lui. On qualifie
d'intrépides et de fidèles des troupes dont on sait
qu'elles s'enfuient aussi bien qu'elles attaquaient, dès
que les gradés sont tués. Que restera-t-il, si tu
commences à ne pas croire ? Tu aperçois d'un
regard cet immense édifice, qui vacille par ton doute.
Aussi ton rire s'arrête net et fait place à un sérieux
incroyable, qui me gagne moi-même.  
    --- ALAIN   
%
 Les guerres sont peut-être premièrement un
remède à l'ennui ; on expliquerait ainsi que
ceux qui sont les plus disposés à accepter la guerre,
sinon à la vouloir, sont souvent ceux qui ont le plus à
perdre. La crainte de mourir est une pensée d'oisif, aussitôt
effacée par une action pressante, si dangereuse qu'elle
soit. Une bataille est sans doute une des circonstances où
l'on pense le moins à la mort. D'où ce paradoxe :
mieux on remplit sa vie, moins on craint de la perdre.  
    --- ALAIN   
%
 [...] le pur système de la force se détruit
dès qu'il s'avoue. Toutes les puissances furent trahies
dans l'histoire ; on les trahit dès qu'on les croit
faibles ; dès qu'elles le sont, la trahison est faite.
Voyez la chute de Napoléon ou la mort de Wallenstein. Ces
capitaines comptaient encore sur l'amitié ; ils avaient
bien tort. La force tue tout ce qui n'est pas elle. Chacun gouverne
alors pour soi-même autant qu'il peut. Toutefois c'est une
morale qu'on ne s'est jamais avisé d'enseigner aux enfants.
Peut-on enseigner, de la part du tyran, que chacun a le droit
de tuer le tyran, pourvu qu'il y arrive ?  
    --- ALAIN   
%
 Dans cette terrible guerre moderne, il n'y a plus cette
sélection des anciens combats, où souvent l'homme
vigoureux, intrépide, maître de lui-même avait
quelques chances de revenir. Ainsi, dans L'Iliade, il paraît
naturel que les plus forts et les plus courageux soient invincibles,
ou tout au moins durent plus longtemps que les autres. Ulysse
revient dans sa patrie. Mais, dans nos guerres, lorsqu'il s'agit
d'enlever une position sous le feu, le plus vif et le plus noble
des hommes marche à une mort certaine ; il ouvre le
chemin, mais il tombe avant le triomphe ; car le courage
ne peut rien contre la balle ou l'obus. La guerre n'est plus une
épreuve pour les héros, mais un massacre des héros.
On fait la guerre afin d'être digne de la paix ; mais
les plus dignes n'y sont plus quand on fait la paix.  
    --- ALAIN   
%
 Le malheur est que la guerre est la seule action politique
qui soit faite virilement. Tout ce que l'on fait pour la paix,
on le veut faire couché ou abrité. Il y avait des
risques à occuper la Ruhr. Il y a des risques à
déclarer la paix ; on ne le fait point. Ainsi la partie
n'est pas égale. L'homme fait la guerre par liberté,
mais il attend la paix ; il voudrait que la paix se fit toute
seule. Qui prendra le militaire pour modèle ? Qui
osera faire la paix comme on fait la guerre ?  
    --- ALAIN   
%
 Tant que le militaire ne tue pas, c'est un enfant. On
l'amuse aisément. N'ayant pas l'habitude de penser, dès
qu'on lui parle il est forcé pour essayer de vous comprendre
de se résoudre à des efforts accablants.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 Nul homme capable de pitié n'aurait le triste courage
de cacher à la jeunesse de notre pays une vérité
désormais trop évidente, qui la vise entre les deux
yeux ainsi que la bouche noire d'un browning : la guerre
est l'état normal, naturel, nécessaire, d'une société
qui se flatte de ne devoir absolument rien aux expériences
du passé, s'organise pour suivre pas à pas la science
dans ses perpétuelle transformations. La loi de ce monde
sera la plus dure des lois biologiques, celle de la concurrence
vitale. Il se condamne à détruire sans cesse sous
peine de fixation, d'arrêt, c'est-à-dire de mort.
D'ailleurs toute destruction est légitime, puisqu'elle
ouvre la voie au progrès, coupe à l'humanité
en marche le chemin de la retraite.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Qu'une guerre soit réellement une juste guerre,
nul, je pense, ne saurait l'affirmer avant la paix. Ce sont les
paix justes qui font les guerres justes.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 ... l'avez- vous remarqué ? ce sont toujours
Pétain ou Foch qui gagnent les guerres et ce sont toujours
les Français qui les perdent.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 La guerre ne laisse aux survivants que des cimetières
à se partager.  
    --- André FROSSARD   
%
 Chacun sait que les armes de dissuasion ne sont efficaces
que si l'on ne s'en sert pas.  
    --- André FROSSARD   
%
 De tous les hommes, le héros est celui qui pense
le moins à la mort. Pourtant, nul n'y aspire, d'une façon
inconsciente, il est vrai, autant que lui. Ce paradoxe définit
sa condition : volupté de mourir, sans le sentiment
de la mort.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La guerre donne de l'avancement à ceux qui ne reculent
pas.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Cinquante ans sans guerre c'est long. Pas pour les militaires
qui préfèrent mourir dans leur lit mais pour les
industriels et pour les maçons.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Chassons entièrement les viles habitudes, comme
des hommes mauvais qui pendant longtemps nous ont grandement nui.  
    --- EPICURE   
%
 Toute habitude, toute faculté sont conservées
et accrues par les actes correspondants, l'habitude de se promener
par la promenade, l'habitude de courir par la course. Si l'on
veut être capable de lire ou d'écrire, qu'on lise
ou qu'on écrive. Si vous cessez de lire trente jours de
suite, si vous faites autre chose, vous verrez ce qui arrivera.
Restez couché dix jours, levez-vous et essayez de faire
une promenade un peu longue, vous verrez combien vos jambes sont
lâches. En général, si vous voulez créer
quelque habitude, pratiquez ; si vous voulez ne plus l'avoir,
cessez de pratiquer et habituez-vous plutôt à une
autre pratique qui remplace la première. Il en est ainsi
dans les choses de l'âme : lorsque vous vous mettez
en colère, sachez bien que non seulement c'est un mal qui
vous arrive actuellement, mais que vous avez accru votre disposition
à la colère et que vous avez jeté des broussailles
sur le feu. Lorsque vous succombez à quelqu'un dans le
commerce charnel, ne pensez pas qu'il y ait là une unique
défaite, pensez que vous avez entretenu et accru votre
incontinence. Il est impossible que les actes correspondants ne
fassent pas naître des habitudes et des dispositions, si
elles n'existaient pas auparavant ou, sinon, ne les augmentent
et ne les renforcent.  
    --- EPICTETE   
%
 Rien de plus absurde que de violenter les habitudes, sous
prétexte de servir les intérêts. Le premier
des intérêts, c'est d'être heureux, et les
habitudes forment une partie essentielle du bonheur.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Chaque fois qu'on perd une habitude, il semble qu'on perde
quelque chose de la vie. Et dans le fait la vie n'est que la plus
grande et la plus longue de nos habitudes.  
    --- Victor HUGO   
%
 Habitude. - Toute habitude rend notre main plus spirituelle
et notre esprit plus malhabile.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Tout homme tend à devenir machine. Habitude, méthode,
maîtrise, enfin  -  cela veut dire machine.  
    --- Paul VALERY   
%
 La fortune ne nous fait ny bien ny mal : elle nous
en offre seulement la matiere et la semence, laquelle nostre ame,
plus puissante qu'elle, tourne et applique comme il luy plait,
seule cause et maistresse de sa condition heureuse ou malheureuse.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Il n'y a point d'accidents si malheureux dont les habiles
gens ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les imprudents
ne puissent tourner à leur préjudice.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 La fortune ne paraît jamais si aveugle qu'à
ceux à qui elle ne fait pas de bien.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Il faut gouverner la fortune comme la santé :
en jouir quand elle est bonne, prendre patience quand elle est
mauvaise, et ne faire jamais de grands remèdes sans un
extrême besoin.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Dans les grandes affaires on doit moins s'appliquer à
faire naître des occasions qu'à profiter de celles
qui se présentent.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Pour être un grand homme, il faut savoir profiter
de toute sa fortune.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Il y a peut-être plus d'hommes qui ont manqué
aux occasions, qu'il n'y en a à qui les occasions ont manqué.  
    --- LA BEAUMELLE  
%
 Il est incontestable qu'il faut faire dans l'histoire une
large part à la force, au caprice, et même à
ce qu'on peut appeler le hasard, c'est-à-dire à
ce qui n'a pas de cause morale proportionnée à l'effet.  
    --- Le hasard dans l'histoire   
%
 Les négateurs du hasard. - Nul vainqueur ne croit
au hasard.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le hasard.
 Le hasard n'a pas de Commandements. Il peut tout, il veut tout
et il fait tout, mais il ne s'oppose à rien, ne défend
rien. Essayez de dire : Le hasard n'a pas voulu, le hasard
n'a pas permis, le hasard est offensé, le hasard punit,
vous n'y parviendrez jamais. Avec lui pas de transgression possible,
pas de péché. Quand on fait la noce, c'est assez
amusant, je ne dis pas non, mais, à la longue, c'est exaspérant...  
    --- Léon BLOY   
%
 L'homme a appelé Hasard la cause de toutes les
surprises, la divinité sans visage qui préside à
tous les espoirs insensés, à toutes les craintes
sans mesure, qui déjoue les calculs les plus soigneux,
qui change les imprudences en décisions heureuses, les
plus grands hommes en jouets, les dés et les monnaies en
oracles ; qui fait les batailles comparables à des
parties...
 Le Hasard ne se peut regarder fixement.  
    --- Paul VALERY   
%
 Un homme tirait au sort toutes ses décisions. Il
ne lui arriva pas plus de mal qu'aux autres qui réfléchissent.  
    --- Paul VALERY   
%
 Quand un artiste dit qu'on ne lui a pas donné sa
chance, il devrait aussi compter le nombre de fois où la
chance s'est déplacée pour rien.  
    --- COLUCHE   
%
 Nous pouvons paraître grands dans un emploi au-dessous
de notre mérite, mais nous paraissons souvent petits dans
un emploi plus grand que nous.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Je crois pouvoir dire d'un poste éminent et délicat
qu'on y monte plus aisément qu'on ne s'y conserve.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 En général, on exige trop de talents pour
les petits emplois, et on en exige trop peu pour les grands.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 La familiarité irrite chez un supérieur,
parce qu'on ne peut la lui rendre.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Un chef est un homme qui a besoin des autres.  
    --- Paul VALERY   
%
 Dès que l'on met deux hommes ensemble sur le même
territoire gratifiant, il y a toujours eu jusqu'ici un exploiteur
et un exploité, un maître et un esclave, un heureux
et un malheureux, et je ne vois pas d'autre façon de mettre
fin à cet état de choses que d'expliquer à
l'un et à l'autre pourquoi il en a toujours été
ainsi. Comment peut-on agir sur un mécanisme si on en ignore
le fonctionnement ? Mais, évidemment, ceux qui profitent
de cette ignorance, sous tous les régimes, ne sont pas
prêts à permettre la diffusion de cette connaissance.
Surtout que le déficit informationnel, l'ignorance, sont
facteurs d'angoisse et que ceux qui en souffrent sont plus tentés
de faire confiance à ceux qui disent qu'ils savent, se
prétendent compétents, et les paternalisent, que
de faire eux-mêmes l'effort de longue haleine de s'informer.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Un chef, c'est un type qui a une mentalité d'employé
mais qui ne veut pas le rester.  
    --- COLUCHE   
%
 L'histoire est bonne à oublier ; c'est pour
cela qu'elle est bonne à savoir.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'histoire (a très bien dit quelqu'un) est encore
plus propre à nous donner de la patience que de la prévoyance.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'histoire ancienne, ce miroir où l'on aime à
voir le temps présent représenté.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Dans l'histoire, les personnages qui n'ont pas eu la tête
coupée, et les personnages qui n'ont pas fait couper de
têtes disparaissent sans laisser de traces. 
 Il faut être victime ou bourreau, ou sans aucune importance.

 Si Richelieu n'eût pas usé de la hache, Robespierre,
de la guillotine, l'un serait moindre, l'autre totalement effacé.
Tout ceci est d'un mauvais exemple.  
    --- Paul VALERY   
%
 "Les peuples heureux n'ont pas d'histoire. "
 D'où s'infère que la suppression de l'histoire
ferait les peuples plus heureux.
 Le moindre regard sur les événements de ce monde
retrouve cette même conclusion. L'oubli est le bienfait
que veut corrompre l'histoire.
 Rien dans l'histoire n'est pour enseigner aux humains la possibilité
de vivre en paix. L'enseignement contraire s'en dégage,
 -  et se fait croire.  
    --- Paul VALERY   
%
 L'Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie
de l'intellect ait élaboré. Ses propriétés
sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples,
leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes,
entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos,
les conduit au délire des grandeurs ou à celui de
la persécution, et rend les nations amères, superbes,
insupportables et vaines.
 L'Histoire justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement
rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout.  
    --- Paul VALERY   
%
 Si les violents pouvaient être intelligents, ils
auraient tout, ils pourraient tout. Mais comme il faut choisir,
et parce que le recours à la force rend stupide, il y a
beau temps que les violents sont menés par les négociateurs ;
les replis, les détours, les hésitations, les atermoiements,
au cours de cette victoire inévitable de ceux qui savent
composer, c'est ce qui fait le tissu de l'histoire.  
    --- ALAIN   
%
 Je sais bien que certains prétendent que le stalinisme
a été prévu. Mais, alors, pourquoi n'a-t-il
pas été évité ? Le danger de
l'histoire, c'est de faire croire après coup à une
causalité linéaire qui n'existe jamais.  
    --- Henri LABORIT   
%
 L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ;
mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier
s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau,
suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait,
l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il
sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers
n'en sait rien.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ?
Un néant à l'égard de l'infini, un tout à
l'égard du néant, un milieu entre rien et tout.
Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes,
la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement
cachés dans un secret impénétrable, également
incapable de voir le néant d'où il est tiré,
et l'infini où il est englouti.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut
que qui veut faire l'ange fait la bête.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Qui veut détruire les passions au lieu de les régler
veut faire l'ange.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Ne nous emportons point contre les hommes en voyant leur
dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté,
l'amour d'eux-mêmes, et l'oubli des autres : ils sont
ainsi faits, c'est leur nature, c'est ne pouvoir supporter que
la pierre tombe ou que le feu s'élève.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Un homme, c'est cette créature avec qui vous voudriez
toujours avoir affaire, que vous voudriez trouver partout, quoique
vous ne vouliez jamais lui ressembler.  
    --- MARIVAUX   
%
 Que l'homme soit la plus noble des créatures, voilà
qui se laisse aussi prouver par le fait qu'aucune autre ne lui
a contesté cette affirmation.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Contre-épreuve, négatif, d'une phrase illustre :

 Le vacarme intermittent des petits coins où nous vivons
nous rassure.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les hommes se distinguent par ce qu'ils montrent et se
ressemblent par ce qu'ils cachent.  
    --- Paul VALERY   
%
 L'homme, disait M..., est un sot animal, si j'en juge
par moi.  
    --- CHAMFORT   
%
 Pour connaître l'homme, il suffit de s'étudier
soi-même ; pour connaître les hommes, il faut
les pratiquer.
 Je connais très peu les hommes. Mes études ont
été sur l'homme.  
    --- STENDHAL   
%
 La dignité humaine, en vérité, est
reconnue dans la nature ; lorsqu'on veut éloigner
les oiseaux des arbres, on dispose quelque chose qui ressemble
à un homme et, même lointaine, cette ressemblance
de l'épouvantail avec un homme suffit à inspirer
le respect.  
    --- Sören KIERKEGAARD   
%
 La femme est un roseau dépensant.  
    --- Jules RENARD   
%
 Bêtise humaine. "Humaine" est de trop : il
n'y a que les hommes qui soient bêtes.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'homme est un animal qui a la faculté de penser
quelque fois à la mort.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'homme, ce condamné à mort.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je sais enfin ce qui distingue l'homme de la bête :
ce sont les ennuis d'argent.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le singe : un homme qui n'a pas réussi.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il a toujours profondément méprisé
la nature humaine, en raison même de l'échantillon
que lui renvoyait son miroir.  
    --- A propos de Clémenceau   
%
 L'homme commence par être un tube digestif, ensuite
un sexe, parfois un cerveau.  
    --- José ARTUR   
%
 Ce qui est naturel en l'homme n'est pas humain ;
ce qui est humain n'est pas naturel. Ou plus exactement, il faut
distinguer l'humanité biologique (la filiation selon la
chair : la nature de l'homme) et l'humanité historique
(la filiation selon l'esprit : la culture). La première,
que transmet l'hérédité, suffit à
me donner des droits ; mais seule la seconde, que transmet
l'éducation, me donne des devoirs  -  à
commencer par celui de respecter la première !  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Je m'étonne de trouver dans le dictionnaire les
mots "modeste" et "modestie". Rien dans le comportement de l'homme
n'est modeste puisqu'il se situe lui-même en tête
de toutes les espèces, ne cesse d'admirer le chemin parcouru
depuis le cousin Néandertal et s'attribue la même
image que le Dieu qu'il remercie de l'avoir ainsi fait.
 Pas de quoi être fier : nous sommes les "beaufs" de
la création, les parvenus du système solaire, les
nouveaux riches du cosmos.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Il est des maux dont on convient facilement, d'autres
non. On ne conviendra jamais qu'on est privé de bon sens
ou d'intelligence ; tout au contraire on entend tout le monde
dire : "Ah ! si j'avais autant de chance que d'intelligence !"
On reconnaît facilement qu'on est timide ; on dit :
"Je suis un peu timide, je l'avoue ; mais d'ailleurs, tu
ne me trouveras pas sot". On ne conviendra pas facilement que
l'on n'est pas maître de soi, et pas du tout qu'on est injuste,
jaloux ou curieux ; mais on convient en général
qu'on est accessible à la pitié. Quelle en est la
cause ? La principale, c'est la contradiction et la confusion
dans nos idées sur le bien et le mal : mais la cause
est différente selon les hommes en général,
on n'avoue pas que l'on est ce que l'on imagine qu'il est honteux
d'être.  
    --- EPICTETE   
%
 Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions
si le monde voyait tous les motifs qui les produisent.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Un peu de honte est vite passée, et nous épargne
parfois beaucoup de misère. On raconte des hirondelles
de Laponie que, par crainte du froid, elles passent l'hiver plongées
dans la vase.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Prends garde de ne pas avoir, à l'égard
des misanthropes, les sentiments que les misanthropes ont à
l'égard des hommes.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Les hommes sont faits les uns pour les autres. Donc instruis-les
ou supporte-les.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Il se peut que tout le développement humain n'ait
pas plus de conséquence que la mousse ou le lichen dont
s'entoure toute surface humectée. Pour nous, cependant,
l'histoire de l'homme garde sa primauté, puisque l'humanité
seule, autant que nous savons, crée la conscience de l'univers.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Ma conviction intime est que la religion de l'avenir sera
le pur humanisme, c'est-à-dire le culte de tout ce qui
est de l'homme, la vie entière sanctifiée et élevée
à une valeur morale.  
    --- Ernest RENAN   
%
 [...] rien n'est humain comme l'humanisme. Mais rien n'est
inhumain comme l'humanitarisme.  
    --- Léon DAUDET   
%
 L'humanisme a pour fin la liberté dans le sens
plein du mot, laquelle dépend avant tout d'un jugement
hardi contre les apparences et prestiges. Et l'humanisme s'accorde
au socialisme, autant que l'extrême inégalité
des biens entraîne l'ignorance et l'abrutissement des pauvres,
et par là fortifie les pouvoirs. Mais il dépasse
le socialisme lorsqu'il décide que la justice dans les
choses n'assure aucune liberté réelle du jugement
ni aucune puissance contre les entraînements humains mais
au contraire tend à découronner l'homme par la prépondérance
accordée aux conditions inférieures du bien-être,
ce qui engendre l'ennui socialiste, suprême espoir de l'ambitieux.
L'humanisme vise donc toujours à augmenter la puissance
réelle en chacun, par la culture la plus étendue,
scientifique, esthétique, morale. Et l'humaniste ne connaît
de précieux au monde que la culture humaine, par les oeuvres
éminentes de tous les temps, en tous, d'après cette
idée que la participation réelle à l'humanité
l'emporte de loin sur ce qu'on peut attendre des aptitudes de
chacun développées seulement au contact des choses
et des hommes selon l'empirisme pur. Ici apparaît un genre
d'égalité qui vit de respect, et s'accorde avec
toutes les différences possibles, sans aucune idolâtrie
à l'égard de ce qui est nombre, collection ou troupeau.
Individualisme, donc, mais corrigé par cette idée
que l'individu reste animal sous la forme humaine sans le culte
des grands morts. La force de l'humanisme est dans cette foule
immortelle.  
    --- ALAIN   
%
 La misanthropie n'est pas mon fort ; c'est trop donner
aux autres ;  
    --- Raymond QUENEAU   
%
 L'anarchiste, c'est l'homme qui veut le bien de l'humanité
envers et contre tous, c'est celui qui refuse de "comprendre",
de vivre malgré tout, quand même. Ne confondons jamais
l'anarchiste avec le misanthrope. Ils se contrarient totalement.
Alors que celui-ci dit non en se retirant, calmant son dépit
avec les animaux, la nature ou les livres, celui-là n'entend
pas être un vaincu, lutte. Il dit non et oui à la
fois, bouscule les murs, dérange les paperasses. L'anarchiste
croit en l'homme, c'est à dire en l'avenir. Le misanthrope
renonce, s'accepte dernier homme libre parmi les sauvages.  
    --- Georges PERROS   
%
 Je vous hais, je hais toute l'humanité.
 Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien.
 Plus je connais les femmes, moins j'aime ma chienne.  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Cessons de rêver l'homme, cessons de faire de l'humanisme
une religion : ce ne serait qu'un narcissisme généralisé
ou hypostasié. L'homme n'est grand que dans la conscience
qu'il a de sa misère. Il n'est humain qu'à condition
de renoncer à la divinité. L'homme, par exemple,
n'est ni maître ni possesseur de la nature : si l'humanisme
n'est pas un sous-ensemble de l'écologisme, il ne saurait
non plus justifier une quelconque indifférence à
l'environnement ou aux autres espèces vivantes. La nature
n'est pas Dieu, l'homme n'est pas Dieu : il n'y a pas de
Dieu du tout, et c'est en quoi l'humanité est en charge
d'elle-même, de la nature et de l'esprit.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 L'homme du meilleur esprit est inégal, il souffre
des accroissements et des diminutions, il entre en verve, mais
il en sort : alors, s'il est sage, il parle peu, il n'écrit
point, il ne cherche point à imaginer ni à plaire.
Chante-t-on avec un rhume ? ne faut-il pas attendre que la
voix revienne ?  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 [...] je vous dirai que parmi les hommes je n'ai encore
trouvé que la joie de raisonnable, parce que les gens qui
aiment la joie n'ont point de vanité : tout va bien,
pourvu qu'ils se réjouissent, et c'est penser à
merveille : ce n'est pas avoir de l'esprit que d'être
autrement.  
    --- MARIVAUX   
%
 C'est par son humeur qu'on plaît ou qu'on déplaît
et par le fonds de son caractère qu'on se fait aimer ou
haïr.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il y en a qui n'ont tout leur esprit que lorsqu'ils sont
de bonne humeur, et d'autres que lorsqu'ils sont tristes.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La tristesse, lorsqu'on connaît le monde, prouve
qu'on a des passions que l'impossibilité de les satisfaire
n'a pas encore pu guérir.
 La tristesse de qui ne connaît pas le monde, prouve la
lâcheté qui désespère de réussir.  
    --- STENDHAL   
%
 L'homme qui échoue en quelque chose aime mieux
rapporter cet échec à la mauvaise volonté
d'un autre qu'au hasard. Sa surexcitation est allégée
par le fait de s'imaginer qu'une personne et non une chose est
cause de son échec ; car on peut se venger des personnes,
force est bien d'avaler les injures du destin.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Pourquoi m'appelle-t-on mauvais coucheur ? Je couche
avec si peu de gens !  
    --- Jules RENARD   
%
 Certes, il y a de bons et de mauvais moments, mais notre
humeur change plus souvent que notre fortune.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je dis, moi : "Comment réussir n'importe quoi
sans la bonne humeur ?" Que les débutants en croient
mon expérience ; elle est la première condition
du succès. Mon père appelait, dans ses meilleurs
rêves, le marchand de bonheur. J'appelle le professeur de
bonne humeur. Quelqu'un qui me touche de près, et que j'admire,
répète aussi : "Les pauvres eux-mêmes
devraient demander l'aumône en plaisantant, afin de ne pas
attrister les riches. Ils feraient des recettes beaucoup plus
belles."  
    --- Léon DAUDET   
%
 Voici une petite pluie ; vous êtes dans la
rue, vous ouvrez votre parapluie ; c'est assez. A
quoi bon dire : "Encore cette sale pluie !" ; cela
ne leur fait rien du tout aux gouttes d'eau, ni au nuage, ni au
vent. Pourquoi ne dites-vous pas aussi bien : "Oh !
la bonne petite pluie !" Je vous entends, cela ne fera rien
du tout aux gouttes d'eau ; c'est vrai ; mais cela vous
sera bon à vous ; tout votre corps se secouera et
véritablement s'échauffera, car tel est l'effet
du plus petit mouvement de joie ; et vous voilà comme
il faut être pour recevoir la pluie sans prendre un rhume.  
    --- ALAIN   
%
 Affectif n'est pas la même chose qu'affectueux.
Ce qu'il faut entendre sous le mot, c'est une liaison plus étroite
des pensées avec les sources de la vie ; cette liaison
s'observe chez tous les malades, quel que soit le sexe ;
mais elle est normalement plus étroite chez la femme, par
la prédominance naturelle des fonctions de grossesse et
d'allaitement, et de tout ce qui s'y rattache. D'où des
changements d'humeur dont les causes sont naturelles, mais dont
les effets donnent souvent l'apparence de la fantaisie, de l'incohérence,
de l'obstination. Sans aucune hypocrisie ; car il faut une
profonde sagesse, et fort rare dans le fait, pour expliquer un
mouvement d'humeur par ses véritables causes, attendu que
la vraie cause change aussi nos motifs. Si une fatigue à
peine sentie m'enlève le goût de la promenade, elle
me fait trouver aussi des raisons de rester chez moi. On entend
souvent sous le nom de pudeur une dissimulation des vraies causes ;
je crois que c'est plutôt une ignorance des vraies causes
et comme une transposition naturelle et presque inévitable
des choses du corps en langage d'âme.  
    --- ALAIN   
%
 Au risque de passer aux yeux de quelques-uns d'entre vous
pour un homme qui retarde et n'est pas à la page, je vous
déclare bien franchement que je préfère la
beauté à la laideur, la santé à la
maladie, la bonne éducation à la vulgarité
et la gaieté à la tristesse.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La tristesse surgit chaque fois que la vie se dissipe ;
son intensité équivaut à l'importance des
pertes subies ; aussi est-ce le sentiment de la mort qui
provoque la tristesse la plus grande. Elément révélateur
de ce qui distingue la mélancolie de la tristesse :
on ne qualifiera jamais un enterrement de mélancolique.
La tristesse n'a aucun caractère esthétique - rarement
absent de la mélancolie.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se
mettraient à roter.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On est souvent plus ombrageux pour ce que l'on recommande
que pour ce que l'on réalise, pour ce que l'on patronne
que pour ce que l'on crée.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Il y a de petits défauts que l'on abandonne volontiers
à la censure, et dont nous ne haïssons pas à
être raillés : ce sont de pareils défauts
que nous devons choisir pour railler les autres.  
    --- Jean de LA BRUYERE  
%
 Tout homme qui raille veut avoir de l'esprit ; il
veut même en avoir plus que celui qu'il plaisante. La preuve
en est que si ce dernier répond, il est déconcerté.
 Sur ce pied là, il n'y a rien de si mince que ce qui sépare
un railleur de profession d'un sot ou d'un impertinent.
 Cependant il y a de certaines règles que l'on peut observer
dans la raillerie, qui, bien loin de rendre le personnage d'un
railleur odieux, peuvent le rendre très aimable.
 Il ne faut toucher que certains défauts que l'on n'est
pas fâché d'avoir, ou qui sont récompensés
par de plus grandes vertus.
 On doit répandre la raillerie également sur tout
le monde, pour faire sentir qu'elle n'est que l'effet de la gaieté
où nous sommes, et non d'un dessein formé d'attaquer
quelqu'un en particulier.
 Il ne faut point faire de raillerie trop longue et qui revienne
tous les jours : car on est censé mépriser
un homme, de cela seul qu'on lui a donné sur tous les autres
la préférence continuelle de recevoir les saillies
qui viennent.
 Enfin, il faut avoir pour but de faire rire celui qu'on raille,
et non pas un tiers.
 Il ne faut pas se refuser à la plaisanterie : car
souvent elle égaye la conversation ; mais aussi il
ne faut pas avoir la bassesse de s'y livrer trop et être
comme le but où tout le monde tire.  
    --- De la Raillerie
   
%
 C'est un fait, les rois détestent la vérité.
Pourtant, il se passe quelque chose d'étonnant avec mes
sots : les rois les entendent avec plaisir dire non seulement
la vérité, mais encore ouvertement des critiques,
au point que les mêmes paroles qui dans la bouche d'un sage,
vaudraient la mort, causent un plaisir incroyable proférées
par un bouffon. C'est qu'il y a dans la vérité un
plaisir inné de plaire si l'on n'y ajoute rien d'offensant ;
mais ce don, les dieux l'ont réservé aux fous. C'est
à peu près pour les mêmes raisons que ce genre
d'homme plaît tellement aux femmes, car elles sont naturellement
portées aux plaisirs et aux frivolités. Aussi quoi
qu'ils tentent avec elles, même si c'est quelquefois très
sérieux, elles le prennent pour un jeu et une plaisanterie,
tant ce sexe est ingénieux, surtout pour voiler ses fautes.  
    --- Le paradoxe du bouffon   
%
 Celui qui ne sait point recourir à propos à
la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l'esprit, se
trouve très souvent placé entre la nécessité
d'être faux ou d'être pédant, alternative fâcheuse
à laquelle un honnête homme se soustrait, pour l'ordinaire,
par de la grâce et de la gaieté.  
    --- CHAMFORT   
%
 C'est une règle excellente à adopter sur
l'art de la raillerie et de la plaisanterie, que le plaisant et
le railleur doivent être garants du succès de leur
plaisanterie à l'égard de la personne plaisantée,
et que, quand celle-ci se fâche, l'autre a tort.  
    --- CHAMFORT   
%
 C'est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les
travers des hommes et de la société. C'est par elle
qu'on évite de se compromettre. C'est par elle qu'on met
tout en place sans sortir de la sienne. C'est elle qui atteste
notre supériorité sur les choses et sur les personnes
dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s'en offenser,
à moins qu'elles ne manquent de gaieté ou de moeurs.
La réputation de savoir bien manier cette arme donne à
l'homme d'un rang inférieur, dans le monde et dans la meilleure
compagnie, cette sorte de considération que les militaires
ont pour ceux qui manient supérieurement l'épée.
J'ai entendu dire à un homme d'esprit : "Otez à
la plaisanterie son empire, et je quitte demain la société."
C'est une sorte de duel où il n'y a pas de sang versé,
et qui, comme l'autre, rend les hommes plus mesurés et
polis.  
    --- CHAMFORT   
%
 Toutes les manières de nous exprimer sont bonnes
quand elles nous font bien entendre. Ainsi, si la clarté
de nos pensées éclate mieux par quelque jeu de mots,
le jeu de mots est bon en ce cas là.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Mettre du sérieux ou du grave dans la plaisanterie.
C'est toujours le sérieux ou le grave qui attache l'âme
tandis que la plaisanterie amuse l'esprit.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Prendre au sérieux.  -  L'intellect est
chez presque tout le monde une machine pesante, obscure et gémissante
qui est difficile à mettre en marche : ils appellent
cela "prendre la chose au sérieux" quand ils veulent travailler
et bien penser avec cette machine  -  oh ! combien
ce doit être pénible pour eux de "bien penser" !
La gracieuse bête humaine a l'air de perdre chaque fois
sa bonne humeur quand elle se met à bien penser ;
elle devient "sérieuse" ! Et, "partout où il
y a rires et joies, la pensée ne vaut rien" : c'est
là le préjugé de cette bête sérieuse
contre tout "gai savoir". Eh bien ! Montrons que c'est là
un préjugé !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Je ne ris pas de la plaisanterie que vous faites, mais
de celle que je vais faire.  
    --- Jules RENARD   
%
 Prendre la vie au sérieux burlesque.  
    --- Jules RENARD   
%
 Un bon mot vaut mieux qu'un mauvais livre.  
    --- Jules RENARD   
%
  -  Vous dites ça en riant !
  -  Je dis ça en riant parce que c'est très
sérieux.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'humoriste, c'est un homme de bonne mauvaise humeur.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je ne déteste pas les gaffes. Elles prouvent la
droiture de l'esprit. Elles sont les gages comiques de notre bonne
foi.  
    --- Jules RENARD   
%
 Humour : pudeur, jeu d'esprit. C'est la propreté
morale et quotidienne de l'esprit. Je me fait une haute idée
morale et littéraire de l'humour.
 L'imagination égare. La sensibilité affadit.
 L'humour, c'est, en somme, la raison. L'homme régularisé.
 Aucune définition ne m'a suffi.
 D'ailleurs, il y a de tout dans l'humour.  
    --- Jules RENARD   
%
 Blague. 
 Pour le pur intellect, rien n'est futile, rien n'est important.
C'est pourquoi les hommes très intellectuels et le plus
véritablement intellectuels plaisantent aisément.
Et ils plaisantent de façon habituelle  -  en quelque
sorte sans plaisanter, par le jeu détaché de leurs
organisations verbales et plastiques. Ils font jouer les groupes
de similitudes, et les possibilités séparées
des parties de leur avoir psychique comme d'autres font leurs
muscles.
 Ce mode scandalise les gens lents et les gens avides. Ceux qui
ignorent combien une foule de traits, de rapports fortuits, de
rapides fantaisies inutiles déblaient l'esprit et l'apprêtent
à situer une "question", à éclairer ses innombrables
tenants, à la dépolariser, à la sonder jusqu'à
l'essentiel.  
    --- Paul VALERY   
%
 L'observateur des hommes et de la vie qui n'aboutit pas
au comique est un observateur bien incomplet.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il y a certaines bêtises que j'ai faites parce que
je savais qu'elles seraient amusantes à raconter.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Ce qui ne tolère pas la plaisanterie supporte mal
la réflexion.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Ah ! dame, je ne comprendrai jamais cette espèce
de dédain que la plupart des personnes ont pour les gens
qui les amusent !
 Avez-vous remarqué ça ? 
 Du moment que ça fait rire, ça n'a pas de valeur !

 Seulement quand une oeuvre est triste et ennuyeuse, vous êtes
enclin à la trouver profonde.
 Tout ce qui vous distrait vous paraît un peu vil.  
    --- Sacha GUITRY /L'Esprit /   
%
 Quand se décidera-t-on à prendre au sérieux
les comiques ?  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Les sots croient que plaisanter, c'est ne pas être
sérieux, et qu'un jeu de mots n'est pas une réponse.
 Pourquoi cette conviction chez eux ?
 C'est qu'il est de leur intérêt qu'il en soit ainsi.
C'est raison d'Etat, il y va de leur existence.  
    --- Paul VALERY   
%
 Trait d'esprit,  -  est usage du mot ou de l'acte
pour son effet de choc instantané. Faible masse, grande
vitesse. Il y a des traits de sottise aussi considérables,
aussi rares, aussi précieux que des traits d'esprit.  
    --- Paul VALERY   
%
 Plus un humoriste est intelligent, moins il a besoin de
déformer la réalité pour la rendre significative.  
    --- André GIDE   
%
 Nous sommes tous dans l'erreur, les humoristes exceptés.
Eux seuls ont percé comme en se jouant l'inanité
de tout ce qui est sérieux et même de tout ce qui
est frivole.  
    --- Emil CIORAN   
%
 T.H., qui a fait quatre ans de prison, à ma question :
Comment avez-vous pu supporter ? me dit : Par l'humour.
Si j'avais pris au sérieux ma situation, je n'aurais pu
tenir.  
    --- Emil CIORAN  
%
 Pour démoraliser nos troupes d'Alsace, la Wehrmacht
avait recours à des formules plus claires et plus frappantes
que le galimatias nostradamique. Sur le front, des haut-parleurs
tonitruaient des interrogations de ce genre : "Braves Français,
voulez-vous mourir pour Dantzig ?" Ou bien ils affirmaient,
ce qui était le leitmotiv des tracts lancés par
avion à l'intérieur du territoire : "Vous vous
battez pour les Anglais... Les Anglais se battront jusqu'au dernier
Français". Je revois l'un de ces tracts bicolores représentant
un tommy et un poilu au bord d'un lac de sang où le premier
invitait le second à plonger : "Après vous,
mon cher !".
 Un beau matin, au pont de Kehl, côté allemand, on
vit surgir une pancarte gigantesque avec ces mots : "BONS
FRANCAIS. PENDANT QUE VOUS MONTEZ LA GARDE ICI, LES ANGLAIS,
DANS LE NORD, COUCHENT AVEC VOS FEMMES." Le lendemain, au pont
de Kehl, côté français, une pancarte, tout
aussi gigantesque, répliquait : "BONS ALLEMANDS, ON
S'EN FOUT ON EST DU MIDI."  
    --- Humour contre propagande.
    
%
 Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Britanniques
portèrent l'intoxication à un haut degré
de perfection, créant un bureau dit Doublecross dont c'était
la spécialité, camouflant des escadrilles de faux
avions et des régiments de faux chars, trompant l'ennemi
sur les lieux des débarquements. Mais ils firent mieux :
avec Sefton Delmer et sa "radio noire", ils pratiquèrent
avec succès la désinformation proprement dite.
 Delmer était conscient que "des nouvelles soigneusement
choisies, habilement présentées forment la plus
subversive des propagandes". Il veillait à ne recourir
au mensonge qu'avec vigilance et parcimonie : "Nous ne devons
mentir que délibérément, jamais par hasard
ou par négligence." Et il résumait ainsi sa technique :
"L'opération noire " (il appelait ainsi les actions
de désinformation) "la plus simple et la plus efficace
est de cracher dans la soupe de quelqu'un en criant Heil Hitler".  
    --- Vladimir VOLKOFF   
%
 Qu'est-ce qu'une idée ?
 C'est une image qui se peint dans mon cerveau.
 Toutes vos pensées sont donc des images ?
 Assurément ; car les idées les plus abstraites
ne sont que les filles de tous les objets que j'ai aperçus.
Je ne prononce le mot d'être en général que
parce que j'ai connu des êtres particuliers. Je ne prononce
le nom d'infini que parce que j'ai vu des bornes, et que je recule
ces bornes dans mon entendement autant que je le puis ; je
n'ai d'idées que parce que j'ai des images dans la tête.  
    --- VOLTAIRE  
%
 Et d'où savez-vous que ce n'est pas vous qui faites
des idées ?
 De ce qu'elles me viennent très souvent malgré
moi quand je veille, et toujours malgré moi quand je rêve
en dormant.
 Vous êtes donc persuadé que vos idées ne
vous appartiennent que comme vos cheveux, qui croissent, qui blanchissent
et qui tombent sans que vous vous en mêliez ?
 Rien n'est plus évident ; tout ce que je puis faire,
c'est de les friser, de les couper, de les poudrer ; mais
il ne m'appartient pas de les produire.  
    --- Origine des idées :
   
%
 Il est bien triste d'avoir des idées et de ne savoir
pas au juste la nature des idées.
 Je l'avoue ; mais il est bien plus triste et beaucoup plus
sot de croire savoir ce que l'on ne sait pas.
 Mais, si vous ne savez pas positivement ce que c'est qu'une idée,
si vous ignorez d'où elles viennent, vous savez du moins
par où elles vous viennent ?
 Oui, comme les anciens Egyptiens, qui ne connaissant pas la source
du Nil, savaient très bien que les eaux du Nil leur arrivaient
par le lit de ce fleuve. Nous savons très bien que les
idées nous viennent par les sens ; mais nous ignorons
toujours d'où elles partent. La source de ce Nil ne sera
jamais découverte.  
    --- Origine des idées :
   
%
 La pensée se forme dans l'âme comme les nuages
se forment dans l'air.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Chateaubriand me disait hier : "Il en est des idées
comme de ces sources qu'on fait naître sous ses pas sans
y penser en pressant la terre du pied." On les trouve en se promenant
et en pensant à autre chose, pendant le chemin de la vie.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il n'y a d'idées proprement nécessaires
dans le monde que celles que tout le monde a.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Un sophiste est un homme qui ne comprend que des fragments
d'idées.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les idées précises conduisent souvent à
ne rien faire.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les objections naissent souvent de cette simple cause
que ceux qui les font n'ont pas trouvé eux-mêmes
l'idée qu'ils attaquent.  
    --- Paul VALERY   
%
 Qu'il faut travailler plusieurs choses à la fois.
C'est le meilleur rendement,  -  l'une profite à
l'autre, et chacune est plus soi, plus pure ; car des idées
qui viennent, on envoie chacune où elle est mieux à
sa place, parce qu'il y a plusieurs places qui attendent.  
    --- Paul VALERY   
%
 Une idée très compliquée est plus
légitime qu'une simple, car les choses sont aussi compliquées
qu'on le voudra, et si tu veux représenter du plus près
les choses, tu seras d'autant plus compliqué.  
 Mais une idée très compliquée est très
rare ; antipathique à l'esprit, et au langage. On
peut la rejoindre, mais il sera impossible de la saisir entièrement,
de la conserver et retrouver aisément, de s'en servir.
Le sens de l'utile a donc fait la bonne réputation du simple.  
    --- Paul VALERY   
%
 Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme
à idées n'est jamais sérieux.  
    --- Paul VALERY   
%
 Pensez-y bien !  -  Le stock d'idées
sur lesquelles vit la plupart des gens "cultivés" est l'héritage
d'une quantité d'individus, tous mus et inspirés
par la vanité philosophique et littéraire, et par
l'ambition de dominer les esprits et d'en rechercher les suffrages
et les louanges.  
    --- Paul VALERY   
%
 Clarté est convention. Une idée est claire
quand nous faisons convention avec nous-mêmes de ne point
l'approfondir.  
    --- Paul VALERY   
%
 Prendre l'habitude de cueillir, aussitôt qu'elle
se forme, l'idée ; et de ne plus la laisser mûrir
trop longtemps sur la branche. Certaines, à ce régime,
sont devenues blettes. Quand le cerveau qui les porte est mûr
lui-même, tous ses fruits sont bons à cueillir.  
    --- André GIDE   
%
 Toute idée est une exagération. Penser,
c'est exagérer.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La vraie famille de l'Homme, ce sont ses idées,
et la matière et l'énergie qui leur servent de support
et les transportent, ce sont les systèmes nerveux de tous
les hommes qui à travers les âges se trouveront "informés"
par elles. Alors, notre chair peut bien mourir, l'information
demeure, véhiculée par la chair de ceux qui l'ont
accueillie et la transmettent en l'enrichissant, de génération
en génération.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Tout le monde a des idées : la preuve, c'est
qu'il y en a de mauvaises.  
    --- COLUCHE   
%
 Pour changer d'idée, il suffit de pencher la tête,
ça fait glisser tout le merdier. On entend presque le bruit
des piles qui s'effondrent.  
    --- Roland TOPOR   
%
 Ce n'est pas l'originalité que je cherche :
une idée que personne n'aurait jamais eue, cela a toute
chance d'être une sottise !  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Sans ignorance, point d'amabilité. Quelque ignorance
doit entrer nécessairement dans le système d'une
excellente éducation.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Sans l'ignorance, point de questions. Sans questions,
point de connaissance, car la réponse suppose la demande.
 Celui qui sait "tout" ne sait rien, car l'acte du savoir ne se
produit pas en lui ; il manque d'une condition essentielle.
Celui-là n'agit pas qui ne manque point de quelque chose.  
    --- Paul VALERY   
%
 Le peu que je sais, c'est à mon ignorance que je
le dois.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 L'ignorance, pourvu qu'on l'entretienne avec soin, a du
moins l'avantage de protéger son bénéficiaire
de l'erreur.  
    --- André FROSSARD  
%
 Les exemples qu'on prend pour prouver d'autres choses,
si on voulait prouver les exemples, on prendrait les autres choses
pour en être les exemples ; car, comme on croit toujours
que la difficulté est à ce qu'on veut prouver, on
trouve les exemples plus clairs et aidant à le montrer.
Ainsi, quand on veut montrer une chose générale,
il faut en donner la règle particulière d'un cas ;
mais si on veut monter un cas particulier, il faudra commencer
par la règle générale. Car on trouve toujours
obscure la chose qu'on veut prouver, et claire celle qu'on emploie
à la preuve ; car , quand on propose une chose à
prouver, d'abord on se remplit de cette imagination qu'elle est
obscure, et, au contraire, que celle qui la doit prouver est claire,
et ainsi on l'entend aisément.  
    --- Imagination et entendement :
  
%
 Imagination - C'est cette partie dominante dans l'homme,
cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant
plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait
règle infaillible de vérité, si elle l'était
infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse,
elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du
même caractère le vrai et le faux.
 Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages ; et c'est
parmi eux que l'imagination a le grand droit de persuader les
hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux
choses.
 Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît
à contrôler et à dominer, pour montrer combien
elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde
nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades,
ses riches, ses pauvres ; elle fait croire, douter, nier
la raison ; elle suspend les sens, elle les fait sentir ;
elle a ses fous et ses sages : et rien ne nous dépite
davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction
bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles
par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes
que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent
les gens avec empire ; ils disputent avec hardiesse et confiance ;
les autres avec crainte et défiance : et cette gaieté
de visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants,
tant les sages imaginaires ont de faveur auprès des juges
de même nature. Elle ne peut rendre sages les fous ;
mais elle les rend heureux, à l'envi de la raison qui ne
peut rendre ses amis que misérables, l'une les couvrant
de gloire, l'autre de honte.  
    --- Imagination et raison :
  
%
 Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus
large qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice,
quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son
imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir
la pensée sans pâlir et suer.  
    --- Le célèbre exemple de   
%
 L'imagination est le goût. La raison est sans appétits :
la vérité et la justesse lui suffisent.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La raison, c'est l'intelligence en exercice ; l'imagination
c'est l'intelligence en érection.  
    --- Victor HUGO   
%
 Il n'y a guères au monde un plus bel excès
que celui de la reconnaissance.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Le sentiment qu'on a pour la plupart des bienfaiteurs,
ressemble à la reconnaissance qu'on a pour les arracheurs
de dents. On se dit qu'ils vous ont fait du bien, qu'ils vous
ont délivrés d'un mal, mais on se rappelle la douleur
qu'ils ont causée, et on ne les aime guère avec
tendresse.  
    --- CHAMFORT   
%
 Je pressais M. de L... d'oublier les torts de M. de B...
(qui l'avait autrefois obligé) ; il me répondit :
"Dieu a recommandé le pardon des injures, il n'a point
recommandé celui des bienfaits"  
    --- CHAMFORT   
%
 On est toujours ingrat pour le don du nécessaire,
jamais pour le don du superflu. On en veut à qui vous donne
le pain quotidien, on est reconnaissant à qui vous donne
une parure.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le gamin à qui on ne donne qu'un sou, empochant
et mécontent :  -  c'est bien la peine d'être
orphelin.  
    --- Victor HUGO   
%
 Reconnaissance et vengeance. - La raison pour laquelle
un puissant montre de la reconnaissance est celle-ci. Son bienfaiteur
a, par son bienfait, violé, pour ainsi dire, le domaine
du puissant et s'y est introduit : à son tour, il
viole en compensation le domaine du bienfaiteur par l'acte de
reconnaissance. C'est une forme adoucie de la vengeance. S'il
n'avait la satisfaction de la reconnaissance, le puissant se serait
montré impuissant et désormais passerait pour tel.
Voilà pourquoi toute société de bons, c'est-à-dire
originairement de puissants, place la reconnaissance au nombre
des premiers devoirs. - Swift a hasardé cette proposition,
que les hommes sont reconnaissants dans la proportion où
ils cultivent la vengeance.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Prévoir l'ingratitude.
 Celui qui donne quelque chose de grand ne trouve pas de reconnaissance ;
car le donataire, rien qu'en le recevant, a déjà
trop lourd à porter.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 On nous dit souvent que les pauvres sont reconnaissants
de la charité qui leur est faite. Certains le sont, sans
nul doute, mais les meilleurs des pauvres ne sont jamais reconnaissants.
Ils sont ingrats, insatisfaits, désobéissants et
rebelles. Ils ont tout à fait raison de l'être. La
charité est à leurs yeux une méthode ridiculement
inadéquate de réparation partielle, ou une aumône
humanitaire, accompagnée généralement chez
l'humanitariste d'une tentative impertinente pour exercer une
tyrannie sur leur vie privée. Pourquoi éprouveraient-ils
de la gratitude devant les miettes qui tombent de la table du
riche ?  
    --- Oscar WILDE   
%
 C'est la bienfaitrice du pays. Tout le monde se ferait
un plaisir d'aller à son enterrement.  
    --- Jules RENARD   
%
 Rien n'est éternel, pas même la reconnaissance.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'ingratitude est un gain de temps.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Cette longue lutte m'a valu quelques sympathies, quelques
encouragements, et aussi, je dois le dire, quelques injures :
je n'ai jamais répondu aux injures, les injures prouvent
quelquefois contre ceux qui les disent, et jamais contre ceux
à qui elles sont dites. Les injures sont les voies de fait
de la parole. Un peu plus bas on jette une pierre, un peu plus
haut on dit une injure. La pierre comme l'injure retombent, l'une
dans la boue, l'autre dans le dédain.  
    --- Victor HUGO   
%
 Réponse à une injure sanglante :
  -  Oh ! vous dites ça pour me taquiner.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il est à supposer que les jurons, qui sont des
exclamations entièrement dépourvues de sens, ont
été inventés comme instinctivement pour donner
une issue à la colère sans rien dire de blessant
ni d'irréparable. Et nos cochers, dans les encombrements,
seraient donc philosophe sans le savoir. Mais il est bien plaisant
de voir que parmi ces cartouches à blanc, quelquefois il
y en a une qui blesse par hasard. On peut m'injurier en russe,
je n'y entends rien. Mais si par hasard je savais le russe ?
 Réellement toute injure est charabia. Comprendre bien
cela, c'est comprendre qu'il n'y a rien à comprendre.  
    --- ALAIN   
%
 Il n'y a point de connaissance innée, par la raison
qu'il n'y a point d'arbre qui porte des feuilles et des fruits
en sortant de la terre. Rien n'est ce qu'on appelle inné,
c'est à dire né développé ; mais
répétons le encore, Dieu nous fait naître
avec des organes qui, à mesure qu'ils croissent, nous font
sentir tout ce que notre espèce doit sentir pour la conservation
de cette espèce.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Qu'importe en effet que les idées soient innées
ou ne le soient pas, si nous les avons inévitablement et
presque aussitôt que les premières notions (notions
communes à tous) qui leur servent, dit-on, d'origine et
de matériaux ?  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Pour la biologie moderne, aucun mécanisme moléculaire
ne permet d'imprimer directement dans l'ADN, c'est-à-dire
sans le détour de la sélection naturelle, des instructions
venues du milieu. Non qu'un tel mécanisme soit théoriquement
impossible. Simplement il n'existe pas.  
    --- François JACOB   
%
 Tout enfant normal possède à la naissance
la capacité de grandir dans n'importe quelle communauté,
de parler n'importe quelle langue, d'adopter n'importe quelle
religion, n'importe quelle convention sociale. Ce qui paraît
le plus vraisemblable, c'est que le programme génétique
met en place ce qu'on pourrait appeler des structures d'accueil
qui permettent à l'enfant de réagir aux stimulus
venus de son milieu, de chercher et repérer des régularités,
de les mémoriser puis de réassortir les éléments
en combinaisons nouvelles. Avec l'apprentissage, s'affinent et
s'élaborent peu à peu ces structures nerveuses.
C'est par une interaction constante du biologique et du culturel
pendant le développement de l'enfant que peuvent mûrir
et s'organiser les structures nerveuses qui sous-tendent les performances
mentales. Dans ces conditions, attribuer une fraction de l'organisation
finale à l'hérédité et le reste au
milieu n'a pas de sens.  
    --- François JACOB   
%
 La plupart des gens doués ont appris à l'être.  
    --- Frédéric DARD  
%
 Lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose,
il est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des
hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue
le changement des saisons, le progrès des maladies, etc. ;
car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète
des choses qu'il ne peut savoir ; et il ne lui est pas si
mauvais d'être dans l'erreur, que dans cette curiosité
inutile.  
    --- L'erreur préférable à l'inquiétude.
   
%
 On sait que bâiller est une agréable chose,
qui n'est point possible dans l'inquiétude. Bâiller
est la solution de l'inquiétude. Mais il est clair aussi
que par bâiller l'inférieur occupe toute l'âme,
comme Pascal a dit de l'éternuement, solution d'un tout
autre genre. Par bâiller on s'occupe un moment de vivre.
C'est, dans le vrai, un énergique appel du diaphragme,
qui aère les poumons profondément, et desserre le
coeur, comme on dit si bien. Bâiller est pris comme le signe
de l'ennui, mais bien à tort, et par celui qui n'arrive
pas à nous plaire ; car c'est un genre d'ennui heureux,
si l'on peut dire, où l'on est bien aise de ne point prendre
intérêt à quelque apparence qui veut intérêt.
Bâiller c'est se délivrer de penser par se délivrer
d'agir ; c'est nier toute attitude, et l'attitude est préparation.
Réellement bâiller et se détendre c'est la
négation de défense et de guerre ; c'est s'offrir
à être coupé ou percé ; c'est
ne plus faire armure de soi. Par ce côté, c'est s'affirmer
à soi-même sécurité pleine.  
    --- ALAIN   
%
 Tous soucis renvoyés, tous projets ajournés,
il reste une inquiétude par cette contraction terrestre
ou pesanteur, qui nous tient toujours. Voilà notre ennemie
de tout instant, voilà notre constante pensée. Il
me suffirait pour le savoir d'observer cette sensibilité
au tact, si remarquable sous les pieds du bipède humain.
Il ne cesse pas de palper en quelque sorte son propre équilibre
et d'interroger son étroite base, afin de se garder de
chute, soit dans le mouvement, soit dans le repos. C'est pourquoi
vous n'aurez jamais toute l'attention d'un homme debout sur ses
jambes.  
    --- ALAIN   
%
 Il y a tout lieu de s'inquiéter quand la police
est "sur les dents" : la position ne permet pas d'attraper
grand-chose.  
    --- André FROSSARD   
%
 Quand on n'est pas intelligible, c'est qu'on n'est pas
intelligent.  
    --- Victor HUGO   
%
 On commence à se méfier de certaines personnes
très intelligentes quand on les voit embarrassées.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La supériorité comme cause de l'impuissance :
être incapable d'une sottise qui peut être "avantageuse".  
    --- Paul VALERY   
%
 L'imbécile est celui qui ne sait se servir, qui
n'a pas l'idée de se servir, de ce qu'il possède.
Tout le monde en est là.  
    --- Paul VALERY   
%
 L'intelligence  -  faculté de reconnaître
sa sottise.  
    --- Paul VALERY   
%
 Etre assez intelligent, c'est n'être pas assez
intelligent précisément.
 Etre à moitié quoi que ce soit d'ailleurs
est inutile - car c'est toujours l'autre moitié qui fait
défaut.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 L'intelligence incite à la réflexion - et
la réflexion conduit au scepticisme.
 Le scepticisme, lui, vous mène à l'ironie.
 L'ironie, à son tour, vous présente à l'esprit
- qui se trouve en apport direct avec l'humour - qui fait si bon
ménage avec la fantaisie.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Je disais : être intelligent, c'est comprendre,
c'est entendre. Ce n'est pas seulement comprendre les idées,
les choses, les faits qui rentrent dans votre tempérament,
dans vos habitudes d'esprit, etc., c'est comprendre également
les idées, les choses, les faits qui vous sont différents,
contraires, et les plus divers. Autrement, on n'a qu'une intelligence
limitée, et qu'est-ce, qu'une intelligence limitée.
C'est l'intelligence qui cesse tôt ou tard de fonctionner
et qui se ferme sur un ensemble d'idées donné. On
pourrait codifier : être intelligent, c'est, après
connaître exactement sa propre façon de sentir et
de penser, pouvoir encore se prêter à toutes les
autres.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'intelligence ? une question de chimie organique,
rien de plus. On n'est pas plus responsable d'être intelligent
que d'être bête. Il n'y a pas plus à être
fier de l'un qu'à rougir de l'autre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il faut modérer parfois l'intelligence aussi, et
ne pas rougir d'être un bon animal, avant toute chose. J'aime
mieux une petite lueur de bon sens portée par de bons muscles,
qu'une grosse tête sur un petit corps. Sans les muscles,
l'idée n'irait pas loin ; une pensée chargée
de matière, une pensée aux larges pieds voilà
ce qui mène le monde.  
    --- ALAIN   
%
 La femme devient la collaboratrice de l'homme, et son
égale absolue, de ce fait même que l'homme a le cerveau
bourré d'un tas de choses qui troublent son jugement -
tandis que son cerveau, à elle, est complètement
vide et pur - si bien que le conseil qu'elle donne, elle le donne
avec son instinct qui est supérieur à celui de l'homme.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Je ne crois pas qu'une grande chose puisse être
faite sans une certaine forme d'intuition. On ne construit pas
une maison  en entassant des pierres au hasard. De même
on ne construit pas une théorie scientifique par une succession
d'opérations logiques élémentaires choisies
au hasard. Il faut bien qu'il y ait une idée directrice,
un plan initial.
 Mais certains savants cherchent à le cacher en présentant
leurs travaux sous la forme d'une succession d'opérations
purement logiques. Sans doute faut-il le faire pour persuader
les sceptiques. Mais je regrette souvent que ces exposés
trop parfaits ne soient pas précédés par
une introduction mettant en évidence les grandes lignes
du raisonnement, et négligeant d'abord les détails.
Je crois que leur lecture en serait facilitée.  
    --- Paul LEVY   
%
 Gardons-nous de l'ironie en jugeant. De toutes les dispositions
de l'esprit, l'ironie est la moins intelligente.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 L'ironie ne dessèche pas : elle ne brûle
que les mauvaises herbes.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'ironie est un élément du bonheur.  
    --- Jules RENARD   
%
 Redouter l'ironie, c'est craindre la raison.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Trop de lucidité dessèche ; en sorte
qu'une conscience délicate ne va jamais sans quelque aveuglement,
sans l'ingénuité du coeur et la crédulité
de l'esprit. C'est cette conscience que l'ironie des esprits forts
impitoyablement pourchasse et neutralise.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 L'ironiste fait semblant de jouer le jeu de son ennemi,
parle son langage, rit bruyamment de ses bons mots, surenchérit
en toute occasion sur sa sagesse soufflée, ses ridicules
et ses manies. Voilà décidément le grand
art et la suprême liberté, la plus intelligente,
la plus diabolique, la plus téméraire aussi. La
conscience ironique dit non à son propre idéal,
puis nie cette négation. Deux négations s'annulent,
disent les grammaires : mais  -  ce que les grammaires
ne nous disent pas  -  l'affirmation ainsi obtenue rend
un tout autre son que celle qui s'installe du premier coup, sans
passer par le purgatoire de l'antithèse. La ligne droite
n'est pas si courte que cela et le temps perdu est quelquefois
le mieux employé.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 L'ironie est la mauvaise conscience de l'hypocrisie. Comprenons
bien que l'intérêt le plus évident du scandale
est de rester camouflé et d'entretenir une équivoque
dont il est le seul bénéficiaire : la guerre,
par exemple, ne demande qu'à devenir juridique pour constituer,
comme la paix, un certain ordre naturel ; et le plus mauvais
tour qu'on puisse lui jouer, c'est de lui refuser, au contraire,
cette légalité dérisoire dont elle s'accommoderait
si bien, c'est de la vouloir inhumaine, absurde et anormale, comme
elle doit être ; il ne faut pas que l'hypocrisie du
"droit des gens", en la rendant supportable et presque sociable,
nous crée un modus vivendi avec ce scandale. Qu'elle soit
horrible, puisqu'elle est, et qu'elle s'extermine elle-même !
Heureusement la lucide ironie ne s'en laisse pas accroire ;
et les bonnes âmes malfaisantes ne seront pas tranquilles
tant qu'il y aura des ironistes pour crier à tue-tête
leur vrai nom et pour dénoncer leurs nobles rôles,
leurs postiches, leurs momeries et leur rhétorique en carton.
Que l'ironie est donc indiscrète !  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 L'éternel enfant. - Nous croyons que les contes
et les jeux appartiennent à l'enfance, myopes que nous
sommes ! Comment pourrions-nous vivre, à n'importe
quel âge de la vie, sans contes et sans jeux ! Il est
vrai que nous donnons d'autres noms à tout cela et que
nous l'envisageons autrement, mais c'est là précisément
une preuve que c'est la même chose ! - car l'enfant,
lui aussi, considère son jeu comme un travail et le conte
comme la vérité. La brièveté de la
vie devrait nous garder de la séparation pédante
des âges - comme si chaque âge apportait quelque chose
de nouveau -, et ce serait l'affaire d'un poète de nous
montrer une fois l'homme qui, à deux cents ans d'âge,
vivrait véritablement sans contes et sans jeux.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 On n'est pas sur la terre pour s'amuser.
 Pardon, voudriez-vous me dire pourquoi on y est, si ce n'est
pas pour s'amuser. Serait-ce pour souffrir ?  
    --- Léon BLOY   
%
 J'ai peut-être des défauts  -  qui
n'en a pas !  -  mais, il est une qualité
qu'on ne peut pas me contester, c'est la fidélité.
Depuis trente ans que je joue à la roulette, je joue toujours
les mêmes numéros : le 35, le 3, le 26, le 0
et le 32.
 On appelle cela "jouer les voisins du zéro".
 Et je les joue pour deux raisons. Ou bien parce que l'un d'entre
eux vient de sortir, ou bien parce qu'aucun d'eux ne vient de
sortir. 
 Oui, ou bien je me dis : "Puisque l'un d'eux vient de sortir,
c'est qu'ils sont en train de sortir. Profitons-en !"  -  ou
bien, je me dis : "Ils ne sont pas encore sortis, donc cela
va être à eux maintenant de sortir. Profitons-en !"
 Et voilà trente ans que je me tiens ce raisonnement stupide.
Je dis qu'il est stupide parce que voilà trente ans que
je perds au jeu avec une régularité pour ainsi dire
méthodique.  
    --- Sacha GUITRY /L'Esprit /   
%
 Ce que les gens qui ne jouent pas ne savent pas, ce qu'ils
ignorent, ce sont les bienfaits du jeu. Ses inconvénients,
je les connais comme eux. Certes, c'est un danger, mais qu'est-ce
qui n'est pas un danger dans la vie !
 Or, il ne faut pas contester l'influence excellente que le jeu
peut avoir sur le moral. L'homme qui vient de gagner mille francs,
ce n'est pas un billet de mille francs qu'il a gagné  -  c'est
la possibilité d'en gagner cent fois plus.
 Il n'a pas gagné mille francs  -  il a gagné !
 Quand il perd mille francs, il n'a perdu que mille francs. Quand
il les gagne, il a gagné les premiers mille francs d'une
fortune incalculable. Tous les espoirs lui sont permis  -  et
voyez cette confiance en lui qu'il a, c'est magnifique !
En amour, en affaires, pendant vingt-quatre heures, il va tout
oser  -  et ce début d'une fortune, dû au
hasard uniquement, peut le mener à la fortune véritable.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 C'est la force des dirigeants modernes d'avoir compris
que la religion ayant cessé d'être l'opium du peuple,
la loterie, fille du rêve et de la démocratie, qui
pour un investissement modique promet l'égalité
des chances, pouvait constituer une drogue de substitution.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 En la police oeconomique, mon pere avoit cet ordre, que
je sçay loüer, mais nullement ensuivre : c'est
qu'outre le registre des negoces du mesnage où se logent
les menus comptes, paiements, marchés, qui ne requierent
la main du notaire, lequel registre un receveur a en charge, il
ordonnoit à celuy de ses gens qui lui servoit a escrire,
un papier journal à inserer toutes les survenances de quelque
remarque, et jour par jour les memoires de l'histoire de sa maison,
très-plaisante à veoir quand le temps commence à
en effacer la souvenance, et très à propos pour
nous oster souvent de la peine : quand fut entamée
telle besoigne ? quand achevée ? quels trains
y ont passé ? combien arresté ? noz voyages,
noz absences, mariages, morts, la reception des heureuses ou malencontreuses
nouvelles ; changement des serviteurs principaux ; telles
matieres. Usage ancien, que je trouve bon à refreschir,
chacun en sa chacuniere. Et me trouve un sot d'y avoir failly.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Ces sortes d'éphémérides écrites
n'entreraient pas utilement dans la place d'une bonne vie, où
l'oubli est aussi nécessaire que le souvenir.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il n'y a rien de plus sot qu'un journal, du moins aussi
longtemps que son auteur vit. Je n'ai jamais été
découragé par la niaiserie, tout ce qu'on écrit
de sincère est niais, toute vraie souffrance a ce fond
de niaiserie, sinon la douleur des hommes n'aurait plus de poids,
elle s'envolerait dans les astres.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Le besoin de consigner toutes les réflexions amères,
par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne
plus être triste...  
    --- Emil CIORAN   
%
 Je plains ceux qui, ne tenant pas un journal intime, n'ont
aucune raison de noter ce qu'ils auraient intérêt
à oublier.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 On est souvent injuste en s'abstenant d'agir et non seulement
en agissant.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Je ne sçay d'où je tiens ce conte, mais
il rapporte exactement la conscience de nostre justice. Une femme
de village accusoit devant un general d'armée, grand justicier,
un soldat pour avoir arraché à ses petits enfans
ce peu de bouillie qui luy restoit à les sustanter, cette
armée ayant ravagé tous les villages à l'environ.
De preuve, il n'y en avoit point. Le general, après avoir
sommé la femme de regarder bien à ce qu'elle disoit,
d'autant qu'elle seroit coupable de son accusation si elle mentoit,
et elle persistant, il fit ouvrir le ventre au soldat pour s'esclaircir
de la verité du faict. Et la femme se trouva avoir raison.
Condemnation instructive.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 La justice n'est qu'une vive appréhension qu'on
ne nous ôte ce qui nous appartient ; de là vient
cette considération et ce respect pour tous les intérêts
du prochain, et cette scrupuleuse application à ne lui
faire aucun préjudice ; cette crainte retient l'homme
dans les bornes des biens que la naissance, ou la fortune, lui
ont donnés, et sans cette crainte il ferait des courses
continuelles sur les autres.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 La justice est ce qui est établi ; et ainsi
toutes nos lois établies seront nécessairement tenues
pour justes sans être examinées, puisqu'elles sont
établies.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 C'est par faiblesse que l'on hait un ennemi, et que l'on
songe à se venger ; et c'est par paresse que l'on
s'apaise, et qu'on ne se venge point.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 S'il est périlleux de tremper dans une affaire
suspecte, il l'est encore davantage de s'y trouver complice d'un
grand : il s'en tire, et vous laisse payer doublement, pour
lui et pour vous.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Aristote dit que la vengeance est une chose juste, fondée
sur ce principe qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient.

 Et c'est la seule façon que la Nature nous ait donnée
pour arrêter les mauvaises inclinations des autres ;
c'est la seule puissance coercitive que nous ayons dans cet état
de nature : chacun y avoit une magistrature qu'il exerçoit
par la vengeance.
 Ainsi Aristote auroit bien raisonné s'il n'avoit pas parlé
de l'état civil, dans lequel, comme il faut des mesures
dans la vengeance, et qu'un coeur offensé, un homme dans
la passion, n'est guère en état de voir au juste
la peine que mérite celui qui offense, on a établi
des hommes qui se sont chargés de toutes les passions des
autres, et ont exercé leurs droits de sens froid.
 Que si les magistrats ne vous vengent pas, vous ne devez pas
pour cela vous venger, parce qu'il est présumé qu'ils
pensent que vous ne devez pas vous venger. 
 Ainsi, quand la Religion chrétienne a défendu la
vengeance, elle n'a fait que maintenir la puissance des tribunaux.
Mais, s'il n'y avoit point de lois, la vengeance seroit permise ;
non pas le sentiment qui fait que l'on aime faire du mal pour
du mal, mais un exercice de justice et de punition.  
    --- MONTESQUIEU  
%
 La crainte des peines de l'autre vie n'est pas un motif
si réprimant que la crainte des peines de celle-ci, parce
que les hommes ne sont pas frappés des maux à proportion
de leur grandeur, mais a proportion que le temps où ils
arriveront est plus ou moins éloigné, de façon
qu'un petit plaisir présent nous touche plus qu'une grande
peine éloignée : témoin les femmes,
qui ne font pas de cas des peines de l'enfantement, dans le moment
qu'elles vont se les procurer, parce que l'enfantement est une
chose éloignée : le plaisir agit de près ;
la douleur affecte de loin ; de façon que c'est un
grand bonheur de la nature qu'il faille tant de temps depuis la
conception jusqu'à l'enfantement. Or ceux qui voient les
maux aussi près que le plaisir, comme ceux qui craignent
les maux vénériens, s'abstiennent du plaisir ordinairement.  
    --- Insuffisance de la justice   
%
 A la question : est-il coupable ? il
faudrait en ajouter une autre : est-il incorrigible ?  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Tout accusé fut censé innocent ; bientôt
tout accusateur fut censé vertueux.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il est dans l'ordre qu'une peine inévitable suive
une faute volontaire.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il y a des indulgences qui sont un déni de justice.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 On dit tous les jours que l'intérêt bien
entendu de chacun l'invite à respecter les règles
de la justice ; on fait néanmoins des lois contre
ceux qui les violent ; tant il est constaté que les
hommes s'écartent fréquemment de leur intérêt
bien entendu !  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Dans la république d'Haïti, il vient de se
passer ceci. Un sénateur nommé Courtois est condamné
par le sénat pour un petit délit quelconque, à
un mois de prison. Le président Soulouque, en vertu de
la Constitution qui attribue au président de la république
le droit de commuer les peines, commue la peine du sénateur
Courtois, d'un mois de prison à la peine de mort. On a
eu beaucoup de peine à l'en faire démordre. Il serait
curieux que les républiques entendissent ainsi le droit
de grâce.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les bons sont meilleurs que les justes.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les circonstances atténuantes sont une sourdine
mise au code pénal.  
    --- Victor HUGO   
%
 Si l'on veut savoir de quel droit j'interviens dans cette
douloureuse affaire, je réponds : de l'immense droit
du premier venu. Le premier venu, c'est la conscience humaine.  
    --- Victor HUGO   
%
 Pensons-y !  -  Celui que l'on punit n'est
plus celui qui a commis l'action. Il est toujours le bouc émissaire.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 But du châtiment.  -  Le châtiment
a pour but de rendre meilleur celui qui châtie,  -  c'est
là le dernier recours pour les défenseurs du châtiment.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Culpabilité. - Quoique les juges les plus sagaces
des sorcières et même les sorcières elles-mêmes
fussent persuadés de la culpabilité qu'il y avait
à se livrer à la sorcellerie, cette culpabilité
n'existait cependant pas. Il en est ainsi de toute culpabilité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La peine de Mort est le résultat d'une idée
mystique, totalement incomprise aujourd'hui. La peine de Mort
n'a pas pour but de sauver la société, matériellement
du moins. Elle a pour but de sauver (spirituellement) la société
et le coupable. Pour que le sacrifice soit parfait, il faut qu'il
y ait assentiment et joie de la part de la victime. Donner du
chloroforme a un condamné à mort serait une impiété,
car ce serait lui enlever la conscience de sa grandeur comme victime
et lui supprimer les chances de gagner le Paradis.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 La Justice est représentée, au fronton des
édifices où l'on en débite, par une femme
masquée d'un bandeau, à la longue robe, qui tient
dans sa main droite un glaive et dans sa main gauche une balance.
Cette femme vous la connaissez. La Superstition religieuse protectrice
du sabre soudard et de la balance du mercanti, voilà le
symbole de la Justice.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Contrairement à ce qui est dit dans le Sermon sur
la Montagne, si tu as soif de justice, tu auras toujours soif.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le fou en liberté est une chose affreuse, par la
contagion, par l'exemple, par le trouble apporté à
la société saine. Je dirai, à la suite de
Goethe, que je préfère l'internement injuste aux
maux qu'entraîne la circulation d'un dément sans
gardien, ni camisole. Tous les pères de famille me comprendront.  
    --- Léon DAUDET   
%
 J'expliquais hier à l'étude la nécessité
de n'avoir point pour magistrats des hommes honnêtes. N'ayant
aucune capacité criminelle, comment ceux-ci pourraient-ils
juger des crimes ? On ne juge que ce qu'on connaît
bien.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je suis pour les privilèges... Quand ils sont gagnés.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Complice n. Individu associé à un autre
individu dans un crime, avec assentiment et pleine conscience
de ses actes, tel un avocat qui défend un criminel quand
il sait que ce dernier n'est pas innocent. Ce point de vue sur
la responsabilité de l'avocat n'a pas encore été
reconnu par les hommes de la justice, personne ne leur ayant proposé
de l'argent pour cela.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 OEil pour oeil, dent pour dent, soit. Le précepte
n'a rien de neuf... Malheureusement il n'est pas sûr. Car
j'admets volontiers que vous preniez un oeil à l'adversaire
qui vous a fait borgne. S'il vous crève l'autre, gros malin,
comment ferez-vous ? Reste donc à lui prendre tout
de suite les deux, le premier au nom du droit strict, et le second
par précaution. C'est l'histoire du Traité de Versailles.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 A noter que la notion [...] d'agression est extrêmement
floue. Si vous me faites un reproche un peu amer, si je vous insulte,
si vous me giflez, si je vous donne un coup de poing, si vous
tirez votre couteau, si je prends mon pistolet, qui a agressé
qui ?
 L'Allemagne de la Deuxième Guerre mondiale nous apparaît
comme l'agresseur des Alliés. Mais les clauses draconiennes
et humiliantes du traité de Versailles lui donnaient le
sentiment que c'était elle qui était agressée.
On répliquera : le traité de Versailles n'a
été si draconien que parce que l'Allemagne était
déjà l'agresseur au moment de la Première
Guerre mondiale. Et l'Allemagne répliquera que ce n'est
pas elle qui a assassiné l'archiduc d'Autriche. Et les
Serbes répliqueront que si l'Autriche n'avait pas colonisé
la Serbie...  
    --- Vladimir VOLKOFF  
%
 La lutte de répartition incite à préférer
la position de victime à celle de privilégié.
Non que personne refuse bien entendu un privilège, mais
il faut ne pas le considérer comme tel : ou bien alors
il n'est qu'une modeste compensation à bien des mauvais
traitements. Comme la connaissance des faits dit être en
harmonie avec l'attitude au-dehors, l'individu doit se convaincre
qu'il est victime d'injustice.  
    --- Pourquoi nous sommes tous   
%
 La justice immanente est rarement imminente.  
    --- Pierre DAC   
%
 Il est impossible d'accepter d'être jugé
par quelqu'un qui a moins souffert que nous. Et comme chacun se
croit un Job méconnu...  
    --- Emil CIORAN   
%
 "Ne juge personne avant de te mettre à sa place."
Ce vieux proverbe rend tout jugement impossible, car nous ne jugeons
quelqu'un que parce que justement nous ne pouvons nous mettre
à sa place.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le problème de la responsabilité n'aurait
de sens que si on nous avait consulté avant notre naissance
et que nous eussions consenti à être celui que nous
sommes précisément.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Les assassins de nos jours, ont toujours des circonstances
atténuantes. Un seul mot de pitié pour les victimes
suffit à faire perdre la considération des moralistes.
Aujourd'hui le capitaine Dreyfus ne gagnerait la sympathie des
intellectuels que s'il était coupable.  
    --- André FROSSARD   
%
 C'est parce que la peine de mort n'est pas dissuasive
qu'il faut la supprimer. Or l'un des derniers condamnés
sortait de prison quand il a commis son crime. Il est clair que
la prison n'est pas dissuasive. Donc il faut la supprimer. Il
y a des tribunaux et cependant il se commet toujours des délits.
Les tribunaux n'étant pas dissuasifs, il faut les supprimer ;
on peut en dire autant de la gendarmerie et de la police en général.
 Et des innocents. Si l'on continue à les tuer, c'est qu'ils
ne sont pas dissuasifs. Supprimons-les.  
    --- André FROSSARD  
%
 Dans la région de l'Est, vivait un homme du nom
de Yuan King-mou. Comme il se rendait en voyage, il faillit mourir
de faim en cours de route. Un brigand de Hou-fou, du nom de K'ieou,
le vit et lui apporta à boire et à manger pour le
fortifier.
 Yuan King-mou se fortifia trois fois, et, revenant à lui,
il dit : "Qui êtes-vous ?" L'autre répondit :
"Je suis de Hou-fou et je m'appelle K'ieou." Yuan King-mou dit :
"N'es-tu pas un brigand ? Quoi ! Un dépravé
m'aurait nourri ? Mon sens de la justice m'interdit de manger
de ta nourriture !" Alors, penché en avant, les deux
mains au sol, il s'efforçait de tout vomir, mais il n'en
sortait qu'un gargouillement. Sur quoi, on le vit s'affaisser
et il mourut.
 Il est vrai que l'homme de Hou-fou était un brigand, mais
nourrir un voyageur n'est pas un acte de brigandage. Que le voyageur
se soit refusé à assimiler ce que son bienfaiteur
lui offrait en le considérant comme le fruit du brigandage,
c'est là un malentendu entre le nom et la chose.  
    --- Prendre le nom pour   
%
 En 1944, au moment de la libération de Paris, de
jeunes résistants se refusaient à prendre une voiture
disponible dont ils avaient besoin, justifiant leur attitude par
le fait qu'elle avait servi à la Gestapo. De ce fait, elle
était à leurs yeux, souillée, maudite. Ils
réprouvaient l'instrument à cause de l'usage qui
en avait été fait.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences,
et rien davantage ; le mépris des unes tombe sur les
autres : il ne s'agit point si les langues sont anciennes
ou nouvelles, mortes ou vivantes, mais si elles sont grossières
ou polies, si les livres qu'elles ont formés sont d'un
bon ou d'un mauvais goût. Supposons que notre langue pût
un jour avoir le sort de la grecque et de la latine, serait-on
pédant, quelques siècles après qu'on ne la
parlerait plus, pour lire MOLIERE ou LA FONTAINE ?  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Comment il se fait que ce n'est qu'en cherchant les mots
qu'on trouve les pensées.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Bannissez des mots toute équivoque, toute indétermination ;
faites en, comme ils disent, des chiffres invariables : il
n'y a plus de jeu dans la parole et dès lors plus d'éloquence
et plus de poésie : tout ce qui est mobile et variable
dans les affections de l'âme demeurera sans expression possible.
Mais que disais-je, bannissez... Je dis plus. Bannissez des mots
tout abus, il n'y a plus même d'axiomes. (Vid. d'Alembert,
Discours sur l'Encyclopédie.) C'est l'équivoque,
l'incertitude, c'est à dire la souplesse des mots qui est
un de leurs grands avantages pour en faire un usage exact.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il savait prononcer le mot "succulent" de telle manière
qu'en l'entendant on avait l'impression de mordre dans une pêche
mûre.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Spéron-Spéroni explique très bien
comment un auteur qui s'énonce très clairement pour
lui-même est quelquefois obscur pour son lecteur :
"C'est, dit-il, que l'auteur va de la pensée à l'expression
et que le lecteur va de l'expression à la pensée."  
    --- CHAMFORT   
%
 Dans le patois des Flandres, assure un explorateur, "épousailles"
se dit "trouwplechtighied". Ce n'est pas un joli dialecte que
le flamand.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Whangdepootenawah n. Dans la langue Ojibwa, désastre.
Affliction inattendue qui frappe très très fort.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 En notre siècle de peu de foi, "sans doute" a le
même sens que "peut-être".  
    --- Jules RENARD   
%
 Qu'est-ce que cette étoile ? Et on lit son
nom dans un livre, et on croit la connaître.  
    --- Jules RENARD   
%
 Celui qui me fera retenir des noms anglais n'est pas encore
naturalisé.  
    --- Jules RENARD   
%
 CONSEIL A L'ECRIVAIN
 Entre deux mots, il faut choisir le moindre.
 (Mais que le philosophe entende aussi ce petit conseil.)  
    --- Paul VALERY   
%
 A Boileau. 
 Il est très malaisé d'énoncer clairement
ce que l'on conçoit plus nettement que ceux qui ont créé
les formes et les mots du langage,  -  parmi lesquels
ceux qui nous ont appris à parler.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce qui obscurcit presque tout c'est le langage  -  parce
qu'il oblige à fixer et qu'il généralise
sans qu'on le veuille.  
    --- Paul VALERY   
%
 Excellent de ne pas trouver le mot juste  -  cela
y peut prouver qu'on envisage bien un fait mental, et non une
ombre du dictionnaire.  
    --- Paul VALERY   
%
 La langue est un instrument à penser. Les esprits
que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement
surtout incultes, et en se sens qu'ils n'ont qu'un petit nombre
de mots et d'expressions ; et c'est un trait de vulgarité
bien frappant que l'emploi d'un mot à tout faire. Cette
pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et
les querelles le font voir : toutefois la précipitation
du débit et le retour des mêmes mots montrent bien
que le mécanisme n'est nullement dominé. L'expression
"ne pas savoir ce qu'on dit" prend alors tout son sens. On observera
ce bavardage dans tous les genres d'ivresse et de délire.
Et je ne crois même point qu'il arrive à un homme
de déraisonner par d'autres causes ; l'emportement
dans le discours fait de la folie avec des lieux communs. Aussi
est-il vrai que le premier éclair de pensée, en
tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à
ce qu'il dit. Si étrange que cela soit, nous sommes dominés
par la nécessité de parler sans savoir ce que nous
allons dire ; et cet état sibyllin est originaire
en chacun ; l'enfant parle naturellement avant de penser,
et il est compris des autres bien avant qu'il se comprenne lui-même.
Penser c'est donc parler à soi.  
    --- ALAIN   
%
 C'est tout de même curieux de penser que les Marseillais
trouvent que nous avons de l'accent !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Ce qui m'a le plus frappé, c'est la puissance des
"mots". C'est le commerce, l'échange, rendu possible, grâce
à un vocabulaire pour tous, pris au sérieux. Quand
je pense qu'on peut séduire une femme, acquérir
une situation, faire du mal, de la peine, du bien, du plaisir,
avec des phrases bien assemblées, cela me confond.  
    --- Georges PERROS   
%
 Ce qui donne au langage son caractère unique, c'est
moins, semble-t-il, de servir à communiquer des directives
pour l'action que de permettre la symbolisation, l'évocation
d'images cognitives. Nous façonnons notre "réalité"
avec nos mots et nos phrases comme nous la façonnons avec
notre vue et notre ouïe. Et la souplesse du langage humain
en fait aussi un outil sans égal pour le développement
de l'imagination. Il se prête à la combinatoire sans
fin des symboles. Il permet la création mentale de mondes
possibles.  
    --- François JACOB   
%
 Quand on prononce le mot "concupiscent" on dit aussi un
peu caca.  
    --- Roland TOPOR   
%
 En langue basque, AIZ signifie pierre, AIZKOLAR, hache,
AIZKOLARIK, bûcheron. Voilà ce que j'appelle une
langue ancienne.  
    --- Roland TOPOR   
%
 Faute d'impression dans une supplique distribuée
à l'Académie pour le prix de vertu :
 Les quarante sages qui composent l'auguste aréopage
 on a mis : les quarante singes.  
    --- Victor HUGO   
%
 On raconte que Rosny, exaspéré par les erreurs
typographiques que les protes faisaient ou laissaient passer,
écrivit un article vengeur intitulé "Mes coquilles".
Quand Rosny le lendemain ouvrit le journal, il lut avec stupeur,
en gros caractères, cet étrange titre : "MES
COUILLES". Un prote, négligent ou malicieux, avait laissé
tomber le q...  
    --- André GIDE   
%
 Sarkoquin
 Qui l'eût dit ? Sarko a eut le lapsus fleuri mercredi
dernier, 19 octobre, au Pavillon Gabriel, en bas des Champs-Elysées,
à la remise du prix Veuve-Clicquot de la "femme d'affaires
de l'année" à Nicole Bru, pédégère
des laboratoires Upsa (aspirine et compagnie). Devant une assistance
où se bousculait du beau linge (Bernard Arnault, Christine
Ockrent, Mme Vigouroux, etc.), la langue du super-ministre a fourché
quand à l'instant d'entamer son laïus il a attaqué
très fort : "Le prix de la Veuve-Clito"... Hilarité
générale !
 Un agenda aussi chargé, c'est à ses risques et
pénis !  
    --- ***   
%
 Traître de mélodrame
 Un joli lapsus de François Bayrou, le président
du CDS, hier balladurien et aujourd'hui chiraquisé dans
l'attente d'un portefeuille : "L'espace Balladur, a-t-il
lâché lors du conseil politique de son parti le 29
avril, doit se pérenniser avec une structure rénovée.
Je peux trahir... euh... traduire ma pensée..."
 Bayrou est excusable : au CDS, la trahison a toujours été
une seconde nature.  
    --- ***   
%
 Les fantasmes de Charette
 Etait-ce l'air vif d'Halifax ou l'ambiance torride du
G7 ? Hervé de Charette a commis un délicieux
lapsus en rendant compte, le 16 juin, des travaux du Sommet. Le
ministre des Affaires étrangères a déclaré :
"Les ministres des Finances ont abordé les variations érotiques
de monnaies, pardon, erratiques."
 A Halifax, Chirac avait dénoncé "la spéculation,
ce sida de nos économies". Ca aura troublé
l'esprit de ce pauvre Charette.  
    --- ***   
%
 Obscénité
 Lapsus d'Edouard Balladur au cours d'un meeting électoral
à Montgeron (Essonne), le 27 février :
 "Elle [l'abstention] sera l'un de nos principaux obstacles. C'est
donc par le bouche-à-bouche qu'il faudra convaincre les
électeurs d'aller voter." Est-ce bien convenable, Edouard ?
  
    --- ***  
%
 Cette anecdote s'est déroulée lors d'une
cérémonie organisée à l'occasion d'un
anniversaire du théâtre de la Huchette, dans le V<SUP>e</SUP>
arrondissement : devant un aréopage de personnalités,
je devais remettre, au nom du maire de Paris, la médaille
de vermeil  -  qui est la plus haute distinction de la
Ville  -  au dramaturge Eugène Ionesco.
 Un discours avait été préparé pour
l'occasion, et au moment de prononcer les paroles habituelles :
"J'ai l'honneur de vous remettre la médaille de vermeil
de la Ville", j'ai dit : "J'ai l'honneur de vous remettre
la merdaille de merveille de la Ville... ". L'assistance a immédiatement
éclaté de rire, et j'avoue avoir eu du mal à
terminer mon discours.  
    --- Jean Tibéri :
    
%
 La Rochefoucauld a contre lui tous les philosophes grandioses :
il a osé mettre le doigt sur le grand ressort du joujou
humain, et on ne le lui pardonne pas.
 Il a aussi contre lui les hommes de gouvernement et d'action ;
mais la seule objection de ces derniers se réduit à
ceci : "Pourquoi, diantre ! aller mettre le doigt sur
le ressort ? laissez-le plutôt jouer sans le dire,
et surtout laissez-nous en jouer."
  -  Pour bien entendre La Rochefoucauld, il faut se dire
que l'amour-propre, dans ses replis de protée et ses métamorphoses,
prend parfois des formes sublimes.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Le jour où La Rochefoucauld s'avisa de ramener
et réduire aux incitations de l'amour-propre les mouvements
de notre coeur, je doute s'il fit tant preuve d'une perspicacité
singulière, ou plutôt s'il n'arrêta pas l'effort
d'une plus indiscrète investigation. Une fois la formule
trouvée, l'on s'y tint et, durant deux siècles et
plus, on vécut avec cette explication. Le psychologue parut
le plus averti, qui se montrait le plus sceptique et qui, devant
les gestes les plus nobles, les plus exténuants, savait
le mieux dénoncer le ressort secret de l'égoïsme.
Grâce à quoi tout ce qu'il y a de contradictoire
dans l'âme humaine lui échappe. Et je ne lui reproche
pas de dénoncer "l'amour-propre" ; je lui reproche
parfois de s'en tenir là ; je lui reproche de croire
qu'il a tout fait quand il a dénoncé l'amour-propre.
Je reproche surtout à ceux qui l'ont suivi, de s'en être
tenu là.  
    --- André GIDE   
%
 Ceux qui découragent la vertu, l'héroïsme,
la charité et tout ce qui est pur ici-bas sont les mêmes
qui rendent impossible, à force de dialectique, le mouvement
et la liberté. La Rochefoucauld est, pour ainsi dire, le
Zénon du monde moral : de même que Zénon
décompose le mouvement en points stationnaires, de même
le pointillisme des pointilleux, qui cherche des poux à
la vertu et à la pureté, trouble ce qu'on peut appeler
l'évidence du bon mouvement ; le "bon mouvement",
c'est aussi le premier mouvement, l'impulsion inchoative et généreuse
que les méfiants, les ironiques, les soupçonneux
n'ont pas encore désagrégé en scrupules.
Si la spontanéité charitable est le premier mouvement,
le calcul intéressé ou ravisement est le second ;
à l'intention toujours initiale de Donner succède
l'intention de Reprendre ou Retenir,  -  car on ne "se
ravise" que pour refuser et pour dire non. Tout de même
c'est pour un deuxième mouvement réflexif, pour
un mouvement secondaire que la bonne intention prévenante
et initiale se désagrège en rhapsodie de scrupules.
La primarité et simplicité affirmatives du fiat
 -  que ce soit sacrifice, décision héroïque
ou offrande  -  devient suspecte après coup. Pas
de coeur pur qui reste pur pour cet épluchage zénonien !  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Un suffisant lecteur descouvre souvant ès escrits
d'autruy des perfections autres que celles que l'autheur y a mises
et apperceües, et y preste des sens et des visages plus riches.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Les livres sont plaisans ; mais, si de leur frequentation
nous en perdons en fin la gayeté et la santé, nos
meilleures pieces, quittons les.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Il y a plus affaire à interpreter les interpretations
qu'à interpreter les choses, et plus de livres sur les
livres que sur autre subject : nous ne faisons que nous entregloser.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 L'étude a été pour moi le souverain
remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant
jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Quand une lecture vous élève l'esprit, et
qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez
pas une autre règle pour juger l'ouvrage ; il est
bon, et fait de main d'ouvrier.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 L'étude des textes ne peut jamais être assez
recommandée ; c'est le chemin le plus court, le plus
sûr et le plus agréable pour tout genre d'érudition ;
ayez les choses de première main ; puisez à
la source ; maniez, remaniez le texte ; apprenez-le
de mémoire ;  citez-le dans les occasions ; songez
surtout à en pénétrer le sens dans toute
son étendue et dans ses circonstances ; conciliez
un auteur original, ajustez ses principes, tirez vous-même
les conclusions ; les premiers commentateurs se sont trouvés
dans le cas où je désire que vous soyez : n'empruntez
leurs lumières, et ne suivez leurs vues, qu'où les
vôtres seraient trop courtes ; leurs explications ne
sont pas à vous, et peuvent aisément vous échapper ;
vos observations au contraire naissent de votre esprit et y demeurent,
vous les retrouverez plus ordinairement dans la conversation,
dans la consultation et dans la dispute. Ayez le plaisir de voir
que vous n'êtes arrêté dans la lecture que
par les difficultés qui sont invincibles, où les
commentateurs et les scoliastes eux-mêmes demeurent courts,
si fertiles d'ailleurs, si abondants et si chargés d'une
vaine et fastueuse érudition dans les endroits clairs,
et qui ne font de peine ni à eux ni aux autres. Achevez
ainsi de vous convaincre par cette méthode d'étudier,
que c'est la paresse des hommes qui a encouragé le pédantisme
à grossir plutôt qu'à enrichir les bibliothèques,
à faire périr le texte sous le poids des commentaires ;
et qu'elle a en cela agi contre soi-même et contre ses plus
chers intérêts, en multipliant les lectures, les
recherches et le travail qu'elle cherchait à éviter.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La reliure recommande un livre. Il faut qu'un livre rappelle
son lecteur, comme on dit que le bon vin rappelle son buveur.
Il ne peut le rappeler que par l'agrément. Un certain agrément
doit se trouver même dans les écrits les plus austères.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il faut que l'esprit séjourne dans une lecture
pour bien connaître un auteur.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Vous dites que les livres sont bientôt lus, mais
ils ne sont pas bientôt entendus. Les digérer etc.
Pour bien entendre une belle et grande pensée, il faut
peut-être autant de temps que pour l'avoir, la concevoir.
S'en pénétrer ou la produire sont presque une même
action.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ce qu'on cherche surtout dans les livres sans s'en apercevoir,
ce sont des mots propres à exprimer nos diverses pensées.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 On demande sans cesse de nouveaux livres, et il y a dans
ceux que nous avons depuis longtemps, des trésors inestimables
de science et d'agrément qui nous sont inconnus parce que
nous négligeons d'y prendre garde.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 De ceux à qui le monde ne suffit pas : les
saints, les conquérants, les poètes et tous les
amateurs des livres.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le papier est patient, mais le lecteur ne l'est pas.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le grand inconvénient des livres nouveaux est de
nous empêcher de lire les anciens.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Peu de livres peuvent plaire toute la vie. Il y en a dont
on se dégoûte avec le temps et la sagesse ou le bon
sens, comme des passions.
 Les beaux ouvrages n'enivrent point, mais ils enchantent.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Jamais le monde n'est connu par les livres, on l'a dit
autrefois, mais ce qu'on n'a pas dit, c'est la raison : la
voici. C'est que cette connaissance est un résultat de
mille observations fines dont l'amour-propre n'ose faire confidence
à personne, pas même au meilleur ami. On craint de
se montrer comme un homme occupé de petites choses, quoique
ces petites choses soient très importantes au succès
des plus grandes affaires.  
    --- CHAMFORT   
%
 La plupart des livres d'à présent ont l'air
d'avoir été faits en un jour avec des livres lus
la veille.  
    --- CHAMFORT   
%
 Dans l'excès du bonheur lire est bien difficile,
cependant on s'ennuie à la longue si l'on ne lit pas.  
    --- STENDHAL   
%
 Un roman est comme un archet, la caisse du violon qui
rend les sons c'est l'âme du lecteur.  
    --- STENDHAL   
%
 Qui a bu, boira. Qui a lu, lira.  
    --- Victor HUGO   
%
 Lire, c'est boire et manger. L'esprit qui ne lit pas maigrit
comme le corps qui ne mange pas.  
    --- Victor HUGO   
%
 Il est bon de relire encore les livres que d'autres ont
lus cent fois : l'objet reste bien le même, mais c'est
le sujet qui change.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Il y a vraiment beaucoup de gens qui lisent pour avoir
le loisir de ne pas penser.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Tel livre où on n'avait rien trouvé d'utile,
lu avec les yeux d'une expérience plus avancée,
portera leçon.  
    --- Eugène DELACROIX   
%
 Chaque fois que j'ai lu Shakspeare, il m'a semblé
que je déchiquette la cervelle d'un jaguar.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Livres dangereux. - Quelqu'un dit : "Je le remarque
sur moi-même : ce livre est dangereux." Mais qu'il
attende un peu, et il s'avouera certainement un jour que ce livre
lui a rendu un grand service, en mettant au jour la maladie cachée
de son coeur, la rendant ainsi visible. - Les changements d'opinion
ne changent pas le caractère d'un homme (ou du moins fort
peu) ; ils éclairent cependant certains côtés
de la configuration de sa personnalité qui, jusqu'à
présent, avec une autre constellation d'opinions, étaient
restés obscurs et méconnaissables.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ces heures où l'on a envie de lire quelque chose
d'absolument beau. Le regard fait le tour de la bibliothèque,
et il n'y a rien. Puis, on se décide à prendre n'importe
quel livre, et c'est plein de belles choses.  
    --- Jules RENARD   
%
 Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe.  
    --- Jules RENARD   
%
 Quand je pense à tous les livres qu'il me reste
à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux.  
    --- Jules RENARD   
%
 On a tout lu, mais ils ont lu un livre que vous devriez
lire, qui leur donne une supériorité, et qui annule
toutes vos lectures ?  
    --- Jules RENARD   
%
 La BRUYERE, le seul dont dix lignes lues au hasard
ne déçoivent jamais.  
    --- Jules RENARD   
%
 Qui n'entend à demi-mot n'y entendra rien du tout.  
    --- Antoine GARABY DE LA   
%
 On devrait fonder une chaire pour l'enseignement de la
lecture entre les lignes.  
    --- Léon BLOY   
%
 Il y a, je crois, plus d'idées réelles dans
les Confessions de Rousseau que dans son Emile ; et
il est rare que l'on lise des Mémoires sans en tirer quelque
chose. Si vous me demandiez ce qu'il faut lire pour connaître
l'homme, je conseillerais plutôt de lire Balzac ou Stendhal,
qui ont recueilli et enchâssé tant de paroles échappées,
que La Rochefoucauld lui-même, qui s'étudie à
répéter la même chanson. Encore va-t-il jusqu'au
bout de son refrain ; mais ceux qui l'ont connu entendirent
sans doute des chansons plus libres. Faites attention à
ceci que le vrai observateur semble toujours distrait ; c'est
qu'il guette l'imprévisible chant du merle.  
    --- ALAIN   
%
 A l'heure où il vous plaît de penser,
lisez quelque bon auteur, et relisez-le ; il est même
bon de copier les plus difficiles, et encore plusieurs fois. Traduire
d'une langue dans une autre est bon aussi, pourvu que l'on fasse
plutôt attention au sens des mots et aux liaisons grammaticales
qu'à l'idée cachée et profonde. Vous ne la
saisirez, cette idée que par des travaux d'approche, et
non point en vous jetant sur quelque formule où vous croyez
qu'elle est enfermée. Si le travail de copier ou de traduire
vous retarde et vous détourne de penser la tête en
avant, à la manière des taureaux, ce sera toujours
un grand profit.  
    --- ALAIN   
%
 Un ouvrage est d'autant plus clair qu'il contient plus
de choses que le lecteur eût formées lui-même
sans peine et sans pensée.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il faut, un jour d'énergie, prendre le livre que
l'on tient pour ennuyeux, lui ordonner d'être, essayer de
reconstituer l'intérêt qu'y a pris l'auteur.  
    --- Paul VALERY   
%
 La lecture des histoires et romans sert à tuer
le temps de deuxième ou troisième qualité.

 Le temps de première qualité n'a pas besoin qu'on
le tue. C'est lui qui tue tous les livres. Il en engendre quelques-uns.  
    --- Paul VALERY   
%
 J'aime mieux être lu plusieurs fois par un seul
qu'une seule fois par plusieurs.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les livres sont rares que j'ai pu achever de lire.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il y a bien des livres que j'ai lus, moins pour leur contenu,
que pour les réflexions, sujet et style, que je savais
qu'ils me feraient faire.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il y a longtemps que je pense que si j'avais un fils et
qu'il ait des dispositions littéraires ou même seulement
pour les choses de l'esprit, j'ai beau ne pas aimer me mêler
de diriger dans ce domaine, je lui enlèverais tous les
poètes. Ces gens-là font perdre un temps considérable
pour le développement de l'esprit. J'ai perdu au moins
quinze années, pour ma part, à me laisser bercer
par leurs fariboles. Et le roman ? Comment un homme, à
cinquante ans, peut-il encore écrire des romans ?
Comment peut-on même encore, à cet âge, en
lire ? Poésie et roman, c'est certainement la partie
inférieure de la littérature.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Avoir lu, connaître, les poètes, les prosateurs
connus, célèbres : Vigny, Musset, Lamartine,
Baudelaire, Flaubert, Balzac, aucun mérite. Rien d'assommant
comme les gens qui font étalage, dans leur conversation,
de lectures de ce genre, mais avoir lu, connaître les auteurs
demeurés sans grande notoriété : voilà
la vraie curiosité de l'esprit et du goût. Entre
les premiers et les seconds, la même différence qu'entre
les gens qui aiment la foule et ceux qui préfèrent
la solitude, ceux qui se plaisent à sortir le dimanche
et ceux, au contraire, qui, ce jour-là, restent chez eux,
ceux qui ont besoin en tout d'un guide et d'un exemple et ceux
qui vont d'eux-mêmes aux découvertes.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Dostoïewsky grand écrivain, si on veut, mais
écrivain à ne pas lire, par hygiène intellectuelle.
Tous ces détraqués, ces dégénérés,
ces tarés, ces mystiques de la conscience et du remords,
sombrant tous plus ou moins dans la folie et dans le crime. C'est
de la littérature pathologique.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il n'y a que ce genre de lecture qui vaille : les
Correspondances, les Souvenirs, les Journaux, les Confessions,
les Autobiographies, les Biographies, d'un genre ou d'un autre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je vais passer pour un esprit léger (au jugement
des esprits lourds) : un Dictionnaire d'anecdotes fait ma
plus grande lecture. Tous les caractères sont là,
peints en peu de mots. Pour les caractères en grand :
les Correspondances.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Apprenez qu'un livre ne donne jamais ce qu'on en peut
attendre. Il ne saurait être une réponse à
votre attente. Il doit vous hérisser de points d'interrogation.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Ce que le lecteur veut, c'est se lire. En lisant ce qu'il
approuve, il pense qu'il pourrait l'avoir écrit. Il peut
même en vouloir au livre de prendre sa place, de dire ce
qu'il n'a pas su dire, et que selon lui il dirait mieux.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 On se demande, en voyant certains livres : Qui peut
les lire ? - En voyant certaines gens : Que peuvent-ils
lire ? - Puis ça finit par s'accrocher.  
    --- André GIDE   
%
 Quel plaisir d'avoir sous la main un mystique allemand,
un poète hindou ou un moraliste français, à
l'usage de l'exil quotidien !
 Lire jour et nuit, avaler des tomes, ces somnifères, car
personne ne lit pour apprendre mais pour oublier, remonter jusqu'à
la source du cafard en épuisant le devenir et ses marottes !  
    --- Emil CIORAN   
%
 Combien j'aime les esprits de second ordre (Joubert, entre
tous) qui, par délicatesse, vécurent à l'ombre
du génie des autres et, craignant d'en avoir, se refusèrent
au leur !  
    --- Emil CIORAN   
%
 Si on veut connaître un pays, on doit pratiquer
ses écrivains de second ordre, qui seuls en reflètent
la vraie nature. Les autres dénoncent ou transfigurent
la nullité de leurs compatriotes : ils ne veulent
ni ne peuvent se mettre de plain-pied avec eux. Ce sont des témoins
suspects.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Malheur au livre qu'on peut lire sans s'interroger tout
le temps sur l'auteur !  
    --- Emil CIORAN   
%
 La critique est un contresens : il faut lire, non
pour comprendre autrui mais pour se comprendre soi-même.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le lecteur vrai est celui qui n'écrit pas. Lui
seul est capable de lire un livre naïvement,  -  unique
manière de sentir un ouvrage.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il vaut mieux lire par goût un auteur dépassé
que par snobisme un auteur dans le vent. Dans le premier cas,
on s'enrichit avec la substance d'un autre, dans le second, on
consomme sans profit.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On entend souvent des lamentations au sujet du grand nombre
de stupidités qui ont été écrites
depuis qu'il y a des livres : or, j'avoue que ce qui me frappe,
au contraire, c'est le très grand nombre de choses intelligentes,
définitives, qui ont été écrites.
Mais c'est chez les auteurs les plus classiques, et auxquels on
recourt le moins, qu'il faut aller les trouver, et non dans quantité
de publications pénibles et médiocres, qui se prétendent
les plus actuelles sous prétexte qu'elles sont les dernières
en date.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 La chose du monde la moins ressentie par les amateurs
de littérature est le besoin d'explorer par eux-mêmes
les compartiments délaissés, et surtout mal vus,
de la culture.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Alors, le contact humain, la chaleur humaine qu'en faites-vous ?
  -  Ce que les hommes ont à communiquer entre
eux, la science et l'art, ils ont bien des moyens d'en faire l'échange.
J'ai reçu d'eux plus de choses par le livre que par la
poignée de main. Le livre m'a fait connaître le meilleur
d'eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l'Histoire,
la trace qu'ils laissent derrière eux.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Nous n'adhérons à nos lectures que pour
autant qu'elles suscitent en nous ce petit choc à quoi
l'on reconnaît une grande vérité humaine.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Quand on est très jeune, les romans sont utiles :
il faut bien rêver la vie, avant de la vivre. Mais après ?
La vie est un roman suffisant, non ? Il y a bien longtemps,
même, que je ne relis plus Proust ou Flaubert. Les poètes,
oui. Les journaux intimes, les mémoires, les correspondances,
oui aussi, parfois. Mais les romans, non.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Les livres n'ont pas d'importance : il n'y a que
la vie qui importe, et seuls méritent d'être lus
les livres qui se mettent à son service  -  seuls
méritent d'être lus, en conséquence, les auteurs
qui savent que les livres n'ont pas d'importance !  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Il faut se dégager soi-même de la prison
des affaires quotidiennes et publiques.  
    --- EPICURE   
%
 Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête
(car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que la
tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je
ne puis concevoir l'homme sans pensée : ce serait
une pierre ou une brute.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 La liberté est en nous une imperfection :
nous sommes libres et incertains, parce que nous ne savons pas
certainement ce qui nous est le plus convenable. Il n'en est pas
de même de Dieu : comme il est souverainement parfait,
il ne peut jamais agir que de la manière la plus parfaite.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Je ne désespère pas qu'on ne condamne bientôt
aux galères le premier qui aura l'insolence de dire qu'un
homme ne penserait pas s'il était sans tête :
"Car, lui dira un bachelier, l'âme est un esprit pur, la
tête n'est que la matière ; Dieu peut placer
l'âme dans le talon, aussi bien que dans le cerveau ;
partant je vous dénonce comme un impie."  
    --- VOLTAIRE  
%
 En quoi consiste donc votre liberté, si ce n'est
dans le pouvoir que votre individu a exercé de faire ce
que votre volonté exigeait d'une nécessité
absolue ?  
    --- Liberté et déterminisme :
   
%
 On ne vole point des mêmes ailes pour sa fortune
que l'on fait pour des choses frivoles et de fantaisie. Il y a
un sentiment de liberté à suivre ses caprices, et
tout au contraire de servitude à courir pour son établissement :
il est naturel de le souhaiter beaucoup et d'y travailler peu,
de se croire digne de le trouver sans l'avoir cherché.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La liberté n'est pas oisiveté ; c'est
un usage libre du temps, c'est le choix du travail et de l'exercice :
être libre en un mot n'est pas ne rien faire, c'est être
seul arbitre de ce qu'on fait ou de ce qu'on ne fait point ;
quel bien en ce sens que la liberté !  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Etre libre n'est pas faire ce qu'on veut, mais ce
qu'on a jugé meilleur et plus convenable.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Une des grandes erreurs de la nation française,
c'est de n'avoir jamais attaché suffisamment d'importance
à la liberté individuelle. On se plaint de l'arbitraire,
quand on est frappé par lui, mais plutôt comme d'une
erreur que comme d'une injustice ; et peu d'hommes, dans
la longue série de nos oppressions diverses, se sont donnés
le facile mérite de réclamer pour des individus
d'un parti différent du leur.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Que les gens sont absurdes ! Ils ne se servent jamais
des libertés qu'ils possèdent, mais réclament
celles qu'ils ne possèdent pas ; ils ont la liberté
de pensée, ils exigent la liberté de parole.  
    --- Sören KIERKEGAARD   
%
 La liberté commence où l'ignorance finit.  
    --- Victor HUGO   
%
 Ne pas sentir de nouvelles chaînes. - Tant que nous
ne nous sentons pas dépendre de quelque chose, nous nous
tenons pour indépendants : conclusion erronée
qui montre quel est l'orgueil et la soif de domination de l'homme.
Car il suppose ici qu'en toutes circonstances il remarquerait
et reconnaîtrait sa dépendance, aussitôt qu'il
la subirait, par suite de l'idée préconçue
qu'à l'ordinaire il vit dans l'indépendance et que,
s'il venait à la perdre exceptionnellement, il sentirait
sur-le-champ un contraste d'impression. - Mais quoi ? si
c'était le contraire qui fût vrai : qu'il vécût
toujours dans une multiple dépendance, mais qu'il se tînt
pour libre là où, par une longue accoutumance, il
ne sent plus la pression des chaînes ? Seules les chaînes
nouvelles le font souffrir encore : - "Libre arbitre" ne
veut dire proprement autre chose que le fait de ne pas sentir
de nouvelles chaînes.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 L'homme a été tellement abruti par des siècles
de despotisme et surtout par un siècle de fausse liberté,
que l'idée seule qu'il lui faudra se passer de maître
le terrifie. Dès qu'il s'est libéré des liens
que lui impose un gredin couronné, le peuple s'empresse
de s'asservir lui-même en s'intitulant Peuple souverain ;
ce qui lui permet, immédiatement, de déléguer
sa souveraineté ; après quoi il s'accroupit
sur son fumier, qu'il aime, et se met à gratter ses ulcères
avec les tessons empoisonnés que lui passent ses délégués,
et qui s'appellent des lois ; et rend grâces au Seigneur
qu'il conçoit, mannequin sanguinolent tressé à
son image, de l'avoir créé Peuple, et Souverain,
et imbécile, et lâche.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Il est remarquable que l'amour de la liberté suppose
une haute idée de l'homme, et, en effet, l'argument le
plus fort du despote est que les hommes font les fous dès
qu'ils se sentent libres. C'est donc une chance rare pour vous,
leur dit-on, d'être bien bâtonnés. Ce que j'admire,
c'est qu'ils semblent quelquefois le croire. Un ivrogne sait très
bien prouver que les choses iront toutes de travers s'il n'y a
point un tyran énergique. Et tout homme arrive bien une
fois par jour à se juger incapable de se conduire. Mais
s'il tombe à genoux pour si peu, alors ce qu'il croyait
devient vrai.  
    --- ALAIN   
%
 Pour les femmes et les enfants, la liberté c'est
de contredire.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Liberté : c'est un de ces détestables
mots qui ont plus  de valeur que de sens ; qui chantent plus
qu'ils ne parlent ; qui demandent plus qu'ils ne répondent ;
de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels
la mémoire est barbouillée de Théologie,
de Métaphysique, de Morale et de Politique ; mots
très bons pour la controverse, la dialectique, l'éloquence ;
aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités
infinies qu'aux fins de phrases qui déchaînent le
tonnerre.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il faudra bientôt construire des cloîtres
rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles
n'entreront ; dans lesquels l'ignorance de toute politique
sera préservée et cultivée. On y méprisera
la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste,
de répétition, de nouveauté et de crédulité.
C'est là, qu'à certains jours on ira, à travers
les grilles, considérer quelques spécimens d'hommes
libres.  
    --- Paul VALERY   
%
 Que de choses je n'aurais pas vues, si je n'avais été
conduit à les voir par l'obligation de travaux imposés !
Ceci est contre la liberté du travail. Trop de liberté
enchaîne à ce que l'on est,  -  ou que l'on
aime.  
    --- Paul VALERY   
%
 Nous sommes faits pour ignorer que nous ne sommes pas
libres.  
    --- Paul VALERY   
%
 L'homme se sent libre. Mais mon bras, fort souvent, ne
se sent aucun poids. Il n'en pèse pas moins.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les lois et les censures compromettent la liberté
de pensée bien moins que ne le fait la peur. Toute divergence
d'opinion devient suspecte et seuls quelques très rares
esprits ne se forcent pas à penser et juger "comme il faut".  
    --- André GIDE   
%
 La sensation fallacieuse de liberté s'explique
du fait que ce qui conditionne notre action est généralement
du domaine de l'inconscient, et que par contre le discours logique
est, lui, du domaine du conscient. C'est ce discours qui nous
permet de croire au libre choix. Mais comment un choix pourrait-il
être libre alors que nous sommes inconscients des motifs
de notre choix, et comment pourrions-nous croire à l'existence
de l'inconscient puisque celui-ci est par définition inconscient ?
Comment prendre conscience de pulsions primitives transformées
et contrôlées par des automatismes socio-culturels
lorsque ceux-ci, purs jugements de valeur d'une société
donnée à une certaine époque, sont élevés
au rang d'éthique, de principes fondamentaux, de lois universelles,
alors que ce ne sont que les règlements de manoeuvres utilisés
par une structure sociale de dominance pour se perpétuer,
se survivre ?  
    --- Henri LABORIT   
%
 La sensation fallacieuse de liberté vient aussi
du fait que le mécanisme de nos comportements sociaux n'est
entré que depuis peu dans le domaine de la connaissance
scientifique, expérimentale, et ces mécanismes sont
d'une telle complexité, les facteurs qu'ils intègrent
sont si nombreux dans l'histoire du système nerveux d'un
être humain, que leur déterminisme semble inconcevable.
Ainsi, le terme de "liberté" ne s'oppose pas à celui
de "déterminisme" car le déterminisme auquel on
pense est celui du principe de causalité linéaire,
telle cause ayant tel effet. Les faits biologiques nous font heureusement
pénétrer dans un monde où seule l'étude
des systèmes, des niveaux d'organisation, des rétroactions,
des servomécanismes, rend ce type de causalité désuet
et sans valeur opérationnelle. Ce qui ne veut pas dire
qu'un comportement soit libre. Les facteurs mis en cause sont
simplement trop nombreux, les mécanismes mis en jeu trop
complexes pour qu'il soit dans tous les cas prévisible.
Mais les règles générales que nous avons
précédemment schématisées permettent
de comprendre qu'ils sont cependant entièrement programmés
par la structure innée de notre système nerveux
et par l'apprentissage socio-culturel   
    --- Henri LABORIT   
%
 La liberté commence où finit la connaissance
(J. Sauvan). Avant, elle n'existe pas, car la connaissance des
lois nous oblige à leur obéir. Après, elle
n'existe que par l'ignorance des lois à venir et la croyance
que nous avons de ne pas être commandés par elles
puisque nous les ignorons. En réalité, ce que l'on
peut appeler "liberté", si vraiment nous tenons a conserver
ce terme, c'est l'indépendance très relative que
l'homme peut acquérir en découvrant, partiellement
et progressivement, les lois du déterminisme universel.
Il est alors capable, mais seulement alors, d'imaginer un moyen
d'utiliser ces lois au mieux de sa survie, ce qui le fait pénétrer
dans un autre déterminisme, d'un autre niveau d'organisation
qu'il ignorait encore. Le rôle de la science est de pénétrer
sans cesse dans un nouveau niveau d'organisation des lois universelles.  
    --- Henri LABORIT   
%
 La liberté est un joug trop lourd pour la nuque
de l'homme. Même pris d'une terreur sauvage, il est plus
assuré que sur les chemins de la liberté. Bien qu'il
la considère comme la valeur positive par excellence, la
liberté n'a jamais cessé de lui présenter
son revers négatif. La route infaillible de la débâcle
est la liberté. L'homme est trop faible et trop petit pour
l'infini de la liberté, de sorte qu'elle devient un infini
négatif. Face à l'absence de bornes, l'homme perd
les siennes. La liberté est un principe éthique
d'essence démoniaque. Le paradoxe est insoluble. 
 La liberté est trop grande et nous sommes trop petits.
Qui, parmi les hommes, l'a méritée ? L'homme
aime la liberté, mais il la craint.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le plus grand service qu'on puisse rendre à un
auteur est de lui interdire de travailler pendant un certain temps.
Des tyrannies de courte durée seraient nécessaires,
qui s'emploieraient à suspendre toute activité intellectuelle.
La liberté d'expression sans interruption aucune expose
les talents à un péril mortel, elle les oblige à
se dépenser au-delà de leurs ressources et les empêche
de stocker des sensations et des expériences. La liberté
sans limites est un attentat contre l'esprit.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis
pas.  
    --- Emil CIORAN   
%
 C'est à cause de la parole que les hommes donnent
l'illusion d'être libres. S'ils faisaient  -  sans
un mot  -  ce qu'ils font, on les prendrait pour des robots.
En parlant, ils se trompent eux-mêmes, comme ils trompent
les autres : en annonçant ce qu'ils vont exécuter,
comment pourrait-on penser qu'ils ne sont pas maîtres de
leurs actes ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 La tyrannie brise ou fortifie l'individu ; la liberté
l'amollit et en fait un fantoche. L'homme a plus de chances de
se sauver par l'enfer que par le paradis.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On ne demande pas la liberté, mais l'illusion de
liberté. C'est pour cette illusion que l'humanité
se démène depuis des millénaires.
 Du reste la liberté étant, comme on a dit, une
sensation, quelle différence y a-t-il entre être
libre et se croire libre ?   
    --- Emil CIORAN   
%
 L'homme libre ne s'embarrasse de rien, même pas
de l'honneur.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Voilà le cas classique de l'artisan du bâtiment,
comblé de commandes. Le travail ne lui manque pas, son
revenu est convenable et il travaille à sa guise. S'il
veut travailler 60 heures, nul ne vient l'en empêcher, mais
il peut aussi, s'il le préfère partir à la
campagne dès le vendredi à midi. Cet homme voit
ce qu'il fait, il crée et souffre aussi peu d'aliénation
qu'il est possible dans notre société. Et cependant,
ce métier sans aliénation est délaissé,
pour le travail d'usine unanimement dénoncé. Voilà
donc l'aliénation expressément recherchée.
 L'homme préfère ne pas avoir à se commander
lui-même, ne pas avoir à organiser sa vie. Jeter
contre lui un reproche est vain. C'est l'intéressé
qui est juge et non nous.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 La liberté de s'exprimer totalement devient sans
objet quand on n'a plus d'interlocuteurs.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Il connaît toutes les ficelles, c'est un vrai pantin.  
    --- Roland TOPOR   
%
 Quand la société serre les fesses, les espaces
de liberté individuelle rétrécissent.  
    --- Roland TOPOR   
%
 C'est excités par un article de Charles Maurras,
qui protestait dans L'Action française contre la liberté
selon lui indue dont jouissait un "magnat impuni de la ploutocratie
juive", que, le 6 février 1944, des miliciens assassinèrent
le banquier Pierre Worms, père de Roger Stéphane,
le futur écrivain, journaliste et homme de télévision,
fondateur, en 1950, de L'Observateur, l'hebdomadaire bien connu,
intitulé plus tard France-Observateur puis, en 1964, Le
Nouvel Observateur. Devant de telles conséquences sanglantes,
les intellectuels perdent le droit de se réfugier sous
l'abri douillet de la liberté d'expression. C'est pourquoi,
durant les "années de plomb" du terrorisme des Brigades
rouges, la justice italienne retint à juste titre le principe
de la responsabilité de prétendus "théoriciens",
comme Toni Negri, professeur à l'université de Padoue.
Ces fanatiques, sans avoir commis d'attentats de leurs propres
mains, avaient inculqué une croyance préconisant
la violence à des jeunes gens influençables, qui
commirent ensuite sous cette impulsion des assassinats terroristes.
Puisqu'il plaît tant aux intellectuels de se susciter des
disciples, qu'au moins ils aient la décence d'avouer tous
ceux qu'ils ont marqués de leur pensée ou de ce
qui leur en tient lieu.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 La véritable indépendance consiste à
dépendre de qui on veut.  
    --- Frédéric DARD   
%
 La gloire ou le mérite de certains hommes est de
bien écrire ; et de quelques autres, c'est de n'écrire
point.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Je crois que ceux qui font des livres les feraient bien
meilleurs, s'ils ne voulaient pas les faire si bons ; mais,
d'un autre côté, le moyen de ne pas vouloir les faire
bons ? Ainsi, nous ne les aurons jamais meilleurs.  
    --- MARIVAUX   
%
 A quoi bon faire des livres pour instruire les
hommes ? les passions n'ont jamais lu ; il n'y a point
d'expérience pour elles, elles se lassent quelquefois,
mais elles ne se corrigent guère, et voilà pourquoi
tant d'événements se répètent.  
    --- MARIVAUX   
%
 Si ce livre était dangereux, il fallait le réfuter.
Brûler un livre de raisonnement c'est dire :"Nous n'avons
pas assez d'esprit pour lui répondre". Ce sont les livres
d'injures qu'il faut brûler, et dont il faut punir sévèrement
les auteurs parce qu'une injure est un délit. Un mauvais
raisonnement n'est un délit que quand il est évidemment
séditieux.  
    --- VOLTAIRE   
%
 On se ruine l'esprit à trop écrire.  -  On
le rouille à n'écrire pas.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 En littérature aujourd'hui on fait bien la maçonnerie,
mais on fait mal l'architecture.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Et ce ne serait peut-être pas un conseil peu important
à donner aux écrivains que celui-ci :  -  N'écrivez
jamais rien qui ne vous fasse un grand plaisir.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Combien de malheureux, qui auraient pu mieux faire, se
sont mis en tête d'écrire, parce qu'en fermant un
beau livre, ils s'étaient dit : J'en pourrais faire
autant ! et cette réflexion-là ne prouvait
rien, sinon que l'ouvrage était inimitable. En littérature
comme en morale, plus une chose est belle plus elle semble facile.  
    --- Victor HUGO   
%
 En littérature, le plus sûr moyen d'avoir
raison, c'est d'être mort.  
    --- Victor HUGO   
%
 Je n'écris plus les souvenirs charmants, je me
suis aperçu que cela les gâtait.  
    --- STENDHAL   
%
 On ne peut pas, au moment où l'on produit, avoir
pour ce qu'on fait la nuance d'admiration que donnent les beautés
des autres qu'on rencontre et où il entre toujours une
nuance d'imprévu.  
    --- STENDHAL   
%
 Les bibliothèques sont particulièrement
utiles pour les livres médiocres qui, sans elles, se perdraient.  
    --- STENDHAL   
%
 Avez-vous jamais vu, lecteur bénévole, un
ver à soie qui a mangé assez de feuille de mûrier ?
La comparaison n'est pas noble, mais elle est si juste !
Cette laide bête ne veut plus manger, elle a besoin de grimper
et de faire sa prison de soie.
 Tel est l'animal nommé écrivain. Pour qui a goûté
de la profonde occupation d'écrire, lire n'est plus qu'un
plaisir secondaire. Tant de fois je croyais être à
2 heures, je regardais ma pendule : il était 6 heures
et demie. Voilà ma seule excuse pour avoir noirci tant
de papier.  
    --- STENDHAL   
%
 Si j'eusse parlé vers 1795 de mon projet d'écrire,
quelque homme sensé m'eût dit :
 "Ecrivez tous les jours pendant deux heures, génie
ou non."
 Ce mot m'eût fait employer dix ans de ma vie dépensés
niaisement à attendre le génie.  
    --- STENDHAL   
%
 Un des termes qui s'appliquent avec le plus de propriété
aux talents de nos jours, c'est le mot prodigieux : Mme Sand,
Lamartine, Hugo, etc., ont en effet un talent prodigieux. Or,
ce mot-là ne saurait s'appliquer proprement aux oeuvres
et aux hommes du grand siècle. On ne saurait dire que Corneille,
Pascal, Racine avaient un talent prodigieux ; la justesse
de l'oeuvre exclut ce mot.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 [...] il ne fait aucun doute que, malgré l'amusement
que nous pouvons prendre à la lecture d'un roman simplement
moderne, il est rare que sa relecture nous apporte quelque plaisir
artistique. Et c'est peut-être là le meilleur critère
rudimentaire qui permette de distinguer ce qui est de la littérature
de ce qui n'en est pas. Si on ne peut pas prendre du plaisir à
lire et relire indéfiniment un livre, il ne sert à
rien de le lire une première fois.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Dans les milieux littéraires, quand on parle des
poètes morts jeunes, ce sont les morts vieux qui se mouchent.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Roman-feuilleton n. Ouvrage littéraire qui consiste
en général en une histoire de pure imagination,
et dont la publication s'étend sur divers quotidiens et
magazines. Chaque nouvel épisode est précédé
d'un "résumé des chapitres précédents"
à l'intention de ceux qui ne les ont pas lus, mais ce qui
fait cruellement défaut, c'est un résumé
des chapitres suivants pour ceux qui n'ont pas l'intention de
les lire. En fait, un simple résumé de l'ensemble
de l'ouvrage serait hautement préférable.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Tout livre est dangereux ; mais le livre le plus
dangereux, selon l'Eglise, est justement celui qui parle
à l'intelligence seule. Et s'il y avait encore des bûchers,
on n'y brûlerait point quelque barbouilleur en pornographie ;
non ; on y brûlerait quelque noble et sage matérialiste,
qui serait parvenu à la sagesse en s'efforçant de
comprendre le jeu des forces naturelles.  
    --- ALAIN   
%
 Il [E. Renan] était devenu même populaire,
car la vraie forme de la gloire est d'être admiré
sans être lu, ce qui supprime les réserves et réticences.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Un écrivain comme Dostoïewski a gâté
des gens comme Gide, comme Duhamel. C'est de la littérature
de malade, d'épileptique, de taré. C'est une hygiène
intellectuelle de s'en tenir éloigné, de ne pas
vouloir la connaître. C'est de la littérature de
cabanon, bien faite pour les Russes, ces cerveaux malades, faibles,
résignés, fatalistes, fuyants. Cette littérature
est à fuir, pour un esprit clair, hardi, libre. Non seulement
à fuir, mais à détester.
 Il n'y a à mon avis, ou à mon goût, que deux
littératures : la littérature française,
la littérature anglaise.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Qu'est-ce que la littérature ? qu'est-ce que
écrire ? qu'il s'agisse de vers, de prose. Une maladie,
une folie, une divagation, un délire,  -  sans
compter une prétention ! ! ! Un homme sain,
à l'esprit sain, solidement posé, solide dans la
vie, n'écrit pas, ne penserait même pas à
écrire. A y regarder d'encore plus près,
la littérature, écrire, sont de purs enfantillages.
Il n'y a qu'un genre de vie humaine qui se tienne, s'explique,
se justifie, vaille et rime à quelque chose : la vie
paysanne.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il vous vient quelquefois un dégoût d'écrire
en songeant à la quantité d'ânes par lesquels
on risque d'être lu.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le ressort de la polémique est le mépris,
et le mépris, comme le désir, n'emprunte quelque
noblesse qu'aux coeurs de vingt ans. Passé la quarantaine,
un polémiste n'est pas grand'chose. Mais un polémiste
septuagénaire me parait aussi répugnant qu'un septuagénaire
amoureux.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 On ne devrait écrire des livres que pour y dire
des choses qu'on n'oserait confier à personne.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On n'écrit pas parce qu'on a quelque chose à
dire mais parce qu'on a envie de dire quelque chose.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Partir, c'est mourir un peu. Ecrire, c'est vivre
davantage.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Un assistant dit à Epictète : "Convaincs-moi
de l'utilité de la logique.  -  Tu veux, dit-il,
que je te la démontre ?  -  Oui.  -  Alors
il me faut raisonner démonstrativement ?  -  D'accord.
 -  Mais comment sauras-tu si je ne commets pas un sophisme
à ton égard ?" L'homme garda le silence. "Tu
vois bien, dit-il, que tu reconnais toi-même qu'elle est
nécessaire, puisque, sans elle, tu ne peux même pas
te rendre compte si elle est nécessaire ou non."  
    --- EPICTETE   
%
 Qui a pris de l'entendement en la logique ? où
sont ses belles promesses ?  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 On se persuade mieux, pour l'ordinaire, par des raisons
qu'on a soi-même trouvées, que par celles qui sont
venues dans l'esprit des autres.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Raisonner, argumenter. C'est marcher avec des béquilles
dans la recherche de la vérité. Le pénétrant
l'atteint d'un saut. Il faut se servir du raisonnement pour s'assurer
qu'on est au but et qu'on a fait tout le chemin.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Rien de ce qui se prouve n'est évident ; car
ce qui est évident se montre et ne peut pas être
prouvé.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La logique a aussi ses illusions, mais elles sont plus
fermes.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La justesse de raisonnement a ses règles et sa
physionomie ; la justesse de conception n'en a pas. Mais
elle est bien supérieure à l'autre.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Les seules logiques véritablement bonnes servent
à ceux qui peuvent s'en passer, dit d'Alembert. A
travers un télescope, les aveugles ne voient rien.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 La logique est une chose honnête qui n'appartient
qu'à la droiture. Le crime a la ruse, ou l'imbécillité.  
    --- Victor HUGO   
%
 Ceux qui déclament contre le style et la beauté
de la forme dans les sciences philosophiques et morales méconnaissent
la vraie nature des résultats de ces sciences et la délicatesse
de leurs principes. En géométrie, en algèbre,
on peut sans crainte s'abandonner au jeu des formules, sans s'inquiéter,
dans le courant du raisonnement, des réalités qu'elles
représentent. Dans les sciences morales, au contraire,
il n'est jamais permis de se confier ainsi aux formules, de les
combiner indéfiniment, comme faisait la vieille théologie,
en étant sûr que le résultat qui en sortira
sera rigoureusement vrai. Il ne sera que logiquement vrai, et
pourra même n'être pas aussi vrai que les principes :
car il se peut que la conséquence porte uniquement sur
la part d'erreur ou de malentendu qui était dans les principes,
mais suffisamment cachée pour que le principe fût
acceptable. Il se peut donc qu'en raisonnant très logiquement
on arrive dans les sciences morales à des conséquences
absolument fausses en partant de principes suffisamment vrais.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Mauvaises habitudes de raisonnement.
 Les paralogismes les plus habituels à l'homme sont ceux-ci :
une chose existe, donc elle a une légitimité. En
ce cas l'on infère de la capacité de vivre à
la finalité, de la finalité à la légitimité.
Ensuite : une opinion est bienfaisante, donc elle est vraie ;
l'effet en est bon, donc elle est elle-même bonne et vraie.
En ce cas l'on applique à l'effet le prédicat :
bienfaisant, bon, au sens d'utile, et l'on dote la cause du même
prédicat : bon, mais ici au sens de valable logiquement.
La réciproque de ces propositions est : une chose
ne peut pas s'imposer, se maintenir, donc elle est injuste ;
une opinion tourmente, excite, donc elle est fausse.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Si quelqu'un traite quelqu'un de sophiste, c'est qu'il
se sait plus sot. Qui ne peut attaquer le raisonnement, attaque
le raisonneur. C'est ici une loi analogue à celle qui fait
que l'on se détruit tout entier pour supprimer un mal particulier
enchevêtré dans le bien : - Loi de l'expédient.
  
    --- Paul VALERY   
%
 Le Bien ne s'oppose au Mal, la Matière à
l'Esprit, le Vice et la Vertu etc. ; Quantité, qualité ;
Intellect, sensibilité ; Statique, dynamique etc.
que par un besoin de contraste et de symétrie plus esthétique
que vérifiable dans les faits  -  et il s'ensuit
des développements ou systèmes plus ou moins agréables
à considérer.
 Le jour ne s'oppose pas à la nuit : il lui succède.
Mais la complémentarité visuelle et la mémoire
introduisent le contraste.
 (C'est là ce qui "explique" que chez tant d'hommes (ou
chez tous !) le Bien et le Mal coexistent, et même
se confondent.)  
    --- Paul VALERY  
%
 Soit dit en passant : Dire de deux choses qu'elles
seraient identiques est une absurdité, et dire d'une chose
qu'elle serait identique à elle-même, c'est ne rien
dire du tout.  
    --- Identité :
    
%
 Le "rasoir" d'Occam* n'est naturellement pas une règle
arbitraire, ou une règle justifiée par son succès
pratique : elle dit que des unités de signes non-nécessaires
ne signifient rien.  
    --- Signification et nécessité :
   
%
 L'illogisme irrite. Trop de logique ennuie. La vie échappe
à la logique, et tout ce que la seule logique construit
reste artificiel et contraint. Donc est un mot que doit ignorer
le poète, et qui n'existe que dans l'esprit.  
    --- André GIDE   
%
 Une classe qui se compose de deux ou plusieurs membres
est parfois considérée comme une chose unique. En
ce cas, elle peut posséder une qualité qui ne soit
pas possédée par chacun de ses membres pris individuellement.
 Ainsi, la classe "les soldats du 10<SUP>e</SUP> régiment d'infanterie"
considérée comme une chose unique, peut posséder
l'attribut "formés en carrés", que ne possède
aucun de ses membres pris individuellement.  
    --- Lewis CARROLL   
%
 Ce n'est pas parce qu'en hiver on dit : "Fermez la
porte, il fait froid dehors", qu'il fait moins froid dehors quand
la porte est fermée.  
    --- Pierre DAC   
%
 Un citoyen de Londres me disait un jour : "C'est
la nécessité qui fait lois, et la force les fait
observer." Je lui demandai si la force ne faisait pas aussi quelquefois
des lois, et si Guillaume le Bâtard et le Conquérant
ne leur avait pas donné des ordres sans faire de marché
avec eux. "Oui, dit-il, nous étions des boeufs alors ;
Guillaume nous mit un joug, et nous fit marcher à coups
d'aiguillon ; nous avons depuis été changés
en hommes, mais les cornes nous sont restées, et nous frappons
quiconque veut nous faire labourer pour lui, et non pas pour nous."  
    --- VOLTAIRE   
%
 Il n'y a aucun bon code dans aucun pays. La raison en
est évidente ; les lois ont été faites
à mesure, selon les temps, les lieux, les besoins, etc.
 Quand les besoins ont changé, les lois qui sont demeurées
sont devenues ridicules. Ainsi la loi qui défendait de
manger du porc et de boire du vin était très raisonnable
en Arabie, où le porc et le vin sont pernicieux ;
elle est absurde à Constantinople.  
    --- VOLTAIRE   
%
 A la honte des hommes, on sait que les lois du
jeu sont les seules qui soient partout justes, claires, inviolables
et exécutées. Pourquoi l'Indien qui a donné
les règles du jeu d'échecs est-il obéi de
bon gré dans toute la terre, et que les décrétales
des papes, par exemple, sont aujourd'hui un objet d'horreur et
de mépris ? C'est que l'inventeur des échecs
combina tout avec justesse pour la satisfaction des joueurs, et
que les papes, dans leurs décrétales, n'eurent en
vue que leur seul avantage. L'Indien voulut exercer également
l'esprit des hommes et leur donner du plaisir ; les papes
ont voulu abrutir l'esprit des hommes.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Que les supplices des criminels soient utiles. Un homme
pendu n'est bon à rien, et un homme condamné aux
ouvrages publics sert encore la patrie et est une leçon
vivante.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Que toute loi soit claire, uniforme et précise :
l'interpréter, c'est presque toujours la corrompre.  
    --- VOLTAIRE   
%
 La plupart des lois se contrarient si visiblement qu'il
importe assez peu par quelles lois un Etat se gouverne ;
mais ce qui importe beaucoup c'est que les lois une fois établies
soient exécutées. Ainsi il n'est d'aucune conséquence
qu'il y ait telles ou telles règles pour les jeux de dés
et de cartes ; mais on ne pourra jouer un seul moment si
l'on ne suit pas à la rigueur ces règles arbitraires
dont on sera convenu.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Tout ce qui a des ailes est hors de l'atteinte des lois.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il faut une force physique pour maintenir une force morale,
comme il faut un flacon pour contenir une liqueur spiritueuse.
Donc, loi au droit et force à la loi.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La loi n'est pas un pur acte de puissance. Toute loi inutile
est une loi tyrannique : comme celle qui obligeoit les Moscovites
à se faire couper la barbe. Les choses indifférentes
par leur nature ne sont pas du ressort de la Loi. Comme les hommes
aiment passionnément à suivre leur volonté,
la Loi qui la gêne est tyrannique, parce qu'elle gêne
le bonheur public.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Il est plus facile de légaliser certaines choses
que de les légitimer.  
    --- CHAMFORT   
%
 La bonté des lois est, osons le dire, une chose
beaucoup moins importante, que l'esprit avec lequel une nation
se soumet à ses lois et leur obéit. Si elle les
chérit, si elle les observe, parce qu'elles lui paraissent
émanées d'une source sainte, le don des générations
dont elle révère les mânes, elles se rattachent
intimement à sa moralité ; elles anoblissent
son caractère ; et lors même qu'elles sont fautives,
elles produisent plus de vertus et par là plus de bonheur
que des lois meilleures, qui ne seraient appuyées que sur
l'ordre de l'autorité.
 [...]
 Je n'excepte du respect pour le passé que ce qui est injuste.
Le temps ne sanctionne pas l'injustice. L'esclavage, par exemple,
ne se légitime par aucun laps de temps. C'est que dans
ce qui est intrinsèquement injuste, il y a toujours une
partie souffrante, qui ne peut en prendre l'habitude et pour laquelle
en conséquence l'influence salutaire du passé n'existe
pas. Ceux qui allèguent l'habitude en faveur de l'injustice
ressemblent à cette cuisinière française,
à qui l'on reprochait de faire souffrir des anguilles,
en les écorchant.
 Elles y sont accoutumées, dit-elle. Il y a trente ans
que je le fais.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 Le législateur, en élaborant la loi, ne
doit jamais perdre de vue l'abus qu'on peut en faire.  
    --- Victor HUGO   
%
 Jamais la loi n'a rendu les hommes plus justes d'une seule
once, mais, en raison du respect qu'ils lui portent, il arrive
chaque jour que même des gens dotés des meilleures
dispositions se fassent les agents de l'injustice.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 [...] les avatars des économistes depuis la guerre
prouvent assez que la loi, médiocrement efficace contre
les bêtes de proie, ne peut absolument rien contre les insectes.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 C'est ce qui divise les hommes qui multiplie leurs différents.  
    --- Pierre DAC   
%
  Combien il est louable à un prince de respecter
ses promesses et de vivre avec intégrité, non dans
les fourberies, chacun le conçoit clairement. Cependant,
l'histoire de notre temps enseigne que seuls ont accompli de grandes
choses les princes qui ont fait peu de cas de leur parole et su
adroitement endormir la cervelle des gens ; en fin de compte
ils ont triomphé des honnêtes et des loyaux.
 Sachez donc qu'il existe deux manières de combattre :
l'une par les lois, l'autre par la force. L'une est propre aux
hommes, l'autre appartient aux bêtes ; mais comme très
souvent la première ne suffit point, il faut recourir à
la seconde. C'est pourquoi il importe qu'un prince sache user
adroitement de l'homme et de la bête.
 [...]
 Si donc tu dois bien employer la bête, il te faut choisir
le renard et le lion ; car le lion ne sait se défendre
des lacets, ni le renard des loups. Tu seras renard pour connaître
les pièges, et lion pour effrayer les loups. Ceux qui se
bornent à vouloir être lions n'y entendent rien.
C'est pourquoi un seigneur avisé ne peut, ne doit respecter
sa parole si ce respect se retourne contre lui et que les motifs
de sa promesse soient éteints. Si les hommes étaient
tous gens de bien, mon précepte serait condamnable ;
mais comme ce sont tous de tristes sires et qu'ils n'observeraient
par leurs propres promesses, tu n'as pas non plus à observer
les tiennes. Et jamais un prince n'a manqué de raisons
légitimes pour colorer son manque de foi. On pourrait alléguer
des exemples innombrables dans le temps présent, montrer
combien de traités, combien d'engagements sont partis en
fumée par la déloyauté des princes ;
et celui qui a su le mieux user du renard en a tiré les
plus grands avantages. Toutefois, il est bon de déguiser
adroitement ce caractère, d'être parfait simulateur
et dissimulateur. Et les hommes ont tant de simplesse, ils se
plient si servilement aux nécessités du moment que
le trompeur trouvera toujours quelqu'un qui se laisse tromper.  
    --- MACHIAVEL   
%
  Le royaume de France est un des mieux gouvernés
de notre temps ; on y trouve de nombreuses et excellentes
institutions qui garantissent au roi liberté d'action et
sécurité. La première est le parlement et
ses prérogatives. L'ordonnateur de ce royaume, connaissant
l'ambition et l'insolence des puissants, jugea bon de leur mettre
dans la bouche quelque frein qui les bridât. D'autre part,
sachant bien quelle crainte le peuple nourrissait contre les seigneurs
féodaux et voulant le rassurer, il prit soin que cette
besogne n'incombât pas au roi : il lui épargnait
ainsi la rancune des grands. Il institua donc un tiers juge afin
que, sans l'intervention du souverain, fussent frappés
les orgueilleux et soutenus les humbles. Aucune mesure ne pouvait
être plus sage, aucune ne pouvait mieux soutenir la cause
du roi et du royaume. On en peut tirer une autre maxime :
les princes doivent mettre sur le dos des autres les besognes
désagréables, et se réserver à eux-mêmes
les agréables. Et j'en conclus de nouveau qu'il doit certes
faire cas des puissants, mais gagner la sympathie des faibles.  
    --- MACHIAVEL   
%
  C'est ici l'occasion de remarquer qu'on peut inspirer
la haine aussi bien par les bonnes oeuvres que par les mauvaises.
C'est pourquoi, comme je l'ai dit plus haut, s'il veut maintenir
son Etat, un prince doit souvent recourir à la méchanceté ;
en effet, lorsque le groupe dont tu penses avoir besoin pour conserver
ta place est corrompu (peuple, soldats ou nobles), tu te trouves
obligé de suivre et de satisfaire ses goûts ;
alors les bonnes oeuvres sont les plus mauvaises.  
    --- MACHIAVEL   
%
  A coup sûr, les princes deviennent grands
quand ils surmontent les difficultés et les embûches
qu'on dresse sous leurs pas. Voilà pourquoi la fortune,
pour grandir spécialement un prince nouveau (qui a plus
besoin de prestige qu'un prince héréditaire), lui
suscite des ennemis, inspire des conjurateurs, afin qu'il ait
l'occasion d'en venir à bout ; ainsi, sur cette échelle
que lui présentent ses adversaires, il peut monter plus
haut. Aussi, certain estiment-ils qu'un prince habile, quand s'en
présente l'occasion, doit subtilement nourrir contre lui-même
quelques inimitiés afin que, les ayant matées, il
sorte grandi de l'affaire.  
    --- MACHIAVEL  
%
 Contente-toi d'obtenir d'un homme son arme, sans lui dire
que c'est pour le tuer avec ; quand elle sera dans ta main,
tu pourras satisfaire ton envie.  
    --- Que pour être efficace   
%
 Si j'ai dessein de faire la guerre à un prince,
malgré les traités fidèlement observés
entre nous depuis longtemps, je trouverai prétexte et couleur
à attaquer son ami, plutôt que lui. Je sais que son
ami étant attaqué, ou il prendra sa défense,
et alors il me fournit l'occasion de lui faire la guerre comme
j'en avais l'intention ; ou il l'abandonnera, et alors il
découvre sa faiblesse, et sa déloyauté, puisqu'il
néglige de secourir un allié. Dans l'un et l'autre
cas, il perd sa réputation et me rend plus facile l'exécution
de mes projets.  
    --- Que pour être efficace  
%
 A Song vivait un amateur de singes. Il aimait les
singes et en possédait tout un troupeau. Il était
capable de comprendre leurs désirs et les singes de leur
côté comprenaient leur maître. Il restreignait
sa propre nourriture pour satisfaire les singes, mais survint
une disette et il dut diminuer la nourriture des animaux. Cependant,
craignant que ceux-ci ne se rebellent, il leur dit d'abord avec
ruse : "Si je vous donnais le matin trois châtaignes
et le soir quatre, cela suffirait-il ?" Tous les singes se
levèrent, furieux. Se ravisant, il dit alors : "Soit,
vous aurez le matin quatre châtaignes et le soir trois.
Sera-ce suffisant ?" Les singes se couchèrent satisfaits.
 C'est ainsi que les êtres, les uns habiles, les autres
sots, se dupent les uns les autres. Le saint dupe, grâce
à son intelligence, la foule des sots de la même
façon que le fit l'amateur de singes qui dupa ceux-ci.
Sans changer le nom, ni la chose, il sut les rendre furieux, puis
joyeux.  
    --- L'homme et les singes   
%
 Un estranger, ayant dict et publié par tout qu'il
pourroit instruire Dionysius, Tyran de Syracuse, d'un moyen de
sentir et descouvrir en toute certitude les parties que ses subjets
machineroyent contre luy, s'il luy vouloit donner une bonne piece
d'argent, Dionysius, en estant adverty, le fit appeler à
soy pour l'esclarcir d'un art si necessaire à sa conservation ;
cet estrangier luy dict qu'il n'y avoit pas d'autre art, sinon
qu'il luy fit delivrer un talent et se ventast d'avoir apris de
luy un singulier secret. Dionysius trouva cette invention bonne
et luy fit compter six cens escus. Il n'estoit pas vray-semblable
qu'il eust donné si grande somme à un homme incogneu,
qu'en recompense d'un très-utile aprentissage ; et
servoit cette reputation à tenir ses ennemis en crainte.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Il ne faut pas me dire qu'au milieu de deux différentes
factions je n'ai qu'à me tenir neutre. Car quel moyen d'être
sage quand tout le monde est fou, et d'être froid dans la
fureur générale ? D'ailleurs, je ne suis point
isolé dans la Société, et je ne puis m'empêcher
de prendre part à une infinité de choses auxquelles
je tiens. De plus, le parti de la neutralité n'est pas
prudent : car je serai bien sûr d'avoir des ennemis,
et je ne serai pas sûr d'avoir un ami. Il faut donc que
je prenne un parti. Mais si je choisis mal ? De plus, le
parti le plus fort peut ne l'être pas partout, de façon
que je puis fort bien mourir le martyr de la faction dominante ;
ce qui est très désagréable.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Machiavel dit qu'il est dangereux de faire dans un Etat
de grands changements, parce qu'on s'attire l'inimitié
de tous ceux à qui ils sont nuisibles, et que le bien n'en
est pas senti de ceux à qui ils sont utiles.
 J'ai encore une autre raison à donner : c'est qu'ils
servent d'exemple et autorisent la fantaisie de celui qui voudra
bouleverser tout, en ôtant le respect que l'on doit avoir
pour les choses établies.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Il vaut mieux des droits sur les denrées que des
impositions. Un cordonnier à qui vous demanderez deux écus
disputera tant qu'il pourra ; et, si vous lui faites payer
25 livres de droits pour un muid de vin, il les payera sans s'en
apercevoir, et gaiement.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Machiavel vivra toujours ; on le détestera
tout haut ; on le suivra tout bas, parce que les crimes de
ses disciples sont consacrés par de grands exemples, anoblis
par de grands périls, conseillés par de grands besoins,
inspirés à de grandes âmes, justifiés
par de grands succès. Tout en est grand.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 On a fait des livres sur les intérêts des
princes ; on parle d'étudier les intérêts
des princes : quelqu'un a-t-il jamais parlé d'étudier
les intérêts des peuples ?  
    --- CHAMFORT   
%
 Voltaire disait, à propos de l'Anti-Machiavel du
roi de Prusse : "Il crache au plat pour en dégoûter
les autres".  
    --- CHAMFORT   
%
 Un bon trait de prêtre de cour, c'est la ruse dont
s'avisa l'évêque d'Autun, Montazet, depuis archevêque
de Lyon. Sachant bien qu'il y avait de bonnes frasques à
lui reprocher, et qu'il était facile de le perdre auprès
de l'évêque de Mirepoix, le théatin Boyer,
il écrivit contre lui-même une lettre anonyme pleine
de calomnies absurdes et faciles à convaincre d'absurdité.
Il l'adressa à l'évêque de Narbonne ;
il entra ensuite en explication avec lui, et fit voir l'atrocité
de ses ennemis prétendus. Arrivèrent ensuite les
lettres anonymes écrites en effet par eux, et contenant
des inculpations réelles ; ces lettres furent méprisées.
Le résultat des premières avait mené le théatin
à l'incrédulité sur les secondes.  
    --- CHAMFORT   
%
 On apprend plus à être roi dans une page
du Prince que dans les quatre volumes de l'Esprit des Lois.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Appât. - "Tout homme a son prix" - cela n'est pas
vrai. Mais i1 peut se trouver pour chacun un appât auquel
il doit mordre. C'est ainsi qu'on n'a besoin, pour gagner beaucoup
de personnes à une cause, que de donner à cette
cause le vernis de la philanthropie, de la noblesse, de la bienfaisance,
du sacrifice - et à quelle cause ne peut-on pas le donner !
- C'est le bonbon et la friandise de leurs âmes ; d'autres
en ont d'autres.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Pour fortifier les partis. - Celui qui veut fortifier
les assises intérieures d'un parti n'a qu'à lui
procurer l'occasion de se faire traiter avec une injustice manifeste :
il accumulera ainsi un capital de bonne conscience qui lui manquait
peut-être jusque-là.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Contre mainte défense. - La façon la plus
perfide de nuire à une cause, c'est de la défendre,
intentionnellement avec de mauvaises raisons.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La promesse de la chenille
 N'engage pas le papillon.  
    --- André GIDE   
%
 Manuel du mufle :
 Enseigne aux autres la bonté
 Tu peux avoir besoin de leurs services.  
    --- André GIDE   
%
 La trahison peut être le fait d'une intelligence
supérieure, entièrement affranchie des idéologies
civiques.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Et j'ai fabriqué pour mon instruction un chef d'état-major
imaginaire qui discute très bien. "Je ne vois pas, me dit-il
un jour, pourquoi vous méprisez les opinions utiles. S'il
est permis contre l'ennemi de violer les traités, il est
permis aussi de mentir, et de blâmer en ses actions ce qu'on
ferait très bien soi-même sans scrupule. Il s'agit
seulement de savoir si le mensonge est utile, et si le mensonge
le plus impudent n'est pas le plus utile. Par exemple il est utile
que l'on sache que nous ne massacrons pas les prisonniers, parce
que nous cultivons ainsi dans nos ennemis l'idée qu'ils
peuvent se rendre pour sauver leur vie. Mais il serait utile de
faire croire que l'ennemi massacre les prisonniers, car nos compagnies
encerclées vendraient alors chèrement leur vie,
ce que nous devons souhaiter. Et puisque vous tuez pour la patrie,
je ne vois pas par quel scrupule vous rougiriez de mentir pour
la patrie." Celui qui n'a pas conduit ses pensées jusque-là,
je le soupçonne d'appeler pensée ce qui lui plaît.
La guerre met l'homme tout nu ; il revient péniblement
aux pensée d'Esope. Socrate fut condamné
très exactement parce qu'il refusait de soumettre aussi
ses pensées au pouvoir. Nous n'avons peut-être pas
avancé du tout depuis Socrate. Ne pas craindre, rester
sobre, ne rien croire, trois ressources contre le tyran. Quelques
centaines d'hommes ainsi disposés feraient un esprit public,
et suffisant. Les maux humains comme guerre, abus de pouvoir,
absurde concentration de richesse, ne sont possibles que par l'incroyable
aveuglement de ceux qui passent pour instruits. Il s'agit de former
son jugement par un massacre de pensées. Il n'y a pas d'autre
sagesse.  
    --- ALAIN   
%
 Il faut battre le fer. Toute la force des coups de marteau
se retrouve dans la barre. La trempe est encore une violence.
Or c'est à peu près ainsi qu'on forge une armée.
La nature humaine est ainsi faite qu'elle supporte mieux un grand
malheur qu'un petit. En d'autres termes, c'est le loisir qui fait
les jugeurs et les mécontents. Si donc le peuple gronde,
cela indique, comme Machiavel voulait, que vous ne frappez pas
assez fort. N'ayez pas peur ; celui qui frappe fort est premièrement
craint, deuxièmement respecté, et finalement aimé.
 C'est ce qu'ont méconnu tous les esprits faibles, qui
comptaient surtout sur l'amitié et sur l'enthousiasme.
Mais ces sentiments vifs ne durent pas assez ; ils ne peuvent
rien contre des jours de terreur et d'épreuves.
 C'est une réflexion bien naturelle que celle-ci :
"Soyons indulgents ; car ils ont beaucoup souffert, et ils
souffriront encore". Mais ce raisonnement se trouve toujours mauvais,
parce que la moindre partie de liberté conduit à
réfléchir. Les vues du praticien sont plus justes.
"Soyons très sévères, car ils ont beaucoup
souffert ; ils ne nous le pardonneront jamais, s'ils ont
le loisir d'y penser". Alors tombent les coups de marteau, et
sur le point sensible ; alors la moindre liberté est
pourchassée. Les exercices et les sanctions, tout, jusqu'aux
faveurs, a pour fin d'abolir entièrement l'idée
même d'un droit et le moindre mouvement d'espérance.
Ainsi, quand on veut faire agir un gaz, on le comprime. Toute
cette force jeune étant ainsi comprimée et contrariée
avec suite, sans une faiblesse par l'action d'un système
parfait, alors il n'y a plus d'échappée que contre
l'ennemi ; et c'est lui qui paiera. Voilà en bref
l'histoire d'un régiment d'élite, et la pensée
constante d'un vrai chef.  
    --- ALAIN   
%
 J'ai toujours pensé que le machiavélisme
finit par se dévorer lui-même, car pour manquer utilement
à sa parole, encore faut-il avoir une parole !  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Son Altesse tenait beaucoup à ne pas passer pour
un idéologue, mais pour un politicien réaliste expérimenté,
et voulait qu'une distinction subtile fût faite entre cette
"Année autrichienne" née du cerveau d'un journaliste
génial, et la prudence réfléchie des milieux
responsables. Dans ce dessein, il recourut à la technique
d'un homme qu'il n'aimait pas d'ordinaire à prendre pour
modèle, Bismark, et qui consistait à faire révéler
par les journalistes ses véritables intentions afin de
pouvoir les confirmer ou les démentir ensuite selon les
exigences de l'heure.  
    --- Robert MUSIL   
%
 Beaucoup de Français attendent du pouvoir qu'il
soit efficace et non qu'il soit moralement respectable. L'honneur
des gouvernants apparaît comme une notion assez médiévale
et dépassée. Il semble qu'il conviendrait seulement
d'être habile. Mais quand il n'y a que l'habileté
et que l'habileté est prise en défaut, il ne reste
plus rien, sinon des sentiments de courte honte. Un règne
politique peut se terminer dans la déception. Il peut aussi
finir dans le mépris.  
    --- Jean-François DENIAU   
%
 Ce n'est pas assez d'avoir de grandes qualités ;
il en faut avoir l'économie.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 On ne doit pas juger du mérite d'un homme par ses
grandes qualités, mais par l'usage qu'il en sait faire.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Quiconque passe au-delà manque le but.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ce sont toujours nos impuissances qui nous irritent.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Se contenir est plus malaisé que se mutiler. Se
priver tous les jours est plus difficile que se sacrifier une
fois. Le sage dans le monde est plus grand et plus héroïque
que le sage dans le cloître.  
    --- Victor HUGO   
%
 Elevez-vous. Elargissez votre horizon. Quittez
l'argile, la fange, le ventre, l'intérêt, l'appétit,
la passion, l'égoïsme, la pesanteur. Allez à
la lumière. Devenez une grande âme. Passez du géocentrique
à l'héliocentrique.  
    --- Victor HUGO   
%
 Un beau sentiment vaut une belle pensée ;
une belle pensée vaut une belle action. Un système
de philosophie vaut un poème, un poème vaut une
découverte scientifique, une vie de science vaut une vie
de vertu. L'homme parfait serait celui qui serait à la
fois poète, philosophe, savant, homme vertueux, et cela
non par intervalles et à des moments distincts (il ne le
serait alors que médiocrement), mais par une intime compénétration
à tous les moments de sa vie, qui serait poète alors
qu'il est philosophe, philosophe alors qu'il est savant, chez
qui en un mot, tous les éléments de l'humanité
se réuniraient en une harmonie supérieure, comme
dans l'humanité elle-même.  
    --- Ernest RENAN   
%
 L'expérience de Socrate. - Si l'on est devenu maître
en une chose, on est pour l'ordinaire resté par cela même
un pur apprenti dans la plupart des autres ; mais on en juge
inversement, comme Socrate en faisait déjà l'expérience.
Là est l'inconvénient qui rend le commerce des maîtres
désagréable.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le calme dans l'action. - Comme une chute d'eau en se
précipitant devient plus lente et plus aérienne,
ainsi d'ordinaire le grand homme accomplit l'action avec plus
de calme que ne le faisait attendre son désir impétueux
avant l'action.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les passions surmontées. - L'homme qui a surmonté
ses passions est entré en possession du sol le plus fécond,
comme le colon qui s'est rendu maître des forêts et
des marécages. Semer sur le terrain des passions vaincues
la semence des bonnes oeuvres spirituelles, c'est alors la tâche
la plus urgente et la plus prochaine. Surmonter n'est là
qu'un moyen, ce n'est pas un but ; si l'on envisage autrement
cette victoire, toutes sortes de mauvaises herbes et de diableries
se mettent à foisonner sur le sol fécond mis ainsi
en friche, et bientôt tout cela se met à pousser
et à se pousser avec plus d'impétuosité encore
que précédemment.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ce qui est d'abord nécessaire. - Un homme qui ne
veut pas se rendre maître de sa colère, de ses accès
de haine et de vengeance, de sa luxure et qui malgré cela
aspire à devenir maître en quoi que ce soit, est
aussi bête que l'agriculteur qui place son champ sur les
bords d'un torrent sans s'en protéger.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Maître et élève. - Il faut qu'un maître
mette ses disciples en garde contre lui-même : cela
fait partie de son humanité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 L'idéal du calme est dans un chat assis.  
    --- Jules RENARD   
%
 Si la girouette pouvait parler, elle dirait qu'elle dirige
le vent.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le maître véritable est celui qui, à
travers son périple mental, s'est unifié le plus
et le mieux.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Le maître ne nous apprend rien d'autre que ceci,
qu'il faut que chacun soit son propre maître, ce qui fait
tous les hommes égaux.  
    --- ALAIN   
%
 Cet état d'équilibre n'est beau que sur
la corde raide ; assis par terre, il n'a plus rien de glorieux.  
    --- André GIDE   
%
 Les maîtres sont ceux qui nous montrent ce qui est
possible dans l'ordre de l'impossible.  
    --- Paul VALERY   
%
 Imitez vos défauts pour vous en corriger.
 Vous buvez trop d'alcool ?
 Faites semblant d'être ivre - et vous en boirez moins.
 Vous êtes pointilleux ?
 Froissez-vous sans raison aucune - et vous rirez.
 Vous êtes coléreux ?
 Simulez la colère - et vous verrez combien c'est bête
la colère.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Le peuple dit que, dans la maladie, la santé se
repose.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 MALADE. - Pour remonter le moral d'un malade, rire de
son affection et nier ses souffrances.  
    --- Gustave FLAUBERT  
%
 Le microbe du terrible mal, le tréponème,
puisqu'il faut l'appeler par son nom, est aussi bien le fouet
du génie et du talent, de l'héroïsme et de
l'esprit, que de celui de la paralysie générale,
du tabès et de presque toutes les dégénérescences.
Tantôt excitant et stimulant, tantôt engourdissant
et paralysant, forant et travaillant les cellules de la moelle,
de même que celles du cerveau, maître des congestions,
des manies, des hémorragies, des grandes découvertes
et des scléroses, le tréponème héréditaire,
renforcé par les croisements entre familles syphilitiques,
a joué, joue et jouera un rôle comparable à
celui du fatum de l'Antiquité. Il est le personnage, invisible
mais présent, qui meut les romantiques et les déséquilibrés,
les aberrants d'aspect sublime, les révolutionnaires pédants
ou violents. Il est le ferment qui fait lever la pâte un
peu lourde du sang paysan et l'affine en deux générations.
Du fils d'une bonne il fait un grand poète, d'un petit-bourgeois
paisible un satyre, d'un commerçant un métaphysicien,
d'un marin un astronome ou un conquérant. Une époque
telle que le XVI<SUP>e</SUP> siècle, avec ses splendeurs et ses turpitudes,
sa bravoure, sa frénésie amoureuse, son expansion
formidable, apparaît à l'observateur averti ainsi
qu'une incursion du tréponème dans l'élite
comme dans les masses populaires, ainsi qu'une sarabande d'hérédos.
Dès la première ligne de sa fameuse dédicace,
Rabelais avait vu juste, et lui-même sûrement en était,
avec son verbe fulgurant, sa perpétuelle levée d'images
forcenées et brillantes. La plupart des dégénérescences,
la majorité des méfaits attribués à
l'alcoolisme sont imputables à ce spirille, d'une agilité,
d'une ductilité, d'une pénétration, d'une
congénitalité, si l'on peut dire, encore mystérieux,
autant que le "quel monstre est-ce", de la goutte de semence "de
quoy nous sommes produits" à laquelle Montaigne fait allusion
dans sa Ressemblance des enfants aux pères. Analogue pour
l'élan et l'acrobatisme au propagateur de la vie, associé
à lui dans mainte conception par la transmission héréditaire,
le tréponème propage à la fois l'intensité
dramatique de la vie, la stérilité qui est son contraire
et les plus durs fléaux. Il est un daimôn matériel
avec qui l'esprit doit compter, une vrille physique le moral et
le factotum de l'instinct sexuel. Avant qu'il soit longtemps,
je vous jure, cette notion en bouleversera beaucoup d'autres et
fera un massacre de poncifs.  
    --- La syphilis comme moyen   
%
 Citation, page 72, d'un mot du Prince Edmond de PoIignac :
"Un tel ? Il ne peut pas être intelligent, il n'est
pas malade." Cela a l'air de boutade. Il y a une part de vrai.
Il est bien certain qu'un certain état maladif, chez un
homme intelligent, produit un affinement (voilà que je
ne sais plus si ce mot est français) de l'intelligence,
l'amène à des pensées, des sensations qu'il
n'aurait peut-être pas sans cet état maladif. La
songerie acquiert des prolongements, des profondeurs. On peut
en citer un exemple avec Marcel Schwob. Cet état peut créer
comme une finesse de tout l'individu, une finesse morale, en même
temps que donner une certaine destruction physique. L'homme de
grande santé, sans généraliser, est plus
porté à la vulgarité physique et à
quelque chose de commun dans les idées.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il est à remarquer, ce n'est pas la première
fois que je le vois, que tous 1es gens qui parlent d'une opération
quelconque, pour eux ou pour des proches, cette opération
a toujours été faite par le "premier chirurgien
de Paris" ou par le "premier spécialiste".  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 On est bien portant. On voit des malades. On les sait
perdus. On les veut tromper, tenir dans l'illusion, par de bonnes
paroles, et y croire. On est malade à son tour, et on se
laisse tromper et tenir dans l'illusion comme les autres.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Si vous êtes malade, ne le soyez pas trop longtemps.
 Tâchez de ne pas dépasser les 21 jours réglementaires,
car, vous ne pouvez pas l'ignorer, la patience des meilleurs amis
est assez courte et vous auriez vite l'impression d'être
délaissé.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La peste soit de ces gens devant lesquels on ne peut pas
renifler sans qu'aussitôt ils vous demandent : "Vous
êtes enrhumé ?".  
    --- André GIDE   
%
 Je n'ai jamais rencontré quelqu'un de ceux qui
se vantent de n'avoir jamais été malades, qui ne
soit, par quelque côté, un peu sot ; comme ceux
qui n'ont jamais voyagé ; et je me souviens que Charles-Louis
Philippe appelait fort joliment les maladies : les voyages
du pauvre.
 Ceux qui n'ont jamais été malades sont incapables
de vraie sympathie pour une quantité de misères.  
    --- André GIDE   
%
 Le travail est loin d'être toujours conscient. Ainsi
même physiquement les moindres mouvements  -  les
sensations ordinaires  -  le simple fait de vivre entraîne
dépense d'énergie, mais on ne la perçoit
pas. Mais dès que malade alors cela apparaît. Psychologiquement
la maladie est un accroissement de sensibilité à
l'égard des dépenses d'énergie.  
    --- Paul VALERY   
%
 Un malade est supérieur à l'homme en bonne
santé. Et pourtant chaque homme sain se sent supérieur
au malade. Depuis qu'il y a monde, l'homme en bonne santé
ressent la maladie de l'autre comme une flatterie. C'est une sorte
de garantie secrète que lui donne la nature et dont il
est fier, sans le dire. Les sentiments les plus ordinaires naissent
du contact des hommes malades avec les autres. Faire la psychologie
de ces relations signifierait écrire la justification définitive
du dégoût.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Je me suis souvent demandé et me le demande souvent
encore ce qui peut bien différencier une mauvaise bronchite
d'une bonne.  
    --- Pierre DAC   
%
 La distinction entre maladies du "cerveau" et maladies
"mentales", entre problèmes "neurologiques" et "psychologiques",
relève d' un héritage culturel malheureux qui imprègne
toute la société, en général, et la
médecine, en particulier. Elle reflète une méconnaissance
fondamentale des rapports entre le cerveau et l' esprit. Dans
le cadre de cette tradition, on estime que les maladies du cerveau
sont des affections dont on ne peut blâmer ceux qui en sont
atteints, tandis que les maladies psychologiques, et surtout celles
qui touchent à la façon de se conduire et aux réactions
émotionnelles, sont des troubles de la relation interpersonnelle,
dans lesquels les malades ont une grande part de responsabilité.
Dans ce contexte, il est courant de reprocher aux individus leurs
défauts de caractère, le déséquilibre
de leurs réactions émotionnelles, et ainsi de suite ;
le manque de volonté est considéré comme
la source primordiale de tous leurs problèmes.  
    --- Antonio R. DAMASIO  
%
 L'évêque de Cloyne, Berkeley, est le dernier
qui, par cent sophismes captieux, a prétendu prouver que
les corps n'existent pas. Ils n'ont, dit-il, ni couleurs, ni odeurs,
ni chaleur ; ces modalités sont dans vos sensations,
et non dans les objets. Il pouvait s'épargner la peine
de prouver cette vérité ; elle est assez connue.
Mais de là il passe à l'étendue, à
la solidité, qui sont des essences du corps, et il croit
prouver qu'il n'y a pas d'étendue dans une pièce
de drap vert, parce que ce drap n'est pas vert en effet ;
cette sensation du vert n'est qu'en vous : donc cette sensation
de l'étendue n'est qu'en vous. Et, après avoir ainsi
détruit l'étendue, il conclut que la solidité
qui y est attachée tombe d'elle-même, et qu'ainsi,
il n'y a rien au monde que nos idées. De sorte que, selon
ce docteur, dix mille hommes tués par dix mille coups de
canon ne sont dans le fond que dix mille appréhensions
de notre entendement ; et quand un homme fait un enfant à
sa femme, ce n'est qu'une idée qui se loge dans une autre
idée, dont il naîtra une troisième idée.  
    --- Le paradoxe de Berkeley   
%
 Il est bon de savoir ce qui l'avait entraîné
dans ce paradoxe. J'eus, il y a longtemps, quelques conversations
avec lui ; il me dit que l'origine de son opinion venait
de ce qu'on ne peut concevoir ce que c'est que ce sujet qui reçoit
l'étendue. Et en effet il triomphe dans son livre quand
il demande à Hilas ce que c'est que ce sujet, ce substratum,
cette substance. "C'est le corps étendu" répond
Hilas. Alors l'évêque, sous le nom de Philonoüs,
se moque de lui ; et le pauvre Hilas, voyant qu'il a dit
une sottise, demeure tout confus, et avoue qu'il n'y comprend
rien , qu'il n'y a point de corps, que le monde matériel
n'existe pas, qu'il n'y a qu'un monde intellectuel.
 Hilas devait dire seulement à Philonoüs : Nous
ne savons rien sur le fond de ce sujet, de cette substance étendue
solide, divisible, mobile, figurée, etc. ; je ne la
connais pas plus que le sujet pensant, sentant et voulant ;
mais ce sujet n'en existe pas moins, puisqu'il a des propriétés
essentielles dont il ne peut être dépouillé.  
    --- Le paradoxe de Berkeley   
%
 On ne connaît que trop la thèse idéaliste,
que l'on retrouve dans Berkeley en sa parfaite transparence. Beaucoup
y ont mordu, et ne se délivrent pas aisément. Or
j'ai aperçu une faute dans cet idéalisme, et je
crois utile de la mettre au jour. La faute est dans cette idée
impossible de l'apparence seule, et séparée de l'objet.
Plus près de nous et plus clairement, je dirais que la
faute est de prendre comme réel un monde subjectif, comme
on dit, c'est à dire dans lequel l'existence extérieure
ne figurerait point encore, et devrait s'y ajouter à titre
d'hypothèse. Ici les difficultés s'accumulent, et
je veux essayer d'y mettre un ordre. Entendons bien. Il ne s'agit
pas d'argumenter. Qui argumente contre, il est pour. Car la force
de l'idéalisme est en ceci qu'il obtient aisément
que l'existence des choses extérieures doit être
prouvée ; en quoi il a partie gagnée de toute
façon ; car, si bonne que soit la preuve, elle court,
comme dit Kant, le risque de toute preuve ; et il reste une
différence entre l'indubitable existence de moi-même,
et cette autre existence qu'il faut prouver, et qui, par cela
seul, fait figure d'ombre, et enfin se trouve seconde et subordonnée.
Or, l'embarras où l'on se trouve alors vient de ce que
le philosophe ne donne pas ici le monde tel qu'il nous le faut.
Il y a disproportion, et même ridicule disproportion, entre
cette immense et impérieuse présence, dans laquelle
nous sommes pris et engagés, et les légers discours
par lesquels nous essayons d'en rendre compte. Et c'est parce
que nous sommes assurés premièrement du monde que
le philosophe fait rire. C'est pourquoi il faut examiner sévèrement
ce départ, cette position initiale où nous croyons
pouvoir nous retirer d'abord, laissant le monde et considérant
nos pensées.
 Quand on aura bien compris qu'il n'y a point du tout de connaissance
hors de l'expérience, ni d'idée sans objet actuellement
présent, tout sera dit. Quand on aura bien compris que
le souvenir ne s'achève que par la perception de l'objet,
et enfin que nous ne connaissons que les choses, tout sera dit,
et plus près encore de l'illusion qu'il s'agit de surmonter.
Mais ces idées veulent un immense développement.
Je conseille de les suivre dans l'Analytique de Kant, jusqu'au
fameux théorème qui affirme, comme en un puissant
raccourci, que les choses n'existent pas moins que moi-même.
Seulement ce chemin est long et aride.  
    --- ALAIN   
%
 Les propositions mathématiques sont reçues
comme vraies parce que personne n'a intérêt qu'elles
soient fausses ; et, quand on a eu intérêt,
c'est-à-dire quand quelqu'un a voulu, en en doutant, se
faire chef de parti et entraîner, en les renversant, toutes
les autres vérités, on en a douté :
témoin Pyrrhon.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Il y a des sciences bonnes dont l'existence est nécessaire
et dont la culture est inutile. Telles sont les mathématiques.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 "S'asseoir sur le boisseau".  -  "Mettre la règle
dans sa tête" (pour en débarrasser ses mains).  -  "...
le compas dans l'oeil", disoit Michel Ange. Cette expression est
si nette et par cela même si naturelle que le peuple l'a
partout et qu'elle sera pour toujours adoptée dans tous
les lieux où elle sera dite et par tous ceux qui l'auront
entendue une seule fois. Toute parole qui exprime bien une pensée
est son vêtement, son corps propre, son accompagnement inséparable,
son associé naturel.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 COMPAS. - On voit juste quand on l'a dans l'oeil.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 On doit prévoir que, traitant des sujets aussi
nouveaux, hasardé dans une voie aussi insolite, bien souvent
des difficultés se sont présentées que je
n'ai pu vaincre. Aussi dans ces deux mémoires et surtout
dans le second qui est plus récent, trouvera-t-on souvent
la formule "je ne sais pas". La classe des lecteurs dont j'ai
parlé au commencement ne manquera pas d'y trouver à
rire. C'est que malheureusement on ne se doute pas que le livre
le plus précieux du plus savant serait celui où
il dirait tout ce qu'il ne sait pas, c'est qu'on ne se doute pas
qu'un auteur ne nuit jamais tant à ses lecteurs que quand
il dissimule une difficulté. Quand la concurrence c'est-à-dire
l'égoïsme ne régnera plus dans les sciences,
quand on s'associera pour étudier, au lieu d'envoyer aux
académies des paquets cachetés, on s'empressera
de publier ses moindres observations pour peu qu'elles soient
nouvelles, et on ajoutera : "je ne sais pas le reste".  
    --- Evariste GALOIS   
%
 Suivant moi, l'hypocrisie était impossible en mathématiques,
et, dans ma simplicité juvénile, je pensais qu'il
en était ainsi dans toutes les sciences où j'avais
ouï dire qu'elles s'appliquaient. Que devins-je quand je
m'aperçus que personne ne pouvait m'expliquer comment il
se faisait que : moins par moins donne plus ( -  &#215;  -  = +) ?
(C'est une des bases fondamentales de la science qu'on appelle
algèbre.)
 On faisait bien pis que ne pas m'expliquer cette difficulté
(qui sans doute est explicable car elle conduit à la vérité),
on me l'expliquait par des raisons évidemment peu claires
pour ceux qui me les présentaient.  
    --- STENDHAL   
%
 Ma cohabitation passionnée avec les mathématiques
m'a laissé un amour fou pour les bonnes définitions,
sans lesquelles il n'y a que des à-peu-près.  
    --- STENDHAL   
%
 J'ai fait dans ma jeunesse quatre ans de mathématiques.
Mon professeur, M. Lefebvre de Courcy, me demandait un jour :
Eh bien, Monsieur, que pensez-vous des X et des Y ?  -  Je
lui ai répondu : c'est bas de plafond.  
    --- Victor HUGO   
%
 La science la plus vide d'objet, les mathématiques,
est précisément celle qui passionne le plus, non
pas tant par sa vérité que par le jeu des facultés
et la force de combinaison qu'elle suppose. La jouissance que
procurent les mathématiques est de même ordre que
celle du jeu d'échecs. Aucune n'est plus tyrannique. Quand
Archimède était appliqué à son tableau
de démonstration, il fallait que ses esclaves l'en arrachassent
pour le frotter d'huile ; mais lui, il traçait des
figures géométriques sur son corps ainsi frotté.  
    --- Ernest RENAN   
%
 O mathématiques sévères, je
ne vous ai pas oubliées, depuis que vos savantes leçons,
plus douces que le miel, filtrèrent dans mon coeur, comme
une onde rafraîchissante. J'aspirais instinctivement, dès
le berceau, à boire à votre source, plus ancienne
que le soleil, et je continue encore de fouler le parvis sacré
de votre temple solennel, moi, le plus fidèle de vos initiés.
Il y avait du vague dans mon esprit, un je ne sais quoi épais
comme de la fumée ; mais, je sus franchir religieusement
les degrés qui mènent à votre autel, et vous
avez chassé ce voile obscur, comme le vent chasse le damier.
Vous avez mis, à la place, une froideur excessive, une
prudence consommée et une logique implacable. A
l'aide de votre lait fortifiant, mon intelligence s'est rapidement
développée, et a pris des proportions immenses,
au milieu de cette clarté ravissante dont vous faites présent,
avec prodigalité, à ceux qui vous aiment d'un sincère
amour. Arithmétique ! algèbre ! géométrie !
trinité grandiose ! triangle lumineux ! Celui
qui ne vous a pas connues est un insensé ! Il mériterait
l'épreuve des plus grands supplices ; car, il y a
du mépris aveugle dans son insouciance ignorante ;
mais, celui qui vous connaît et vous apprécie ne
veut plus rien des biens de la terre ; se contente de vos
jouissances magiques ; et, porté sur vos ailes sombres,
ne désire plus que de s'élever, d'un vol léger,
en construisant une hélice ascendante, vers la voûte
sphérique des cieux.  
    --- Le Comte de LAUTREAMONT   
%
 Je cite l'exemple de Pascal qui combattait ses maux de
tête avec des problème de géométrie.
 - Moi, dit Tristan Bernard, je combattait la géométrie
en feignant d'avoir des maux de tête.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il y avait des récalcitrants, par exemple l'excellent
Lemoine, mathématicien et organisateur des soirées
musicales qui portent sont nom. C'était un petit vieillard
sautillant et instruit, rempli de calembours et de coq-à-l'âne.
Ayant apprivoisé une chouette, il répétait
volontiers : "rien n'est chouette comme l'idem." Cela n'était
rien, mais ne s'était-il pas mis en tête de nous
faire connaître son "point de Lemoine" qui se trouve, parait-il,
dans le triangle ? A peine avait-il commencé, pour
la dixième fois, sa démonstration, que Hecq s'écriait :
"Allons bon, il y a un fou grimpé sur le toit de l'hôtel."
Tous les yeux se dirigeaient de ce côté et le théorème
était interrompu. Ou bien : "Avez-vous senti cette
odeur de brûlé ? faisait Hecq, la mine inquiète.
Il y a certainement le feu quelque part." Tout le monde cherchait
aussitôt l'origine de ce problématique incendie.
Jamais le bon Lemoine ne put parvenir à nous expliquer
son point.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Rien n'est plus facile à apprendre que la géométrie
pour peu qu'on en ait besoin. Quand on n'en a pas besoin, quand
ça ne vous manque pas, c'est assommant. Je suis enchanté
de ne pas avoir appris la géométrie et l'algèbre
car ça ne pourrait me servir à rien.  
    --- Sacha GUITRY /L'Esprit /   
%
 Ceux qui admirent que la nature se prête si bien
aux vêtements du géomètre, méconnaissent
deux choses. D'abord ils méconnaissent la souplesse et
toutes les ressources de l'instrument mathématique, qui,
par complication progressive, dessinera toujours mieux les rapports,
orientera et mesurera mieux les forces, sans gauchir la ligne
droite pour cela. C'est ce que n'ont pas bien saisi ceux qui remettent
toujours les principes en questions, comme l'inertie ou mouvement
uniforme, et autres hypothèses solides. Ce qui est aussi
sot que si l'on voulait infléchir les trois axes pour inscrire
un mouvement courbé, ou bien tordre l'équateur pour
un bolide. Mais, comme disait bien Platon, c'est le droit qui
est le juge du courbe, et le fini et achevé qui est juge
de l'indéfini. Et ce sont les vieux nombres entiers qui
portent le calcul différentiel. Par ces remarques, on voudra
bien comprendre en quel sens toute loi est a priori quoique toute
connaissance soit d'expérience. Mais, ici encore, n'oubliez
pas de joindre fortement l'idée et la chose. La seconde
méprise consiste à croire que la nature, hors des
formes mathématiques, soit réellement quelque chose,
et puisse dire oui ou non. Cette erreur vient de ce que nous appelons
nature ce qui est une science à demi-faite déjà,
déjà repoussée de nous à distance
convenable. Car la perception du mouvement des étoiles,
d'Orient en Occident, est une supposition déjà,
et très raisonnable, mais qui ne s'accorde pas avec les
retards du soleil et de la lune et les caprices des planètes.
Et même les illusions sur le mouvement, comme on l'a vu,
procèdent d'un jugement ferme, et d'une supposition que
la nature n'a pas dictée ; nos erreurs sont toutes
des pensées. La nature ne nous trompe pas ; elle ne
dit rien ; elle n'est rien.  
    --- ALAIN   
%
 A celui qui a pris l'habitude d'expédier
ses affaires avec la règle à calcul, il devient
carrément impossible de prendre au sérieux la bonne
moitié des affirmations humaines. Qu'est-ce donc qu'une
règle à calcul ? Deux systèmes de chiffres
et de graduations combinés avec une ingéniosité
inouïe ; deux petits bâtons laqués de blanc
glissant l'un dans l'autre, dont la coupe forme un trapèze
aplati, à l'aide desquels on peut résoudre en un
instant, sans gaspiller une seule pensée, les problèmes
les plus compliqués ; un petit symbole qu'on porte
dans sa poche intérieure et qu'on sent sur son coeur comme
une barre blanche... Quand on possède une règle
à calcul et que quelqu'un vient à vous avec de grands
sentiments ou de grandes déclarations, on lui dit :
Un instant, je vous prie, nous allons commencer par calculer les
marges d'erreur et la valeur probable de tout cela !  
    --- Robert MUSIL   
%
 Quand on prend les virages en ligne droite, c'est que
ça ne tourne pas rond dans le carré de l'hypoténuse.  
    --- Pierre DAC   
%
 L'infini ne peut guère conduire qu'à zéro
et réciproquement.  
    --- Pierre DAC   
%
 Cet après-midi, suis entré par mégarde
au Collège de France, dans une salle où le prof
écrivait au tableau noir des formules de hautes mathématiques.
Pendant une heure, j'ai regardé avec une stupeur admirative
ce magicien qui ne cessa de faire surgir des signes merveilleux
et, pour moi, parfaitement inintelligibles. Que nos besognes littéraires
paraissent vulgaires à côté de cet exercice
hallucinant qui supprime pratiquement la parole : le prof
d'ailleurs n'y avait recours que pour faire les raccords. S'adonner
à une activité inaccessible aux profanes, à
une activité qui ne peut être suivie que par quelques-uns,
qu'on peut compter sur les doigts, oh, c'est cela que j'aurais
aimé faire, et non écrire des articles que le premier
venu peut lire et mépriser.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Les maximes générales sont dans la conduite
de la vie ce que les routines sont dans les arts.  
    --- CHAMFORT   
%
 Une maxime, pour être bien faite, ne demande pas
à être corrigée. Elle demande à être
développée.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Pourquoi ne lit-on plus jamais les grands maîtres
de la maxime psychologique ? - car, soit dit sans aucune
exagération, l'homme cultivé qui a lu La Rochefoucauld
et ses parents en esprit et en art est rare à trouver en
Europe ; et plus rare encore de beaucoup celui qui les connaît
et ne les dédaigne pas. Mais il est probable que même
ce lecteur exceptionnel y prendra moins de plaisir que ne lui
en devrait donner la forme de ces artistes ; car même
le cerveau le plus fin n'est pas capable d'apprécier suffisamment
l'art d'aiguiser une maxime, s'il n'y a pas lui-même été
élevé, s'il ne s'y est pas essayé. On prend,
faute de cette éducation pratique, cette invention et cette
mise en forme pour plus facile qu'elle n'est, on n'en ressent
pas avec assez d'acuité la réussite et l'attrait.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Il y a des tournures et des saillies, des sentences où
toute une civilisation, toute une société se cristallise
soudain en quelques mots. Ainsi cette parole de Madame de Lambert
à son fils : "Mon ami, ne vous permettez jamais que
des folies qui vous feront grand plaisir". Soit dit en passant,
voilà le conseil le plus maternel et le plus sage qu'on
ait jamais donné à un fils.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les diseurs de maximes, non plus que les marchands de
"spécialités", ne se soignent à leurs propres
remèdes.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Il y a quelque chose de plus bête qu'un proverbe :
c'est deux proverbes. Et n'allez pas croire surtout que je réédite
une plaisanterie surannée, indigne de vous et de moi-même.
 Non, écoutez...
 Ce proverbe : Tel père, tel fils, est idiot ;
mais cet autre : A père avare, enfant prodigue,
n'est pas moins bafouilleux.
 Que dire des deux réunis ? 
 Autre exemple :
 La nuit porte conseil, et Ne remettez jamais au lendemain ce
que vous pouvez faire la veille.
 Comment voulez-vous qu'on s'y reconnaisse ?
 D'ailleurs, à ce propos, j'ai pris un moyen terme ;
depuis ma plus tendre enfance (ma mère vous le dira), j'ai
toujours remis au surlendemain ce que j'aurais parfaitement pu
faire l'avant-veille.
 Et je m'en suis bien trouvé.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Il n'est pas de sentences, de maximes, d'aphorismes, dont
on ne puisse écrire la contre-partie.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Les proverbes ne sont point d'entendement, mais de raison.
Ils ne concernent jamais la nature des choses, mais ils visent
à régler la nature humaine, et vont toujours à
contre-pente, contre les glissements qui nous sont naturels.  
    --- ALAIN   
%
 Chacun se redresse aux maximes et aux proverbes ;
chacun en sent le prix. Penser sur des maximes c'est se reconnaître
et reprendre le gouvernement de soi.  
    --- ALAIN   
%
 Qu'est-ce que la maxime en effet ? On peut dire en
simplifiant que c'est une équation où les signes
du premier terme se retrouvent exactement dans le second, mais
avec un ordre différent. C'est pour cela que la maxime
idéale peut toujours être retournée. Toute
sa vérité est en elle-même et pas plus que
la formule algébrique, elle n'a de correspondant dans l'expérience.
On peut en faire ce que l'on veut jusqu'à épuisement
des combinaisons possibles entre les termes donnés dans
l'énoncé, que ces termes soient amour, haine, intérêt
ou pitié, liberté ou justice. On peut même,
et toujours comme en algèbre, tirer de l'une de ces combinaisons
un pressentiment à l'égard de l'expérience.
Mais rien de cela n'est réel parce que tout y est général.  
    --- Albert CAMUS   
%
 L'aphorisme ? Un feu sans flamme. On comprend que
personne ne veuille s'y réchauffer.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Plus encore que dans le poème, c'est dans l'aphorisme
que le mot est dieu.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il y a déjà longtemps que l'on improuve
les médecins, et que l'on s'en sert ; le théâtre
et la satire ne touchent point à leurs pensions ;
ils dotent leurs filles, placent leurs fils aux parlements et
dans la prélature, et les railleurs eux-mêmes fournissent
l'argent. Ceux qui se portent bien deviennent malades, il leur
faut des gens dont le métier soit de les assurer qu'ils
ne mourront point : tant que les hommes pourront mourir,
et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé
et bien payé.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Homéopathe n. L'humoriste de la profession médicale.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 REMEDE : agent thérapeutique qui guérit
rarement le mal qu'on a, mais donne à chaque instant un
mal qu'on n'avait pas.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 LE DOCTEUR  -   Comment ? Ne m'avez-vous
pas dit que vous veniez de passer votre thèse l'été
dernier ? 
 KNOCK  -   Oui, trente-deux pages in-octavo : Sur
les prétendus états de santé, avec cette
épigraphe, que j'ai attribuée à Claude Bernard :
"Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent."  
    --- Jules ROMAINS   
%
 Je n'aime ni les infirmes, ni les anormaux, ni les mal
faits, ni les détraqués, ni les tarés, arriérés
et incapables d'une sorte ou d'une autre. Que diable n'a-t-on
pas mis au baquet, à leur naissance, tous ces déchets !
Cette époque me fait pitié à vouloir les
faire vivre à toute force.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 La médecine, c'est ingrat. Quand on se fait honorer
par les riches, on a l'air d'un larbin, par les pauvres on a tout
du voleur.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 Sait-on comment, jadis, en Chine, s'exerçait la
profession de médecin ?
 D'une manière originale si l'on veut, mais à quel
point logique, et que bien des gens adopteraient sans doute avec
plaisir chez nous, si Messieurs les Docteurs voulaient s'y prêter.
 On paie ici son médecin quand on est mal portant  -  c'était
tout justement le contraire là-bas. On faisait choix d'un
bon docteur et l'on convenait avec lui d'appointements annuels
dont le paiement était d'office suspendu pendant le temps
que l'on était malade.
 L'intérêt du docteur à vous guérir
très vite était donc évident.  
    --- Sacha GUITRY  
%
 Au commencement, nous faisions du zèle et des pansements
compliqués selon les formules ultramodernes de nos hôpitaux.
Mais bientôt la routine de l'infirmerie et le scepticisme
de notre bon major - dont j'ai compris depuis la haute sagesse
- nous ramenèrent à l'ipéca, au sulfate de
soude et au bain de pied à la moutarde, ainsi qu'à
l'ouverture des panaris en cinq secs.
 - Vous allez-t-il me faire mal, m'sieur le major ?
 - Mais non, mon garçon, assieds-toi là et ferme
les yeux.
 Crouc, un bon coup de bistouri bien appliqué et ça
y était. Le soldat se tordait de douleur sur sa chaise,
cependant que, pour le consoler, nous lui tenions les habituels
propos : "Eh bien ! tu en verras de plus rudes, à
la guerre... Tu es un homme, sacrebleu !" et autres fariboles
délurées. Le panaris des autres semble toujours
insignifiant.  
    --- Médecine militaire :
    
%
 La science  -  toute science  -  est sans
conscience ni limites, sans autres limites, veux-je dire, que
celles qu'elle se donne pour tâche de franchir, qu'elle
franchit en effet, tôt ou tard, et qui ne sauraient dès
lors la limiter. Si on laisse les sciences et les techniques à
la pure spontanéité de leur développement
interne, une seule chose est certaine : selon le principe
bien connu, tout le possible sera fait  -  et c'est, s'agissant
de l'homme, ce qu'il n'est plus possible d'accepter. Il faut donc,
au développement spontané (et heureux) de la médecine
scientifique, des limites externes : déontologiques,
éthiques ou juridiques, selon les cas et les enjeux, d'ailleurs
toutes nécessaires et irréductibles les unes aux
autres.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Extraordinaire affaire de la fausse nouvelle donnée
hier soir par les journaux, d'après une dépêche
américaine, l'Intransigeant et la Presse en tête,
de l'arrivée à New York des aviateurs Nungesser
et Coli, les deux "héros" selon le langage ridicule en
cours à notre époque. Et non seulement l'annonce
de leur arrivée, mais encore des détails sur leur
débarquement et les propos tenus par Nungesser. Ce matin,
rien de vrai, et non seulement rien de vrai, mais la plus grande
inquiétude sur le sort de ces deux hommes. Quelle douche
pour le Paris hystérique d'hier soir ! Le peuple n'a
pas changé. Le même qu'au moyen âge. La même
superstition, la même idolâtrie, la même crédulité,
avec cette abjection en plus : l'hyperorgueil national. Quelles
scènes si on annonçait demain la fin du monde.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Grâce à la presse quotidienne, le dernier
imbécile peut éprouver quelque chose de la plus
haute jouissance de l'homme d'action. Tous les matins, en beurrant
ses tartines, il croit que les faits marchent à sa rencontre,
que l'immense tragédie du monde s'accorde au rythme de
sa chétive pensée, remplit l'étroite mesure
de son rêve. Presque à chaque heure, si l'on tient
compte de la longitude, des milliers d'idiots prononcent en cent
langues la phrase de toutes les impuissances : "Je l'avais
bien dit."  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Nous oublions aisément nos fautes lorsqu'elles
ne sont sues que de nous.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 La mémoire est nécessaire pour toutes les
opérations de la raison.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Je ne me méfie pas assez de la mémoire des
sots, c'est le côté par lequel ils réparent
leur sottise.  
    --- STENDHAL   
%
 Pardonnez tout, n'oubliez rien.  
    --- Victor HUGO   
%
 Mauvaise mémoire. - L'avantage de la mauvaise mémoire
est qu'on jouit plusieurs fois des mêmes choses pour la
première fois.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La bonne mémoire. - Certains ne parviennent pas
à devenir des penseurs parce que leur mémoire est
trop bonne.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Oubli. - Il n'est pas encore démontré que
l'oubli existe ; tout ce que nous savons, c'est qu'il n'est
pas en notre pouvoir de nous ressouvenir. Nous avons placé
provisoirement, dans cette lacune de notre puissance, le mot oubli :
comme si c'était là une faculté de plus dans
le registre. Mais, en fin de compte, qu'est-ce qui est en notre
pouvoir !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ce n'est qu'en ne payant pas ses factures qu'on peut espérer
vivre dans la mémoire des classes marchandes.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Soyez tranquille ! Je n'oublierai jamais le service
que je vous ai rendu.  
    --- Jules RENARD   
%
 Peut-être que les gens de beaucoup de mémoire
n'ont pas d'idées générales.  
    --- Jules RENARD   
%
 J'ai une mémoire admirable : j'oublie tout !
C'est d'un commode !...
 C'est comme si le monde se renouvelait pour moi à chaque
instant.  
    --- Jules RENARD   
%
 Tous les ans, la marée d'équinoxe de septembre
est la plus forte marée du siècle.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Rien ne s'oublie plus vite que le déluge de sang,
et la rapidité de l'oubli est proportionnelle aux dimensions
de l'hécatombe ; pourquoi cela ? Parce que l'esprit
humain chasse naturellement l'image du deuil et du charnier. On
n'aurait pas imaginé le Jour des Morts, si l'on n'oubliait
pas les morts presque tous les jours, surtout quand leur trépas
fut collectif et violent.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Apprendre à parler c'est apprendre à dégager
les sens  des mots, des époques où on les a appris
 -  c'est oublier la plupart des relations d'alors. Sans
oubli, on n'est que perroquet.  
    --- Paul VALERY   
%
 La mémoire est l'avenir du passé.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ma mémoire est fantasque - et parfois il m'arrive
de parler très fort à l'oreille d'un myope.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Ceux qui pensent à tout n'oublient rien et ceux
qui ne pensent à rien font de même puisque ne pensant
à rien ils n'ont rien à oublier.  
    --- Pierre DAC   
%
 A mesure que la mémoire s'affaiblit, les
éloges qu'on nous a prodigués s'effacent au profit
des blâmes. Et c'est justice : les premiers, on les
a rarement mérités, alors que les seconds jettent
quelque clarté sur ce qu'on ignorait de soi-même.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le bon vieux temps : tout ce que la mémoire
range dans ses débarras en gommant le médiocre pour
ne retenir que le meilleur.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Ce n'est pas sans raison qu'on dit que qui ne se sent
point assez ferme de memoire, ne se doit pas mesler d'estre menteur.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Quoique les personnes n'aient point d'intérêt
à ce qu'elles disent, il ne faut pas conclure de là
absolument qu'ils ne mentent point ; car il y a des gens
qui mentent simplement pour mentir.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Il y a des choses que l'homme par sa nature ne peut connaître
que vaguement et les grands esprits se contentent d'en avoir des
notions vagues. Mais les esprits vulgaires ne s'en contentent
pas. Il faut pour leur repos qu'ils se forgent ou qu'on leur offre
des idées fixes et déterminées sur ces objets
même où toute précision est erreur. Ces esprits
communs n'ont point d'ailes. Ils ne peuvent se soutenir dans rien
de ce qui n'est que de l'espace. Il leur faut des points d'appui,
des fables, des idoles, des mensonges. Mentez-leur donc et ne
les trompez pas.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le mensonge. - Pourquoi la plupart du temps les hommes,
dans la vie de tous les jours, disent-ils la vérité ?
  -  Assurément ce n'est pas parce qu'un dieu a
défendu le mensonge. Mais c'est premièrement parce
que cela est plus aisé, le mensonge exigeant invention,
dissimulation et mémoire. (Voilà pourquoi Swift
dit : celui qui énonce un mensonge se rend rarement
compte du lourd fardeau qu'il s'impose ; il lui faut en effet,
pour soutenir un mensonge, en inventer vingt autres.) C'est ensuite :
parce qu'en des circonstances simples il est avantageux de parler
franc : je veux ceci, j'ai fait ceci, et ainsi de suite ;
donc parce que la voie de la contrainte et de l'autorité
est plus sûre que celle de la ruse. - Mais pour peu qu'un
enfant ait été élevé dans des circonstances
domestiques compliquées, il se sert tout aussi naturellement
du mensonge et dit involontairement toujours ce qui répond
à son intérêt : un sens de la vérité,
une répugnance au mensonge en soi, lui sont tout à
fait étrangers et inaccessibles, et il ment en toute innocence.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Dis quelquefois la vérité, afin qu'on te
croie quand tu mentiras.  
    --- Jules RENARD   
%
 Etre franc, c'est-à-dire marcher sur les pieds
des autres en le faisant exprès...A combien de calottes,
de gros mots, etc., on s'expose !  
    --- Jules RENARD   
%
 La confidence écrite ne garde qu'un moment l'éclat
du neuf. Quelques années encore et sous le vernis de l'ouvrier,
la niaiserie percera de toutes parts ainsi qu'une moisissure.
C'est par leur sincérité que se corrompent plus
vite les oeuvres et les hommes, le mensonge seul échappe
à la pourriture, se dessèche sans pourrir, prend
peu à peu le poli et la dureté de la pierre. Le
mensonge est minéral.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Mais non, cet homme-là n'est pas tellement faux
- puisque cela se voit sur son visage qu'il est faux.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 L'un des mensonges les plus fructueux, les plus intéressants
qui soient, et l'un des plus faciles en outre, est celui qui consiste
à faire croire à quelqu'un qui vous ment qu'on le
croit.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Mensonge.
 Ce qui nous force à mentir, est fréquemment le
sentiment que nous avons de l'impossibilité chez les autres
qu'ils comprennent entièrement notre action. Ils n'arriveront
jamais à en concevoir la nécessité (qui à
nous-même s'impose sans s'éclaircir).  
    --- Paul VALERY   
%
 Le mensonge sera souvent le péché du questionneur
lequel rend la vérité dangereuse.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il en est qui sont véridiques pour n'avoir point
de quoi mentir.  
    --- Paul VALERY   
%
 La possibilité du mensonge est donnée avec
la conscience elle-même, dont elle mesure ensemble la grandeur
et la bassesse. Et comme la liberté n'est libre que parce
qu'elle peut choisir ou le bien ou le mal, ainsi la dialectique
du mensonge tient tout entière dans cet abus d'un pouvoir
qui est propre aux consciences adultes.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 [...] on ne ment jamais sans le vouloir. De là
la gravité du premier mensonge chez un enfant. Le jour
de ce premier mensonge est un jour vraiment solennel où
nous découvrons chez l'innocent la profondeur inquiétante
de la conscience. C'est donc que l'innocent en savait long :
qu'il était bien dégourdi, pour un innocent... Où
a-t-il pris toute cette expérience ? et depuis quand
se permet-on d'avoir des secrets, de nous cacher quelque chose ?  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 "J'ai décidé de ne plus mentir", disait-il.
De fait, ses amis remarquaient qu'il parlait de moins en moins.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Une variante particulièrement pernicieuse du mensonge
est celle du mensonge dit "utile". Faut-il donner des témoignages
"arrangés", si c'est pour la bonne cause ? Doit-on
dramatiser, si c'est la seule façon de faire passer le
message ? Comment passionner l'opinion sur un sujet et qu'elle
apporte sa contribution financière, alors que tant de catastrophes
se bousculent sur nos écrans, famines, massacres ou tremblements
de terre ? Il faut faire du tapage disent les uns, sinon
vous n'êtes pas écouté dans le tohu-bohu médiatique.
Ce n'est pas faux. D'autres hésitent. Ils ont raison. 
 Les meilleures photos de guerre sont souvent "bidonnées",
c'est à dire reconstituées "après". En pleine
opération, il y a trop de fumée et de bruit, sans
parler du danger, pour prendre des documents de qualité
permettant la reproduction.  La photo du pilote d'un avion détourné
par des terroristes, un pistolet braqué sur la tête,
a fait le tour du monde. Elle a été "organisée"
très cher à la suite d'un marché en dollars
entre les intéressés, y compris les terroristes,
à l'initiative d'un correspondant de presse. La photo est
bonne, elle a fait parler du terrorisme et de ses dangers. Certes,
mais est-ce suffisant pour justifier la mise en scène ?
Et comment marquer la limite, à quel moment crier :
holà ? Qu'il s'agisse de "charité-business",
de couverture de l'actualité, de propagande intéressée
ou non, on est désormais à la limite du mensonge
politique, et souvent du mauvais côté.  
    --- Jean-François DENIAU   
%
 Mettons à la fin de presque tous les chapitres
de métaphysique les deux lettres des juges romains quand
ils n'entendaient pas une cause : N.L., non liquet, cela
n'est pas clair.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Mais qu'est-ce qu'une idée ? qu'est-ce qu'une
sensation, une volonté, etc. ? C'est moi apercevant,
moi sentant, moi voulant.
 On sait enfin qu'il n'y a pas plus d'être réel appelé
idée que d'être réel nommé mouvement ;
mais il y a des corps mus.
 De même il n'y a point d'être particulier nommé
mémoire, imagination, jugement ; mais nous nous souvenons,
nous imaginons, nous jugeons.
 Tout cela est d'une vérité triviale ; mais
il est nécessaire de rebattre souvent cette vérité :
car les erreurs contraires sont plus triviales encore.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Je conclurai que je dois me méfier à plus
forte raison de toutes mes idées en métaphysique ;
que je suis un animal très faible, marchant sur des sables
mouvants qui se dérobent continuellement sous moi, et qu'il
n'y a peut-être rien de si fou que de croire avoir toujours
raison.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Toutes les billevesées de la métaphysique
ne valent pas un argument ad hominem. Pour convaincre, il ne faut
quelquefois que réveiller le sentiment ou physique ou moral.
C'est avec un bâton qu'on a prouvé au pyrrhonien
qu'il avait tort de nier son existence. Cartouche, le pistolet
à la main, aurait pu faire à Hobbes une pareille
leçon : "La bourse ou la vie ; nous sommes seuls,
je suis le plus fort, et il n'est pas question entre nous d'équité."  
    --- Denis DIDEROT   
%
 Un des grands délices de l'esprit des hommes, c'est
de faire des propositions générales.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Besace des métaphysiciens. - Il ne faut pas répondre
du tout à ceux qui parlent avec tant de fanfaronnade de
ce que leur métaphysique a de scientifique ; il suffit
de farfouiller dans le baluchon qu'ils dissimulent derrière
leur dos avec tant de pudeur ; si l'on réussit à
le défaire quelque peu on amènera à la lumière,
à leur plus grande honte, les résultats de ce caractère
scientifique : un tout petit bon Dieu, une aimable immortalité,
peut-être un peu de spiritisme et certainement tout l'amas
confus des misères d'un pauvre pécheur et de l'orgueil
du pharisien.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Evidemment, si on donne sa parole d'honneur que "rien
n'est absolu", l'arithmétique, du même coup, devient
exorable et l'incertitude plane sur les axiomes les plus incontestés
de la géométrie rectiligne. Aussitôt, c'est
une question de savoir s'il est meilleur d'égorger ou de
ne pas égorger son père, de posséder vingt-cinq
centimes ou soixante-quatorze millions, de recevoir des coups
de pied dans le derrière ou de fonder une dynastie.  
    --- Léon BLOY   
%
 Métaphysicien  -  Homme qui parle trop
tôt. Attendez éternellement que vous en sachiez un
peu plus.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les 3/4 de la métaphysique constituent un simple
chapitre de l'histoire du verbe Etre.  
    --- Paul VALERY   
%
 Dieu sait quelles métaphysiques et géométries
l'invention des miroirs et des vitres a pu engendrer chez les
mouches !  
    --- Paul VALERY   
%
 Si les Allemands ont excellé en métaphysique,
c'est qu'ils sont de tous les peuples celui qui est le plus dénué
de bon sens.  
    --- Emil CIORAN   
%
 A l'éternelle triple question toujours demeurée
sans réponse : "Qui sommes-nous ? D'où
venons-nous ? Où allons-nous ?" je réponds :
"En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens
de chez moi et j'y retourne".  
    --- Pierre DAC   
%
 Qui suis-je ?
 Où vais-je ?
 Qu'est-ce qu'on mange à midi ?  
    --- José ARTUR   
%
 Pour ma part, j'ai souvent songé que, si l'on m'offrait
un métier manuel qui, au moyen de quatre ou cinq heures
d'occupation par jour, pût me suffire, je renoncerais pour
ce métier à mon titre d'agrégé de
philosophie ; car ce métier, n'occupant que mes mains,
détournerait moins ma pensée que la nécessité
de parler pendant deux heures de ce qui n'est pas l'objet actuel
de mes réflexions. Ce seraient quatre ou cinq heures de
délicieuse promenade, et j'aurais le reste du temps pour
les exercices de l'esprit qui excluent toute occupation manuelle.
J'acquerrais pendant ces heures de loisir les connaissances positives,
je ruminerais pendant les autres ce que j'aurais acquis. Il y
a certains métiers qui devraient être les métiers
réservés des philosophes, comme labourer la terre,
scier les pierres, pousser la navette du tisserand, et autres
fonctions qui ne demandent absolument que le mouvement de la main.
 [...]
 L'enseignement est maintenant le recours presque unique de ceux
qui, ayant la vocation des travaux de l'esprit, sont réduits
par des nécessités de fortune à prendre une
profession extérieure ; or l'enseignement est très
préjudiciable aux grandes qualités de l'esprit ;
l'enseignement absorbe, use, occupe infiniment plus que ne ferait
un métier manuel.  
    --- Ernest RENAN   
%
  Il n'y a pas de sot métier.
 Pardon, il y en a un. C'est d'être tailleur et de prétendre
habiller un moine. Tout le monde sait que l'habit ne fait pas
le moine et que, par conséquent, il n'est pas possible
d'imaginer quelque chose de plus sot que le métier qui
consiste à faire un habit pour un client qui a lui-même
besoin d'être fait, n'existant pas. La chose, je l'avoue,
ne paraît pas très intelligible.  
    --- Léon BLOY   
%
 Les métiers sans ennuis sont les métiers
qu'on ne fait pas.  
    --- ALAIN   
%
 Il est vray semblable que le principal credit des miracles,
des visions, des enchantemens et de tels effects extraordinaires,
vienne de la puissance de l'imagination agissant principalement
contre les ames du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi
la creance qu'ils pensent voir ce qu'ils ne voyent pas.  
    --- Michel de MONTAIGNE  
%
 Pourquoi Dieu ferait-il un miracle ? Pour venir à
bout d'un certain dessein sur quelques êtres vivants !
Il dirait donc : "Je n'ai pu parvenir par la fabrique de
l'univers, par mes décrets divins, par mes lois éternelles,
à remplir un certain dessein ; je vais changer mes
éternelles idées, mes lois immuables, pour tâcher
d'exécuter ce que je n'ai pu faire par elles." Ce serait
un aveu de sa faiblesse, et non de sa puissance. Ce serait, ce
semble, dans lui la plus inconcevable contradiction.  
    --- Impossibilité des miracles :
   
%
 Nommez-moi un peuple chez lequel il ne soit pas opéré
des prodiges incroyables, surtout dans des temps où l'on
savait à peine lire et écrire.  
    --- Impossibilité des miracles :
   
%
 Ceux qui fortifient leurs raisonnements par la science
vous diront que les Pères de l'Eglise ont avoué
souvent eux-mêmes qu'il ne se faisait plus de miracles de
leur temps. Saint Chrysostome dit expressément : "Les
dons extraordinaires de l'esprit étaient donnés
même aux indignes, parce que l'Eglise avait besoin
de miracles ; mais aujourd'hui ils ne sont pas même
donnés aux dignes, parce que l'Eglise n'en a plus
besoin." Ensuite il avoue qu'il n'y a plus personne qui ressuscite
les morts, ni même qui guérisse les malades.  
    --- Impossibilité des miracles :
   
%
 Un gouvernement théocratique ne peut être
fondé que sur des miracles ; tout doit y être
divin. Le grand souverain ne parle aux hommes que par des prodiges ;
ce sont là ses ministres et ses lettres patentes.  
    --- Impossibilité des miracles :
   
%
 Tous les peuples ont de ces faits, à qui, pour
être merveilleux il ne manque que d'être vrais ;
avec lesquels on démontre tout, mais qu'on ne prouve point ;
qu'on n'ose nier sans être impie, et qu'on ne peut croire
sans être imbécile.  
    --- Denis DIDEROT   
%
 "Ce qu'il y a de plus extraordinaire peut-être dans
le besoin de l'extraordinaire, c'est que c'est, de tous les besoins
de l'esprit, celui qu'on a le moins de peine à contenter."
(Nodier. Ossianisme.-Examen critique des Dictionnaires.)  
    --- André GIDE   
%
 La modestie n'est point, ou est confondue avec une chose
toute différente de soi, si on la prend pour un sentiment
intérieur qui avilit l'homme à ses propres yeux,
et qui est une vertu surnaturelle qu'on appelle humilité.
L'homme, de sa nature, pense hautement et superbement de lui-même,
et ne pense ainsi que de lui-même : la modestie ne
tend qu'à faire que personne n'en souffre ; elle est
une vertu du dehors, qui règle ses yeux, sa démarche,
ses paroles, son ton de voix, et qui le fait agir extérieurement
avec les autres comme s'il n'était pas vrai qu'il les compte
pour rien.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 [...] l'homme vraiment supérieur est celui qui
sait plier les autres à lui souffrir, à lui pardonner
sa supériorité : tout homme supérieur
qui révolte les autres n'est pas si supérieur que
l'on pense ; je dis : quand même on lui passe
en secret qu'il l'est ; il lui manque au moins de voir qu'il
intéresse la malice des autres à lui refuser nettement,
pour le punir, ce qu'il veut emporter à force ouverte,
et ce qu'il pourrait obtenir sans violence.  
    --- MARIVAUX   
%
 Soyez toujours modeste, jamais humble. La modestie est
la qualité d'un honnête homme. L'humilité
est la qualité d'un lâche, d'un fourbe, d'un sot,
ou la vertu d'un chrétien.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Voulez-vous être respecté ? voulez-vous
monter aux premiers emplois ? voulez-vous passer pour un
homme à talents ? Donnez-vous pour respectable, pour
digne des premiers emplois, pour un homme à talents. La
modestie soutient les grands ; mais l'effronterie les fait.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Je crois que l'humilité est la modestie de l'âme ;
car la modestie extérieure n'est que la civilité.
L'humilité ne peut pas constituer à se nier à
soi-même la supériorité qu'on peut avoir acquise
sur un autre. Un bon médecin ne peut se dissimuler qu'il
en sait davantage que son malade en délire ; celui
qui enseigne l'astronomie doit s'avouer qu'il est plus savant
que ses disciples ; il ne peut s'empêcher de le croire,
mais il ne doit pas s'en faire accroire. L'humilité n'est
pas l'abjection ; elle est le correctif de l'amour-propre,
comme la modestie est le correctif de l'orgueil.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Il y a une modestie d'un mauvais genre, fondée
sur l'ignorance, qui nuit quelquefois à certains caractères
supérieurs, qui les retient dans une sorte de médiocrité :
ce qui me rappelle le mot que disait à un déjeuner
à des gens de la cour un homme d'un mérite reconnu :
"Ah ! Messieurs, que je regrette le temps que j'ai perdu
à apprendre combien je valais mieux que vous !  
    --- CHAMFORT   
%
 M. Th... me disait un jour qu'en général,
dans la société, lorsqu'on avait fait quelque action
honnête et courageuse par un motif digne d'elle, c'est-à-dire
très noble, il fallait que celui qui avait fait cette action
lui prêtât, pour adoucir l'envie, quelque motif moins
honnête et plus vulgaire.  
    --- CHAMFORT   
%
 Conservons un peu d'ignorance, pour conserver un peu de
modestie et de déférence à autrui.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La modestie est bien une vertu inventée principalement
à l'usage des coquins, car elle exige que chacun parle
de soi comme s'il en était un : cela établit
une égalité de niveau admirable et produit la même
apparence que s'il n'y avait que des coquins.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 La modestie va bien aux grands hommes. C'est de n'être
rien et d'être quand même modeste qui est difficile.  
    --- Jules RENARD   
%
 La fausse modestie, c'est déjà très
bien.  
    --- Jules RENARD   
%
 La modestie peut être une espèce d'orgueil
qui arrive par l'escalier dérobé.  
    --- Jules RENARD   
%
 La modestie est toujours de la fausse modestie.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ma modestie est grande. Quand elle se hausse sur les pointes,
elle arrive presque au nombril de mon orgueil.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les modestes, avec leurs singeries, avec leur feinte résignation
à la médiocrité, avec leurs sourires désabusés,
font un mauvais calcul, car nous sommes toujours disposés
à ne concéder de talent à personne. Ah !
Oui, vraiment, nous ne demandons qu'à nous laisser tromper
par la modestie des autres !   
    --- Sacha GUITRY   
%
 Quelle manie, mon Dieu, de vouloir à tout prix
que les autres soient modestes ! Comme si c'était
une qualité, d'ailleurs,  -  alors que ce n'est
qu'une vertu, peut-être.
 Avez-vous jamais vu quelqu'un parvenant à la gloire, à
la fortune, au bonheur même, à force de modestie ?
 Il m'apparaît plutôt que c'est l'orgueil qui nous
y mène.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La véritable modestie consiste toujours à
ne jamais se prendre pour moins ni plus que ce qu'on estime qu'on
croit qu'on vaut ni pour plus ni moins que ce qu'on évalue
qu'on vaut qu'on croit.  
    --- Pierre DAC   
%
 Dites franchement tout le bien que vous pensez de vous :
la fausse modestie est un abus de confiance.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 La modestie est, par définition, le seul sentiment
qui cesse d'exister à l'instant où on commence à
l'évoquer.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 La modestie est l'art de faire dire par d'autres tout
le bien que l'on pense de soi-même.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 La modestie cache souvent une médiocrité
lucide.  
    --- José ARTUR   
%
 La modestie est un abus de confiance si elle dissimule
un vrai talent ou une erreur stratégique si elle avoue
de réelles faiblesses.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Rien de tel que les faiblesses des grands hommes pour
rassurer les petits.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Il faudrait [...] pour le bonheur des hommes, qu'ils ne
fussent ni trop ignorants ni trop avancés.
 Trop d'ignorance leur donne des moeurs barbares ; le trop
d'expérience leur en donne d'habilement scélérates.
 La médiocrité de connaissance leur en donnerait
de plus douces.  
    --- MARIVAUX   
%
 Les moeurs et leurs victimes. - L'origine des moeurs doit
être ramenée à deux idées : "la
communauté a plus de valeur que l'individu", et "il faut
préférer l'avantage durable à l'avantage
passager" ; d'où il faut conclure que l'on doit placer,
d'une façon absolue, l'avantage durable de la communauté
avant l'avantage de l'individu, surtout avant son bien-être
momentané, mais aussi avant son avantage durable et même
avant sa survie. Que l'individu souffre d'une institution qui
profite à l'ensemble de la communauté, soit que
cette institution le force à s'étioler ou même
qu'il en meure, peu importe, - les moeurs doivent être préservées,
il faut faire le sacrifice. Mais un pareil sentiment ne prend
naissance que chez ceux qui ne sont pas victimes, - car la victime
fait valoir, dans son propre cas, que l'individu peut être
d'une valeur supérieure au nombre, et, de même, que
la jouissance du présent, du moment paradisiaque pourrait
être estimée supérieure à la médiocre
perpétuation d'états sans douleur et de conditions
de bien-être. La philosophie de la victime se fait cependant
toujours entendre trop tard, on s'en tient donc aux moeurs et
à la moralité : la moralité n'étant
que le sentiment que l'on a de l'ensemble des moeurs, sous l'égide
desquelles on vit et l'on a été élevé
- élevé, non en tant qu'individu, mais comme membre
d'un tout, comme chiffre d'une majorité. - C'est ainsi
qu'il arrive sans cesse que l'individu se majore lui-même
au moyen de sa moralité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ce que Montaigne a de bon ne peut être acquis que
difficilement. Ce qu'il a de mauvais, j'entends hors les moeurs,
pût être corrigé en un moment, si on l'eût
averti qu'il faisait trop d'histoires, et qu'il parlait trop de
soi.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve
tout ce que j'y vois.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre naïvement
comme il a fait ! Car il peint la nature humaine ; et
le pauvre projet de Nicole, de Malebranche, de Pascal, de décrier
Montaigne !  
    --- VOLTAIRE   
%
 L'ignorance et l'incuriosité sont deux oreillers
fort doux ; mais pour les trouver tels, il faut avoir la
tête aussi bien faite que Montaigne.  
    --- Denis DIDEROT   
%
 Dans la plupart des auteurs, je vois l'homme qui écrit ;
dans Montaigne, l'homme qui pense.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Montaigne doutant des dogmes de la sottise ancienne, voilà
un grand mérite ; il a entrevu quelques petites choses ;
enfin, son charmant style sans lequel personne ne parlerait de
lui.  
    --- STENDHAL   
%
 Montaigne, c'est tout de même un peu traînard.  
    --- Jules RENARD   
%
  -  Aveu. C'est l'an dernier, au lit, à
Montrozier que j'ai ouvert un Montaigne. En peu de minutes, je
l'ai renvoyé. Il m'assommait. Tout le monde peut écrire
de ces choses.  
    --- Paul VALERY   
%
 On a surfait même Montaigne ; il n'est pas
toujours savoureux. Je remarque qu'il ne l'est jamais plus que
lorsqu'il se lâche la bride, jamais moins que lorsqu'il
se concerte et conduit.  
    --- André GIDE   
%
 Ne fais rien dans ta vie, qui te fasse redouter que ton
voisin en prenne connaissance.  
    --- EPICURE   
%
 En général, tout savoir acquis par des gens
moralement frustes et faibles offre le danger de les gonfler d'orgueil.  
    --- EPICTETE   
%
 Voici la morale parfaite : vivre chaque jour comme
si c'était le dernier ; ne pas s'agiter, ne pas sommeiller,
ne pas faire semblant.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Nos jugemens sont encores malades, et suyvent la depravation
de nos meurs. Je voy la pluspart des esprits de mon temps faire
les ingenieux a obscurcir 1a gloire des belles et genereuses actions
anciennes, leur donnant quelque interpretation vile et leur controuvant
des occasions et des causes vaines.
 Grande subtilité ! Qu'on me donne l'action la plus
excellente et pure, je m'en vois y fournir vraysemblablement cinquante
vitieuses intentions.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Un homme qui vient d'être placé ne se sert
plus de sa raison et de son esprit pour régler sa conduite
et ses dehors à l'égard des autres ; il emprunte
sa règle de son poste et de son état : de là
l'oubli, la fierté, l'arrogance, la dureté, l'ingratitude.  
    --- Jean de LA BRUYERE  
%
 Qui nous a donné le sentiment du juste et de l'injuste ?
Dieu, qui nous a donné un cerveau et un coeur. Mais quand
votre raison vous apprend-elle qu'il y a vice et vertu ?
Quand elle nous apprend que deux et deux font quatre.  
    --- La morale et la   
%
 Redisons tous les jours à tous les hommes :
"La morale est une, elle vient de Dieu ; les dogmes sont
différents, ils viennent de nous".  
    --- La morale et la  
%
 On dit à un soldat pour l'encourager : "Songe
que tu es du régiment de Champagne." On devrait dire à
chaque individu : "Souviens-toi de ta dignité d'homme."
 Et en effet, malgré qu'on en ait, on en revient toujours
là ; car que veut dire ce mot si fréquemment
employé chez toutes les nations, rentrez en vous-même ?
Si vous étiez né enfant du diable, si votre origine
était criminelle, si votre sang était formé
d'une liqueur infernale, ce mot rentrez en vous-même signifierait :
consultez, suivez votre nature diabolique, soyez imposteur, voleur,
assassin, c'est la loi de votre père.
 L'homme n'est point né méchant ; il le devient,
comme il devient malade. Des médecins se présentent
et lui disent : "vous êtes né malade." Il est
bien sûr que ces médecins, quelque chose qu'ils disent
et qu'ils fassent, ne  le guériront pas si sa maladie est
inhérente à sa nature ; et ces raisonneurs
sont très malades eux-mêmes.  
    --- Origine du mal.
    
%
 Il y a des gens qui n'ont de la morale qu'en pièce.
C'est une étoffe dont ils ne se font jamais d'habits.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Otez le beau, vous ôtez la moitié de
la morale ; la moitié de ses règles. On n'a
plus qu'un critérium ; avec le beau, on en a deux :
le bien et lui.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi
ni à personne, voilà, je crois, toute la morale.  
    --- CHAMFORT   
%
 L'indécision, l'anxiété sont à
l'esprit et à l'âme ce que la question est au corps.  
    --- CHAMFORT   
%
 L'homme qui cherche habituellement des vérités
morales et qui est sans cesse occupé à faire des
raisonnements sur cet objet, prend l'habitude d'un style vrai
et naturel qui, porté dans la société, y
produit beaucoup de désordres. Il blesse les vanités,
les convenances, etc. Une plaisanterie amusante a plus de prix
si l'on voit qu'elle est dite dans l'intention de vous plaire
que si elle est faite naturellement.  
    --- STENDHAL   
%
 N'applaudissez pas sur la joue de votre voisin.  
    --- Victor HUGO   
%
 Il y a dans l'humanité une faculté ou un
besoin, une capacité en un mot qui est comblée de
nos jours par la morale, et qui l'a toujours été
et le sera toujours par quelque chose d'analogue. Je conçois
de même pour l'avenir que le mot morale devienne impropre
et soit remplacé par un autre. Pour mon usage particulier,
j'y substitue de préférence le nom d'esthétique.
En face d'une action, je me demande plutôt si elle est belle
ou laide, que bonne ou mauvaise, et je crois avoir là un
bon critérium ; car avec la simple morale qui fait
l'honnête homme, on peut encore mener une assez mesquine
vie.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Je vis un jour dans un bois un essaim de vilains petits
insectes, qui avaient entouré de leurs filets une jeune
plante et suçaient ses pousses vertes avec un si laid caractère
de parasitisme que cela faisait répugnance. J'eus un instant
l'idée de les détruire. Puis je me dis : "Ce
n'est pas leur faute s'ils sont laids ; c'est une façon
de vivre". Il est d'un petit esprit, me disais-je de moraliser
la nature et de lui imposer nos jugements. Mais maintenant je
vois que j'eus tort ; j'aurais dû les tuer ; car
la mission de l'homme dans la nature, c'est de réformer
le laid et l'immoral.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent
sans cesse les mots : "immoral, immoralité, moralité
dans l'art" et autres bêtises, me font penser à Louise
Villedieu, putain à cinq francs, qui m'accompagnant une
fois au Louvre, où elle n'était jamais allée,
se mit à rougir, à se couvrir le visage, et me tirant
à chaque instant par la manche, me demandait, devant les
statues et les tableaux immortels, comment on pouvait étaler
publiquement de pareilles indécences.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 On n'est jamais excusable d'être méchant,
mais il y a quelque mérite à savoir qu'on l'est ;
et le plus irréparable des vices est de faire le mal par
bêtise.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 L'immoralité est un mythe inventé par les
honnêtes gens pour expliquer la curieuse attirance qu'exercent
les autres.  
    --- Oscar WILDE   
%
 MATINAL. - L'être, preuve de moralité. Si
l'on se couche à 4 heures du matin et qu'on se lève
à 8, on est paresseux, mais si l'on se met au lit à
9 heures du soir pour en sortir le lendemain à 5, on est
actif.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 La bête en nous veut être trompée ;
la morale est un mensonge nécessaire, pour que nous n'en
soyons pas déchirés. Sans les erreurs qui résident
dans les postulats de la morale, l'homme serait resté animal.
Mais de cette façon il s'est pris pour quelque chose de
supérieur et s'est imposé des lois plus sévères.
Il a par là de la haine pour les degrés restés
plus voisins de l'animalité ; c'est par cette raison
qu'il faut expliquer l'antique mépris de l'esclave, considéré
comme l'être qui n'est pas un homme, comme une chose.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Il y a un acharnement envers soi-même, aux manifestations
les plus sublimes duquel appartiennent nombre de formes de l'ascétisme.
 [...]
 Ainsi l'homme s'élève par des chemins dangereux
aux plus hautes cimes, pour se rire de son angoisse et de ses
genoux vacillants ; ainsi le philosophe professe des opinions
d'ascétisme, d'humilité, de sainteté, dans
l'éclat desquelles sa propre figure est enlaidie de la
façon la plus odieuse. Cette torture de soi-même,
cette raillerie de sa propre nature, ce spernere se sperni, à
quoi les religions ont donné tant d'importance, est proprement
un très haut degré de vanité. Toute la morale
du Sermon sur la Montagne en relève : l'homme éprouve
une véritable volupté à se faire violence
par des exigences excessives et à déifier ensuite
ce quelque chose qui commande tyranniquement dans son âme.
Dans toute morale ascétique, l'homme adore une partie de
soi comme une divinité et doit pour cela nécessairement
rendre les autres parties diaboliques.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Offenser et être offensé. - Il est plus agréable
d'offenser et de demander pardon ensuite que d'être offensé
et d'accorder le pardon. Celui qui fait le premier donne une marque
de puissance, et après, de bonté de caractère.
L'autre, s'il ne veut pas passer pour inhumain est obligé
déjà de pardonner ; la jouissance que procure
l'humiliation d'autrui est très réduite par cette
obligation.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Sort de la moralité. - La servitude des esprits
étant en train de diminuer, il est certain que la moralité
(c'est-à-dire la façon d'agir héréditaire,
traditionnelle et instinctive, conformément à des
sentiments moraux) diminue également ; mais non point
les vertus particulières, la modération, la justice,
la tranquillité d'âme, - car la plus grande liberté
pousse involontairement l'esprit conscient à ces vertus
et les recommande aussi à cause de leur utilité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Qu'on me pardonne d'avoir découvert que toutes
les philosophies morales ont été jusqu'à
ce jour ennuyeuses et de vrais soporifiques ; que rien n'a
fait à mes yeux plus de tort à la "vertu" que l'ennui
répandu par ses avocats,  -  dont je ne méconnais
pourtant pas l'utilité générale. Il est très
important qu'aussi peu de gens que possibles réfléchissent
à la morale, il est donc très important que la morale
n'aille pas devenir un jour intéressante ! Mais on
peut dormir tranquille : il en est aujourd'hui comme il en
a toujours été : je ne vois personne en Europe
qui soupçonne ou laisse soupçonner que réfléchir
sur la morale puisse être quelque chose de dangereux, de
captieux, d'insidieusement séduisant, et qu'il puisse s'y
cacher quelque fatalité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Du talent, tu en as assez. Maintenant, perfectionne un
peu ta morale.  
    --- Jules RENARD   
%
 Tu as jeté les pierres de ton jardin dans le jardin
des autres,et, pour y ajouter, tu as démoli un peu de ton
mur.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ne me demandez pas d'être bon : ne me demandez
que d'agir comme si je l'étais.  
    --- Jules RENARD   
%
 La morale est dans les faits, pas dans les sentiments.
Si je soigne mon père, je peux m'amuser à désirer
sa mort.  
    --- Jules RENARD   
%
 Les jeunes filles n'ont pas le droit de tout lire, mais
elles peuvent passer leur après-midi, au Jardin d'acclimatation,
à regarder les singes.  
    --- Jules RENARD   
%
 Les moralistes qui vantent le travail me font penser à
ces badauds qui ont été attrapés dans une
baraque de foire et qui tâchent tout de même d'y faire
entrer les autres.  
    --- Jules RENARD   
%
 La bonté n'est pas naturelle : c'est le fruit
pierreux de la raison. Il faut se prendre par la peau des fesses
pour se mener de force à la moindre bonne action.  
    --- Jules RENARD   
%
 Prenez à toutes les morales ce qui en fait la valeur,
à la morale chrétienne ce qu'elle a de bon. Jésus-Christ
était un homme supérieur et modeste : il ne
criera pas au voleur.  
    --- Jules RENARD  
%
 L'ensemble des règles morales forme vraiment autour
de chaque homme une sorte de barrière idéale, au
pied de laquelle le flot des passions humaines vient mourir, sans
pouvoir aller plus loin. Et, par cela même qu'elles sont
contenues, il devient possible de les satisfaire. Aussi, que,
sur un point quelconque, cette barrière vienne à
faiblir, et aussitôt, par la brèche ouverte, les
forces humaines jusque-là contenues se précipitent
tumultueusement ; mais, une fois lâchées, elles
ne peuvent plus trouver de terme où elles s'arrêtent ;
elles ne peuvent que se tendre douloureusement dans la poursuite
d'un but qui leur échappe toujours. Que, par exemple, les
règles de la morale conjugale perdent de leur autorité,
que les devoirs auxquels les époux sont tenus l'un envers
l'autre soient moins respectés, et les passions, les appétits
que cette partie de la morale contient et réglemente se
déchaîneront, se dérégleront, s'exaspéreront
par ce dérèglement même ; et, impuissantes
à s'apaiser parce qu'elles se seront affranchies de toutes
limites, elles détermineront un désenchantement,
qui se traduira d'une manière visible dans la statistique
des suicides.  
    --- Nécessité de la morale   
%
 Les moralistes sont toujours bouffons, et souvent comiques
quand on regarde ce qu'ils sont eux-mêmes.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 On a inventé les chemins de fer. On a trouvé
l'électricité, la télégraphie sans
fil, la circulation aérienne et sous-marine, les canons
à grande portée et la poudre sans fumée.
On voyage plus vite. On a mis de l'air dans les rues et dans les
maisons. On se nourrit mieux. Il y a plus de gens qui lisent comme
plus de gens qui écrivent (la qualité valait mieux
que la quantité). Les malades sont mieux soignés.
On ne brûle plus les impies ni les libertins (encore qu'il
y ait l'antisémitisme et le lynchage des nègres).
Le progrès s'arrête là. Purement matériel.
Rien de moral. On n'a pas amélioré les hommes, qui
sont ce qu'ils ont toujours été et seront toujours.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je n'ai jamais été capable des grands sentiments :
ils me font rire.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 En cherchant bien, l'on trouverait à la plupart
des bonnes actions des circonstances atténuantes.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Les honnêtes femmes sont inconsolables des fautes
qu'elles n'ont pas commises.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Les lois et les morales sont essentiellement éducatrices,
et par cela même provisoire. Toute éducation bien
entendue tend à pouvoir se passer d'elles. Toute éducation
tend à ce nier d'elle-même. Les lois et les morales
sont pour l'état d'enfance : l'éducation est
une émancipation. Une cité, un Etat parfaitement
sage vivrait, jugerait sans lois, les normes étant dans
l'esprit de son aréopage. L'homme sage vit sans morale,
selon sa sagesse. Nous devons essayer d'arriver à l'immoralité
supérieure.  
    --- André GIDE   
%
 C'est toujours la même histoire dans la vie :
il y a des gens sur qui l'on compte, et dont on a besoin, qui
ne font pas leur devoir ; de sorte que ceux qui continuent
de faire le leur font figure de poires et paraissent être
joués.
 Il faut placer son enjeu plus haut.  
    --- André GIDE   
%
 On le sait, ou on le soupçonne : quand la
pensée manque de pureté et de vigilance, et que
le respect de l'esprit n'a plus cours, les navires et les automobiles
ne tardent pas non plus à mal marcher, la règle
à calcul de l'ingénieur comme la mathématique
des banques et des bourses voient leur valeur et leur autorité
chanceler, et c'est alors le chaos. Il fallut pourtant longtemps
pour qu'on admît que les formes extérieures de la
civilisation, la technique, l'industrie, le commerce, etc., avaient
besoin, elles aussi, de cette base commune de morale et de probité
intellectuelles.  
    --- Hermann HESSE   
%
 Morale.
 Si les principes d'une morale étaient si bien inculqués
que ses exigences les plus héroïques soient obéies
par automatisme ; que l'homme ne puisse voir un pauvre sans
se dénuder et le vêtir, presque inconsciemment ;
une belle personne, sans dégoûts ; un lépreux,
sans appétit de ses croûtes... je doute que le moraliste
soit content.
 Le moraliste est un amateur difficile. Il lui faut des combats
et même des chutes. Une morale sans déchirements,
sans périls, sans troubles, sans remords, sans nausées,
cela n'a pas de saveur. Le désagréable, le tourment,
le labeur, le vent contraire, sont essentiels à 1a perfection
de cet art. Le mérite importe, et non la conformité
seule. C'est l'énergie dépensée à
contre-pente qui compte.
 Sa morale se réduit donc à l'orgueil de contrarier.
Il en résulterait aisément qu'un être naturellement
moral se forçant à l'immoralité vaut un être
immoral qui se force à la moralité.  
    --- Paul VALERY   
%
  "Je suis un honnête homme, dit-il,  -  je
veux dire que j'approuve la plupart de mes actions."   
    --- Paul VALERY   
%
 Véritablement bon est l'homme rare qui jamais ne
blâme les gens des maux qui leur arrivent.  
    --- Paul VALERY   
%
 Descartes, moraliste trop peu lu, disait que l'irrésolution
est le plus grand des maux humains. Toutes souffrances des passions,
d'apparence impalpable, viennent sans doute de là ;
mais on n'y fait point attention. L'homme d'esprit est continuellement
occupé à justifier ses propres actes selon les raisonnements
des sots. Quand l'idée vient à l'esprit d'une décision
à prendre, redoutable et redoutée, les raisons aussitôt
répondent aux raisons, et l'imagination travaille dans
le corps, en mouvements contrariés qui font un beau tumulte ;
cet état d'effervescence enchaînée est proprement
la souffrance morale. Un mal bien certain nous délivre
aussitôt, en proposant des actions réelles ;
ou, pour dire autrement, le fait accompli a cela de bon qu'il
est un appui solide ; on en peut partir ; au lieu que
les décisions intérieures ont cela de remarquables
qu'elles échappent, dès que l'on compte sur elles.
De là un besoin de s'engager irrévocablement.  
    --- ALAIN   
%
 Quand nous disons quelque vérité désagréable,
avec une voix aigre et le sang au visage, ce n'est qu'un mouvement
d'humeur, ce n'est qu'une courte maladie que nous ne savons pas
soigner ; en vain nous voulons ensuite y avoir mis du courage ;
cela est douteux, si nous n'avons pas risqué beaucoup,
et, d'abord, si nous n'avons pas délibéré.
D'où je tirerais ce principe de morale : "Ne sois
jamais insolent que par volonté délibérée,
et seulement à l'égard d'un homme plus puissant
que toi." Mais sans doute vaut-il mieux dire le vrai sans forcer
le ton, et même, dans le vrai, choisir ce qui est louable.  
    --- ALAIN   
%
 Si les gens sont si méchants, c'est peut-être
seulement parce qu'ils souffrent, mais le temps est long qui sépare
le moment où ils ont cessé de souffrir de celui
où ils deviennent un peu meilleurs.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 Agis de telle sorte que tes arrangements puissent être
pensés publics sans scandale, c'est-à-dire de façon
à pouvoir les professer sans en rougir : telle est
la maxime cardinale de la franchise. Peux-tu vouloir que le pacte
honteux supporte l'épreuve du grand jour ? S'il devient
indéfendable aussitôt qu'on l'énonce à
haute voix, c'est qu'il ne mérite pas d'exister, c'est
qu'il est un expédient immoral et malhonnête ;
il dénonce, publié en majuscules, sa propre pauvreté
et risibilité.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Pourquoi parle-t-on aujourd'hui si souvent d'"éthique"
et si peu de "morale" ? C'est que la morale est une éthique
que l'on ne compose pas soi-même et que l'on ne peut pas
changer tous les jours, alors que l'éthique est une morale
que l'on met en discussion.  
    --- André FROSSARD   
%
 C'est un des principaux arts humains que d'inventer des
mobiles moraux à des actes malhonnêtes.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 La malhonnêteté a davantage de classe quand
elle sert à acheter des signes de respectabilité.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 La mort n'a aucun rapport avec nous ; car ce qui
est dissous est insensible, et ce qui est insensible n'a aucun
rapport avec nous.  
    --- EPICURE   
%
 Tseu-Kong, fatigué de l'étude, dit à
Tchong-ni : "Je désire trouver le repos." Tchong-ni
dit : "La vie ne connaît pas de repos." L'autre reprit :
"Alors, il n'y a pas de repos pour moi ? - Certes oui, dit
Tchong-ni, regardes là dans ce champ ces tombeaux, et reconnais
où se trouve le repos."
 Tseu-kong dit : "Grande est la mort, repos de l'homme supérieur,
soumission des médiocres !" Tchong-ni ajouta :
"Sseu, tu parles bien. Les hommes, en général, n'aiment
parler de la vie qu'en termes de plaisir et ils oublient son amertume.
Ils savent que la vieillesse est décrépitude, et
ils oublient qu'elle apporte aussi la paix. Ils reconnaissent
la tristesse de la mort et ils oublient qu'elle donne la paix."  
    --- LIE-TSEU   
%
 Il est incertain où la mort nous attende, attendons
la partout. La premeditation de la mort est premeditation de la
liberté. Qui a apris à mourir, il a desapris à
servir. Le sçavoir mourir nous afranchit de toute subjection
et contrainte. Il n'y a rien de mal en la vie pour celuy qui a
bien comprins que la privation de la vie n'est pas mal.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Quelle resverie est-ce de s'attendre de mourir d'une defaillance
de forces que l'extreme vieillesse apporte, et de se proposer
ce but à nostre durée, veu que c'est l'espece de
mort la plus rare de toutes et la moins en usage ? Nous l'appellons
seule naturelle, comme si c'estoit contre nature de voir un homme
se rompre le col d'une cheute, s'estoufer d'un naufrage, se laisser
surprendre à la peste ou à une pleuresie, et comme
si nostre condition ordinaire ne nous presentoit à tous
ces inconvenients. Ne nous flatons pas de ces beaux mots :
on doit, à l'aventure, appeller plustost naturel ce qui
est general, commun et universel. Mourir de vieillesse, c'est
une mort rare, singuliere et extraordinaire, et d'autant moins
naturelle que les autres ; c'est la derniere et extreme sorte
de mourir ; plus elle est esloignée de nous, d'autant
est elle moins esperable ; c'est bien la borne au delà
de laquelle nous n'irons pas, et que la loy de nature a prescript
pour n'estre poinct outrepassée ; mais c'est un sien
rare privilege de nous faire durer jusques là.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Après avoir parlé de la fausseté
de tant de vertus apparentes, il est raisonnable de dire quelque
chose de la fausseté du mépris de la mort. J'entends
parler de ce mépris de la mort que les païens se vantent
de tirer de leurs propres forces, sans l'espérance d'une
meilleure vie. Il y a différence entre souffrir la mort
constamment, et la mépriser. Le premier est assez ordinaire ;
mais je crois que l'autre n'est jamais sincère. On a écrit
néanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort
n'est point un mal ; et les hommes les plus faibles aussi
bien que les héros ont donné mille exemples célèbres
pour établir cette opinion. Cependant je doute que personne
de bon sens l'ait jamais cru ; et la peine que l'on prend
pour le persuader aux autres et à soi-même fait assez
voir que cette entreprise n'est pas aisée. On peut avoir
divers sujets de dégoût dans la vie, mais on n'a
jamais raison de mépriser la mort ; ceux mêmes
qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu
de chose, et ils s'en étonnent et la rejettent comme les
autres, lorsqu'elle vient à eux par une autre voie que
celle qu'ils ont choisie. L'inégalité que l'on remarque
dans le courage d'un nombre infini de vaillants hommes vient de
ce que la mort se découvre différemment à
leur imagination, et y paraît plus présente en un
temps qu'en un autre. Ainsi il arrive qu'après avoir méprisé
ce qu'ils ne connaissent pas, ils craignent enfin ce qu'ils connaissent.
Il faut éviter de l'envisager avec toutes ses circonstances,
si on ne veut pas croire qu'elle soit le plus grand de tous les
maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent
de plus honnêtes prétextes pour empêcher de
la considérer. Mais tout homme qui la sait voir telle qu'elle
est, trouve que c'est une chose épouvantable. La nécessité
de mourir faisait toute la constance des philosophes. Ils croyaient
qu'il fallait aller de bonne grâce où l'on ne saurait
s'empêcher d'aller ; et, ne pouvant éterniser
leur vie, il n'y avait rien qu'ils ne fissent pour éterniser
leur réputation, et sauver du naufrage ce qui n'en peut
être garanti. Contentons-nous pour faire bonne mine de ne
nous pas dire à nous-même tout ce que nous en pensons,
et espérons plus de notre tempérament que de ces
faibles raisonnements qui nous font croire que nous pouvons approcher
de la mort avec indifférence. La gloire de mourir avec
fermeté, l'espérance d'être regretté,
le désir de laisser une belle réputation, l'assurance
d'être affranchi des misères de la vie, et de ne
dépendre plus des caprices de la fortune, sont des remèdes
qu'on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu'ils
soient infaillibles.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la
comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre
sur la tête, et en voila pour jamais.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Toute plaisanterie dans un homme mourant est hors de sa
place ; si elle roule sur de certains chapitres, elle est
funeste. C'est une extrême misère que de donner à
ses dépens à ceux que l'on laisse le plaisir d'un
bon mot.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Il faut bien prendre garde d'inspirer aux hommes trop
de mépris de la mort : par là, ils échapperoient
au Législateur.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Quelle idée pour un prince mourant de penser que
son malheur va faire la félicité publique !
 Cette idée fait si bien le désespoir des tyrans
que plusieurs, pour empêcher que le jour de leur mort ne
fût un jour de joie, ont ordonné que l'on exterminât,
ce jour-là, une partie de leur peuple, afin d'empêcher
que l'autre ne pût se réjouir.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Pourquoi les hommes sont-ils si sots, si subjugués
par la coutume ou par la crainte de faire un testament, en un
mot, si imbéciles, qu'après eux ils laissent aller
leurs biens à ceux qui rient de leur mort plutôt
qu'à ceux qui la pleurent ?  
    --- CHAMFORT   
%
 Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes
les 16 heures. C'est un palliatif. La mort est le remède.  
    --- CHAMFORT   
%
 Une femme âgée de 90 ans disait à
M. de Fontenelle, âgé de 95 : "La mort nous
a oubliés. - Chut !" lui répondit M. de Fontenelle,
en mettant le doigt sur sa bouche.  
    --- CHAMFORT   
%
 On demandait à M. de Fontenelle mourant :
"Comment cela va-t-il ? - Cela ne va pas, dit-il ; cela
s'en va.  
    --- CHAMFORT   
%
 [...] il y a toujours dans le deuil du pauvre quelque
chose qui manque, une absence d'harmonie qui le rend plus navrant.
Il est contraint de lésiner sur sa douleur. Le riche porte
la sienne au grand complet.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Le charme de la mort n'existe que pour les courageux.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Il est indifférent comment on meurt. - La manière
dont un homme pense à la mort, à l'apogée
de sa vie et pendant qu'il possède la plénitude
de sa force, est très parlante et significative pour ce
que l'on appelle son caractère ; mais l'heure de sa
mort par elle-même, son attitude sur le lit d'agonie, n'entrent
presque pas en ligne de compte. L'épuisement de la vie
qui décline, surtout quand ce sont des vieilles gens qui
meurent, l'alimentation irrégulière et insuffisante
du cerveau pendant cette dernière époque, ce qu'il
y a parfois de très violent dans les douleurs, la nouveauté
de cet état maladif dont on n'a pas encore l'expérience,
et trop fréquemment un accès de crainte, un retour
à des impulsions superstitieuses, comme si la mort avait
une grande importance et s'il fallait franchir des ponts d'espèce
très épouvantable, - tout cela ne permet pas d'utiliser
la mort comme un témoignage sur le vivant. Aussi n'est-il
point vrai que, d'une façon générale, le
mourant soit plus sincère que le vivant : au contraire,
presque chacun est poussé par l'attitude solennelle de
son entourage, les effusions sentimentales, les larmes contenues
ou répandues, à une comédie de vanité,
tantôt consciente, tantôt inconsciente.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Il est aussi utile à un peuple de craindre la guerre
qu'à un individu, la mort.  
    --- Jules RENARD   
%
 La mort des autres nous aide à vivre.  
    --- Jules RENARD   
%
 Soyez tranquille ! Nous qui avons peur de la mort,
nous mettons toute notre coquetterie à bien mourir.  
    --- Jules RENARD   
%
 Et puis, il y a la mort. Vous ne songez donc jamais à
la mort, et que nous allons tous pourrir ?  
    --- Jules RENARD   
%
 Il ne faut pas sournoisement respecter les morts. Il faut
traiter leurs images en amies et aimer tous les souvenirs qui
nous viennent d'eux. Il faut les aimer pour eux-mêmes et
pour nous, dût-on déplaire aux autres.  
    --- Jules RENARD   
%
 Quand on croit qu'il y aura beaucoup de monde à
un enterrement, on y va, et ça finit par faire beaucoup
de monde.  
    --- Jules RENARD   
%
 Comme le souvenir que laisse un mort est supérieur
à sa vie ! Il n'y a pas de déchets.  
    --- Jules RENARD   
%
 C'est commode un enterrement. On peut avoir l'air maussade
avec les gens : ils prennent cela pour de la tristesse.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ceux qui ont le mieux parlé de la mort sont morts.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il y a des enterrements de première classe comme
si on allait au Paradis par le chemin de fer.  
    --- Jules RENARD   
%
 La mort est mal faite. Il faudrait que nos morts, à
notre appel, reviennent, de temps en temps, causer un quart d'heure
avec nous. Il y a tant de chose que nous ne leur avons pas dites
quand ils étaient là !  
    --- Jules RENARD   
%
 Tous les matins, en se levant, on devrait dire :
"Chic ! je ne suis pas encore mort !"  
    --- Jules RENARD   
%
 Héritage. La mort nous prend un parent, mais elle
le paie, et il ne nous faut pas beaucoup d'argent pour qu'elle
se fasse pardonner.  
    --- Jules RENARD   
%
 Mourir, c'est éteindre le monde.  
    --- Jules RENARD  
%
 Il est inutile de respecter les vivants, à moins
qu'ils ne soient les plus forts. Dans ce cas, l'expérience
conseille plutôt de lécher leurs bottes, fussent-elles
merdeuses. Mais les morts doivent être respectés.  
    --- On doit le respect  
%
 Quelle bêtise ou quelle hypocrisie ! Comment
donc ! mais ils se défendent précisément
par le respect qui leur est dû et qui ne permet pas qu'on
les touche. Imagine-t-on une meilleure défense ? Elle
est d'autant plus sûre qu'une incertitude continuelle plane
sur eux. Ils ont si souvent, je ne me lasse pas de le répéter,
l'air de vivre, et on les enterre d'une si drôle de façon !...
Essayez, par exemple, de pisser contre la statue de Gambetta et
vous verrez sur-le-champ s'épaissir, se coaguler, se condenser
et finalement apparaître, sous la forme de la répression
la plus exaltée, toutes les sales ombres intéressées
au prestige de cette abominable charogne. J'appelle ça
se défendre.  
    --- Les morts ne peuvent  
%
 Voilà qui est clair et il faut renoncer à
l'exercice de la raison ou conclure de bonne foi que tout va bien
du côté des morts, puisqu'ils ne donnent jamais de
leurs nouvelles.  
    --- Pas de nouvelles, bonnes  
%
 Le plus savant des dictionnaires nous affirme que cela
signifie mourir de mort naturelle. Nous voilà bien avancés !
Cela implique simplement qu'il peut y avoir des cas de mort surnaturelle,
mais il paraît difficile de les préciser, surtout
dans la société bourgeoise où je n'ai jamais
eu l'occasion d'en observer.
 On y meurt ordinairement de maladie et jusqu'à l'abolition
du sens des mots, je croirai que toute maladie physique est naturelle.
Le choléra, la fièvre jaune, l'apoplexie, la rage,
et, sans exception, toutes les maladies pouvant provoquer la mort
sont parfaitement naturelles. De même, si vous êtes
écrasé par un autobus ou qu'une cheminée
vous tombe sur la tête, il est naturel que la mort s'ensuive.
De même encore si vous êtes empoisonné, revolvérisé,
poignardé, noyé ou guillotiné. Impossible
de s'exprimer autrement.  
    --- Mourir de sa belle  
%
 Tous les héros de roman-feuilleton sont habitués
à voir la mort en face. Faut-il croire qu'aucun d'eux ne
l'a jamais vue de profil ? C'est peut-être plus effrayant.  
    --- Voir la mort en   
%
 Le cimetière est un jardin où l'on vient
apporter des fleurs une fois par an.  
    --- Voir la mort en   
%
 Si tu as peur de la mort, n'écoute pas ton coeur
battre la nuit.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Les méditations sur la mort (genre Pascal) sont
le fait d'hommes qui n'ont pas à lutter pour leur vie,
à gagner leur pain, à soutenir des enfants.
 L'éternité occupe ceux qui ont du temps à
perdre. Elle est une forme du loisir.  
    --- Paul VALERY   
%
 Perdre la vie  -  c'est-à-dire perdre l'avenir.
  -  N'es-tu pas l'avenir de tous les souvenirs qui sont
en toi ? l'avenir d'un passé ?  
    --- Paul VALERY   
%
 Peut-on se plaire aux idées dont Barrès
s'est fait le champion, dont il s'est fait, pour parler plus justement,
un tremplin, ces dernières années ? La leçon
des morts, l'enseignement des morts, l'obéissance aux morts,
la terre et les morts, la petite patrie, etc. Idées inintelligentes,
philosophie d'esclave. L'enseignement des morts ! N'est-ce
pas assez de les subir en soi forcément, sans encore se
plier volontairement à eux ? Je pense au mot de Goethe :
"En avant, par-delà les tombeaux." Véritable cri
d'un homme qui voulait être et savait être un homme.
Mes morts à moi-même ne m'intéressent déjà
pas. Je veux dire celui que j'étais hier, que j'ai été
auparavant. Ce n'est pas pour me soumettre aux morts réels.
Je doute de l'intelligence d'un homme, d'inventer des niaiseries
pareilles.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Valéry m'a raconté un bien beau mot, un
mot vraiment admirable du père de M. Edouard Lebey,
le premier Lebey, le fondateur de la fortune. Mot d'un homme habitué
à pouvoir tout payer, tout acheter. Malade, et sentant
que la fin arrivait, il se mit à dire : "Quel dommage
qu'il faille mourir soi-même !" Il aurait voulu que
là aussi on pût payer quelqu'un pour se faire remplacer.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Nous parlions ce soir, Valette et moi, de ce mouvement
de gratter leur drap avec les mains qu'ont tous les moribonds,
ou  presque tous. Je lui disais que les animaux font de même,
au moins les chiens et les chats, dont j'ai vu mourir un grand
nombre. Un chien, un chat, à la minute de la mort, s'ils
sont sur le sol d'un jardin, grattent le sol de leurs pattes de
devant, s'ils sont sur le sol d'un jardin, grattent le parquet,
s'ils sont sur un lit, grattent l'étoffe sur laquelle ils
sont. Que signifie ce geste, ce mouvement, qu'ont ainsi les humains
et les animaux ? Il a sûrement la même origine
animale, purement instinctive.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le chagrin pour les morts est une niaiserie. Une illusion
également. C'est sur nous-mêmes que nous pleurons,
sur le vide ou la privation qu'ils nous laissent. Eux, ils sont
morts, c'est-à-dire : ils ne sont plus rien. Pleurer
sur eux ne rime à rien.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Quel dommage que la mort soit d'abord le non-être,
et ensuite le répugnant phénomène physique
qu'elle est ! Enfermé tranquillement, douillettement,
dans cette boîte, sans besoins, sans soucis, sans désirs,
dans un éternel farniente, une rêverie sans fin,
à se représenter tous ces imbéciles qui s'agitent
au-dessus ? Ce serait délicieux !  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 C'était dans le haut du village, d'où l'on
aperçoit la mer à travers les ormeaux et les pommiers.
Au vieux marin que je rencontrai, je fis la politesse de dire
que je me sentais bien dans cet air-là, et c'était
vrai. Mais lui reprit cette idée comme un homme qui cause,
et qui laisse là le reste. Sa manière était
de me quitter en tournant la tête vers moi, et puis de revenir,
comme ayant encore une dernière chose à dire. "Vous
êtes donc, me dit-il, comme ce sacristain de Paris, si fâché
de s'en retourner, et qui disait qu'avec cet iode dans les poumons,
cet iode de la mer, on se sent rajeuni." Ici quelque remous écarta
l'homme ; puis il revint, tout confident : "Il me disait
qu'on ne peut mourir ici ; je lui répondis qu'on meurt
partout." Nouvelle feinte de départ, mais le conteur regardait
ici et là, comme pour chercher des témoins. Toute
la scène allait jouer sur ce mouvement de partir et de
revenir. Ce fut bref. "Vous savez ce que disait le terrien ;
il disait au marin : "Où donc sont morts tes grands-parents
et tes parents ?"  -  "Ils sont morts en mer, dit
le marin."  -  "Et tu oses t'embarquer ! dit le terrien."
Une fausse sortie. Là-dessus le marin hausse les épaules
et va s'en aller ; mais il revient et demande : "Et
toi, terrien, où sont donc morts tes grands-parents et
tes parents ?" Le terrien répond qu'ils sont morts
dans leur lit "Et, dit le marin, tu oses te coucher !" II
s'en alla, cette fois, sans autre commentaire.  
    --- ALAIN   
%
 Nous avions un parent pour lequel mon père avait
peu d'amitié. Le pauvre homme mourut un jour  -  et
nous l'avons accompagné jusqu'à sa dernière
demeure qui était extrêmement éloignée
de la précédente. Il avait fallu se lever de grand
matin, il faisait extrêmement chaud et nous marchions depuis
bientôt une heure, lorsque mon père se tourna vers
moi et me dit, à voix basse, d'une inexprimable manière :
   -  Je commence à le regretter !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Il n'y a pas de belle mort. Il y en a qui sont belles
à raconter  -  mais, celles-là, ce sont
les morts des autres.
 Combien de fois l'ai-je entendue cette phrase :
   -  Je voudrais mourir d'un seul coup sans souffrir
et sans avoir connu les infirmités de l'extrême vieillesse.
 Eh ! Bien, moi, je voudrais mourir le plus tard possible
 -  non seulement de vieillesse, mais encore avec une
lenteur infinie, car n'ayant jamais eu le temps de vivre, je voudrais
bien avoir du moins le temps de mourir. Oui, je réclame
une mort lente et toutes les infirmités possibles. Il me
faudra bien cela pour que je parte sans trop de regrets.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La mort sans l'Eglise est sans grandeur. Elle a
l'air un peu d'une formalité administrative, d'une opération
d'arithmétique physiologique, d'une soustraction charnelle :
Un tel y était. Il n'y est plus. Ca fait moins un.
A qui le tour ?...  
    --- Léon DAUDET   
%
 Cent ans après ma mort, je me reposerai, fortune
faite.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Après la mort de Jean Giraudoux je publiai une
lettre d'adieu qui se terminait par : "Je ne serai pas long
à te rejoindre." On me gronda beaucoup sur cette phrase
qu'on trouvait pessimiste empreinte de découragement. Il
n'en était rien. Je voulais dire que si même je dois
durer jusqu'à cent ans, c'est quelques minutes. Mais peu
de gens veulent l'admettre, et que nous nous occupons et jouons
aux cartes dans un express qui roule vers la mort.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Quant à la peur de la mort, elle fait partie des
réflexes de défense que la nature a mis en nous.
Mais est-elle logique ? Nous nous résignons à
l'idée que le monde a existé sans nous jusqu'à
notre naissance. L'idée qu'il continuera après nous
est-elle plus effrayante ? Je ne le crois pas. Je n'ai pas
la peur abstraite de la mort, et je m'étonne de voir à
quel point l'humanité est dominée par cette peur.  
    --- Paul LEVY   
%
 La mort n'est, en définitive, que le résultat
d'un défaut d'éducation puisqu'elle est la conséquence
d'un manque de savoir vivre.  
    --- Pierre DAC   
%
 Je m'étonne toujours que des êtres également
menacés par la mort se fassent la vie aussi difficile.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Ce qu'il y a de plus terrible dans la mort, c'est de ne
pas pouvoir aller à ses rendez-vous du lendemain.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Qu'es-tu devenue, toi que j'aimais, qui fus pimpante et
pétillante, bouche de fraise et nez coquin, qu'est-ce que
tu fous sous ton cyprès ? Qu'es-tu devenue ?
Oh je sais. Tu es devenue : azote 12 %, acide phosphorique
17 %, sels de phosphate 31 %, âme zéro.  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Lamentable faiblesse que de vouloir vivre et mourir en
société : y a-t-il une consolation possible
à la dernière heure ? Il est bien préférable
de mourir seul et abandonné, sans affectation ni faux-semblants.
Je n'éprouve que dégoût pour ceux qui, à
l'agonie, se maîtrisent et s'imposent des attitudes destinées
à faire impression. Les larmes ne sont chaudes que dans
la solitude. Tous ceux qui veulent s'entourer d'amis à
l'heure de la mort le font par peur et incapacité d'affronter
leur instant suprême.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le désir de mourir n'exprime parfois qu'une subtilité
de notre orgueil : nous voulons nous rendre maîtres
des surprises fatales de l'avenir, ne pas tomber victimes de son
désastre essentiel.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Pourquoi craindre le néant qui nous attend alors
qu'il ne diffère pas de celui qui nous précède,
cet argument des Anciens contre la peur de la mort est irrecevable
en tant que consolation. Avant, on avait la chance de ne pas exister ;
maintenant on existe, et c'est cette parcelle d'existence, donc
d'infortune, qui redoute de disparaître. Parcelle n'est
pas le mot, puisque chacun se préfère ou, tout au
moins, s'égale, à l'univers.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il faudrait vivre, disiez-vous, comme si l'on ne devait
jamais mourir.  -  Ne saviez-vous donc pas que tout le
monde vit ainsi, y compris les obsédés de la Mort ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 La seule utilité des enterrements, c'est de nous
permettre de nous réconcilier avec nos ennemis.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Si, pour consoler les gens en deuil, on invoque si souvent
les lieux communs : tout le monde meurt, les grands comme
les petits, les empires et le reste,  -  c'est que, comme
on l'a remarqué, en dehors de ces banalités, il
n'y a rien qui puisse servir de consolation.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Un incinéré ne peut pas se retourner dans
sa tombe.  
    --- José ARTUR   
%
 Pour tout croyant, la mort est une promotion.  
    --- José ARTUR   
%
 Si j'ai l'occasion, j'aimerais mieux mourir de mon vivant !  
    --- COLUCHE   
%
 Pascal s'est aussi bien décomposé que ceux
qui ne l'ont jamais lu.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Les incessants progrès de la chirurgie, de la médecine
et de la pharmacie sont angoissants : de quoi mourra-t-on
dans vingt ans ?   
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le désespoir est à la mort ce que le beurre
de cacao est au suppositoire : un excipient qui rend plus
facile le passage.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Les morts qu'on n'a pas vus mourir paraissent moins morts
que les autres. Exemptés des souffrances de l'agonie et
de la corruption du tombeau, ce sont seulement des disparus. On
a parfois l'impression qu'ils n'attendent qu'une occasion pour
réapparaître.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Et si le bien qu'on dit toujours des disparus s'expliquait
par la certitude qu'ils ne feront plus aucun mal ?  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le bruit fend l'air et le son s'y soutient. Le bruit distrait,
le son recueille. Le son enchante l'air, le bruit le trouble.
Le son nous calme et le bruit nous agite. C'est que le bruit dérange
notre situation, mais le son nous en donne une autre. Nous sommes
tous des instruments que le son met d'accord, mais que le bruit
désorganise. Le bruit est un son écrasé ;
il est informe.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La musique et les airs connus. Ou : il n'y a pas
de musique plus agréable que les variations des airs connus.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le son du tambour dissipe les pensées. C'est par
cela même que cet instrument est éminemment militaire.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 ... toute musique ne commence à avoir un effet
magique qu'à partir du moment où nous entendons
parler en elle le langage de notre propre passé :
et en ce sens, pour le profane, toute musique ancienne semble
devenir toujours meilleure, et toute musique récente n'avoir
que peu de valeur : car elle n'éveille pas encore
la "sentimentalité", qui [ ... ] est le principal élément
de bonheur dans la musique, pour tout homme qui ne prend pas plaisir
à cet art purement en artiste.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Clarinette n. Instrument de torture utilisé par
une personne qui a du coton dans les oreilles. Il y a deux instruments
qui sont pires qu'une clarinette  -  deux clarinettes.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Violon n. Instrument qui titille les oreilles humaines
par le frottement d'une queue de cheval sur les boyaux d'un chat.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 A quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone
peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 Socrate, la veille de sa mort, était en train d'apprendre
un air de flûte. "A quoi cela te servira-t-il ?
lui dit-on.  -   A savoir cet air avant de mourir."  
    --- Emil CIORAN   
%
 Explications mystiques.  -  Les explications mystiques
sont considérées comme profondes ; en réalité
il s'en faut de beaucoup qu'elles soient même superficielles.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les obsèques du Maréchal Joffre, comme celles
du même genre, cette glorification, cette apothéose,
ce transport solennel d'un corps mort, cette sorte de déification
de ce qui n'est plus rien, au fond c'est encore un reste des vieilles
superstitions, c'est tout près des idolâtries des
peuplades sauvages, cela n'a absolument rien de très relevé,
au contraire. Le tombeau de Napoléon, le corps de Lénine,
conservé dans un cercueil de verre et exposé à
la vénération du peuple, l'exposition du corps du
maréchal Joffre, la conservation de l'épée
de celui-ci ou du chapeau de celui-là, tout cela se tient :
c'est un mysticisme extrêmement primitif qui survit.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Nombreux sont ceux qui confondent mysticisme et spiritualité,
et qui croient que l'homme ne peut que ramper, si la religion
ne le soulève ; qui croient que seule la religion
peut empêcher l'homme de ramper.  
    --- André GIDE   
%
 La Magie consiste toujours à agir par des signes
en des choses où le signe ne peut rien. Par exemple les
faiseurs de pluie, dont Frazer, en son Rameau d'or, nous rapporte
les pratiques, sont des hommes qui signifient pluie par une mimique
énergique, soit qu'ils lancent ici et là des gouttelettes
d'eau, soit qu'ils courent en élevant des masses de plumes
qui figurent des nuages. En quoi ils ne font autre chose que parler
et demander, choisissant seulement de tous les langages le plus
clair et le plus pressant. Tel est le plus ancien mouvement de
l'homme, par la situation de l'enfance, qui n'obtient d'abord
qu'en demandant, qu'en nommant et montrant la chose désirée.
Aussi il est tout à fait inutile de supposer, en la croyance
du magicien, quelque relation mystique entre l'image et la chose ;
il suffit de considérer les effets constants du langage
dans le monde humain, puisque c'est de ce monde que nous prenons
nos premières idées. Ces sorciers, donc, signifient
énergiquement ce qu'ils désirent, à la manière
des enfants. Comme d'après une constante expérience,
ils savent que, dans le monde humain, il faut répéter
le signe sans se lasser, ainsi ils se gardent de douter de leur
puissance, se croyant tout près du dernier quart d'heure ;
et l'événement leur donne raison , puisque la pluie
finit toujours par arriver.  
    --- ALAIN   
%
 Le mysticisme est le refuge classique de ceux qui se mettent
en doute et n'arrivent plus à supporter le matérialisme
ambiant : le grand neurophysiologiste anglais Sir John Eccles
était persuadé de pouvoir comprendre le fonctionnement
du cerveau à partir de l'étude des propriétés
du neurone. Malgré ses efforts, il n'a pas réussi
à trouver l'esprit dans le neurone. Il en a déduit
que l'esprit est immatériel et qu'il constitue un don du
ciel.  
    --- Robert DANTZER   
%
 Les enfants et les esprits faibles demandent si le conte
est vrai. Les esprits sains examinent s'il est moral, s'il est
naïf, s'il se fait croire.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Qu'importe qu'un vieux récit contienne un événement
fabuleux ou un événement réel, si la même
autorité qui nous l'a fait adopter en l'inculquant dans
notre esprit y implique une moralité qui contient des maximes
vraies, utiles, nécessaires, indispensables ?  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Après la guerre, a été créé
le mythe réactionnaire et bêtifiant de la "Belle
époque". Les jeunes ont été incités
à croire que ce fut un temps de fêtes, autour de
la place Pigalle.
 Il n'était pas question des 100 000 vagabonds ou mendiants
qui traînaient dans Paris, de la mortalité infantile
6 fois plus forte que l'actuelle, de la semaine de 60 heures,
sans congés, sans sécurité sociale, non plus
que du taudis et de l'expulsion avec saisie des meubles (sauf
le lit, par mesure... d'humanité).  
    --- Alfred SAUVY   
%
 En matière de records, le chiffre rond paraît
une barrière , une sorte de mur du son. "Le mur des 20
mètres sera-t-il franchi un jour, au poids ?", a-t-on
dit longtemps, comme si ce nombre présentait une difficulté
particulière. Jugement d'autant plus puéril que
les Américains, seuls intéressés en ce temps,
comptent en pieds.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 C'est probablement une exigence de l'esprit humain d'avoir
une représentation du monde qui soit unifiée et
cohérente. Faute de quoi apparaissent anxiété
et schizophrénie. Et il faut bien reconnaître qu'en
matière d'unité et de cohérence, l'explication
mythique l'emporte de loin sur la scientifique. Car la science
ne vise pas d'emblée à une explication complète
et définitive de l'univers. Elle n'opère que localement.
Elle procède par une expérimentation détaillée
sur des phénomènes qu'elle parvient à circonscrire
et définir. Elle se contente de réponses partielles
et provisoires. Qu'ils soient magiques, mythiques ou religieux,
au contraire, les autres systèmes d'explication englobent
tout. Ils s'appliquent à tous les domaines. Ils répondent
à toutes les questions. Ils rendent compte de l'origine,
du présent et même du devenir de l'Univers. On peut
refuser le type d'explication offert par les mythes ou la magie.
Mais on ne peut leur dénier unité et cohérence
car, sans la moindre hésitation, ils répondent à
toute question et résolvent toute difficulté par
un simple et unique argument a priori.  
    --- François JACOB  
%
 La race simple de l'âge d'or, dépourvue de
toute science, vivait sans autre guide que l'instinct de Nature.
Car quel besoin avait-on de la grammaire quand il n'y avait qu'une
langue et qu'on ne demandait rien d'autre à la parole que
de se faire comprendre ? Quelle aurait été
l'utilité de la dialectique quand il n'y avait pas de lutte
entre opinions rivales ? Quelle aurait été
la place de la rhétorique quand nul ne cherchait chicane
à autrui ? A quoi bon la jurisprudence en l'absence
de mauvaises moeurs, d'où sont nées, sans nul doute,
les bonnes lois ? Puis on était trop religieux pour
scruter avec une curiosité impie les arcanes de la Nature,
la dimension des astres, leurs mouvements, leurs influences, et
les ressorts cachés du monde ; on estimait sacrilège
qu'un mortel cherche à savoir au-dessus de sa condition.
Quant à s'enquérir de ce qui est au-delà
du ciel, cette démence ne venait même pas à
l'esprit. Cependant, à mesure que disparaissait la pureté
de l'âge d'or, les arts, comme je l'ai dit, furent d'abord
inventés par de mauvais génies, mais en petit nombre
et eurent peu d'adeptes. Ensuite, la superstition des Chaldéens
et l'oisive frivolité des Grecs en ajoutèrent une
multitude qui devinrent des tortures pour l'esprit, à telle
enseigne que la grammaire à elle seule suffit bien à
faire le supplice de toute une vie.  
    --- Le mythe de l'âge   
%
 Tenez, ne voyez-vous pas que dans la totalité du
règne animal les espèces les plus heureuses sont
celles qui ignorent absolument toute science et ne reconnaissent
d'autre maître que la nature ? Quoi de plus heureux
ou de plus merveilleux que les abeilles ? Pourtant elles
n'ont même pas tous les sens. L'architecture peut-elle les
égaler dans la construction d'édifices ? Quel
philosophe a jamais fondé semblable république ?  
    --- Le mythe de l'âge   
%
 J'aime tout de la nature, même ce qui passe pour
laid et triste, même l'hiver et la tempête. Je ne
me blase pas, je n'éprouve pas le besoin de critiquer,
je jouis bêtement, j'admire éperdument, je n'ai pas
une objection aux montagnes, je suis incapable de faire de la
peine à la mer par une restriction.  
    --- Victor HUGO   
%
 Ce qui est sauvage s'accorde avec la vie et le plus vivant
est aussi le plus sauvage. Libre encore du joug de l'homme, sa
présence est pour lui rafraîchissante. Celui qui
voudrait toujours aller de l'avant, travailler sans relâche,
croître rapidement et beaucoup solliciter l'existence devrait
toujours se trouver dans un pays neuf ou une nature sauvage, entouré
de toutes les matières premières de la vie. Il devrait
grimper sur les troncs abattus d'une forêt primitive.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 De mon temps, la nature signifiait encore un tas de choses.
- Laissez faire la nature, disait-on à tout propos, laissez
agir la nature. Maintenant on ne parle plus que de microbes et
la nature est remplacée par une seringue. Idole pour idole,
j'aime mieux l'ancienne. Elle était agréable à
voir, beaucoup moins sotte et beaucoup moins dangereuse. Elle
fut adorée, surtout au dix-huitième siècle,
époque où subsistait encore en France un vif  sentiment
du ridicule. Il est certain que notre Bourgeois a perdu ce sentiment-là.
Sans doute il ne dit plus, comme au temps de Jean-Jacques Rousseau,
que le retour à l'état de nature serait idéal.
Un je ne sais quoi l'avertit qu'il y aurait de l'imprudence à
paraître in naturalibus à son café, à
se manifester brusquement à poil, dans le voisinage des
sergots<SUP>* </SUP>; mais il supporte et même il sollicite, entre
beaucoup d'autres choses, les aventures malpropres et fabuleuses
de la médecine contemporaine.  
    --- Léon BLOY   
%
 La "loi de la nature", une superstition. - Si vous parlez
avec tant d'enthousiasme de la conformité aux lois qui
existe dans la nature, il faut que vous admettiez soit que, par
une obéissance librement consentie et soumise à
elle-même, les choses naturelles suivent leur loi - en quel
cas vous admirez donc la moralité de la nature - ;
soit que vous évoquiez l'idée d'un mécanicien
créateur qui a fabriqué la pendule la plus ingénieuse
en y plaçant, en guise d'ornements, les êtres vivants.
- La nécessité dans la nature devient plus humaine
par l'expression "conformité aux lois", c'est le dernier
refuge de la rêverie mythologique.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La conception darwinienne a une conséquence inéluctable :
le monde vivant aujourd'hui, tel que nous le voyons autour de
nous, n'est qu'un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle
résulte de l'histoire de la terre. Il aurait très
bien pu être différent. Il aurait même pu ne
pas exister du tout !  
    --- François JACOB   
%
 Récemment, je bavardais avec un ancien officier.
 Pendant la guerre, il avait été le bras droit d'un
général.
 Il ne lui restait plus que le bras gauche.
 Au cours d'une attaque, alors qu'il avait la main dans sa poche,
 son bras a été emporté par un obus.
 Et la main est restée dans la poche.
 Il me disait :
 - Ce que la nature est bien faite !
 Vous ne pouvez pas savoir ce qu'il est difficile de retirer sa
main de sa poche sans son bras !  
    --- Raymond DEVOS   
%
 Nietzsche. Ce que j'en pense ? C'est qu'il y a bien
des lettres inutiles dans son nom.  
    --- Jules RENARD   
%
 Nietzsche est mâtiné de Slave et d'Allemand
- il descendait des Nietski - et il a subi fortement l'influence
des lettres françaises. J'ai  étudié son
cas ailleurs. Jules de Goncourt affirmait que "ce qui entend le
plus de bêtise, c'est un tableau". Néanmoins, les
oeuvres de cet énervé de Germanie et en particulier
Zarathoustra ont déchaîné un flot d'insanités.
Il fut un temps ou chaque revue française, chaque périodique
contenait une apologie ou un abattage du "retour éternel",
de la "morale des maîtres", du "oui encore une fois" de
la "reclassification des valeurs". L'âne joue un grand rôle
dans  Zarathoustra, un plus grand rôle encore dans la bibliographie
du nietzschéisme. Les uns lui ont reproché d'être
un thuriféraire de la force, ce qui n'a positivement aucun
sens ; car une application de la force est nécessaire
à toutes les opérations salutaires ici-bas, et le
dédain de la force mène tout bonnement les dédaigneux
à l'esclavage. Il faut que la force de ceux qui ont raison
l'emporte sur la force de ceux qui ont tort, voilà tout.
L'imbécile, le libéral, qui croit que personne n'a
tout à fait raison ni tout à fait tort, peuvent
seuls se permettre de mépriser la force outil du droit.
D'autres ont exalté Nietzsche à cause de ses blasphèmes
et de son anticatholicisme, qui sont ce qu'il y a de plus niais,
de plus inopérant dans son oeuvre. Sur ce point, il est
Homais II. Sa conception de la Rome papale est dérivée
de celle de Fischart et des pamphlétaires allemands de
la Réforme. Sa Généalogie de la morale est
bête à pleurer. Sans compter le mortel ennui qui
se dégage de ses plaisanteries épaisses, à
la lisière de la paralysie générale.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Nietzsche écrit dans Ecce Homo : "La France
qui possède des psychologues comme madame Gyp, Guy de Maupassant,
Jules Lemaître."
 Jules Lemaître était très bon pour moi. Un
jour que je lui citais la phrase et que je m'étonnais de
cette nomenclature hétéroclite : "Mais, mon
enfant, me dit-il, Nietzsche parle de ce qu'on trouve à
la gare de Sils-Maria." Ce joli mot éclaire les dangers
de la solitude.  
    --- Jean COCTEAU  
%
 Je ne vois pas dans quel siècle de l'histoire on
pourrait réunir, par un plus beau coup de filet, des psychologues
si curieux et en même temps si délicats que dans
le Paris actuel : je nomme au hasard - car leur nombre est
considérable - MM. Paul Bourget, Pierre Loti, Gyp, Meilhac,
Anatole France, Jules Lemaître ou, pour en distinguer un
autre, de ceux de la forte race, un vrai latin que j'aime particulièrement,
Guy de Maupassant.  
    --- La citation exacte :
   
%
 Pour la septième ou huitième fois (au moins),
essayé Also sprach Zarathustra. IMPOSSIBLE. Le ton de ce
livre m'est insupportable. Et toute mon admiration pour Nietzsche
ne parvient pas à me le faire endurer. Enfin il me paraît,
dans son oeuvre, quelque peu surérogatoire ; ne prendrait
de l'importance que si les autres livres n'existaient pas. Sans
cesse je l'y sens jaloux du Christ ; soucieux de donner au
monde un livre qu'on puisse lire comme on lit l'Evangile.
Si ce livre est devenu plus célèbre que tous les
autres de Nietzsche, c'est que, au fond, c'est un roman. Mais,
pour cela précisément, il s'adresse à la
plus basse classe de ses lecteurs : ceux qui ont encore besoin
d'un mythe. Et ce que j'aime surtout en Nietzsche, c'est sa haine
de la fiction.  
    --- André GIDE   
%
 Nietzsche n'est pas une nourriture  -  c'est un
excitant.  
    --- Paul VALERY   
%
 La grande chance de Nietzsche d'avoir fini comme il a
fini. Dans l'euphorie !  
    --- Emil CIORAN   
%
 A un étudiant qui voulait savoir où
j'en étais par rapport à l'auteur de Zarathoustra,
je répondis que j'avais cessé de le pratiquer depuis
longtemps. Pourquoi ? me demanda-t-il.  -  Parce
que je le trouve trop naïf...
 Je lui reproche ses emballements et jusqu'à ses ferveurs.
Il n'a démoli des idoles que pour les remplacer par d'autres.
Un faux iconoclaste, avec des côtés d'adolescent,
et je ne sais quelle virginité, quelle innocence, inhérentes
à sa carrière de solitaire. Il n'a observé
les hommes que de loin. Les aurait-il regardés de près,
jamais il n'eût pu concevoir ni prôner le surhomme,
vision farfelue, risible, sinon grotesque, chimère ou lubie
qui ne pouvait surgir que dans l'esprit de quelqu'un qui n'avait
pas eu le temps de vieillir, de connaître le détachement,
le long dégoût serein.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Nietzsche, fier de son "instinct", de son "flair", s'il
a senti l'importance d'un Dostoïevski, combien d'erreurs
en revanche, et quel engouement pour quantité d'écrivains
de seconde et de troisième zone ! Ce qui est confondant,
c'est qu'il ait cru lui aussi que derrière Shakespeare
se cachait Bacon, le moins poète des philosophes.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Bergson avouait qu'il ne pouvait pas lire du Nietzsche ;
que dirait-il aujourd'hui s'il voyait que nous ne pouvons pas
lire du Bergson ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 Presque tous les hommes sont esclaves, par la raison que
les Spartiates donnaient de la servitude des Perses, faute de
savoir prononcer la syllabe non. Savoir prononcer ce mot et savoir
vivre seul sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté
et son caractère.  
    --- CHAMFORT   
%
 En fait d'exposition d'idées, il est un certain
point de clarté au-delà duquel toute idée
perd nécessairement de sa force ou de sa délicatesse.
Ce point de clarté est, aux idées, ce qu'est, à
certains objets, le point de distance auquel ils doivent être
regardés, pour qu'ils offrent leurs beautés attachées
à cette distance. Si vous approchez trop de ces objets,
vous croyez l'objet rendu plus net ; il n'est rendu que plus
grossier. Un auteur va-t-il au-delà du point de clarté
qui convient à ses idées, il croit les rendre plus
claires ; il se trompe, il prend un sens diminué pour
un sens plus net.  
    --- MARIVAUX   
%
 Il est des gens qui sont de bonne foi, et qui diront aussi
d'une pensée qu'elle est obscure, mais voici pourquoi.
 Cette pensée peint un sujet par des côtés
extrêmement fins ; l'image de ces côtés
s'aperçoit aisément ; mais elle est de difficile
consistance aux yeux de l'esprit ; sa délicatesse
la fait perdre de vue à cet esprit ; et ces personnes
appellent obscurité ce qui ne vient que de la difficulté
qu'ils ont de continuer d'apercevoir l'objet d'abord bien aperçu.  
    --- MARIVAUX   
%
 Il faut du moins être clair lorsque l'on n'est pas
lumineux et c'est ce qu'étoient tous les Grecs.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Je n'ai jamais ouï dire que le feu fût ennemi
de la lumière.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Quand on peint une chose intérieure, on peint une
chose enfoncée. Or l'enfoncement, quelque éclairé
qu'il puisse être, ne peut jamais offrir l'uniforme et vive
clarté d'une surface.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La profondeur et l'eau trouble. - Le public confond facilement
celui qui pêche en eau trouble avec celui qui puise en eau
profonde.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Etre profond et sembler profond.  -  Celui
qui se sait profond s'efforce d'être clair ; celui
qui voudrait sembler profond à la foule s'efforce d'être
obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut
pas voir le fond : elle est si craintive, elle a si peur
de se noyer !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Quiconque a sondé le fond des choses devine sans
peine quelle sagesse il y a à rester superficiel. C'est
l'instinct de conservation qui apprend à être hâtif,
léger et faux.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Esotérique adj. Parfaitement occulte et
particulièrement abscons. Les anciennes philosophies étaient
de deux sortes,  -  exotériques, que les philosophes
eux-mêmes ne comprenaient qu'à moitié, et
ésotériques, que personne n'a jamais comprises.
Ce sont ces dernières qui ont le plus profondément
marqué la pensée moderne, qui jouissent encore de
nos jours d'un grand crédit.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Chose digne de remarque, l'homme n'a pu voir loin et réellement
au-delà de sa planète que la nuit ; car le
jour est comme une claire coupole sans mystère aucun ;
aussi l'homme n'a regardé loin qu'au moment où les
objets proches étant dérobés à sa
vue, l'ouïe le devant occuper tout, et le silence même
l'émouvoir, juste alors se montraient les objets les plus
éloignés et les mieux réglés qu'il
puisse connaître.  
    --- ALAIN   
%
 La parabole est comme une fable sans la morale. L'énigme
est du même genre ; et il faut la tenir aussi comme
une des formes les plus anciennes de la pensée. "Le matin
sur quatre pattes, à midi sur deux, le soir, sur trois."
Il est clair que ce n'est qu'un jeu ; mais aussi ce plaisir
de trouver un sens à l'absurde ne s'use point. Il faut
que l'esprit se mette d'abord dans le cas de renoncer ; c'est
là qu'il renaît ; c'est sur le point de ce réveil
qu'il se connaît pensant.  
    --- ALAIN   
%
 Etre clair ? Nous sommes si peu capables d'effort
pour comprendre les autres !  
    --- Jules RENARD   
%
 On peut être hermétique et ne rien renfermer.
 Il y a des portes sans issue - et il y a même de fausses
portes.
 Aimez la chose à double sens - mais assurez-vous bien
d'abord qu'elle ait un sens.
 Certes, ce n'est pas une raison parce que vous ne comprenez pas
pour que cela ne signifie rien - mais ce n'est pas une raison
non plus pour que cela signifie quelque chose.
 Quand on vous assure : 
 - C'est profond.
 Répliquez donc :
 - C'est creux, peut-être.
 Et quand une oeuvre d'art vous donne le vertige, souvenez-vous
que ce qui donne le mieux encore le vertige, c'est le vide.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Après tout, les mystères sont excitants,
et ils contribuent à rendre la vie amusante. Personne n'apprécie
le gâcheur qui donne la clef de l'énigme à
ceux qui font la queue pour aller voir un film. A partir
du moment où on a révélé le pot aux
roses, on ne peut plus retrouver l'état délicieux
de mystification qui nous avait d'abord envoûtés.
Par conséquent, le lecteur doit être sur ses gardes.  
    --- Daniel C. DENNETT   
%
 Et ce que, pour autorizer la toute puissance de nostre
volonté, Sainct Augustin allegue avoir veu quelqu'un qui
commandoit à son derriere autant de pets qu'il en vouloit,
et que Vivès, son glossateur, encherit d'un autre exemple
de son temps, de pets organisez suivant le ton des vers qu'on
leur prononçoit, ne suppose non plus pure l'obeissance
de ce membre ; car en est il ordinairement de plus indiscret
et tumultuaire. Joint que j'en sçay un si turbulent et
revesche, qu'il y a quarante ans qu'il tient son maistre à
peter d'une haleine et d'une obligation constante et irremittente,
et le menne ainsin à la mort.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 La douceur mesmes des halaines plus pures n'a rien de
plus excellent que d'estre sans aucune odeur qui nous offense,
comme sont celles des enfans bien sains. Voylà pourquoy,
dict Plaute,
      Mulier tum benè olet, ubi nihil
olet :
 la plus parfaicte senteur d'une femme, c'est ne sentir à
rien, comme on dict que la meilleure odeur de ses actions c'est
qu'elles soyent insensibles et sourdes. Et les bonnes senteurs
estrangieres, on a raison de les tenir pour suspectes à
ceux qui s'en servent, et d'estimer qu'elles soyent employées
pour couvrir quelque defaut naturel de ce costé-là.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 HALEINE. - L'avoir forte donne l'air distingué.
Eviter les allusions sur les mouches et affirmer que ça
vient de l'estomac.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Ventre affamé n'a pas d'oreilles, mais il a un
sacré nez.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Les romanciers parlent souvent de l'odeur de la femme
habillée qu'on approche d'un peu près. Il faudrait
s'entendre : ou la femme se sert de parfums, et ce n'est
pas elle qui fleure, ou cette odeur provient des aisselles et
du bas ventre, et alors c'est qu'elle ne se lave pas. La femme
saine et propre ne sent rien heureusement !  
    --- Jules RENARD   
%
 La pire odeur qu'on respire, c'est de se sentir mauvais.  
    --- Jules RENARD   
%
 Quelle haleine ! Il n'a jamais pu attraper une mouche
vivante.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je ne l'ai jamais aimé. Il peut crever. Mais pas
la gueule ouverte : il a trop mauvaise haleine.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Il y a à parier que toute idée publique,
toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu
au plus grand nombre.  
    --- CHAMFORT   
%
 Croyez que l'expérience de beaucoup d'opinions
donne à l'esprit qui les a eues beaucoup de flexibilité
et l'affermit en même temps dans celles qu'il croit les
meilleures.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Règle d'or : ne pas juger les hommes d'après
leurs opinions, mais d'après ce que leurs opinions font
d'eux.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Rien ne concourt davantage à la paix de l'âme
que de n'avoir point d'opinion.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Tout homme comprend mal son intérêt.
 Il faut être plus royaliste que le roi.  
    --- Victor HUGO   
%
 De même qu'un arbre pousse inévitablement
du côté d'où lui vient la lumière et
développe ses branches dans ce sens, de même l'homme,
qui a l'illusion de se croire libre, pousse et se porte du côté
où il sent que sa faculté secrète peut trouver
jour à se développer. Celui qui se sent le don de
la parole se persuade que le gouvernement de tribune est le meilleur,
et il y tend ; et ainsi de chacun. En un mot, l'homme est
instinctivement conduit par sa faculté à se faire
telle ou telle opinion, à porter tel ou tel jugement, et
à désirer, à espérer, à agir
en conséquence.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Opinions propres. - La première opinion qui nous
arrive quand on nous interroge à l'improviste sur une chose
n'est d'ordinaire pas la nôtre, mais seulement l'opinion
courante, qui tient à notre caste, notre situation, notre
origine : les opinions propres flottent rarement à
la surface.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Quand les gens sont d'accord avec moi, j'ai toujours le
sentiment que je dois me tromper.  
    --- Oscar WILDE   
%
 L'horreur des bourgeois est bourgeoise.  
    --- Jules RENARD   
%
 C'est une question de propreté : il faut changer
d'avis comme de chemise.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'opinion, chose sociale au premier chef, est [...] une
source d'autorité et l'on peut même se demander si
toute autorité n'est pas fille de l'opinion. On objectera
que la science est souvent l'antagoniste de l'opinion dont elle
combat et rectifie les erreurs. Mais elle ne peut réussir
dans cette tâche que si elle a une suffisante autorité
et elle ne peut tenir cette autorité que de l'opinion elle-même.
Qu'un peuple n'ait pas foi dans la science, et toutes les démonstrations
scientifiques seront sans influence sur les esprits. Même
aujourd'hui, qu'il arrive à la science de résister
à un courant très fort de l'opinion publique, et
elle risquera d'y laisser son crédit.  
    --- Emile DURKHEIM   
%
 Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce
que je pense d'eux, ils en diraient bien davantage !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Le mensonge et la crédulité s'accouplent
et engendrent l'Opinion.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce qui a été cru par tous, et toujours,
et partout, a toutes les chances d'être faux.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il n'y a qu'une sorte d'opinion d'autrui qui doive préoccuper :
celle de ceux qui mettent un intérêt passionné
et spécial aux choses que l'on produit. L'opinion moyenne
est sans intérêt. Elle ne peut que se tromper sur
les facilités et les difficultés d'un travail. Si
elle nous montre quelque chose, ce n'est qu'elle-même.  
    --- Paul VALERY   
%
 Vouloir qu'une opinion l'emporte, (vouloir avoir raison)
c'est toujours lui souhaiter d'autres forces que les siennes,
douter de celles-ci. Prédire le triomphe proche d'une doctrine
c'est admettre que sa valeur consiste dans cette future puissance
et que cette future puissance est de l'ordre même des résistances
actuelles, dont elle viendra à bout. Vous adorerez ce que
vous brûlez ; c'est dire que votre adoration ne signifie
pas plus que vos brasiers.
 Mais le point remarquable, le voici : Une philosophie, une
théologie, une esthétique tournent toujours à
la lutte. L'homme n'est jamais assez sûr de sa vérité
pour jouir de l'éclat de l'erreur adverse...  
    --- Paul VALERY   
%
 C'est un tourment de conscience que la rencontre d'opinion
ou de préférence avec un sot. Alors on est bloqué,
puisqu'on ne peut plus se contredire, et il n'y a plus qu'à
se taire en rageant.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Je pense qu'on ne connaît jamais personne, qu'on
ne sait jamais ce qu'il y a, ce qui se passe au profond intime
d'une créature humaine. Il peut y avoir des richesses de
tendresse, de dévouement, de pitié qu'on ne soupçonne
pas, qui ne se montrent que dans certaines circonstances rares.
Juger autrui ! Ah ! on devrait toujours s'en garder.
Est-ce qu'on sait, est-ce qu'on est sûr. Tel qui rit, qui
est tout en boutades, en brusqueries, en indifférence,
est peut-être le plus sensible secrètement. Tenez,
si on pensait à tout cela, on n'oserait plus écrire,
porter un jugement sur quelqu'un.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je l'ai toujours dit : il faut avoir des parti-pris,
c'est une force. Cela n'empêche pas de voir parfaitement
les autres côtés de la chose dont on parle et de
sentir les contradictions qui s'élèvent à
côté de l'opinion qu'on exprime. Ecrire, c'est
s'être décidé à choisir, à pencher
d'un côté plutôt que l'un autre, c'est prendre
parti si minimement que ce soit. Si on écoutait toutes
ses contradictions, on ne toucherait plus une plume, on ne dirait
plus un mot.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Pour son malheur - hélas ! - l'homme qui s'abstient
d'avoir une opinion devient bientôt suspect à tous
les partis.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Toutes les opinions intéressées me sont
suspectes. J'aime pouvoir penser librement et commence à
craindre d'être refait dès qu'il me revient quelque
avantage de l'opinion que je professe. C'est comme si j'acceptais
un pot-de-vin.  
    --- André GIDE   
%
 Lorsqu'on s'est fait de quelqu'un une idée fausse
et que ce quelqu'un, par suite, se comporte et parle et écrive
de manière qui contredise cette première idée
fausse que l'on s'était faite de lui, on l'accusera d'hypocrisie
bien plus volontiers que de reconnaître qu'on s'était
trompé sur son compte.  
    --- André GIDE   
%
 Une opinion commence à me gêner dès
que j'y puis trouver avantage. Le jugement trouve sa liberté
bien plus gravement compromise lorsque les circonstances le favorisent
que lorsqu'elles le contrecarrent, et l'on doute de son impartialité
bien moins dans la résistance que dans l'acquiescement.  
    --- André GIDE   
%
 Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes,
que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen,
même avisé et énergique quand il n'a à
conduire que son propre destin, en vient naturellement et par
une espèce de sagesse à rechercher quelle est l'opinion
dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme
je n'ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à
moi tout seul, il faut que je m'attende à être conduit ;
à faire ce qu'on fera, à penser ce qu'on pensera."
Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi.
Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c'est à
peine s'il se la formule à lui-même ; il rougit
à la seule pensée qu'il pourrait être seul
de son avis.
 Le voila donc qui honnêtement écoute les orateurs,
lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être
fantastique que l'on appelle l'opinion publique. "La question
n'est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre, mais si
le pays veut ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays.
Et tous les citoyens interrogent le pays au lieu de s'interroger
eux-mêmes.
 Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement.
Car, sentant qu'ils ne peuvent rien tout seul, ils veulent savoir
où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand
corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de
savoir ce qu'il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n'est point
de folle conception qui ne puisse quelque jour s'imposer à
tous sans que personne pourtant l'ait jamais formée en
lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées
mènent à tout, et personne ne pense. D'où
il résulte qu'un Etat formé d'hommes raisonnables
peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement
de ce que personne n'ose former son opinion par lui-même
ni la maintenir énergiquement, en lui d'abord, et devant
les autres aussi.  
    --- ALAIN   
%
 Il n'existe [...] pas de journaux d'opinion, il existe
des journaux d'une opinion, ce qui ne semble pas absolument la
même chose. Or la charité, d'accord avec le bon sens,
ne nous permet pas de refuser aux imbéciles le droit d'avoir
une opinion, sous peine de rejeter ces malheureux hors de l'humanité
pensante. Et comme ils ne réussiront jamais à s'en
former une à leur strict usage, force leur est bien d'emprunter
celle des autres. Chaque journal se trouve donc ainsi tenu de
compter avec eux, c'est-à-dire de ménager les imbéciles,
dont il assume la charge, et Dieu sait si l'espèce est
facile à scandaliser ! Scandaliser les imbéciles
ne mène à rien de bon. Je crois, au contraire, que
la stupide, l'effroyable monotonie de la vie moderne  -  dont
les vertigineux manèges de chevaux de bois nous fournissent
la parfaite image  -  incline les meilleurs esprits
à des solutions médiocres, à des mensonges
moyens, et que le seul scandale est capable de les remettre debout,
face à l'inflexible vérité ! On ne peut
raisonnablement demander au directeur d'un journal de risquer
quotidiennement cent imbéciles dans l'espoir  -  souvent
déçu  -  de réveiller un dormeur,
de lui réapprendre à penser. La faillite serait
au bout d'une telle expérience.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Etant un homme efficace dans sa spécialité,
il savait naturellement que l'on ne peut avoir de conviction 
sur laquelle miser soi-même en dehors du seul domaine où
l'on est vraiment ferré ; l'extraordinaire extension
des activités empêche qu'il s'en forme ailleurs.
C'est pourquoi les hommes efficaces et travailleurs, en dehors
du cercle fort étroit de leur spécialité,
n'ont aucune conviction qu'ils ne soient prêts à
renier pour peu qu'ils devinent sur elle quelque pression extérieure ;
on pourrait carrément dire qu'ils se voient forcés
par scrupule de conscience, d'agir autrement qu'ils ne pensent.  
    --- Robert MUSIL   
%
 L'opinion collective n'aime pas avouer ses faux pas et
y parvient avec une aisance parfois déconcertante. C'est
pourquoi la réputation d'un mythe, d'une parole, dépend
essentiellement de la suite des événements. Lorsque
Pétain lance le fameux : "On les aura", en 1916, il
choisit, avec habileté une formule qui a le double avantage
d'être populaire, presque argotique, qui convient bien à
l'Union Sacrée (les poilus, les gueules cassées,
etc.).
 Néanmoins, si la guerre avait été perdue,
cette parole lui aurait été amèrement reprochée,
comme le "Paris ne capitulera pas" de Trochu, "le dernier quart
d'heure" de Lacoste. La formule du dernier quart d'heure a été
employée par de nombreux chefs avant Lacoste et en particulier
par Clémenceau en 1917 : "C'est nous qui aurons le
dernier quart d'heure." Pourquoi a-t-elle si souvent servi à
tourner Lacoste en dérision ? Non parce que sa cause
était mauvaise, mais parce qu'elle a été
perdue. Malheur aux vaincus.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 Des opinions, oui ; des convictions, non. Tel est
le point de départ de la fierté intellectuelle.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Vingt journalistes parisiens propriétaires de grandes
rubriques ou émissions politiques font et défont
les carrières. Avant chacune de ces émissions qui
sont des super-examens de passage dans la classe politique supérieure,
les personnalités répètent avec des professionnels
comme on prend des répétitions particulières
avant le baccalauréat. Il ne faut pas risquer de perdre
quelques points à l'issue du débat. Seulement exprimer
l'opinion que les spécialistes croient qu'il convient d'avoir.
Tout est renvoyé à une analyse et une prévision
des mouvements attendus de l'opinion publique. Une fois déterminée
la vague de celle-ci, les spécialistes recommandent dans
leur joli langage de "surfer sur sa crête". Le sondage a
remplacé la conscience.
 Et si l'opinion publique était imprévisible ?
Ou, pire encore pour les professionnels, si l'opinion publique
attendait des leaders et des élus non pas qu'ils la suivent
mais qu'ils la guident ? Et si, dans les périodes
de crise ou d'incertitude, elle attendait des responsables qu'ils
prennent d'abord leurs responsabilités ?  
    --- Jean-François DENIAU   
%
 Bien poser les questions, c'est tout un art. Où
tout dépend, bien sûr, de la réponse que l'on
veut obtenir.  
    --- André FROSSARD   
%
 Ce qui distingue le généraliste du spécialiste,
c'est que le généraliste reste cohérent à
peu près partout, tandis que le spécialiste, beaucoup
plus rigoureux que l'autre devant son objet spécifique,
peut se muer en un agité confusionnel dès qu'il
s'en éloigne.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Au lieu de se plaindre de ce que la rose a des épines
il faut se féliciter de ce que l'épine est surmontée
de roses et de ce que le buisson porte des fleurs.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Pensez aux maux dont vous êtes exempt.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'optimisme serait une erreur, si l'homme n'était
point perfectible, s'il ne lui était donné d'améliorer
par la science l'ordre établi. La formule : "Tout
est pour le mieux" ne serait sans cela qu'une amère dérision.
Oui, tout est pour le mieux, grâce à la raison humaine,
capable de réformer les imperfections nécessaires
du premier établissement des choses. Disons plutôt :
Tout sera pour le mieux quand l'homme, ayant accompli son oeuvre
légitime, aura rétabli l'harmonie dans le monde
moral et se sera assujetti le monde physique.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Autant l'optimisme béat, c'est à dire inactif,
est une sottise, autant l'optimisme, compagnon de l'effort, pour
sortir des difficultés, des souffrances, des lésions
fonctionnelles et organiques, est légitime.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Conquérir sa joie vaut mieux que de s'abandonner
à la tristesse.  
    --- André GIDE   
%
 Ne te détourne pas, par lâcheté, du
désespoir. Traverse-le. C'est par-delà qu'il sied
de retrouver motif d'espérance. Va droit. Passe outre.
De l'autre côté du tunnel tu retrouveras la lumière.  
    --- André GIDE   
%
 Il y a des pluies de printemps délicieuses, où
le ciel a l'air de pleurer de joie.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Les choses tristes, douloureuses, plus belles pour l'esprit,
y trouvant plus de prolongements, que les choses gaies, heureuses.
Le mot soir plus beau que le mot matin, le mot nuit que le mot
jour, le mot automne que le mot été, le mot adieu
que le mot bonjour, le malheur plus beau que le bonheur, la solitude
plus belle que la famille, la société, le groupement,
la mélancolie plus belle que la gaîté, la
mort que la naissance. A talent égal, l'échec
plus beau que le succès. Le grand talent restant ignoré
plus beau que l'auteur à grands tirages, adoré du
public et célébré chaque jour. Un écrivain
de grand talent mourant dans la pauvreté plus beau que
l'écrivain mourant millionnaire. L'homme, la femme, qui
ont aimé, ont été aimés, finissant
leur vie dans une chambre au dernier étage, n'ayant pour
fortune et pour compagnie que leurs souvenirs, plus beau que le
grand-père entouré de ses petits-enfants et que
la douairière encore fêtée dans son aisance.
D'où cela vient-il, qui se trouve chez chacun de nous à
des degrés différents ? Y a-t-il au fond de
nous, plus ou moins, un désenchantement, une mélancolie
qui se satisfont là,  -  et qu'il faut détester
et rejeter comme un poison.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 On ne fait pas assez attention à ceci que le pessimisme
est l'état naturel, dès qu'on s'abandonne, au lieu
que l'optimisme est un fruit de volonté. Dont la raison
profonde est que le gouvernement de soi, par sévère
police des opinions improvisées, par serment à soi,
par ordre et suite dans les actions, est la source et condition
de tout bonheur. L'homme ne sait pas assez quelle triste mécanique
il est, dès qu'il tombe au mécanisme.
 Une loi bien cachée, mais dont les effets sont assez et
trop connus, c'est que le plus triste, le plus effrayant, le plus
désespérant qu'on puisse attendre de soi est aussi
ce qui persuade le plus aisément ; car l'émotion
est toujours la meilleure preuve, comme la peur le fait bien voir.
Et la peur de soi persuade ; le dégoût de soi,
de même. C'est une erreur immense de doctrine, et liée
à cette même erreur de pratique, que de croire qu'un
homme pense volontiers du bien de lui-même. Ce n'est pas
vrai ; il faut du courage pour être heureux de soi.
 Ainsi ne pas se demander ce qu'on pense, mais penser, j'entends
vouloir, diriger, ordonner, chercher, telle est la santé
de n'importe quel homme. Et celui qui attend ses opinions et son
bonheur comme il attend le soleil ou la pluie attendra longtemps.  
    --- ALAIN   
%
 L'optimisme m'est toujours apparu comme l'alibi sournois
des égoïstes, soucieux de dissimuler leur chronique
satisfaction d'eux-mêmes. Ils sont optimistes pour se dispenser
d'avoir pitié des hommes, de leur malheur.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Lorsque votre moral se trouve être au plus bas,
remontez le moral d'un moins heureux que vous.
 Vous trouverez pour lui des arguments auxquels vous n'aviez pas
songé pour vous - et dont vous ferez votre profit.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Le désespoir, c'est quand l'intelligence prend
la souffrance à son compte.  
    --- Georges PERROS   
%
 La machine d'arithmétique fait des effets qui approchent
plus de la pensée que tout ce que font les animaux ;
mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté,
comme les animaux.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 J'ai découvert l'autre jour que Franco Fortini,
poète sévère et tourmenté, ennemi
déclaré de la société du spectacle,
est un adepte du Mac. Cela dit, il est légitime de se demander
si à la longue, au fil du temps, l'emploi d'un système
plutôt que d'un autre ne cause pas de profondes modifications
intérieures. Peut-on vraiment être à la fois
adepte du Dos et catholique traditionaliste ? Par ailleurs,
Céline aurait-il écrit avec Word, WordPerfect ou
Wordstar ? Enfin, Descartes aurait-il programmé en
Pascal ?  
    --- Umberto ECO   
%
 La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage,
est de savoir celle qu'il faut mettre la première.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau :
la disposition des matières est nouvelle ; quand on
joue à la paume, c'est une même balle dont on joue
l'un et l'autre, mais l'un la place mieux.
 J'aimerais autant qu'on me dît que je me suis servi des
mots anciens. Et comme si les mêmes pensées ne formaient
pas un autre corps de discours, par une disposition différente,
aussi bien que les mêmes mots forment d'autres pensées
par leur différente disposition.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Par ordre de mérite alphabétique.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il semble que la nature, qui a si sagement disposé
les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait
aussi donné l'orgueil pour nous épargner la douleur
de connaître nos imperfections.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 J'ai connu dans ma vie un homme qui ne pouvait souffrir
l'orgueil des grands seigneurs ; il n'y avait rien de plus
beau que la morale qu'il débitait là-dessus :
s'il faisait jamais fortune, ce serait le plus raisonnable de
tous les hommes, disait-on. Cette fortune lui vint, il fut mis
en place : je n'ai jamais rien vu de si sot et de si superbe
que lui alors. Et d'où vient qu'il avait paru si différent ?
C'est que quand un homme est dans une condition médiocre,
il n'ose pas donner l'essor à son orgueil : il faut
qu'il lui retienne la bride, il faut que notre homme file doux,
en bon Français ; car s'il s'émancipe, on l'humilie ;
et cela est mortifiant ; de sorte que par orgueil prudent
il s'humilie lui-même, afin que personne ne s'en mêle.
Après cela, vous le voyez bon, simple, accommodant, ne
pouvant comprendre les grands airs de certaines gens, n'imaginant
point comment on peut être orgueilleux, levant les épaules
sur tous ceux qui le sont. Ah ! le bon apôtre !
Tenez, voici ce qu'il pense : puisque je ne saurais montrer
mon orgueil, il faut que je m'en venge sur ceux qui ont la liberté
de montrer le leur, et qui le montrent. Il faut que je dise qu'ils
me font pitié, cela les rendra plus petits aux yeux des
autres, et empêchera qu'on ne les voie si fort au-dessus
de moi ; car ces gens-là, je ne saurais les souffrir,
on ne paraît rien auprès d'eux, et je me soulage
en les abaissant. Outre cela, c'est qu'en faisant profession de
regarder l'orgueil comme une sottise, on croira que je n'en ai
point, et que ce serait peine perdue d'en avoir avec moi, parce
que je le mépriserais sans en être piqué,
ou bien que je n'y prendrais pas garde.  
    --- MARIVAUX   
%
 C'est dans une mise poudreuse que Diogène marcha
sur les magnifiques tapis de la demeure de Platon. Je foule aux
pieds l'orgueil de Platon, dit-il. C'est juste, répliqua
Platon, seulement, tu le fais avec une autre sorte d'orgueil.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Quoique l'orgueil soit généralement blâmé
et décrié, je suis néanmoins tenté
de croire que cela vient principalement de ceux qui n'ont rien
dont ils puissent s'enorgueillir. Vu l'impudence et la stupide
arrogance de la plupart des hommes, tout être qui possède
des mérites quelconques fera très bien de ne pas
les perdre de vue lui-même, afin de ne pas les laisser tomber
dans un oubli complet ; car celui qui, gentiment, ne cherche
pas à s'en prévaloir et se conduit avec les gens
comme s'il était en tout leur semblable, ne tardera pas
à être en toute naïveté considéré
par eux comme tel.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 L'orgueil a cela de bon qu'il préserve de l'envie.  
    --- Victor HUGO   
%
 La hauteur de l'orgueil se mesure à la profondeur
du mépris.  
    --- André GIDE   
%
 Plaire à soi est orgueil ; aux autres, vanité.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les religions se sont fait un titre de gloire d'avoir
prescrit de bannir l'orgueil sans se demander si, sans lui, l'homme
avait encore un but quelconque dans la vie. Sans orgueil, il n'y
a pas d'action, parce qu'il n'y a pas d'individualité.
Qui est contre l'orgueil se déclare ennemi mortel de la
vie.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Que nous puissions être blessés par ceux-là
mêmes que nous méprisons discrédite l'orgueil.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Supporter un rôle subalterne sans aigreur est beaucoup
plus difficile que d'être un exclu, un réprouvé.
Cette dernière condition comporte de grandes satisfactions
d'orgueil. Elle est une réussite à rebours.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Je déteste l'originalité. Je l'évite
le plus possible. Il faut employer une idée originale avec
les plus grandes précautions pour n'avoir pas l'air de
mettre un costume neuf.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Par peur d'être quelconque, j'ai fini par n'être
rien.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On n'imagine pas un Pascal voulant être "original".
 La recherche de l'originalité est presque toujours la
marque d'un esprit de second ordre.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Quand les paradoxes sont à leur place.
 Pour gagner des gens d'esprit à une proposition, il suffit
parfois de la présenter sous la forme d'un paradoxe monstrueux.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 On ne peut expliquer un paradoxe, non plus qu'un éternuement.
D'ailleurs, le paradoxe n'est-il pas un éternuement de
l'esprit ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 On disait à Delon, médecin mesmériste :
Eh bien ! M. de B... est mort, malgré la promesse
que vous aviez faite de le guérir. - Vous avez, dit-il,
été absent, vous n'avez pas suivi les progrès
de la cure : il est mort guéri."  
    --- CHAMFORT   
%
 Chiromancie. Quand on a l'index plus court que l'annulaire,
on préfère la gloire à l'argent ; mais
si l'on se suce l'index de façon à l'allonger, on
a tout de même des chances de devenir riche. Un doigt effilé
est signe d'imagination ; sucer donc votre doigt avec opiniâtreté.
Un doigt carré est signe de raison : écrasez-vous
donc le pouce, et nul n'osera vous contredire, etc., etc.
 Graphologie : mettez les points sur les i, et votre esprit
deviendra net. Paraphez en coup de sabre, et vous n'aurez plus
peur.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le spiritisme m'est toujours apparu comme un état
d'aberration, ou, si vous préférez, de semi-aberration
en commun, ou il entre un tiers d'aveuglement spontané
ou provoqué, un tiers de ruse et un tiers de sexualité
confuse. C'est, à mon avis, un chapitre de la psychopathie
et c'est aussi un jeu très dangereux, où le diable
trouve son compte ; car il mène aisément soit
à la folie déclarée, soit aux détraquements
de tous genres. Il y aurait un volume exact et pathétique
à écrire sur les méfaits des tables tournantes
chez ceux qui s'y adonnent.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Radiesthésiste n. Personne qui utilise une baguette
divinatoire pour prospecter le métal précieux dans
la poche d'un imbécile.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 C'est se tromper que de croire qu'il n'y ait que les violentes
passions, comme l'ambition et l'amour, qui puissent triompher
des autres. La paresse, toute languissante qu'elle est, ne laisse
pas d'en être souvent la maîtresse ; elle usurpe
sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie ;
elle y détruit et y consume insensiblement les passions
et les vertus.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 L'esprit s'attache par paresse et par constance à
ce qui lui est facile ou agréable ; cette habitude
met toujours des bornes à nos connaissances, et jamais
personne ne s'est donné la peine d'étendre et de
conduire son esprit aussi loin qu'il pourrait aller.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 De toutes les passions celle qui est la plus inconnue
à nous-mêmes, c'est la paresse ; elle est la
plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence
soit insensible, et que les dommages qu'elle cause soient très
cachés ; si nous considérons attentivement
son pouvoir, nous verrons qu'elle se rend en toutes rencontres
maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts
et de nos plaisirs ; c'est la rémore qui a la force
d'arrêter les plus grands vaisseaux, c'est une bonace plus
dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils,
et que les plus grandes tempêtes ; le repos de la paresse
est un charme secret de l'âme qui suspend soudainement les
plus ardentes poursuites et les plus opiniâtres résolutions ;
pour donner enfin la véritable idée de cette passion,
il faut dire que la paresse est comme une béatitude de
l'âme, qui console de toutes ses pertes, et qui lui tient
lieu de tous les biens.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Ah ! sainte paresse ! salutaire indolence !
si vous étiez restées mes gouvernantes, je n'aurais
pas vraisemblablement écrit tant de néants plus
ou moins spirituels, mais j'aurais eu plus de jours heureux que
je n'ai eu d'instants supportables. Mon ami, le repos ne vous
rend pas plus riche que vous ne l'êtes ; mais il ne
vous rend pas plus pauvre : avec lui vous conservez ce que
vous n'augmentez pas, encore ne sais-je pas si l'augmentation
ne vient pas quelquefois récompenser la vertueuse insensibilité
pour la fortune.  
    --- MARIVAUX   
%
 Chez la plupart des hommes, l'intelligence est un terrain
qui demeure en friche presque toute la vie. On a droit de s'étonner,
en voyant la multitude de gens stupides ou au moins médiocres,
qui ne semblent vivre que pour végéter, que Dieu
ait donné à ses créatures la raison, la faculté
d'imaginer, de comparer, de combiner, etc., pour produire si peu
de fruits. La paresse, l'ignorance, la situation où le
hasard les jette, changent presque tous les hommes en instruments
passifs des circonstances. Nous ne connaissons jamais ce que nous
pouvons obtenir de nous-mêmes. La paresse est sans doute
le plus grand ennemi du développement de nos facultés.
Le Connais-toi toi-même serait donc l'axiome fondamental
de toute société, où chacun de ses membres
ferait exactement son rôle et le remplirait dans toute son
étendue.  
    --- Eugène DELACROIX   
%
 Ne pas faire valoir son droit. - Exercer la puissance
coûte bien des peines et beaucoup de courage y est nécessaire.
C'est pourquoi tant de gens ne font pas valoir leur bon droit,
parce que ce droit est une sorte de puissance et qu'ils sont trop
paresseux ou trop lâches pour l'exercer. Mansuétude
et patience, ainsi nomme-t-on les vertus qui couvrent ce défaut.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le travail pense, la paresse songe.  
    --- Jules RENARD   
%
 Pour nous punir de notre paresse, il y a, outre nos insuccès,
les succès des autres.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il faut tout dire : le travail donne une satisfaction
un peu béate. Il y a dans la paresse un état d'inquiétude
qui n'est pas vulgaire, et auquel l'esprit doit peut-être
ses plus fines trouvailles.  
    --- Jules RENARD   
%
 La paresse a cela de mortel que, dès qu'on en triomphe,
on la sent qui renaît.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ecrire. Le plus difficile, c'est de prendre la plume,
de la tremper dans l'encre et de la tenir ferme au-dessus du papier.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je connais bien ma paresse. Je pourrais écrire
un traité sur elle, si ce n'était un si long travail.  
    --- Jules RENARD   
%
 Paresse : habitude prise de se reposer avant la fatigue.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le paresseux, à ce que je crois, n'est qu'un homme
qui n'a point encore de poste, ou qui croit n'en pas avoir. Chose
remarquable, c'est toujours parce qu'il sait ou croit qu'on ne
compte point sur lui, qu'il ne se presse point. Supposez au contraire
dans cet homme l'idée, vraie ou fausse, que nul ne saura
le remplacer, vous le verrez aller. C'est donc trop peu dire que
de dire que l'homme aime son travail. La prise du travail est
bien plus sûre. Comme ces courroies et engrenages, qui vous
happent par la manche, ainsi la grande machine ne demande point
permission. C'est un fait remarquable, et que je crois sans exception,
que l'homme qui règle lui-même son travail est celui
qui travaille le plus, pourvu qu'il coopère, et que d'autres
lui poussent sans cesse des pièces à finir. Aussi
je crois que sous les noms de cupidité, d'avarice, ou d'ambition,
on décrit souvent assez mal un sentiment vif d'un travail
à continuer, d'une réputation à soutenir,
enfin d'une certaine action que les autres ne feront pas aussi
bien. Il est clair que l'écolier ne trouve pas de ces raisons
d'agir ; pour une version mal faite rien ne manquera au monde.
Voilà sans doute pourquoi c'est dans la partie la plus
active, la plus remuante, la plus infatigable, qui est l'enfance,
que l'on trouve le plus de paresseux.  
    --- ALAIN   
%
 [...] je me suis rendu compte que si je travaillais tout
le temps comme je le fais, du matin au soir, souvent du soir au
matin, et d'un bout de l'année à l'autre, c'était
par paresse. Oui, je fais tout le temps quelque chose, parce que
j'ai remarqué que, lorsqu'on faisait quelque chose, on
ne faisait qu'une chose, ce qui n'est pas fatigant, tandis que,
lorsqu'on ne fait rien pendant une minute ou deux, on pense alors
à tout ce qu'on a à faire et qu'on ne fait pas  -  et
ça, c'est éreintant !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La paresse est un scepticisme de la chair.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Tout ce que j'ai de bon vient de ma paresse ; sans
elle, qui m'aurait empêché de mettre en application
mes mauvais desseins ? Elle m'a heureusement contenu dans
les limites de la "vertu".
 Tous nos vices viennent de l'excès d'activité,
de cette propension à nous réaliser, à donner
une apparence honorable à nos travers.  
    --- Emil CIORAN   
%
 D'abord, il est admis que toutes les passions relèvent
de la folie. On distingue le fou du sage à ce signe que
l'un  est guidé par la passion, l'autre par la raison.
Aussi les Stoïciens écartent-ils du sage toutes les
passions comme autant de maladies ; pourtant ces passions
non seulement servent de pilotes à ceux qui se pressent
pour atteindre le port de sagesse, mais elles sont aussi là,
dans la pratique de la vertu, comme des éperons, des aiguillons,
pour encourager à faire le bien. Sénèque,
deux fois stoïcien, va protester avec véhémence
lui qui défend absolument au sage toute passion. Mais ce
faisant, ce n'est plus un homme qu'il laisse subsister, il crée
plutôt une espèce de dieu d'un genre nouveau, qui
n'a jamais existé nulle part, et jamais n'existera. Pour
parler plus clairement, il a fabriqué une statue de marbre
à l'image de l'homme, stupide et parfaitement étrangère
à tout sentiment humain.  
    --- ERASME   
%
 Quand notre passion nous porte à faire quelque
chose, nous oublions notre devoir : comme on aime un livre,
on le lit, lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais, pour s'en
souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait ;
et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire
et on se souvient de son devoir par ce moyen.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 C'est le comble de la folie que de se proposer la ruine
des passions. Le beau projet que celui d'un dévot qui se
tourmente comme un forcené pour ne rien désirer,
ne rien aimer, ne rien sentir, et qui finirait par devenir un
vrai monstre, s'il réussissait !  
    --- Denis DIDEROT   
%
 Le philosophe qui veut éteindre ses passions ressemble
au chimiste qui voudrait éteindre son feu.  
    --- CHAMFORT   
%
 Le grand malheur des passions n'est pas dans les tourments
qu'elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu'elles
font commettre, et qui dégradent l'homme. Sans ces inconvénients,
elles auraient trop d'avantages sur la froide raison, qui ne rend
point heureux. Les passions font vivre l'homme, la sagesse le
fait seulement durer.  
    --- CHAMFORT   
%
 Le talent a-t-il donc besoin de passions ? Oui, il
a besoin de beaucoup de passions réprimées.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Les petits ont peu de passions, ils n'ont guères
que des besoins.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La tendresse est le repos de la passion.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La vue est enthousiaste. Les aveugles n'admirent rien.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 "Le talent a-t-il donc besoin de passions ? Oui,
de beaucoup de passions réprimées." (Joubert.)
 Il n'est pas un seul moraliste qu'on ne puisse convertir en précurseur
de Freud.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Les verres d'eau ont les mêmes passions que les
océans.  
    --- Victor HUGO   
%
 La volonté a honte de l'intellect. - Nous faisons
froidement les plans les plus raisonnables contre nos passions :
mais nous commettons ensuite les plus graves fautes, parce que,
souvent, au moment où le projet devrait être exécuté,
nous avons honte de la froideur et de la circonspection que nous
avons mises à le concevoir. On fait alors justement ce
qui est déraisonnable, à cause de cette sorte de
générosité bravache que toute passion amène
avec elle.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le plaisir de corrompre est un de ceux qu'on a le moins
étudié ; il en va de même de tout ce
qu'on prend d'abord soin de flétrir.  
    --- André GIDE   
%
 Les jeunes gens que j'ai connus les plus fanatiques d'automobile
étaient auparavant les moins curieux de voyages. Le plaisir
n'est plus ici de voir du pays, ni même d'arriver vite dans
tel lieu, où du reste plus rien n'attire ; mais bien
précisément d'aller vite. Et que l'on goûte
là des sensations aussi profondément inartistiques,
anti-artistiques, que celles de l'alpinisme, il faut bien accorder
qu'elles sont intenses et irréductibles ; l'époque
qui les a connues en subira la conséquence ; c'est
l'époque de l'impressionnisme, de la vision rapide et superficielle ;
on devine quels seront ses dieux, ses autels ; à force
d'irrespect, d'inconsidération, d'inconséquence,
elle y sacrifiera davantage encore, mais de manière inconsciente
ou inavouée.  
    --- André GIDE   
%
 Il faut que j'explique encore de plus près l'idée
essentielle de ce livre, qui est que ce sont les passions, et
non les intérêts, qui mènent le monde. Et
je suis surtout disposé à y revenir lorsque je pense
à ces descriptions si incomplètes de la nature humaine
qui ont cours maintenant, d'après lesquelles toutes nos
actions s'expliqueraient par un intérêt personnel
plus ou moins dissimulé. Si l'on prend les choses ainsi,
il y a un tel contraste entre l'homme de ces livres et l'homme
des tranchées, que l'on veut imaginer quelque miracle surhumain,
par où revient l'idée toujours si puissante de la
guerre décrétée surhumainement, et par conséquent
inévitable. C'est pourquoi je ne pourrais jamais expliquer
trop longuement le mécanisme des passions et ses redoutables
effets. Il faut d'abord que vous sachiez que le dernier secret
de la chose est dans le Traité des Passions, de Descartes,
et est assez caché, malgré l'apparence.  
    --- ALAIN   
%
 Méditez sur ce mot d'un avocat : "Les intérêts
transigent toujours ; les passions ne transigent jamais."
On peut vivre en paix vingt ans et plus, dans ces conflits d'intérêts,
comme l'expérience l'a fait voir ; on peut donc y
vivre toujours ; tout se tasse ; tout s'arrange. Il
ne faut pas espérer ici une espèce de code qui aurait
tout prévu. Il y a des procès, et ruineux pour tous,
non par l'insuffisance du code, mais par les passions ; et
il y a d'heureux arrangements, plus avantageux que les procès,
dès que les intérêts jouent seuls. Détournez
donc votre regard de ce vain étalage juridique, dangereux
surtout par la fausse sécurité qu'il vous donnerait.
Guettez les passions qui naissent, et que les tyrans conduisent
si bien.
 ~
 Pour moi j'ai toujours vu clair dans ces discours d'officiers
et d'académiciens : "Cette jeunesse était lâche ;
cette autre jeunesse vaut mieux." Songez aussi à cette
littérature académicienne, qui, par des injures
suivies à l'ennemi, allait à la même fin.
Songez aux violences de la rue, et à ce chantage organisé
par les royalistes. Cette vague de guerre a passé sur vous,
vous entraînant, vous portant vers la catastrophe. Et vous
étiez toujours, vous en êtes peut-être encore
à chercher quelque tribunal arbitral qui réglerait
les différends entre nations. Mais comprenez donc que nul
ne se battrait pour un différend entre nations, au lieu
que n'importe quel homme se battra pour prouver qu'il n'est pas
un lâche.  
    --- ALAIN   
%
 Les grands esprits ne s'occupent qu'à vaincre les
difficultés qui leur sont propres, et qu'ils trouvent dans
le pli de leur humeur. Et seuls, par cela même, ils sont
de bon secours. J'ai à sauver une certaine manière
d'aimer, de haïr, de désirer, tout à fait animale,
et qui m'est aussi adhérente que la couleur de mes yeux.
J'ai à la sauver, non pas à la tuer. Dans l'avarice,
qui est la moins généreuse des passions, il y a
l'esprit d'ordre, qui est universel ; il y a le respect du
travail, qui est universel ; la haine des heures perdues
et des folles prodigalités, qui est universelle. Ces pensées,
car ce sont des pensées, sauveront très bien l'avare
s'il ose seulement être lui-même, et savoir ce qu'il
veut. Autant à dire de l'ambitieux, s'il est vraiment ambitieux ;
car il voudra une louange qui vaille, et ainsi honorera l'esprit
libre, les différences, les résistances. Et l'amour
ne cesse de se sauver par aimer encore mieux ce qu'il aime. D'où
Descartes disait qu'il n'y a point de passions dont on ne puisse
faire bon usage.  
    --- ALAIN   
%
 Il n'y a point de chemin trop long à qui marche
lentement et sans se presser ; il n'y a point d'avantages
trop éloignés à qui s'y prépare par
la patience.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Souviens-toi de cuver ton encre.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La passion ne veut pas attendre ; le tragique dans
la vie des grands hommes réside souvent non pas dans leur
conflit avec leur époque et la bassesse de leurs contemporains,
mais dans leur incapacité de remettre leur oeuvre d'une
année, de deux années ; ils ne savent pas attendre.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Après quelques assauts infructueux, ne renonce
pas, n'insiste non plus. Mais garde ce problème dans les
caves de ton esprit où il s'améliore. Changez tous
les deux.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il faut une infinie patience pour attendre toujours ce
qui n'arrive jamais.  
    --- Pierre DAC   
%
 Tout vient à point à qui sait bien attendre
ce qui l'attend au tournant et qui lui pend au nez sans savoir
d'où ça vient.  
    --- Pierre DAC   
%
 S'armer de patience, combien l'expression est juste !
La patience est effectivement une arme, et qui s'en munit, rien
ne saurait l'abattre. C'est la vertu qui me fait le plus défaut.
Sans elle, on est automatiquement livré au caprice ou au
désespoir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Ne soyons plus anglais ni français ni allemands.
Soyons européens. Ne soyons plus européens, soyons
hommes.  -  Soyons l'humanité.
 Il nous reste à abdiquer un dernier égoïsme :
la patrie.  
    --- Victor HUGO   
%
 La perfection de l'humanité ne sera pas l'extinction,
mais l'harmonie des nationalités : les nationalités
vont bien plutôt se fortifiant que s'affaiblissant ;
détruire une nationalité, c'est détruire
un son dans l'humanité.  
    --- Ernest RENAN   
%
 [...] l'homme du peuple est bien plus sensible à
la gloire patriotique que l'homme plus réfléchi,
qui a une individualité prononcée. Celui-ci peut
se relever par lui-même, par ses talents, ses titres, ses
richesses. L'homme du peuple, au contraire, qui n'a rien de tout
cela, s'attribue comme un patrimoine la gloire nationale et s'identifie
avec la masse qui a fait ces grandes choses. C'est son bien, son
titre de noblesse, à lui. Là est le secret de cette
puissante adoption de Napoléon par le peuple. La gloire
de Napoléon est la gloire de ceux qui n'en ont pas d'autres.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Croire au village, c'est donner une limite à sa
vie ; c'est lui croire un sens, et elle n'en a pas. C'est
un peu sot de s'imaginer que nous avons une raison d'être
là plutôt qu'ailleurs. Continuer nos pères,
pour quoi faire ? Ils ne savaient pas. La feuille a une attache
qui lui suffit. Le cerveau est nomade. Pas de petite patrie. Une
fuite résignée. Etre n'importe où,
ne jamais consentir à se fixer comme si un point dans l'univers
nous était réservé. N'ayons pas d'orgueil !
Au premier éclair de lucidité nous verrions que
nous sommes dupes, et nous serions pleins de pitié pour
nous mêmes.
 Livrons-nous à l'universelle loi d'éparpillement.
 Ne pas être un homme qui regarde son village avec une loupe.
 Rappelons-nous que ce monde n'a aucun sens.  
    --- Jules RENARD   
%
 Vous êtes nés dans ce pays et vous en êtes
fier et vous lui êtes attaché. Vous seriez né
dans un autre pays, vous en seriez tout aussi fier et vous lui
seriez attaché de même. Mieux, même :
né ici, on vous aurait aussitôt transporté
dans un autre pays où vous auriez été élevé
et auriez grandi ? Vous seriez de ce pays et c'est de lui
que vous seriez fier et ce pays auquel vous seriez attaché.
Supposez que les bruns se mettent à être fiers d'être
bruns, avec une idée de prévalence,  -  et
qui dit prévalence dit bientôt rivalité,  -  sur
les blonds ou vice versa ? Vous voyez si vous êtes
comique avec votre orgueil national et votre patriotisme :
vous avez eu autant de part à être de ce pays plutôt
que d'un autre, que les bruns à être bruns et les
blonds à être blonds.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Patriotisme n. Matériau combustible susceptible
de servir de torche à quiconque ambitionne d'illuminer
son nom.
 Dans le célèbre dictionnaire du Dr. Johnson, le
patriotisme est défini comme le dernier recours du scélérat.
Avec tout le respect dû à un brillant quoique inférieur
lexicographe, je me permets d'affirmer que c'est le premier.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Le patriotisme n'est pas seulement le dernier refuge des
coquins ; c'est aussi le premier piédestal des naïfs
et le reposoir favori des imbéciles.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Un homme qui se respecte n'a pas de patrie. Une patrie,
c'est de la glu.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie,
c'est cela et rien d'autre.  
    --- Emil CIORAN   
%
 A les entendre, on croirait que rien n'est si aisé
que de dire ce qu'on pense, et il n'est pas même aisé
de le savoir au juste.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il y a, pour l'observateur et le connoisseur, des mots
et des pensées remarquables partout, dans les conversations
des sots, dans les écrits les plus médiocres, etc.
Cela est en circulation comme les pièces d'or, dont tout
le monde fait usage et dont personne ou presque personne ne remarque
l'éclat, la valeur intrinsèque et la beauté.
 On peut faire de ces monnoyes des bijoux ; mais qui saura
le mettre en oeuvre ?  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La liberté de penser est imprescriptible :
si vous barrez à l'homme les vastes horizons, il s'en vengera
par la subtilité : si vous lui imposez un texte, il
y échappera par le contresens. Le contresens, aux époques
d'autorité, est la revanche que prend l'esprit humain sur
la chaîne qu'on lui impose ; c'est la protestation
contre le texte. Ce texte est infaillible ; à la bonne
heure. Mais il est diversement interprétable, et là
recommence la diversité, simulacre de liberté dont
on se contente à défaut d'autre. Sous le régime
d'Aristote, comme sous celui de la Bible, on a pu penser presque
aussi librement que de nos jours, mais à la condition de
prouver que telle pensée était réellement
dans Aristote ou dans la Bible, ce qui ne faisait jamais grande
difficulté. Le Talmud, la Massore, la Cabale sont les produits
étranges de ce que peut l'esprit humain enchaîné
sur un texte. On en compte les lettres, les mots, les syllabes,
on s'attache aux sons matériels bien plus qu'au sens, on
multiplie à l'infini les subtilités exégétiques,
les modes d'interprétation, comme l'affamé, qui,
après avoir mangé son pain, en recueille les miettes.
Tous les commentaires des livres sacrés se ressemblent,
depuis ceux de Manou jusqu'à ceux de la Bible, jusqu'à
ceux du Coran. Tous sont la protestation de l'esprit humain contre
la lettre asservissante, un effort malheureux pour féconder
un champ infécond. Quand l'esprit ne trouve pas un objet
proportionné à son activité, il s'en crée
un par mille tours de force.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Danger dans la voix.  -  Avec une voix forte dans
la gorge on est presque incapable de penser des choses subtiles.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les pensées de derrière la tête.
 On dit qu'un homme a des pensées de derrière la
tête quand il ne dit pas tout ce qu'il pense ou tout ce
qu'il veut. C'est un cas très ordinaire et rien d'exceptionnel
n'est signifié par cette expression. Celui qui dirait tout
ce qu'il pense et déclarerait toutes ses intentions n'aurait
que des pensées de devant la tête, des pensées
de façade, si on peut dire et serait une sorte de monstre.
Sa tête ressemblerait à une maison impossible, sans
hauteur ni profondeur, sans toit, sans cave, sans escalier, sans
propriétaire, où on ne pourrait s'étendre
pour dormir qu'en mettant ses pieds et même ses jambes hors
de la fenêtre, au scandale des personnes élégantes
ou raisonnables qui passeraient dans la rue. On ne peut imaginer
rien de plus absurde. En supposant qu'une telle demeure parût
habitable à des malheureux accoutumés à l'étalage
de leur misère, comment des gens dignes d'estime, n'ayant
rien à se reprocher, pourraient-ils supporter de s'offrir
en spectacle à tous ceux qui seraient tentés de
regarder dans leur intérieur ?
 Un homme qui a des pensées de derrière la tête,
au contraire, est simplement un individu sensé, habitant
une maison bien aménagée, pourvue, par conséquent,
d'un endroit retiré où il lui soit loisible de penser
en sécurité, et d'un autre endroit, peu éloigné
du premier, où il puisse obéir à certains
appels de la nature, sans que personne en soit informé.
L'idéal serait qu'il n'y eût qu'un seul endroit pour
les deux fonctions qui paraissent avoir, dans ce cas, une mystérieuse
et profonde conformité. Les spéculateurs et les
sociologues me comprendront !  
    --- Léon BLOY   
%
 Parler avec soi-même...
 Ce n'est pas toujours amusant :
 Rendre la conversation amusante,
 intéressante, instructive, imprévue,
 avec soi-même,
 c'est se faire  -  penseur...   
    --- Paul VALERY   
%
 Savoir penser, c'est savoir tirer du hasard les ressources
qu'il implique en nous.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les grandes pensées ont quelque chose d'enfantin,
qui fait que les beaux esprits passeront toujours à côté
sans les voir.  
    --- ALAIN   
%
 Rien n'étonne plus qu'une objection ; dès
qu'on ne l'a pas prévue, on se trouve sot. Il faudrait
oser beaucoup, mais sans aucune prétention ; c'est
difficile ; car la modestie ne commence rien. Qui n'est pas
un petit Descartes, qui ne compte pas sur ses propres lumières,
est un penseur faible ; mais qui se lance d'après
ses propres lumières est bientôt un penseur ridicule.  
    --- ALAIN   
%
 Le nombre augmente... des choses que je me permets de
penser, que je me permets un peu moins de dire, et que je ne permets
aux autres de dire pas du tout. Par exemple : que le commencement
de Madame Bovary est fort mal écrit.  
    --- André GIDE   
%
 Ne pas se forcer à penser ; mais noter aussitôt
chaque pensée qui se propose.  
    --- André GIDE   
%
 Les penseurs de première main méditent sur
des choses ; les autres, sur des problèmes. Il faut
vivre face à l'être, non à l'esprit.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'homme pense seul et ne trouve de raisons de penser que
par les autres.  
    --- Georges PERROS   
%
 Prêter aux autres des pensées de l'arrière,
pensées qu'ils feront connaître à tous, sauf
au principal intéressé, les éléments
qui les composent le concernant, et, avoir la bêtise ou
le courage de leur dévoiler ce qu'ils croyaient si bien
caché, s'attirant un : "Tu es fou. Qu'est-ce que tu
vas chercher. Quel compliqué tu fais !", ce courage
ou cette bêtise les déçoit cruellement sur
notre compte. On leur retire "l'inconnaissable absolu", et ils
ne vous pardonneront pas de leur avoir ôté le droit
et le plaisir de nous croire leur ami.  
    --- Georges PERROS   
%
 Qu'est-ce qu'un penseur ? Un homme qui se pose encore
des questions quand les autres ne s'en posent plus.  
    --- André FROSSARD   
%
 Pour chaque espèce, le monde extérieur tel
qu'il est perçu dépend à la fois des organes
des sens et de la manière dont le cerveau intègre
événements sensoriels et moteurs. Même lorsque
des espèces différentes perçoivent une même
gamme de stimulus, leur cerveau peut être organisé
pour sélectionner des particularités différentes.
L'environnement tel qu'il est perçu par des espèces
différentes peut, selon la manière dont est traitée
l'information, diverger aussi radicalement que si les stimulus
reçus venaient de mondes différents. Nous-mêmes,
nous sommes si étroitement enfermés dans la représentation
du monde imposée par notre équipement sensoriel
et nerveux, qu'il nous est difficile de concevoir la possibilité
de voir ce monde de manière différente. Nous imaginons
mal le monde d'une mouche, d'un ver de terre ou d'une mouette.
 Quelle que soit la manière dont un organisme explore son
milieu, la perception qu'il en tire doit nécessairement
refléter la "réalité" ou, plus spécifiquement,
les aspects de la réalité qui sont directement liés
à son comportement. Si l'image que se forme un oiseau des
insectes qu'il doit apporter en nourriture à ses petits
ne reflétait pas certains aspects au moins de la réalité,
il n'y aurait plus de petits. Si la représentation que
se fait le singe de la branche sur laquelle il veut sauter n'avait
rien à voir avec la réalité, il n'y aurait
plus de singe. Et s'il n'en était pas de même pour
nous, nous ne serions pas ici pour en discuter. Percevoir certains
aspects de la réalité est une exigence biologique.  
    --- François JACOB   
%
 Les politiques, les moralistes, les théologiens
ont ceci de commun, qu'ils se proposent de conduire l'homme à
la perfection, et qu'ils seraient bien fâchés qu'il
y arrivât.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 La perfection se compose de minuties. Le ridicule est
de les mettre hors de leur place et n'est pas de les employer.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
  -  Mais quand une chose t'ennuiera, ne la fais
pas. Ne cours pas après une vaine perfection. Il est certains
défauts pour le vulgaire qui donnent souvent la vie.  
    --- Eugène DELACROIX   
%
 La perfection. L'atteindre, c'est enfin connaître
l'excellence par l'impuissance.  
    --- Paul VALERY   
%
 Rien ne stérilise tant un écrivain que la
poursuite de la perfection. Pour produire, il faut se laisser
aller à sa nature, s'abandonner, écouter ses voix...,
éliminer la censure de l'ironie ou du bon goût...  
    --- Emil CIORAN   
%
 La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins,
sont plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance :
leur paresse ou leur inconstance leur fait perdre le fruit des
meilleurs commencements ; ils se laissent souvent devancer
par d'autres qui sont partis après eux et qui marchent
lentement, mais constamment.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Une femme avait un procès au Parlement de Dijon.
Elle vint à Paris, sollicita M. le garde des Sceaux (1784)
de vouloir bien écrire, en sa faveur, un mot qui lui faisait
gagner un procès très juste ; le garde des
Sceaux la refusa. La comtesse de Talleyrand prenait intérêt
à cette femme ; elle en parla au garde des Sceaux :
nouveau refus. Mme de Talleyrand en fit parler par la reine :
autre refus. Mme de Talleyrand se souvint que le garde des Sceaux
caressait beaucoup l'abbé de Périgord, son fils.
Elle fit écrire par lui : refus très bien tourné.
Cette femme désespérée résolut de
faire une tentative, et d'aller à Versailles. Le lendemain,
elle part ; l'incommodité de la voiture publique l'engage
à descendre à Sèvres et à faire le
reste de la route à pied. Un homme lui offre de la mener
par un chemin plus agréable et qui abrège. Elle
accepte, et lui conte son histoire. Cet homme lui dit : "Vous
aurez demain ce que vous demandez." Elle va chez le garde des
Sceaux, est refusée encore, veut partir. L'homme l'engage
à coucher à Versailles, et, le lendemain matin,
lui apporte le papier qu'elle demandait. C'était un commis
d'un commis, nommé M. Etienne.  
    --- CHAMFORT   
%
 On est ferme par principes, on est têtu par caractère
ou plutôt par tempérament. Le têtu est celui
dont les organes, quand ils ont une fois pris un pli, n'en peuvent
plus ou n'en peuvent de longtemps reprendre un autre.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Qu'est-ce "être obstiné" ? - Le chemin
le plus court n'est pas le plus droit, mais celui sur lequel le
vent le plus favorable gonfle notre voile : c'est ce qu'enseignent
les règles de la navigation. Ne pas leur obéir,
c'est être obstiné : la fermeté de caractère
est ici gâtée par la bêtise.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Persévérance n. Humble vertu qui permet
aux médiocres de parvenir à un succès peu
glorieux.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Une chose réussie est une transformation d'une
chose manquée.
 Donc une chose manquée n'est manquée que par abandon.  
    --- Paul VALERY   
%
 Cette formule apparemment toute bête : "il
suffit d'insister", est l'une des recettes les plus assurément
désastreuses mises au point sur notre planète sur
des centaines de millions d'années. Elle a conduit des
espèces entières à l'extinction. C'est une
forme de jeu avec le passé que nos ancêtres les animaux
connaissaient déjà avant le sixième jour
de la création.
 ~
 La nécessité vitale de l'adaptation fait apparaître
des comportements spécifiques dont le but dans l'idéal,
est de permettre la meilleure survie possible sans souffrance
inutile. Pour des raisons encore mal élucidées,
l'homme, comme les animaux, a tendance à considérer
ces solutions comme définitives, valides à tout
jamais. Cette naïveté sert seulement à nous
aveugler sur le fait que ces solutions sont au contraire destinées
à devenir de plus en plus anachroniques. Elle nous empêche
de nous rendre compte qu'il existe - et qu'il a sans doute toujours
existé - un certain nombre d'autres solutions possibles,
envisageables, voire carrément préférables.
Ce double aveuglement produit un double effet. D'abord, il rend
la solution en vigueur de plus en plus inutile et par voie de
conséquence la situation de plus en plus désespérée.
Ensuite, l'inconfort croissant qui en résulte, joint à
la certitude inébranlable qu'il n'existe nulle autre solution,
ne peut conduire qu'à une conclusion et une seule :
il faut insister. Ce faisant, on ne peut que s'enfoncer dans le
malheur.  
    --- Paul WATZLAWICK   
%
 Cecy seulement. Pyrrho le Philosophe, se trouvant un jour
de grande tourmente dans un batteau, montroit  ceux qu'il voyoit
les plus effrayez autour de luy, et les encourageoit par l'exemple
d'un pourceau, qui y estoit, nullement soucieux de cet orage.
Oserons-nous donc dire que cet avantage de la raison, dequoy nous
faisons tant de feste, et pour le respect duquel nous nous tenons
maistres et empereurs du reste des creatures, ait esté
mis en nous pour nostre tourment ? A quoy faire la cognoissance
des choses, si nous en perdons le repos et la tranquillité,
où nous serions sans cela, et si elle nous rend de pire
condition que le pourceau de Pyrrho ? L'intelligence qui
nous a esté donnée pour nostre plus grand bien,
l'employerons-nous à nostre ruine, combatans le dessein
de nature, et l'universel ordre des choses, qui porte que chacun
use de ses utils et moyens pour sa commodité ?  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 La crainte est un sentiment. La prévoyance est
une opération de l'esprit. Prévoir les maux, ce
n'est pas craindre.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il y a le peureux qui regarde sous son lit, et le peureux
qui n'ose même pas regarder sous son lit.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il n'y a point d'autre peur, à bien regarder, que
la peur de la peur. Chacun a pu remarquer que l'action dissipe
la peur, et que la vue d'un danger bien clair la calme souvent ;
au lieu qu'en l'absence de perceptions claires, la peur se nourrit
d'elle-même, comme le font bien voir ces peurs sans mesure
à l'approche d'un discours public ou d'un examen.  
    --- ALAIN   
%
 On a assez remarqué que la peur est plus grande
de loin, et diminue quand on approche. Et ce n'est point parce
qu'on imagine le danger plus redoutable qu'il n'est ; ce
n'est pas pour cela, car à l'approche d'un danger véritable
on se reprend encore. C'est proprement l'imagination qui fait
peur, par l'instabilité des objets imaginaires, par les
mouvements précipités et interrompus qui sont l'effet
et en même temps la cause de ces apparences, enfin par une
impuissance d'agir qui tient moins à la puissance de l'objet
qu'aux faibles prises qu'il nous offre. Nul n'est brave contre
les fantômes. Aussi le brave va-t-il à la chose réelle
avec une sorte d'allégresse, non sans retour de peur, jusqu'au
moment où l'action difficile, jointe à la perception
exacte, le délivre tout à fait. On dit quelquefois
qu'alors il donne sa vie ; mais il faut bien l'entendre ;
il se donne non à la mort, mais à l'action.  
    --- ALAIN   
%
 Avoir peur de Dieu, de la mort, de la maladie, de soi-même,
n'explique en rien le phénomène de peur. La peur
étant primordiale, elle peut être présente
aussi sans ces "objets". Le néant est-il une cause d'angoisse ?
Au contraire ; l'angoisse est plus vraisemblablement la cause
du néant. L'angoisse est génératrice de ses
objets, elle donne naissance à ses "causes". Aussi l'angoisse
est-elle en soi sans mobile.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Dès que les animaux n'ont plus besoin d'avoir peur
les uns des autres, ils tombent dans l'hébétude
et prennent cet air accablé qu'on leur voit dans les jardins
zoologiques. Les individus et les peuples offriraient le même
spectacle, si un jour ils arrivaient à vivre en harmonie,
à ne plus trembler ouvertement ou en cachette.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La peur d'être déçu rend méchant.  
    --- Georges PERROS   
%
 Celui qui vole avec de l'argent dans la poche se fait
peur. Le fauché qui vole a peur.  
    --- José ARTUR   
%
 Kleptomane n. Riche voleur.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 La durée de la vie humaine ? Un point. Sa
substance ? Fuyante. La sensation ? Obscure. Le composé
corporel dans son ensemble ? Prompt à pourrir. L'âme ?
Un tourbillon. Le sort ? Difficile à deviner. La réputation ?
Incertaine. Pour résumer, au total les choses du corps
s'écoulent comme un fleuve ; les choses de l'âme
ne sont que songe et fumée, la vie est une guerre et un
séjour étranger ; la renommée qu'on
laisse, un oubli. Qu'est-ce qui peut la faire supporter ?
Une seule chose, la philosophie.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Géométrie, finesse. - La vraie éloquence
se moque de l'éloquence, la vraie morale se moque de la
morale ; c'est à dire que la morale du jugement se
moque de la morale de l'esprit, qui est sans règles.
 Car le jugement est celui à qui appartient le sentiment,
comme les sciences appartiennent à l'esprit. La finesse
est la partie du jugement, la géométrie est celle
de l'esprit. 
 Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Bien loin de s'effrayer ou de rougir même du nom
de philosophe, il n'y a personne au monde qui ne dût avoir
une forte teinture de philosophie ; elle convient à
tout le monde ; la pratique en est utile à tous les
âges, à tous les sexes et à toutes les conditions ;
elle nous console du bonheur d'autrui, des indignes préférences,
des mauvais succès, du déclin de nos forces ou de
notre beauté ; elle nous arme contre la pauvreté,
la vieillesse, la maladie et la mort, contre les sots et les mauvais
railleurs ; elle nous fait vivre sans une femme, ou nous
fait supporter celle avec qui nous vivons.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 On étoit autrefois philosophe à bon marché :
il y avait si peu de vérités connues ; on raisonnoit
sur des choses si vagues et si générales.
 Tout rouloit sur trois ou quatre questions :
 Quel étoit le souverain bien.
 Quel étoit le principe des choses : ou le feu, ou
l'eau, ou les nombres.
 Si l'âme étoit immortelle.
 Si les Dieux gouvernaient l'Univers.
 Celui qui s'étoit déterminé sur quelqu'une
de ces questions étoit d'abord philosophe, pour peu qu'il
eût de barbe.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Toute belle poésie est semblable à celle
d'Homère, et toute belle philosophie ressemble à
celle de Platon.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Qu'est-ce qu'un philosophe ? C'est un homme qui oppose
la nature à la loi, la raison à l'usage, sa conscience
à l'opinion, et son jugement à l'erreur.  
    --- CHAMFORT   
%
 Peu de philosophie mène à mépriser
l'érudition ; beaucoup de philosophie mène
à l'estimer.  
    --- CHAMFORT   
%
 Il se livrait au trafic d'opinions : il était
professeur de philosophie.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Comme Salomon et comme Epicure, j'ai pénétré
dans la philosophie par le plaisir. Cela vaut mieux que d'y arriver
péniblement par la logique, comme Hegel ou comme Spinoza.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Ce que les philosophes disent de la réalité
est souvent aussi décevant que l'affiche qu'on a pu voir
chez un marchand de bric-à-brac : "ici on repasse".
Apporte-t-on son linge à repasser, on est dupé :
l'enseigne est à vendre.  
    --- Sören KIERKEGAARD   
%
 Il existe de nos jours des professeurs de philosophie,
mais de philosophes, point. Et pourtant n'est-il pas admirable
de professer ce qu'il était autrefois admirable de vivre ?
Etre philosophe, ce n'est pas seulement avoir des pensées
subtiles, ce n'est pas même fonder une école, c'est
aimer assez la sagesse pour vivre selon ses arrêts, une
vie de simplicité, d'indépendance, de générosité
et de confiance. C'est résoudre quelqu'uns des problèmes
de la vie, non seulement en théorie, mais en pratique.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Dans les beaux siècles de l'antiquité, on
était philosophe ou poète, comme on est honnête
homme dans toutes les positions de la vie. Nul intérêt
pratique, nulle institution officielle n'étaient nécessaires
pour exciter le zèle de la recherche ou la production poétique.
La curiosité spontanée, l'instinct des belles choses
y suffisaient. Ammonius Saccas, le fondateur de la plus haute
et de la plus savante école philosophique de l'antiquité,
était un portefaix. Imaginez donc un fort de la halle créant
chez nous un ordre de spéculation analogue à la
philosophie de Schelling ou de Hegel !  
    --- Ernest RENAN   
%
 Tout d'abord, le jeune Saphyr versa dans les philosophes
tristes, qui lui apprirent à mépriser la gaîté
comme basse et peu artiste (c'est ainsi que les culs-de-jatte
mettent l'équitation au dernier rang des arts).  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Les philosophes ont commencé de m'être indifférents
du jour où je me suis rendu compte qu'on ne pouvait faire
de philosophie qu'avec indifférence, c'est-à-dire
en faisant preuve d'une indépendance inadmissible par rapport
aux états d'âme. La neutralité psychique est
le caractère essentiel du philosophe. Que je sache, Kant
n'a jamais été triste. Je ne peux pas aimer les
hommes qui ne mêlent pas les regrets aux pensées.
De même que les idées, les philosophes n'ont pas
de destin. Comme il est commode d'être philosophe !  
    --- Emil CIORAN   
%
 Souffrir signifie méditer sur une sensation de
douleur ; philosopher, méditer sur cette méditation.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Ce qui distingue les philosophes antiques des modernes
 -  différence si frappante, et si défavorable
aux derniers  -  vient de ce que ceux-ci ont philosophé
à leur table de travail, au bureau, mais ceux-là
dans des jardins, des marchés ou le long de je ne sais
quel bord de mer. Et les antiques, plus paresseux, restaient longtemps
allongés, car ils savaient que l'inspiration vient à
l'horizontale : ils attendaient ainsi les pensées,
que les modernes forcent et provoquent par la lecture, donnant
l'impression de n'avoir jamais connu le plaisir de l'irresponsabilité
méditative, mais d'avoir organisé leurs idées
avec une application d'entrepreneurs. Des ingénieurs autour
de Dieu.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Dans le fond le métier de penser est une lutte
contre les séductions et apparences. Toute la philosophie
se définit par là finalement. Il s'agit de se délivrer
d'un univers merveilleux, qui accable comme un rêve, et
enfin de vaincre cette fantasmagorie. Sûrement de chasser
les faux dieux toujours, ce qui revient à réduire
cette énorme nature au plus simple, par dénombrement
exact. Art du sévère Descartes, mal compris, parce
qu'on ne voit pas assez que les passions les plus folles, de prophètes
et de visionnaires, qui multiplient les êtres à loisir,
sont déjà vaincues par le froid dénombrement
des forces. Evasion, sérieux travail.  
    --- ALAIN   
%
 Ce n'est pas peu de chose que de méditer sur un
livre ; cela dépasse de bien loin la conversation
la plus étudiée, où l'objet change aussitôt
par la réflexion. Le livre ne change point, et ramène
toujours. Il faut que la pensée creuse là.  
    --- ALAIN   
%
 ... un système philosophique n'est pas fait pour
être compris : il est fait pour faire comprendre.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Les systèmes philosophiques veulent être
ce qu'il y a de plus proche du permanent, et ils sont ce qui tombe
le plus vite en désuétude.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 C'est une tactique défensive classique de l'autisme
des philosophes que d'affirmer, en présence d'une objection,
qu'ils n'ont jamais dit exactement ce que réfute cette
objection. Le philosophe a une doctrine quand on l'approuve, il
n'en a plus du tout quand on la discute. C'est un être bimorphe,
qui atteint sa dilatation maximale en présence des esprits
compréhensifs et se contracte jusqu'à l'impalpabilité
devant les esprits négatifs.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Les philosophes sont des violents qui, faute d'armée
à leur disposition, se soumettent le monde en l'enfermant
dans un système. Probablement est-ce aussi la raison pour
laquelle les époques de tyrannie ont vu naître de
grandes figures philosophiques, alors que les époques de
démocratie et de civilisation avancée ne réussissent
pas à produire une seule philosophie convaincante, du moins
dans la mesure où l'on en peut juger par les regrets que
l'on entend communément exprimer sur ce point.  
    --- Robert MUSIL   
%
 Philosopher c'est apprendre à vivre, non à
mourir. Pourquoi apprendrait-on à mourir, d'ailleurs, puisque
on est sûr d'y arriver, puisque c'est le seul examen, comme
disait un vieux professeur, que personne n'ait jamais raté ?  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 A quoi sert la philosophie ? A nourrir
ceux qui en font métier et à consoler les autres
de ne pas en croquer.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 La plupart des pensées de Pascal (sur les lois,
les usages, les couleurs) ne sont que les pensées de Montaigne
qu'il a refaites.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 N'imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient
un singe.  
    --- Victor HUGO   
%
 Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir
des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait
mouton assimilé.  
    --- Paul VALERY   
%
 Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique.
Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses
expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée
juste.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Outre une trentaine de grands peintres, il faut considérer
que les médiocres ont copié.
 De là le grand nombre de tableaux agréables à
regarder.  
    --- STENDHAL   
%
 Les grands créateurs, s'ils pouvaient se lever
de leur tombe, nous diraient : "Ne faites pas ce que j'ai
fait, ne m'imitez pas !" Pour être fidèle à
l'esprit de ces grands modèles, il faut non pas recommencer
ce qui est déjà écrit, mais être libre
et audacieux, comme ils le furent par rapport à leur temps.
C'est donc le moderne néoclassique qui est le véritable
ennemi du classicisme, parce qu'au nom d'une tradition dont il
se prétend l'héritier, il renie l'esprit révolutionnaire
qui en était toute la raison d'être.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Quand on veut deviner aujourd'hui en France quels auteurs
précédents ont le plus nourri un nouveau livre,
il n'est que de regarder la bibliographie : ce sont ceux
qui n'y figurent pas. Outre les plagiaires stricto sensu, qui
ont prospéré au grand jour sans endurer de discrédit
durable, on a vu proliférer dernièrement les pique-assiettes
et les voleurs à la tire, servis par l'amnésie des
médias. Un nouvel auteur se reconnaît volontiers
des dettes à l'égard de prédécesseurs
auxquels il ne doit rien, mais dont citer les noms l'ennoblit,
et il n'avoue pas les emprunts effectifs qu'il a faits à
d'autres écrivains, instigateurs de polémiques trop
violentes, et dont il veut bien partager les idées, mais
pas les ennemis. Certains ne craignent pas de dévaliser
plus petits qu'eux-mêmes. Au royaume de la "création",
on voit d'opulents conducteurs de Rolls Royce chiper leur vélo
à des gamins. Les idées sont si rares...  
    --- Jean-François REVEL  
%
 Un jour, Bordier se plaignait chez Racan de l'insuffisance
des encouragements donnés aux lettres. Il paraît
qu'on n'a jamais négligé de se plaindre de ces choses-là.
 "Sottise, monsieur !  -  interrompt Malherbe,  -  peut-on
faire métier de rimeur pour en espérer autre chose
que son propre divertissement ! Un bon poète n'est
pas plus utile à l'Etat qu'un bon joueur de quilles."  
    --- Malherbe
      
%
 Ce grand puriste [Malherbe] n'en échappait point
pour cela aux critiques. Ceux qu'il reprenait l'épluchaient
à leur tour, et Des Yveteaux vint lui faire remarquer une
fois dans le vers :  -  Enfin cette beauté
m'a la place rendue  -  qu'il y avait un ma la pla d'une
consonance peu agréable à l'oreille.
 Comme cela se passe d'ordinaire, le critiqué se défendit
en critiquant :  -  "Et vous, répliqua-t-il,
vous avez bien mis pa ra bla la fla.
 Moi ? s'écrie Des Yveteaux. Vous ne sauriez me le
prouver.
  -  Oui, poursuit le triomphant Malherbe, n'avez-vous
pas écrit :  -  Comparable à la flamme..."  
    --- Malherbe
      
%
 Les enfants, avant de connaître la signification
des mots, leur trouvent à chacun une variété
de physionomie qui les frappe et qui aide bien la mémoire.
Cependant, à mesure que leur esprit plus formé sent
mieux la valeur des mots, cette distinction de physionomie s'efface ;
ils se familiarisent avec les sons et ne s'occupent guère
que du sens. Tel est le commun des hommes. Mais l'homme né
poète revient sur ces premières sensations dès
que le talent se développe ; il fait une seconde digestion
des mots ; il en recherche les premières saveurs,
et c'est des effets sentis de leur diverse harmonie qu'il compose
son dictionnaire poétique.  
    --- RIVAROL   
%
 Quelques peuples seulement ont une littérature,
tous ont une poésie.  
    --- Victor HUGO   
%
 Qu'un vers ait une bonne forme, cela n'est pas tout ;
il faut absolument, pour qu'il ait parfum, couleur et saveur,
qu'il contienne une idée, une image ou un sentiment. L'abeille
construit artistement les six pans de son alvéole de cire,
et puis elle l'emplit de miel. L'alvéole, c'est le vers ;
le miel, c'est la poésie.  
    --- Victor HUGO   
%
 Quelle plate bêtise de toujours vanter le mensonge
et de dire : la poésie vit d'illusions : comme
si la désillusion n'était pas cent fois plus poétique
par elle-même ! Ce sont du reste deux mots d'une riche
ineptie.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Il existe une convention peu tacite entre l'auteur et
le lecteur, par laquelle le premier s'intitule malade, et accepte
le second comme garde-malade. C'est le poète  qui console
l'humanité ! Les rôles sont intervertis arbitrairement.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 La poésie doit avoir pour but la vérité
pratique. Elle énonce les rapports qui existent entre les
premiers principes et les vérités secondaires de
la vie.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 N'est-ce pas chose très plaisante que les philosophes
les plus sérieux, malgré toute la sévérité
qu'ils mettent d'autre part à manier les certitudes, s'appuient
toujours encore sur des sentences de poètes pour donner
à leurs idées de la force et de l'authenticité ?
 -  et pourtant il est plus dangereux pour une idée
d'être approuvée par les poètes que d'être
contredite par eux ! Car, comme dit Homère :
"Les poètes mentent beaucoup !"  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Poète et menteur.  -  Le poète voit
dans le menteur son frère de lait de qui il a volé
le lait ; c'est pourquoi celui-ci est demeuré misérable
et n'est même pas parvenu à avoir une bonne conscience.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les poètes n'ont pas la pudeur de ce qu'ils vivent :
ils l'exploitent.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 S'étant mis aux sonnets, il [Degas] consultait
Heredia ou Mallarmé, leur soumettait les difficultés,
les cas de conscience, les conflits du poème avec le poète.
 Un jour, m'a-t-il conté, dînant chez Berthe Morisot
avec Mallarmé, il se plaignit à lui du mal extrême
que lui donnait la composition poétique : "Quel métier !
criait-il, j'ai perdu toute ma journée sur un sacré
sonnet, sans avancer d'un pas... Et cependant, ce ne sont pas
les idées qui me manquent... J'en suis plein... J'en ai
trop..."
 Et Mallarmé, avec sa douce profondeur : "Mais, Degas,
ce n'est point avec des idées que l'on fait des vers...
C'est avec des mots."
 C'était le seul secret. Il ne faut pas croire qu'on en
puisse saisir la substance sans quelque méditation.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les grands poètes reconnus servent à rendre
la poésie chose sérieuse dans l'opinion  -  à
en faire presque une institution, une affaire d'Etat.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les poètes comptent leurs pieds avec leurs doigts.  
    --- Frédéric DARD   
%
 La politesse n'inspire pas toujours la bonté, l'équité,
la complaisance, la gratitude ; elle en donne du moins les
apparences, et fait paraître l'homme au dehors comme il
devrait être intérieurement.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Par la politesse, dès le premier abord, les hommes
qui n'ont pas encore eu le temps de savoir s'ils ont du mérite
commencent par s'en supposer, c'est à dire par faire ce
qui peut mutuellement leur être le plus avantageux ainsi
que le plus agréable.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La politesse repose sur une convention tacite de ne pas
remarquer les uns chez les autres la misère morale et intellectuelle
de la condition humaine, et de ne pas se la reprocher mutuellement ;
d'où il résulte, au bénéfice des deux
parties, qu'elle apparaît moins facilement.
 Politesse est prudence ; impolitesse est donc niaiserie ;
se faire, par sa grossièreté, des ennemis, sans
nécessité et de gaieté de coeur, c'est de
la démence ; c'est comme si l'on mettait le feu à
sa maison. Car la politesse est, comme les jetons, une monnaie
notoirement fausse : l'épargner prouve de la déraison ;
en user avec libéralité, de la raison.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 Le fond de l'élégance française,
c'est de dire monsieur à tout le monde et monseigneur à
personne.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les dictionnaires parlent d'un arbre qui s'appelle le
muflier. Ce doit être une espèce très fructueuse.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 La politesse exige que deux personnes qui se croisent
lèvent ensemble leurs parapluies et s'accrochent.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'on doit apprendre à remercier. C'est tout un
art. Et dans certaines circonstances n'hésitons pas à
décerner nos remerciements. 
 Nous pouvons même aller jusqu'à féliciter
celui qui nous oblige. 
 C'est ainsi que l'on augmente son crédit - car cela tend
à démontrer que tout en somme nous est dû.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Le tact dans l'audace, c'est de savoir jusqu'où
on peut aller trop loin.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 La politesse, c'est l'indifférence organisée.
 Le sourire est un système.
 Les égards sont des prévisions.  
    --- Paul VALERY   
%
 Certes on sait quelque chose de la politesse quand on
a appris à ne pas faire voir que l'on voit ; ce n'est
pourtant que le commencement. La politesse pleine est certainement
à ne point voir ; c'est pourquoi aucune contemplation
des personnes n'est polie ; et, en ce sens, l'admiration
n'est certainement pas parfaitement polie.  
    --- ALAIN   
%
 Etre poli, c'est dire ou signifier, par tous ses
gestes et par toutes ses paroles : "Ne nous irritons pas ;
ne gâtons pas ce moment de notre vie" Est-ce donc bonté
évangélique ? Non. Je ne pousserais point jusque-là ;
il arrive que la bonté est indiscrète et humilie.
La vraie politesse est plutôt dans une joie contagieuse,
qui adoucit tous les frottements. Et cette politesse n'est guère
enseignée. Dans ce que l'on appelle la société
polie, j'ai vu bien des dos courbés, mais je n'ai jamais
vu un homme poli.  
    --- ALAIN   
%
 Croire est une politesse ; c'est même la plus
profonde politesse. Et, au rebours, ne pas croire est une sorte
d'injure, et qui nous plaît, même silencieuse. On
voit jusqu'où l'esprit humain peut s'égarer en cette
politique, qui est toute la politique. Nous ne cessons de jurer
par l'un et par l'autre, contre l'un et contre l'autre. On admire
l'aveuglement de ceux qui nient un fait bien connu ; on l'admire
dans un adversaire ; on ne le remarque seulement point en
soi-même.  
    --- ALAIN   
%
 C'est s'investir d'une supériorité bien
abusive que de dire à quelqu'un ce qu'on pense de lui et
de ce qu'il fait. La franchise n'est pas compatible avec un sentiment
délicat, elle ne l'est même pas avec une exigence
éthique.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Rien ne surpasse en gravité les vilenies et les
grossièretés que l'on commet par timidité.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La politesse rend le méchant plus haïssable
parce qu'elle dénote en lui une éducation sans laquelle
sa méchanceté, en quelque sorte, serait excusable.
Le salaud poli, c'est le contraire d'un fauve, et l'on n'en veut
pas aux fauves. C'est le contraire d'un sauvage, et l'on excuse
les sauvages.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Quand mes amis sont borgnes, je les regarde de profil.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Quand je croise un bossu, je me voûte légèrement,
par délicatesse.  
    --- José ARTUR   
%
 C'est fou ce qu'on peut perdre de temps à être
poli ! J'ai fait le calcul pour la seule journée d'hier :
soixante-dix-sept minutes de bla-bla futiles, de formules creuses,
de platitudes hypocrites, de salamalecs anachroniques et d'amabilités
désuètes sur dix heures de vie sociale.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Je ne mets au-dessus d'un grand politique que celui qui
néglige de le devenir, et qui se persuade de plus en plus
que le monde ne mérite point qu'on s'en occupe.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Je ferai ici une exhortation à tous les hommes
en général, de réfléchir sur leur
condition et d'en prendre des idées saines. Il n'est pas
impossible qu'ils vivent dans un gouvernement heureux sans le
sentir : le bonheur politique étant tel que l'on ne
le connoît qu'après l'avoir perdu.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 La maxime du cardinal de Richelieu, de négocier
perpétuellement, cette maxime si propre à augmenter
la méfiance entre les princes, s'est de plus en plus établie.
Les traités qui en résultent, et les clauses qu'on
y met pour prévoir ce qui n'arrivera point, et ne jamais
prévoir ce qui arrivera, ne font que multiplier les occasions
de rupture, comme la multitude des lois augmente, entre les citoyens,
le nombre des procès.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Toutes les fois qu'un politique habile trouvera un crime
utile à commettre, comptez qu'il le commettra.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Qu'un ministre veille sur ses paroles. Il lui vaut mieux
faire vingt sottises qu'en dire une.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Si la politique n'était pas parfois une chose si
sérieuse et qui entraîne quelquefois après
elle tant de calamités, il n'y aurait vraiment qu'à
en rire de pitié. Dupes et fripons, voilà en deux
mots comment peut se résumer toute la politique passée,
présente et future. Je ne m'en suis jamais mêlé
qu'à mon corps défendant, parce qu'autant que possible
je n'aime à jouer aucun de ces deux rôles.  
    --- Pierre François LACENAIRE   
%
 Mauvais éloge d'un homme que de dire : son
opinion politique n'a pas varié depuis quarante ans. C'est
dire que pour lui il n'y a eu ni expérience de chaque jour,
ni réflexion, ni repli de la pensée sur les faits.
C'est louer une eau d'être stagnante, un arbre d'être
mort ; c'est préférer l'huître à
l'aigle. Tout est variable au contraire dans l'opinion ;
rien n'est absolu dans les choses politiques, excepté la
moralité intérieure de ces choses. Or, cette moralité
est affaire de conscience et non d'opinion. L'opinion d'un homme
peut donc changer honorablement, pourvu que sa conscience ne change
pas. Progressif ou rétrograde, le mouvement est essentiellement
vital, humain, social.
 Ce qui est honteux, c'est de changer d'opinion pour son intérêt,
et que ce soit un écu ou un galon qui vous fasse brusquement
passer du blanc au tricolore, et vice versa.  
    --- Victor HUGO   
%
 Un grand penseur ne devient un grand homme d'Etat
qu'à la condition de mélanger à son esprit,
à plus ou moins haute dose, la médiocrité
des choses et des hommes. Dans la langue de notre temps cela s'appelle
devenir pratique.  
    --- Victor HUGO   
%
 Je ferai aux hommes politiques de l'Ecole doctrinaire
et métaphysique un reproche qui étonnera au premier
abord ceux qui les connaissent : c'est d'avoir trop peu d'amour-propre.
Ces esprits, dans les théories sophistiquées et
superfines qu'ils appliquent au gouvernement de la société,
supposent trop que le commun des hommes leur ressemblent. L'humanité
est plus grossière et plus forte en appétits que
cela ; c'est comme si l'on voulait juger de l'ensemble d'une
végétation rustique par quelques fleurs panachées
de la serre du Luxembourg.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Même en ce qui concerne le bien, la moitié
peut valoir plus que le tout. - Dans toutes les choses qui sont
organisées pour durer et qui exigent toujours le service
de plusieurs personnes, il faut présenter comme règle
ce qui est parfois moins bon, bien que l'organisateur connaisse
fort bien ce qui est meilleur (et plus difficile) : mais
il tablera sur le fait que jamais les personnes qui pourront correspondre
à la règle ne devront manquer, - et il sait que
c'est la moyenne de forces qui représente la règle.
- C'est ce dont un jeune homme se rend rarement compte, et il
est certain d'être dans le vrai quand il s'affirme novateur
et s'étonne de l'étrange aveuglement des autres.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Considérez combien est humiliant, aux époques
comme la nôtre, le rôle de l'homme politique. Banni
des hautes régions de la pensée, déshérité
de l'idéal, il passe sa vie à des labeurs ingrats
et sans fruit, soucis d'administration, complications bureaucratiques,
mines et contre-mines d'intrigues. Est-ce la place d'un philosophe ?
Le politique est le goujat de l'humanité et non son inspirateur.
Quel est l'homme amoureux de sa perfection qui voudra s'engager
dans cet étouffoir ?  
    --- Ernest RENAN   
%
 La politique est l'art d'empêcher les gens de se
mêler de ce qui les regarde.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il ne faut pas hésiter à faire ce qui détache
de vous la moitié de vos partisans et qui triple l'amour
du reste.  
    --- Paul VALERY   
%
 Toute politique se fonde sur l'indifférence de
la plupart des intéressés, sans laquelle il n'y
a point de politique possible.  
    --- Paul VALERY   
%
 Les partis adverses, dans un pays, sont comparables à
ces dents de rongeurs qui s'usent réciproquement l'une
contre l'autre et dont l'une croît indéfiniment,
jusqu'à ce que mort s'ensuive, lorsque la dent adverse
vient à manquer. Il importe de maintenir l'opposition.  
    --- André GIDE   
%
 Une idée que je crois fausse, et à laquelle
s'attachent souvent les partis les plus opposés, c'est
qu'il faudrait changer beaucoup les institutions et même
les hommes, si l'on voulait un état politique passable.
Ceux qui ne veulent point du tout de réformes y trouvent
leur compte, car ils effraient par la perspective d'un total bouleversement ;
ainsi, ne voulant pas tout mettre en risque, on ne changera rien.
Et, d'autre côté, les révolutionnaires essaient
de faire croire la même chose à leurs amis, les détournant
avec mépris des demi-mesures. Or nous vivons de demi-mesures.
Il n'y a pas beaucoup de changement d'un homme qui met un cache-nez
à un homme qui s'expose au froid ; et pourtant les
suites peuvent aller fort loin. Un homme attaqué ou seulement
insulté viendra très vite aux mouvements de brute,
et oubliera aisément la règle qu'il approuve en
son ordinaire : "Tu ne tueras point." Mais détournez
seulement d'un mètre l'insulté ou l'insulteur, tous
deux resteront en paix.  
    --- ALAIN   
%
 La représentation proportionnelle est un système
évidemment raisonnable et évidemment juste ;
seulement, partout où on l'a essayée, elle a produit
des effets imprévus et tout à fait funestes, par
la formation d'une poussière de partis, dont chacun est
sans force pour gouverner, mais très puissant pour empêcher.
C'est ainsi que la politique devint un jeu des politiques.  
    --- ALAIN   
%
 La gloire, en politique, est le salaire de l'injustice.  
    --- ALAIN   
%
 L'apolitisme conduit, naturellement, à une sympathie
vis-à-vis de la politique conservatrice. Le jour de l'élection,
si l'apolitique ne s'abstient pas, il vote de préférence
pour le candidat qui fait le moins peur, par conséquent
pour le défenseur du régime tel qu'il est.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 Les extrêmes des partis politiques peuvent mener
aux pires extrémités.  
    --- Pierre DAC   
%
 J'aimerais un programme politique qui ne comporterait
aucune attaque contre les adversaires, aucune révision
constitutionnelle, aucun texte supplémentaire, législatif
ou réglementaire. Pas de lois, décrets et circulaires.
Non. Seulement une liste de mots à respecter et à
faire respecter.
 Sans adjectif. Et au singulier. Les mots nobles se dégradent
au pluriel. Ajoutez un s à "bien" et ce ne sont plus que
des "biens" qui relèvent d'un marchand. Ajoutez un s à
"valeur", et de la morale vous passez aux cours de la Bourse.
A "honneur", et des principes vous chutez au Bulletin des
Monnaies et Médailles. A "droit", et vous descendez
de la justice aux cahiers de revendications. "Espérance"
au pluriel n'est plus qu'une attente d'héritage qui vous
chasse des demeures de l'esprit pour l'antichambre du notaire.  
    --- Jean-François DENIAU  
%
  -  Ce ne sont pas les électeurs qui ont
la mémoire courte, mais leurs élus.
  -  Les hommes politiques ne déposent jamais leur
bilan. Ils le représentent.
  -  Les corrupteurs s'en tirent toujours mieux que les
corrompus.
  -  Les professeurs de morale ne se croient pas obligés
de pratiquer les vertus qu'ils enseignent. Les capilliculteurs
sont souvent chauves.
  -  Il ne suffit pas de ne pas faire de promesses pour
ne pas les tenir.
  -  Les candidats qui ont décidé de faire
rêver les Français ont réussi au-delà
de toute espérance. Au point que quand on les écoute
on croit rêver.
  -  On commence à se méfier de la "transparence".
Elle cache trop de choses.
  -  La course à la présidence n'est pas
un rallye. C'est une cause de ralliement.
  -  Il est navrant de constater que la réalité
est souvent pire que la rumeur.
  -  Les présumés innocents doivent se garder
de se montrer présomptueux.
  -  Les politiciens battent souvent en retraite mais
ne la prennent jamais.  
    --- Quelques maximes tirées du   
%
 La gauche s'est toujours distinguée en France par
sa politique de droite.  
    --- André FROSSARD   
%
 Nous avons généralement en France un gouvernement
d'hommes qui savent ce qu'ils veulent. Ils veulent y rester.  
    --- André FROSSARD   
%
 On accusait autrefois les hommes politiques de ne songer
qu'à "se remplir les poches". Aujourd'hui, on ne leur reproche
plus guère que de vider les nôtres.  
    --- André FROSSARD   
%
 Nous cherchons avec angoisse le système idéal
qui combinerait harmonieusement le pouvoir absolu et la liberté
intégrale.  
    --- André FROSSARD   
%
 Quand un penseur politique affirme que les choses ne sont
pas simples, c'est en général qu'elles le sont trop.  
    --- André FROSSARD   
%
 En politique, l'union fait la force, mais c'est souvent
le malentendu qui fait l'union.  
    --- André FROSSARD   
%
 Quand un gouvernement se trompe, il n'a qu'une solution :
persévérer dans l'erreur.  
    --- André FROSSARD   
%
 La politique, c'est pas compliqué, il suffit d'avoir
une bonne conscience, et pour cela il faut juste avoir une mauvaise
mémoire !  
    --- COLUCHE  
%
 Edgar Faure est candidat au "perchoir", la présidence
de l'Assemblée nationale. Il navigue entre les groupes
au salon des Quatre-Colonnes, multipliant les poignées
de main et les interpellations conviviales. Je me trouve derrière
lui : "Bonjour René, comment ça va ?"
dit-il chaleureusement à un quidam. "Mais très bien,
monsieur le président", remercie le quidam qui, quand je
passe ajoute : "Notez bien que je ne me suis jamais appelé
René". Imprudemment, je hèle le président :
"Vous savez, le type que vous avez salué, il ne s'appelle
pas René, il me l'a confié." Alors Edgar Faure,
pédagogue superbe et compatissant, avec son inimitable
zézaiement : "Mon cher Robert, je vais vous dire une
chose utile à une carrière certes honorable, mais
qui avec plus de discernement pourrait devenir brillante. Ce type,
je ne sais pas, je n'ai jamais su comment il s'appelait. Mais
une erreur de nom, c'est dramatique. Une erreur de prénom,
ça n'a aucune importance."  
    --- Robert Poujade :
    
%
 La régulation des égoïsmes, tout est
là : c'est la grande affaire de la politique. Ne nous
racontons pas d'histoires. Si les gens travaillent, s'ils payent
leurs impôts, s'ils respectent à peu près
la loi, c'est par égoïsme, toujours, et sans doute
par égoïsme seulement, le plus souvent.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Quand un homme politique reconnaît publiquement
une erreur, ce n'est jamais par remords mais parce que la franchise
lui semble  -  tardivement et momentanément  -  le
moindre mal.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Les trois points terminateurs me font hausser les épaules
de pitié. A-t-on besoin de cela pour prouver que l'on est
un homme d'esprit, c'est-à-dire un imbécile ?
Comme si la clarté ne valait pas le vague, à propos
de points !  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 ... On étouffe ici ! Permettez que j'ouvre
une parenthèse.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Chiure de mouche n. Signe primitif de ponctuation. Il
a été très justement observé par Garvinus
que le système de ponctuation utilisé dans les écrits
de nombreuses nations dépend à l'origine des habitudes
sociales et de l'alimentation des mouches qui infestent ces différents
pays. Ces insectes, qui sont toujours attestés dans le
voisinage des auteurs, embellissent avec générosité
ou parcimonie les manuscrits tout au long de leur composition,
et, s'accordant à leurs besoins naturels, mettent en relief
avec une sorte d'instinct supérieur l'oeuvre des écrivains,
à leur insu.
 [...]
 Pour réaliser pleinement la contribution déterminante
que les mouches apportent à la littérature, il suffit
de placer la page d'un romancier populaire à côté
d'une assiette de crème-caramel dans une pièce ensoleillée,
et d'observer "comment brille l'esprit et s'épure le style"
dans une proportion exacte de la durée d'exposition.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Si on me demandait de résumer le plus brièvement
possible ma vision des choses, de la réduire à son
expression la plus succincte, je mettrais à la place des
mots un point d'exclamation, un ! définitif.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le point de suspension, c'est ce qui vous reste à
dire quand vous avez tout dit !  
    --- Frédéric DARD   
%
 Le pouvoir sans abus perd le charme.  
    --- Paul VALERY   
%
 La faiblesse de la force est de ne croire qu'à
la force.  
    --- Paul VALERY   
%
 La tentation d'être un chef juste et humain est
naturelle dans un homme instruit ; mais il faut savoir que
le pouvoir change profondément celui qui l'exerce ;
et cela ne tient pas seulement à une contagion de société ;
la raison en est dans les nécessités du commandement,
qui sont inflexibles. C'est pour cette raison qu'un député
doit se garder d'être ministre, et qu'un ouvrier doit se
garder d'être délégué au conseil des
patrons, ou chef de syndicat. On demande où mènerait
ce système de refus. C'est premièrement la négation
d'un système effrayant ; et je crois que les saints
firent beaucoup contre l'ancienne inégalité par
un refus d'être évêques, prieurs, abbés.
Dieu ou non, salut ou non, ils avaient reconnu le piège
des pouvoirs. Ils étaient un vivant reproche aux prélats
décorés. La religion n'a fait que traduire en images
vives l'éternelle situation des hommes en société,
où tout est réglé de façon que les
pauvres gens perdent bientôt leurs amis et leurs conseillers.
Les boursiers, aujourd'hui, renient promptement le peuple d'où
ils sortent. Cette trahison se colore de grands mots. Aimer son
pays c'est toujours, selon l'opinion régnante, aimer la
gloire, la richesse et le pouvoir. Cette vertu est un peu trop
facile. Choisir le métier de chef, c'est un choix de bien-être.  
    --- ALAIN   
%
 Le trait dominant chez les chefs, autant que j'ai pu voir,
c'est la paresse, fruit du pouvoir absolu. Faire travailler les
autres, faire surveiller le travail, faire juger les surveillants
et même le travail fait, tel est le métier de chef.
Par exemple celui qui ordonne de creuser un abri, en tel lieu,
ne saura jamais qu'on a rencontré du roc et usé
des pioches ; il n'y pense même point. Et cette méthode
qui rend ingénieux, patient et obstiné celui qui
exécute, produit les effets contraires en celui qui ordonne
car il ne s'exerce jamais contre le roc, ni contre l'eau ;
il s'exerce seulement contre l'homme ; mais, par l'institution
militaire, la discussion n'étant pas permise, et la révolte
étant punie de mort, il n'y a point de vraie résistance ;
le moyen est simple et toujours le même ; aussi fait-il
des esprits enfants. Ainsi la volonté, l'esprit d'observation
et de vigilance, le jugement enfin se retirent de ceux qui ordonnent.
De là des erreurs incroyables, et qui même accablent
l'esprit, tant qu'on ne remonte pas aux causes.  
    --- ALAIN   
%
 Les puissants sont des hommes qui persuadent. Il est vrai
que toutes les affaires humaines supposent consentement ;
et c'est ce qui donne force aux extracteurs et fabricateur, par
le refus ; mais cette force négative ne fait rien.
Tout travail, dès qu'il n'a pas pour fin la conquête
de la subsistance immédiate, est strictement subordonné
aux échanges, aux promesses, au crédit. Donc les
persuasifs mènent tout, et l'économique dépend
de la politique.  
    --- ALAIN   
%
 Tout pouvoir est méchant dès qu'on le laisse
faire ; tout pouvoir est sage dès qu'il se sent jugé.  
    --- ALAIN   
%
 J'ai écrit un jour ou l'autre, il y a longtemps,
qu'il n'y a pas de bon pouvoir. Le pouvoir est le pouvoir, il
fait de toi ce qu'il veut, dès que tu crois l'avoir conquis.
Quelles qu'aient été tes intentions, ton idéal,
tu es prisonnier de la férocité des factions et
de la connerie de la foule.  
    --- François CAVANNA   
%
 Chaque homme s'imagine qu'il possède dans son propre
caractère les qualités qui l'empêcheront de
succomber à la tentation du despotisme à laquelle
l'exposent des institutions mal construites. Mitterand a souvent
répété qu'il lui faudrait sans doute amender
notre constitution, au vu des abus commis par ses prédécesseurs,
et en prévision des inéluctables abus de ses successeurs,
puisque les humains, lui excepté, sont incapables de se
restreindre spontanément, par pure vertu démocratique.
Quand on regarde en quoi cette vertu mitterandienne a consisté,
on ne peut se retenir de sourire à tant de naïveté
et de cécité sur soi-même. Bel exemple de
la vitesse à laquelle l'accession au poste suprême
détruit la lucidité de l'impétrant.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Les dictateurs sont tous les mêmes : ils s'imaginent
qu'il suffit de pousser le cynisme assez loin pour donner l'impression
de l'innocence.  
    --- André FROSSARD   
%
 A quoi ça sert, le pouvoir, si c'est pour
ne pas en abuser ?  
    --- COLUCHE   
%
 Lorsque Emmanuel Le Roy Ladurie devint administrateur
général de la Bibliothèque nationale, en
1986, il me raconta que son oeuvre d'historien et sa chaire de
professeur au Collège de France ne lui avaient jamais attiré
autant d'assauts obséquieux que son nouveau et mirifique
poste. Des notables qui ne le saluaient jusqu'alors qu'avec une
distante et distraite condescendance, poussaient désormais
le ridicule jusqu'à l'héroïsme, en se pliant
devant lui avec des "Monsieur l'Administrateur général",
bégayés à satiété comme une
oraison jaculatoire. Jacques Monod lui aussi me dit un jour avoir
reçu plus de lettres et de télégrammes de
félicitations après avoir été nommé
directeur de l'Institut Pasteur qu'après avoir reçu
le prix Nobel de médecine. Le génie nécessaire
à une découverte fondamentale en biologie attirait
moins d'hommages qu'une élévation administrative.
 [...]
 Une "situation" confère un pouvoir  -  fût-ce
de "faire parler" dans la presse d'un homme politique, d'un écrivain,
d'un acteur, d'un cuisinier, d'un industriel, d'un ponte médical
 -  tandis que la pure notoriété, le simple
brouhaha momentané, voire la célébrité
durable, ne permettent de rendre aucun service, ne procurent aucun
moyen d'action précis. Un poste de pouvoir est donc l'objet
d'une révérence à la fois hiérarchique
et clientéliste.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Ils disent que les éclipses présagent malheur,
parce que les malheurs sont ordinaires, de sorte qu'il arrive
si souvent du mal, qu'ils devinent souvent ; au lieu que
s'ils disaient qu'elles présagent bonheur, ils mentiraient
souvent. Ils ne donnent le bonheur qu'à des rencontres
du ciel rares ; ainsi ils manquent peu souvent à devenir.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 La prédiction d'un devin ou d'une sorcière,
si elle dépend de causes extérieures et inanimées,
peut se trouver vérifiée soit par hasard, soit par
l'effet d'une connaissance plus avancée des signes, soit
par une finesse des sens qui permet de les mieux remarquer. Il
faut dire là-dessus qu'on oublie presque toutes les prédictions ;
ce n'est souvent que leur succès qui nous les rappelle.
Mais le crédit qu'on apporte aux prophètes tient
à des causes plus importantes et plus cachées. Souvent
l'accomplissement dépend de nous mêmes ou de ceux
qui nous entourent ; et il est clair que, dans beaucoup de
cas, la crainte ou l'espérance font alors arriver la chose.
La crainte d'un accident funeste ne dispose pas bien à
l'éviter, surtout si l'on penche à croire qu'on
n'y échappera pas.  
    --- ALAIN   
%
 Il y a une intelligence qui est miroir seulement. Fidèle
à retracer les circonstances de ce qui est. Parfaite pour
enseigner et expliquer ; de nul effet pour l'action. Non
qu'elle puisse annoncer, d'après l'état actuel,
l'état des choses qui suivra ; mais agir d'après
cela ce n'est toujours que suivre. Ainsi le docteur en politique
nous annonce la guerre ou la disette ; nous ne serons point
surpris ; nous aurons nos provisions ou nos chaussures de
marche.
 Mais, par l'exemple des provisions, on voit déjà
en quoi l'intelligence miroir remet l'homme au-dessous d'une bonne
machine à prévoir ; car une telle machine ne
change pas l'avenir par ses annonces, au lieu que l'homme qui
craint la disette et fait des provisions contribue pour sa part
à semer l'alarme et aggrave la crise, comme on a vu.  
    --- ALAIN   
%
 Plus un pays se sentira menacé par son voisin,
plus il s'armera, convainquant ainsi le voisin de prendre des
mesures "défensives" qui seront perçues comme autant
de preuves supplémentaires de son humeur belliqueuse. La
guerre (à laquelle tout le monde finit par s'attendre)
n'est plus alors qu'une question de temps. Plus on augmentera
les impôts pour compenser des fraudes fiscales (réelles
ou imaginaires), plus les citoyens les plus honnêtes tendront
à tricher dans leurs déclarations. Toute prédiction
d'une pénurie (fondée ou non) de tel bien de consommation
entraîne immédiatement la constitution de stocks
qui créent la pénurie annoncée.
 La prédiction d'un événement a pour résultat
de faire arriver ce qu'elle a prédit.  
    --- Paul WATZLAWICK   
%
 Quand à la Saint-Médard il tombe de la pluie,
de la neige, de la grêle, des hallebardes et de la suie,
on est tranquille pour quarante jours plus tard, parce que, à
part tout ça, qu'est-ce que vous voulez qu'il tombe ?
Oui, je sais, mais enfin c'est plutôt rare.  
    --- Pierre DAC   
%
 Certes tout en la maniere qu'à un fainéant
l'estude sert de tourment, à un yvrongne l'abstinence du
vin, la frugalité est supplice au luxurieux, et l'exercice
geine à un homme delicat et oisif : ainsin est-il
du reste. Les choses ne sont pas si douloreuses, ny difficiles
d'elles mesmes ; mais nostre foiblesse et lascheté
les fait telles. Pour juger des choses grandes et haultes, il
faut un'ame de mesme, autrement nous leur attribuons le vice qui
est le nostre. Un aviron droit semble courbe en l'eau. Il n'importe
pas seulement qu'on voye la chose, mais comment on la voye.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Il y a des préjugés universels, nécessaires,
et qui sont la vertu même. Par tout pays on apprend aux
enfants à reconnaître un Dieu rémunérateur
et vengeur ; à respecter, à aimer leur père
et leur mère ; à regarder le larcin comme un
crime, le mensonge intéressé comme un vice, avant
qu'ils puissent deviner ce que c'est qu'un vice et une vertu.
 Il y a donc de très bons préjugés :
ce sont ceux que le jugement ratifie quand on raisonne.  
    --- VOLTAIRE   
%
 On ne jugera jamais bien des hommes si on ne leur passe
les préjugés de leur temps.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Les magistrats chargés de veiller sur l'ordre public
tels que le lieutenant criminel, le lieutenant civil, le lieutenant
de police, et tant d'autres, finissent presque toujours par avoir
une opinion horrible de la société. Ils croient
connaître les hommes et n'en connaissent que le rebut. On
ne juge pas d'une ville par ses égouts et d'une maison
par ses latrines. La plupart de ces magistrats me rappellent toujours
le collège où les correcteurs ont une cabane auprès
des commodités, et n'en sortent que pour donner le fouet.  
    --- CHAMFORT   
%
 Que dans chaque siècle et même dans les plus
éclairés, il y a ce qu'on peut appeler à
juste titre "l'esprit du temps" qui ne passera point à
d'autres et qui trompe celui où il est sur l'importance
et même sur la vérité de la plupart des opinions
qui  sont dominantes.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Les plus petits animaux ont les plus grosses vermines
et les plus petits esprits ont les plus gros préjugés.  
    --- Victor HUGO   
%
 Danger du langage pour la liberté de l'esprit.
 -  Chaque mot est un préjugé.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Une piqûre d'épingle changerait vos propos
sur le duel.  
    --- Jules RENARD   
%
 Un préjugé, c'est une vérité
qu'on affirme trop. Il y a des vérités partout,
mais il ne faut pas trop y croire, n'y surtout y tenir.  
    --- Jules RENARD   
%
 Depuis si longtemps que le respect "se perd", comment
en reste-t-il encore ? En réalité, le respect
ne se perd pas, mais il s'affine et se spiritualise ; il
passe du corps à l'esprit, des mythologies ecclésiastiques
à la personne morale ou, comme dit fortement Léon
Brunschvicg, du respecté au respectable et de l'admiré
à l'admirable ; il n'est plus l'illusion d'une "puissance
trompeuse", mais, comme chez Kant, le respect de la loi. La première
phrase du traité des Météores de Descartes
est pour abandonner l'idée aristotélicienne d'un
monde supralunaire plus vénérable que le nôtre ;
et comme la mécanique céleste n'a pu se constituer
qu'au prix d'un blasphème, ainsi le respect des cadavres,
en s'opposant à la dissection, aurait rendu impossible
l'essor de l'anatomie humaine ; la psychologie, de son côté,
a eu toutes sortes de préjugés à vaincre
pour se constituer comme science. En vérité, ces
multiples sacrilèges n'ont eu d'autre effet que d'approfondir
le respect, de le rendre plus pur et plus spirituel.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 C'est lorsque les familles ennemies ont oublié
le motif de leur inimitié que leur division devient irrémédiable.  
    --- André FROSSARD   
%
 Deux siècles après Bernoulli et Laplace,
les probabilités n'ont guère connu de diffusion.
Non seulement les mathématiques aléatoires n'ont
pas dans l'enseignement la place qu'elles méritent, non
seulement leurs données élémentaires ne sont
pas diffusées expérimentalement, mais l'individu
résiste à cette destruction du surnaturel, et il
pense diriger un peu à sa guise au lieu d'être dirigé.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept
mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne
les moeurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ;
l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles
d'entre les modernes.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus
de sept mille ans qu'il y a des hommes. Sur ce qui concerne les
moeurs, comme sur le reste, le moins bon est relevé. Nous
avons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles
d'entre les modernes.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Ils appellent "progrès des lumières" les
progrès de l'industrie. Le progrès de l'industrie
dans quelques-uns est anéantissement de l'industrie dans
tous les autres. "A force de machines (dit très
bien M<SUP>r</SUP> de Bonnald) l'homme ne sera bientôt plus lui-même
qu'une machine ", un tourneur de manivelles.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le progrès rapetisse la terre et grandit l'homme.  
    --- Victor HUGO   
%
 L'art n'est pas perfectible car il est né parfait.
La science est perfectible, car elle est née incomplète.
L'art est né parfait parce qu'il est un et simple ;
la science est née incomplète, parce qu'elle est
variée et multiple.
 Le progrès est possible sur Aristote, il ne l'est pas
sur Homère. Le progrès est possible sur Newton,
il ne l'est pas sur Molière.  
    --- Victor HUGO   
%
 L'inventeur le plus humble est raillé. Hanway invente
le parapluie et meurt ridicule, après avoir été
trente ans suivi, chaque fois qu'il pleuvait, des éclats
de rire de toute la ville de Londres.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le véritable progrès semble parfois un recul
et puis un retour. Les rétrogradations de l'humanité
sont comme celles des planètes. Vues de la terre, ce sont
des rétrogradations ; mais absolument ce n'en sont
pas. La rétrogradation n'a lieu qu'aux yeux qui n'envisagent
qu'une portion limitée de la courbe. Cercle ou spirale,
comme Goethe le voulait, la marche de l'humanité se fait
suivant une ligne dont les deux extrêmes se touchent.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Quoi de plus absurde que le Progrès, puisque l'homme,
comme cela est prouvé par le fait journalier, est toujours
semblable et égal à l'homme, c'est-à-dire
toujours à l'état sauvage. Qu'est-ce que les périls
de la forêt et de la prairie auprès des chocs et
des conflits quotidiens de la civilisation ? Que l'homme
enlace sa dupe sur le Boulevard, ou perce sa proie dans des forêts
inconnues, n'est-il pas l'homme éternel, c'est-à-dire
l'animal de proie le plus parfait ?  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 D'être sans noyau, c'est un progrès pour
la prune, mais du point de vue de ceux qui les mangent.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Inventeur n. Personne qui fait un ingénieux arrangement
de roues, de leviers et de ressorts, et qui croit que c'est la
civilisation.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Degas avait un grand faible pour Forain.
 Forain disait : Mossieu D'gâs, comme Degas disait :
Monsieur Ingres. Ils échangeaient leurs mots terribles.
 Quand Forain se construisit un hôtel, il fit poser le téléphone,
alors encore assez peu répandu. Il voulut l'utiliser tout
d'abord à étonner Degas. Il l'invite à dîner,
prévient un compère qui, pendant le repas, appelle
Forain à l'appareil. Quelques mots échangés,
Forain revient... Degas lui dit : "C'est ça, le téléphone ?...
On vous sonne, et vous y allez."  
    --- Paul VALERY   
%
 Tout le progrès dont on nous rebat les oreilles
n'a jamais dépassé le domaine des choses matérielles.
Le monde est ce qu'il a toujours été et ce qu'il
sera toujours : une petite élite au milieu d'une foule
de brutes ou d'imbéciles, avec les malins, dans un coin,
ils ont bien raison, qui tirent les ficelles et gardent les profits.
Il peut durer ou disparaître, je m'en moque.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Ces mitraillettes, que la guerre a mises à la mode,
remplaceront peut-être d'ici quelque temps le revolver.
Les gens qui rentrent tard le soir chez eux auront une mitraillette.
L'amant quitté par sa maîtresse, ou le mari surprenant
sa femme avec un tiers, abattront l'adoré et l'infidèle
avec une mitraillette. Le neurasthénique las de la vie
mettra fin à ses jours avec une mitraillette. Il suffira
d'un qui commence. L'imitation est si forte chez les humains.
Cela entrera dans les moeurs. Le fait est qu'avoir une mitraillette
chez soi pour se défendre contre un cambrioleur, cela ne
serait pas mal.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Un philosophe du siècle dernier a soutenu, dans
sa candeur, que La Rochefoucauld avait raison pour le passé,
mais qu'il serait infirmé par l'avenir. L'idée de
progrès déshonore l'intellect.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'évolution du psychisme profond n'ayant pas suivi
celle de l'activité cérébrale consciente,
le progrès technique n'est qu'un outil formidable entre
les mains de bestiaux dont les motivations instinctives profondes
(celles qui nous font agir) sont exactement les mêmes que
celles d'un crocodile. L'intelligence ne fait que fournir servilement
des armes et des arguments à l'instinct, alors qu'elle
devrait avoir pris les commandes.
 Les cons ne mènent pas le monde, mais pour mener le monde
il faut plaire aux cons. C'est pourquoi tout est fait ici-bas
pour eux, c'est pourquoi quiconque ne l'est pas tout à
fait se sent en exil chez les crétins, et s'indigne, et
pleure, et pisse le sang. Et s'emmerde. Oh, nom de dieu, ce qu'il
s'emmerde... !  
    --- François CAVANNA   
%
 Les gens en avance sur leur époque ne sont pas
heureux. Personne ne les comprend, on se moque d'eux, on leur
fait des misères. Prenez, par exemple, Jésus-Christ.
Il était chrétien deux cents ans avant tout le monde.
Résultat : ils l'ont crucifié. Et, en un sens,
on ne peut pas leur donner tort.  
    --- François CAVANNA   
%
 On ne dit rien en vers qu'on ne puisse très souvent
exprimer aussi bien dans notre prose, et cela n'est pas toujours
réciproque. Le prosateur tient plus étroitement
sa pensée et la conduit par le plus court chemin, tandis
que le versificateur laisse flotter les rênes et va où
la rime le pousse.  
    --- RIVAROL   
%
 Selon Denys d'Halicarnasse, il y a une prose qui vaut
mieux que les meilleurs vers, et c'est elle qui fait lire les
ouvrages de longue haleine, parce qu'elle seule peut se charger
des détails, et que la variété de ses périodes
lasse moins que le charme continu de la rime et de la mesure.  
    --- RIVAROL   
%
 Tout grand écrivain frappe la prose à son
effigie.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le paradoxe de l'art de la prose est en ceci que si l'on
écrit d'après l'idée on arrive aisément
au style plat ; au lieu que si l'on s'accorde de suivre les
mots eux-mêmes et tout ce que la langue propose, on arrive
quelquefois à relever l'idée elle-même, qui
sort alors autre et toute neuve d'un mouvement de nature. Cet
accord est proprement le beau. Le beau est un genre de vrai, mais
qui échappe à ceux qui cherchent le vrai.  
    --- ALAIN   
%
 Est prose l'écrit qui a un but exprimable par un
autre écrit.  
    --- Paul VALERY   
%
 La nature, plus infaillible que la politique, nous enseigne
d'aller au-devant du mal qui nous menace ; il devient incurable
pendant que 1a prudence délibère sur les remèdes.  
    --- Cardinal de RETZ   
%
 Le grand inconvénient de la civilisation, c'est
l'absence du danger.  
    --- STENDHAL   
%
 Une raison, somme toute, est chose étrange ;
si je la regarde avec toute ma passion, elle se gonfle jusqu'à
devenir une énorme nécessité, capable de
remuer ciel et terre ; si je suis sans passion, je la juge
avec dédain.  -  Longtemps j'ai médité
sur la vraie raison qui m'a fait abandonner mon poste de professeur
de lycée. Lorsque j'y réfléchis à
présent, il me semble que cette situation me convenait
tout à fait. Je commence aujourd'hui à voir clair :
ma raison était justement que je me sentais entièrement
apte à remplir ce poste. Si j'y étais resté,
j'aurais eu tout à perdre, rien à gagner. C'est
pourquoi j'ai jugé plus sage de me démettre de ma
charge et de me faire engager par une troupe de comédiens
ambulants  -  car, n'ayant aucun talent d'acteur, j'avais
tout à gagner.  
    --- Sören KIERKEGAARD   
%
 Car croyez-m'en !  -  le secret pour moissonner
l'existence la plus féconde et la plus grande jouissance
de la vie, c'est de vivre dangereusement ! Construisez vos
villes au pied du Vésuve ! Envoyez vos vaisseaux dans
les mers inexplorées ! Vivez en guerres avec vos semblables
et avec vous-mêmes ! Soyez brigands et conquérants,
tant que vous ne pouvez pas être dominateurs et possesseurs,
vous qui cherchez la connaissance !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La prudence n'est qu'une qualité : il ne faut
pas en faire une vertu.  
    --- Jules RENARD   
%
 On ne peut aller toujours au plaisir par le plus court
chemin. Le réel impose sa loi, ses obstacles, ses détours.
La prudence est l'art d'en tenir compte : c'est le désir
lucide et raisonnable.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 C'est un fait que les Juifs, s'ils voulaient  -  ou
si on les y forçait, comme semblent le vouloir les antisémites  -  ,
pourraient dès maintenant exercer leur prépondérance
et même littéralement leur domination sur l'Europe ;
c'est un fait également qu'ils n'y travaillent pas et ne
font pas de projets dans ce sens. Pour le moment, ce qu'ils veulent
et souhaitent, et même avec une certaine insistance, c'est
d'être absorbés dans l'Europe et par l'Europe, ils
aspirent à s'établir enfin quelque part où
ils soient tolérés et respectés, et à
mettre enfin un terme à leur vie nomade de "Juifs errants".
On devrait bien tenir compte de cette aspiration et de cette pression
(où s'exprime peut-être déjà une atténuation
des instincts juifs) et les favoriser ; et pour cela il serait
peut-être utile et juste d'expulser du pays les braillards
antisémites.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Si la foule réfléchissait, elle comprendrait
que la haine du juif comme juif est imbécile. Le juif n'a
pas créé l'état social actuel ; cet
état est contraire à ses tendances et à son
caractère ; qu'il en profite souvent, ce n'est pas
niable ; et qu'il ait raison d'en profiter, c'est encore
plus certain. Un système meurt des abus qu'il engendre.
La civilisation présente n'est pas juive ; elle est
chrétienne. Ce sont les chrétiens qui l'ont fait
naître, qui la supportent, et qui la défendent. Les
chrétiens n'ont pas à se plaindre ; ce sont
des imbéciles, voilà tout.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Moins le blanc est intelligent, plus le noir lui paraît
bête.   
    --- André GIDE   
%
 Le racisme est une théorie biologiquement sans
fondement au stade où est parvenue l'espèce humaine,
mais dont on comprend la généralisation par la nécessité,
à tous les niveaux d'organisation, de la défense
des structures périmées.  
    --- Henri LABORIT   
%
 S'il fallait l'étoile jaune pour reconnaître
les Juifs sous l'Occupation, c'est donc qu'ils n'étaient
pas si différents que le prétendait la propagande
nazie.  
    --- André FROSSARD   
%
 Les pensées racistes ordinaires ne vont en général
pas très loin ; mais il n'est pas nécessaire
de voir loin pour y être entraîné.  
    --- André FROSSARD   
%
 Ce serait raciste de penser que les étrangers n'ont
pas le droit d'être cons.  
    --- COLUCHE   
%
 Pour l'animal raisonnable l'action conforme à la
nature est la même que l'action conforme à la raison.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Deux excès : exclure la raison, n'admettre
que la raison.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 La raison nous commande bien plus impérativement
qu'un maître ; car en désobéissant à
l'un on est malheureux, et en désobéissant à
l'autre on est un sot.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Le coeur a ses raisons, que la raison ne connaît
point ; on le sait en mille choses.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 "Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît
pas." Un mot de littérateur. Le coeur a ses raisons, en
effet, que la raison connaît parfaitement. Nous pouvons
commettre des actions déraisonnables et notre raison nous
les faire voir déraisonnables.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'esprit n'est pas destiné à régner,
mais à servir : quand il croit dominer, il rentre
au service de la personnalité, au lieu de seconder la sociabilité,
sans qu'il puisse nullement se dispenser d'assister une passion
quelconque. En effet, le commandement réel exige, par-dessus
tout, de la force, et la raison n'a jamais que de la lumière ;
il faut que l'impulsion lui vienne d'ailleurs.  
    --- Auguste COMTE   
%
 Hélas ! pourquoi ne peut-on à la fois
être raisonnable et ardent ?  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Si la raison est un don du ciel, et que l'on en puisse
dire autant de la foi, le ciel nous a fait deux présents
incompatibles et contradictoires.  
    --- Denis DIDEROT   
%
 Pour parvenir à pardonner à la raison le
mal qu'elle fait à la plupart des hommes, on a besoin de
considérer ce que ce serait  que l'homme sans sa raison.
C'était un mal nécessaire.  
    --- CHAMFORT   
%
 Notre raison nous rend quelquefois aussi malheureux que
nos passions ; et on peut dire de l'homme, quand il est dans
ce cas, que c'est un malade empoisonné par son médecin.  
    --- CHAMFORT   
%
 Il y a peu d'hommes qui se permettent un usage vigoureux
et intrépide de leur raison, et osent l'appliquer à
tous les objets dans toute sa force. Le temps est venu où
il faut l'appliquer ainsi à tous les objets de la morale,
de la politique et de la société ; aux rois,
aux ministres, aux grands, aux philosophes ; aux principes
des sciences, des beaux-arts, etc. Sans quoi, on restera dans
la médiocrité.  
    --- CHAMFORT   
%
 Il faut se piquer d'être raisonnable, mais non pas
d'avoir raison.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Nul raisonneur ne croit contre sa raison.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 L'art de raisonner. - Le plus grand progrès qu'aient
fait les hommes consiste à avoir appris à raisonner
juste. Ce n'est pas une chose aussi naturelle que le pense Schopenhauer,
quand il dit : "Tous sont aptes à raisonner, peu à
juger.", mais on ne l'a apprise que tard et maintenant encore
elle n'est pas parvenue à l'empire. Le raisonnement faux
est, dans les temps anciens, la règle, et les mythologies
de tous les peuples, leur magie et leur superstition, leur culte
religieux, leur droit, sont des mines inépuisables de preuves
à l'appui de cette proposition.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Affirmer vaut mieux que démontrer. - Une affirmation
a plus de poids qu'un argument, du moins chez la plupart des hommes ;
car l'argument éveille la méfiance. C'est pourquoi
les orateurs populaires cherchent à assurer les arguments
de leurs partis par des affirmations.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les consciencieux. - Il est plus commode d'obéir
à sa conscience qu'à sa raison : car, à
chaque insuccès, la conscience trouve en elle-même
une excuse et une consolation. C'est pourquoi il y a encore tant
de gens consciencieux et si peu de gens raisonnables.  
    --- Friedrich NIETZSCHE  
%
 Il n'y a rien dans le réel que l'on soit fondé
à considérer comme radicalement réfractaire
à la raison humaine.
 [...]
 Mais le principe rationaliste n'implique pas que la science puisse,
en fait, épuiser le réel ; il nie seulement
que l'on ait le droit de regarder aucune partie de la réalité,
aucune catégorie de faits comme invinciblement irréductible
à la pensée scientifique, c'est-à-dire comme
irrationnelle dans son essence. Le rationalisme ne suppose nullement
que la science puisse jamais s'étendre jusqu'aux limites
dernières du donné ; mais qu'il n'y a pas,
dans le donné, de limites que la science ne puisse jamais
franchir.  
    --- Le principe rationaliste :
   
%
 Les absents ont toujours tort de revenir.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ne dites pas : "Je suis la raison", mais raisonnez.  
    --- Jules RENARD   
%
 Un fait mal observé est plus perfide qu'un mauvais
raisonnement.  
    --- Paul VALERY   
%
 Ce qui ne ressemble à rien est inconnaissable.  
    --- Paul VALERY   
%
 Méchanceté de celui qui a raison  -  L'être
qui "a raison", qui "a droit", qui tient ou le "juste" ou le "vrai"
 -  est toujours séduit à tirer avantage
de cette possession  -  et à glisser vers une méchanceté
toute naturelle... "dans l'intérêt de la Vérité
ou de la Justice".  
    --- Paul VALERY   
%
 "Avoir raison"... Qui donc y tient encore !... Quelques
sots.  
    --- André GIDE   
%
 Quand les gens intelligents se piquent de ne pas comprendre,
il est tout naturel qu'ils y réussissent mieux que les
sots.  
    --- André GIDE   
%
 Ce jeune musulman, élève de Massignon, qui
vint un matin me parler et que j'envoyai à Marcel de Coppet :
avec des larmes, des sanglots dans la voix, il racontait sa conviction
profonde : l'Islam seul était en possession de la
vérité qui pouvait apporter la paix au monde,  résoudre
les problèmes sociaux, concilier les plus irréductibles
antagonismes des nations... Berdiaeff réserve ce rôle
à l'orthodoxie grecque. De même le catholique ou
le juif, chacun à sa religion propre. C'est au nom de Dieu
qu'on se battra. Et comment en serait-il autrement, du moment
que chaque religion prétend au monopole de la vérité
révélée ? Car il ne s'agit plus ici
de morale ; mais bien de révélation. C'est
ainsi que les religions, chacune prétendant unir tous les
hommes, les divisent. Chacune prétend être la seule
à posséder la Vérité. La raison est
commune à tous les hommes, et s'oppose à la religion,
aux religions.  
    --- André GIDE   
%
 L'instinct demande à être dressé par
la méthode, mais l'instinct seul nous aide à découvrir
une méthode qui nous soit propre et grâce à
laquelle nous pouvons dresser notre instinct.  
    --- Jean COCTEAU  
%
 On ne sait jamais qui a raison ou qui a tort. C'est difficile
de juger. Moi, j'ai longtemps donné raison à tout
le monde. Jusqu'au jour où je me suis aperçu que
la plupart des gens à qui je donnais raison avaient tort !
Donc j'avais raison ! Par conséquent, j'avais tort !
Tort de donner raison à des gens qui avaient le tort de
croire qu'ils avaient raison. C'est-à-dire que moi qui
n'avais pas tort, je n'avais aucune raison de ne pas donner tort
à des gens qui prétendaient avoir raison, alors
qu'ils avaient tort. J'ai raison, non ? Puisqu'ils avaient
tort ! Et sans raison, encore ! Là, j'insiste,
parce que... moi aussi, il arrive que j'aie tort. Mais quand j'ai
tort, j'ai mes raisons, que je ne donne pas. Ce serait reconnaître
mes torts ! ! ! J'ai raison, non ? Remarquez...
il m'arrive aussi de donner raison à des gens qui ont raison
aussi. Mais, là encore, c'est un tort. C'est comme si je
donnais tort à des gens qui ont tort. Il n'y a pas de raison !
En résumé, je crois qu'on a toujours tort d'essayer
d'avoir raison devant des gens qui ont toutes les bonnes raisons
de croire qu'ils n'ont pas tort !  
    --- A tort ou à   
%
 Si, en vérité pure on a toujours raison
de ne pas avoir tord, en réalité altérée
on a souvent tort d'avoir raison.  
    --- Pierre DAC   
%
 Il est des activités intellectuelles où
ce ne sont pas les gros livres, mais les petits traités
qui font la fierté d'un homme. Si quelqu'un venait à
découvrir, par exemple, que les pierres, dans certaines
circonstances restées jusqu'alors inobservées, peuvent
parler, il ne faudrait que quelques pages pour décrire
et expliquer un phénomène aussi révolutionnaire.
Les bons sentiments, en revanche, sont un thème sur lequel
on peut toujours recommencer à écrire des livres,
et ce n'est pas là du tout une simple affaire d'érudition :
il s'agit d'une méthode grâce à laquelle les
plus importants problèmes de la vie restent toujours indéchiffrés.
On pourrait classer les activités humaines d'après
le nombre de mots nécessaires pour les définir ;
plus il en faut, plus ce sera mauvais signe pour elles. Toutes
les connaissances qu'il a fallu pour que notre espèce passe
des peaux de bêtes à l'aviation, avec toutes leurs
preuves et sous leur forme définitive, ne rempliraient
guère qu'une petite bibliothèque de poche ;
alors qu'un meuble grand comme la terre serait loin de suffire
pour accueillir tout le reste, sans même parler de l'interminable
discussion qui s'est poursuivie non par la plume, mais par l'épée
et les chaînes. On serait tenté de penser que nous
menons nos affaires humaines fort peu rationnellement, du moins
quand nous n'imitons pas les sciences qui, elles, ont progressé
d'une manière si exemplaire.  
    --- Robert MUSIL   
%
 Il n'est jamais facile de négocier avec des gens
qui se savent dans leur tort.  
    --- André FROSSARD   
%
 Les gens intelligents sont ceux qui changent d'avis avant
les autres.  
    --- André FROSSARD   
%
 J'aimerais perdre la raison à une seule condition :
avoir la certitude de devenir un fou gai et enjoué, sans
problèmes ni obsessions, hilare du matin au soir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Etre fidèle, pour la pensée, ce n'est pas
refuser de changer d'idées (dogmatisme), ni les soumettre
à autre chose qu'à elles-mêmes (foi), ni les
considérer comme des absolus (fanatisme) ; c'est refuser
d'en changer sans bonnes et fortes raisons, et - puisqu'on ne
peut examiner toujours - c'est tenir pour vrai, jusqu'à
nouvel examen, ce qui a une fois été clairement
et solidement jugé. Ni dogmatisme, donc, ni inconstance.
On a le droit de changer d'idées, mais seulement quand
c'est un devoir.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 C'est pas parce qu'ils sont nombreux à avoir tort
qu'ils ont raison !  
    --- COLUCHE   
%
 Il est très surprenant que les richesses des gens
d'Eglise aient commencé par le principe de pauvreté.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 M. de Voltaire, voyant la religion tomber tous les jours,
disait une fois : "Cela est pourtant fâcheux ;
car de quoi nous moquerons-nous ? - Oh ! lui dit M.
Sabatier de Cabre, consolez-vous ; les occasions ne vous
manqueront pas plus que les moyens. - Ah ! monsieur, repris
douloureusement M. de Voltaire, hors de l'église point
de salut."  
    --- CHAMFORT   
%
 Je ne sais quel homme disait : "Je voudrais voir
le dernier des rois étranglé avec le boyau du dernier
des prêtres."  
    --- CHAMFORT  
%
 Le baron de la Houze, ayant rendu quelques services au
pape Ganganelli, ce pape lui demanda s'il pouvait faire quelque
chose qui lui fût agréable. Le baron de la Houze,
rusé garçon, le pria de lui faire donner un corps
saint. Le pape fut très surpris de cette demande de la
part d'un Français. Il lui fit donner ce qu'il demandait.
Le baron, qui avait une petite terre dans les Pyrénées,
d'un revenu très mince, sans débouché pour
les denrées, y fit porter son saint, le fit accréditer.
Les chalands accoururent, les miracles arrivèrent, un village
d'auprès se peupla, les denrées augmentèrent
de prix, et les revenus du baron triplèrent.  
    --- Du bon usage de   
%
 Car tout sentiment religieux est un sentiment servile
et quiconque s'agenouille devant Dieu se façonne à
se prosterner devant un roi.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il n'est pas nécessaire que de pareilles idées
soient vraies, il suffit qu'elles nous rendent plus religieux.
Dès qu'il n'est pas évident qu'elles sont fausses,
il est de la saine philosophie de les admettre par la seule raison
qu'elles sont aptes à remplir leur destination qui est,
non de nous rendre savants (dans des matières où
on ne peut l'être) mais de nous rendre pieux. Ce ne sont
pas des conclusions qu'on veut par de tels arguments. On veut
des sentiments pour toute conséquence et si les prémices
sont propres à les amener, alors on a bien opéré
et aussi juste qu'un géomètre qui a déduit
un corollaire d'un axiome.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Si la prière ne change pas notre destin, elle change
nos sentiments, utilité qui n'est pas moindre.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Lorsqu'ils virent qu'ils ne pouvaient point lui faire
une tête de catholique, ils résolurent au moins de
lui couper sa tête de protestant.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Quand une bigote épouse un dévot, cela ne
donne pas toujours un couple en éjaculation*.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Qu'on parcoure une à une les thèses morales
exposées dans les chartes du christianisme, et l'on trouvera
partout que les exigences sont tendues outre mesure, afin que
l'homme n'y puisse pas suffire : l'intention n'est pas qu'il
devienne plus moral, mais qu'il se sente le plus possible pécheur.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Encens. - Le Bouddha dit : "Ne flatte pas ton bienfaiteur !"
Que l'on répète ces paroles dans une église
chrétienne ;  -  immédiatement elles
nettoient l'air de tout ce qui est chrétien.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le comte objecta que le christianisme, pas moins, avait
développé la civilisation.
 "Et la paresse, en faisant de la pauvreté une vertu.
 - Cependant, monsieur, la morale de l'Evangile ?
 - Eh ! eh ! pas si morale ! Les ouvriers de la
dernière heure sont autant payés que ceux de la
première. On donne à celui qui possède, et
on retire à celui qui n'a pas. Quant au précepte
de recevoir des soufflets sans les rendre et de se laisser voler,
il encourage les audacieux, les lâches et les coquins."
  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 La France est catholique parce que la femme est catholique.
Et la femme est catholique parce qu'elle n'est pas libre.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Nous savons que le prêtre est une gueuse, la procureuse
du bon Dieu, une créature qui n'a aucun titre, physique
ou moral, à la qualification d'homme. Un homme ne fait
pas voeu de chasteté, ne se condamne point au célibat
à perpétuité, ne se promène pas dans
les rues avec une robe de chienlit, ne se fait pas le receleur
moral des détrousseurs de malheureux, ne leur fournit pas
toutes les fausses clefs et les couteaux empoisonnés dont
ils ont besoin, et n'a pas pour métier d'absoudre le Crime
qui vient de lui graisser la patte. Un homme ne représente
pas Dieu sur la terre, ne l'avale point tous les matins, comme
une huître, entre deux grands coups de vin blanc, et ne
passe point son temps à déposer des pains à
cacheter dans les gosiers de ses contemporains. L'imbécillité
et l'infamie du sacerdoce sont de plus en plus apparents. Nietzsche
n'exagérait pas quand il disait que le temps approche vite
où le prêtre sera regardé partout comme le
type le plus bas, le plus faux, le plus répugnant de toutes
les variétés de l'espèce humaine.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Toutes les religions se ressemblent par la quête.  
    --- Jules RENARD   
%
 La vie n'était pas si gaie ! La religion a
fait de la mort quelque chose de terrible et d'absurde.  
    --- Jules RENARD   
%
  La religion est si consolante.
 On ne doit rien aux gens qui crèvent de misère,
puisqu'ils ont la religion pour les consoler. Il ne tient qu'à
eux de manger leurs croûtes avec délices ou même
de se réjouir en ne mangeant absolument rien. Les ventres
creux sont des tambours excellents pour l'entraînement des
miséreux à la conquête du Paradis. Tant pis
pour eux s'ils ne comprennent pas leur bonheur.  
    --- Léon BLOY   
%
 Déluge n. Premier essai remarqué de baptême
collectif, qui lessiva tous les péchés (et les pécheurs)
de la création.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Prier v. Demander que les lois de l'univers soient annulées
en faveur d'un unique pétitionnaire, indigne de son propre
aveu.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Sans les religions, les sciences n'eussent pas existé,
car la tête humaine n'aurait pas été habituée
à s'écarter de l'apparence immédiate et constante
qui lui définit la réalité  
    --- Paul VALERY   
%
 La religion, comme je disais, est peut-être un instrument
de force, mais oppressif seulement. Qu'est-ce qu'un individu qui
a besoin de croire pour être fort, et à qui la religion
enseigne de se résigner ici-bas, dans l'espoir des jouissances
célestes. Le fort est celui qui considère que la
vie a son but et sa fin en elle-même et que le bonheur est
ici et s'y doit trouver, sans aucun espoir de le trouver dans
une autre vie.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Varenne et Dyssord racontent de ces histoires dont on
ne sait qui les invente et qui sont souvent fort drôles.
Celle-ci par exemple, tout à fait de circonstance après
la messe à laquelle nous venons d'assister. Une femme s'approche
de l'autel pour communier, tenant un petit enfant dans ses bras.
Au moment que le prêtre lui présente l'hostie, l'enfant
étend le bras pour la saisir : "Caca !" lui dit
le prêtre pour l'arrêter. C'est merveilleux !
A la fois drôle, et à la fois satirique touchant
cette merveilleuse religion.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Cérémonie à Saint-Germain-des-Prés.
Régnier à côté de moi, séparé
par une balustrade. Comme moi, il reste assis au lieu de se lever
à plusieurs reprises comme le veut le rite. Je regarde
le prêtre qui officie préparer sa communion :
le vin dans le ciboire, l'hostie cassée et plongée
dans le vin, le ciboire recouvert de la plaquette, le prêtre
traçant au-dessus avec la main des signes mystérieux.
Absolument comme un prestidigitateur : Messieurs, Mesdames,
vous voyez ce chapeau. Il n'y a rien dedans. Je le pose sur cette
table. Attention : Un, deux, trois, et le chapeau repris
un pigeon s'en échappe. Les pigeons, ici, ce sont les fidèles.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 J'ai raconté à Vallette, tantôt, avec
intention, la petite scène de ce Gorgouloff avec son drapeau.
"Vous savez, lui ai-je dit, ce n'est pas loin des gens qui saluent
drapeau dans la rue." Il s'est tout de suite cabré :
"C'est un symbole. On a fait de grandes choses avec les symboles.
On a amené les hommes à se sacrifier à une
idée. C'est tout de même beau de se sacrifier à
une idée."  Je ne me suis pas laissé faire :
"C'est de l'aliénation mentale. Comme les premiers chrétiens
qui se laissaient dévorer pour démontrer leur foi.
Des aliénés. Tout ce qui est sentiment religieux
est aliénation mentale à un degré ou un autre.
L'homme sur le champ de bataille qui court avec entrain à
la mort : un aliéné provisoire. L'être
qui prête un pouvoir magique, surnaturel, à un objet
quelconque : croix, statuette, etc., etc., un aliéné
partiel. Tout ce qui est superstition, croyance aveugle, est un
degré de folie.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 A un bout de l'an de Guillaume Apollinaire, à
Saint-Thomas d'Aquin, dans une chapelle voisine, des gens communiaient.
Ils étaient là à genoux devant l'autel. Le
prêtre assistant se mit à cracher dans son mouchoir.
Celui qui officiait se mettait les doigts dans le nez. Il offrit
ensuite, des mêmes doigts, l'hostie à ses clients.
Je regardais la physionomie de ces gens retournant s'asseoir,
le visage confit en recueillement et précaution. Aucun
rapport, décidément, entre le Saint-Esprit et l'esprit.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le christianisme, avant tout, console ; mais il y
a des âmes naturellement heureuses et qui n'ont pas besoin
d'être consolées. Alors, celles-ci, le christianisme
commence par les rendre malheureuses, n'ayant sinon pas d'action
sur elles.  
    --- André GIDE   
%
 Le catholicisme est inadmissible. Le protestantisme est
intolérable. Et je me sens profondément chrétien.  
    --- André GIDE   
%
 Les persécutions ont toujours (ou presque), jusqu'à
présent, au nom d'une religion. Que la libre pensée
à son tour persécute, la religion trouve cela monstrueux.
Mais peut-on vraiment dire qu'il y ait persécution ?
J'ai toujours quelque peine à accepter pour vrai ce qu'on
a tout intérêt à nous faire croire.  
    --- André GIDE   
%
 Nous sommes empoisonnés de religion. Nous sommes
habitués à voir des curés qui sont à
guetter la faiblesse et la souffrance humaines, afin d'achever
les mourants d'un coup de sermon qui fera réfléchir
les autres. Je hais cette éloquence de croque-mort. Il
faut prêcher sur la vie, non sur la mort ; répandre
l'espoir, non la crainte ; et cultiver en commun la joie,
vrai trésor humain. C'est le secret des grands sages, et
ce sera la lumière de demain. Les passions sont tristes.
La haine est triste. La joie tuera les passions et la haine. Mais
commençons par nous dire que la tristesse n'est jamais
ni noble, ni belle, ni utile.  
    --- ALAIN   
%
 Depuis deux mille ans, Jésus se venge sur nous
de n'être pas mort sur un canapé.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Chez moi, c'est l'esprit scientifique qui a détruit
la croyance en Dieu ; et je pensais qu'il la détruirait
de même chez tous les hommes. J'aurais aussi cru, a priori,
que les deux guerres mondiales auraient nui aux religions ;
on aurait pu penser que Dieu, s'Il existe, ne les aurait pas permises.
C'est le contraire qui s'est produit. En présence de ces
catastrophes, on a écouté les voix qui bercent la
misère humaine plutôt que celle de la raison.
 Et pourtant je crois encore que la science finira par nuire aux
religions, mais pas comme je l'avais cru d'abord, en démontrant
vraiment que Dieu n'existe pas. Mais le développement de
l'esprit scientifique amènera de plus en plus les hommes
à réexaminer sans cesse les fondements de leurs
croyances, et à ne pas croire aveuglément ce qu'on
leur a appris dans leur enfance. Il faudra "reconsidérer"
les religions, et il me paraît fatal qu'elles résistent
mal à ce perpétuel examen. Combien de temps durera
leur décadence ? Faudra-t-il quelques générations
ou quelques siècles ? Je ne sais pas. Mais je crois
que, dans quelques milliers d'années, on ne considérera
plus les cathédrales gothiques que comme des vestiges d'une
religion disparue, et qu'aucune autre n'aura remplacée.  
    --- Paul LEVY   
%
 A un enfant qui meurt, et aux parents de cet enfant,
ferez-vous, si la religion les console, l'éloge de l'athéisme ?
Qu'on ne se méprenne pas : cela, à mon sens,
ne prouve rien contre l'athéisme et beaucoup contre la
religion. "L'âme d'un monde sans âme, disait Marx,
l'esprit d'un monde sans esprit..." C'est la misère qui
fait la religion, et c'est pourquoi celle-ci est misérable.
Qui interdirait l'opium au mourant ? Et que sommes-nous d'autres,
hors l'oubli ou le divertissement, que des mourants ?  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Toutes les religions ont une explication de la "création"
du monde, tous les livres sacrés commencent par là.
 Pas une seule religion n'a soupçonné quelle est
la véritable forme de la Terre, la nature du ciel et des
étoiles, les lois de la gravitation, les rapports entre
la Terre, la Lune, le Soleil et les planètes, la constitution
du corps humain, le rôle des micro-organismes dans les maladies,
etc.
 Tous les livres saints, dès qu'ils se mêlent d'expliquer
ce monde créé par le dieu qu'ils exaltent, déconnent
à perdre haleine.
 ~
 Tout se passe comme si les livres "sacrés", fondements
intouchables de la foi, étaient les oeuvres d'ignorants
fumeux et prétentieux, d'illuminés en état
d'excitation, de monomaniaques en proie à une idée
fixe et n'en sachant pas plus sur la nature des choses que ce
qu'en savaient les bonnes gens de leur époque.  
    --- François CAVANNA   
%
 Dites voir, s'ils l'avaient empalé, leur Jésus-Christ,
où les porteraient-ils, les stigmates, les élus
de Dieu ?  
    --- François CAVANNA   
%
 Peu à peu, les vieilles religions perdent leur
venin, les plus récentes sont les pires.  
    --- Roland TOPOR   
%
 J'ai renoncé à trouver un sens à
la phrase de Malraux : "Le vingt et unième siècle
sera religieux ou ne sera pas", et je ne crois pas qu'elle en
ait un. En effet, religieux ou pas, le vingt et unième
siècle sera. Mais il risque (et en cela Malraux pourrait
avoir raison) d'être plus religieux que le vingtième,
dans lequel les idéologies avaient pris en partie la place
de la foi pour justifier le besoin humain d'exterminer des mécréants,
et de s'en inventer s'il le faut.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 En matière de religion, j'éprouve quelque
peine à admettre que le monde ait vécu dans le paganisme
et l'obscurantisme durant des millions d'années et que
le vrai Dieu ne se soit manifesté que voilà deux
mille ans, c'est-à-dire hier.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le remords. - Le remords est, comme la morsure d'un chien
contre la pierre, une bêtise.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Remords. - Ne jamais donner libre cours au remords, mais
se dire tout de suite : ce serait là ajouter une seconde
bêtise à la première. - Si l'on a fait du
mal, il faut songer à faire le bien. - Si l'on est puni
à cause de sa mauvaise action, il faut subir sa peine avec
le sentiment que par là on fait une chose bonne :
on empêche, par l'exemple, les autres de tomber dans la
même folie. Tout malfaiteur puni doit se considérer
comme un bienfaiteur de l'humanité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La mauvaise conscience fait la part du feu, pour mieux
combattre l'incendie ; grâce au vésicatoire
du remords, tout ce qu'il y a d'impur et de vil dans notre nature
se rassemble autour d'une action précise au lieu de circuler
en nous à l'état diffus. Le remords est concentration,
il circonscrit en même temps qu'il exalte, il précipite
par une espèce de "crise" le poison insidieux qui est caché
dans notre âme. L'abcès de fixation du remords nous
immunise contre la septicémie morale. Ainsi la douleur
est de nature dialectique : il faut s'offrir courageusement
à cette dialectique comme à une chirurgie bienfaisante
qui séparera en nous le juste et l'injuste ; il faut
faire pénitence.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Le remords n'est pas un principe moral, puisqu'il ne nous
dit pas ce qu'il faut faire, puisqu'il nous dit trop tard ce qu'il
aurait mieux valu ne pas faire ; les leçons de ce
démon intérieur sont, en général,
des leçons perdues ; il est bien rare que la "voix
de la conscience" parle en nous comme un instinct ou pressentiment
des tâches à venir, comme une précaution contre
ce que nous appelons justement les "cas de conscience" ;
elle reste muette au moment où, pour agir, nous attendrions
ses oracles ; et elle ne se prononce, reproche dérisoire
et posthume, que lorsque l'irréparable est accompli.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Le temps efface le souvenir des malheurs, jamais celui
des fautes. La morsure d'un remords se ravive chaque jour plus
cruelle dans notre conscience, à mesure que la vie passe.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Sur la corde raide de la vie, les remords font office
de balanciers.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Combien de gens abusent de leur réputation !
On reprochoit à un peintre fameux de certains mauvais tableaux.
 "Allez ! Allez ! dit-il, on ne croira jamais que ce
soit moi qui les aie faits."  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Quand il s'agit d'obtenir les honneurs, on rame avec le
mérite personnel, et on vogue à pleines voiles avec
la naissance.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 On appela à la cour le célèbre Levret,
pour accoucher la feue Dauphine. M. le Dauphin lui dit :
"Vous êtes bien content, M. Levret, d'accoucher Madame la
Dauphine ? cela va vous faire de la réputation. -
Si ma réputation n'était pas faite, dit tranquillement
l'accoucheur, je ne serais pas ici."  
    --- CHAMFORT   
%
 Le talent, c'est comme l'argent : il n'est pas nécessaire
d'en avoir pour en parler.  
    --- Jules RENARD   
%
 Un instant supposez-le mort, et vous verrez, s'il n'a
pas de talent !  
    --- Jules RENARD   
%
 Les peintres peuvent toujours dirent que leur tableau
est mal éclairé.  
    --- Jules RENARD   
%
 Un homme qui ne demande jamais de service à personne
finit par se faire la réputation d'un homme qui n'en rend
pas.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 C'est le fait d'un ignorant d'accuser les autres de ses
propres échecs ; celui qui a commencé de s'instruire
s'en accuse soi-même ; celui qui est instruit n'en
accuse ni autrui ni soi-même.  
    --- EPICTETE   
%
 La plus grande bassesse de l'homme est la recherche de
la gloire, mais c'est cela même qui est la plus grande marque
de son excellence ; car, quelque possession qu'il ait sur
la terre, quelque santé et commodité essentiel qu'il
ait, il n'est pas satisfait, s'il n'est dans l'estime des hommes.
Il estime si grande la raison de l'homme, que, quelque avantage
qu'il ait sur la terre, s'il n'est placé avantageusement
aussi dans la raison de l'homme, il n'est pas content. C'est la
plus belle place du monde : rien ne le peut détourner
de ce désir, et c'est la qualité la plus ineffaçable
du coeur de l'homme.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 J'ai ouï dire au cardinal Imperiali : "Il n'y
a point d'homme que la Fortune ne vienne visiter une fois en sa
vie. Mais, lorsqu'elle ne le trouve pas prêt à la
recevoir, elle entre par la porte et passe par la fenêtre."  
    --- MONTESQUIEU   
%
 La raison pourquoi les sots réussissent ordinairement
dans leurs entreprises, c'est que, ne sachant et ne voyant jamais
quand ils sont importuns, ils ne s'arrêtent jamais. Or,
il n'y a pas d'homme assez sot pour ne savoir pas dire :
"Donnez-moi cela."  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Quand on voit un homme actif qui a fait sa fortune, cela
vient de ce que, de cent mille voies, la plupart fausses, qu'il
a employées, quelqu'une a réussi. De là,
on argumente qu'il sera propre pour les affaires publiques. Cela
n'est pas vrai. Quand on se trompe dans quelques projets pour
sa fortune, ce n'est qu'un coup d'épée dans l'eau.Mais,
dans les entreprises d'Etat, il n'y a pas de coup d'épée
dans l'eau.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Vous demandez comment on fait fortune. Voyez ce qui se
passe au parterre d'un spectacle, le jour où il y a foule ;
comme les uns restent en arrière, comme les premiers reculent,
comme les derniers sont portés en avant. Cette image est
si juste que le mot qui l'exprime a passé dans le langage
du peuple. Il appelle faire fortune : se pousser. "Mon fils,
mon neveu se poussera." Les honnêtes gens disent :
s'avancer, avancer, arriver, termes adoucis, qui écartent
l'idée accessoire de force, de violence, de grossièreté,
mais qui laissent subsister l'idée principale.  
    --- CHAMFORT   
%
 Les succès produisent les succès, comme
l'argent produit l'argent.  
    --- CHAMFORT   
%
 Célébrité : l'avantage d'être
connu de ceux qui ne vous connaissent pas.  
    --- CHAMFORT   
%
 L'envie veut abaisser et l'émulation égaler.
L'une s'afflige des succès, l'autre y aspire. Celle là
est jalouse de tout mérite et l'autre en est ambitieuse.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le mérite a besoin d'enseigne et aux yeux de la
foule la richesse et la puissance l'indiquent seules.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Laissez la bonne conduite et l'amour de l'étude.
Mon exemple fait voir où ces qualités conduisent.
Livrez-vous à l'intrigue seule.  
    --- STENDHAL   
%
 Les meilleurs dissimulateurs. - Tous ceux qui sont habitués
au succès sont pleins d'astuce pour présenter toujours
leurs défauts et leurs faiblesses comme de la force apparente :
ce pourquoi ils doivent les connaître particulièrement
bien.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Oui, je sais. Tous les grands hommes furent d'abord méconnus ;
mais je ne suis pas un grand homme, et j'aimerais autant être
connu tout de suite.  
    --- Jules RENARD   
%
 Pour arriver, il faut faire ou des saletés, ou
des chefs-d'oeuvres. Etes-vous plus capable des unes que des autres ?  
    --- Jules RENARD   
%
 Pour arriver, il faut mettre de l'eau dans son vin, jusqu'à
ce qu'il n'y ait plus de vin.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il y a des moments où tout réussit. Il ne
faut pas s'effrayer : ça passe.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ces livres qu'écrivent des gens bien-pensants,
pour nous expliquer que ce qu'ils appellent "la réussite"
consiste à envoyer promener notre jeunesse et à
sacrifier notre âge mûr, de façon à
avoir les moyens, arrivés à quatre-vingts ans, de
passer notre vieillesse à faire la foire, m'agacent prodigieusement.
Nous économisons toute notre vie pour investir notre or
dans Dieu sait quel attrape-nigaud ; or, à force d'épargner
et de tirer des plans sur la comète, nous sommes devenus
mesquins, étroits d'esprit, durs. Nous remettons la cueillette
des roses à demain, parce qu'aujourd'hui tout notre temps
est pris à travailler, à faire des affaires, à
tramer des manigances. Mais hélas ! quand vient demain,
les roses sont fanées ; d'ailleurs, nous nous en fichons
de ces roses qui ne servent à rien et n'ont pour ainsi
dire aucune valeur marchande ; quand vient demain, ce sont
plutôt les choux gras qui nous intéressent.  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 Tirer son épingle du jeu.
 Quand vous assassinez un vieux rentier, après l'avoir
cambriolé profitablement, faites en sorte que les pièces
à conviction puissent être trouvées chez le
percepteur ou le juge de paix et, sans vous découvrir le
moins du monde, suggérez habilement à la justice
l'une ou l'autre de ces deux pistes. Si vous êtes manieur
d'affaires, arrangez-vous pour que les capitaux soient centralisés
en un point déterminé de l'espace que nous appellerons,
si vous voulez, votre caisse ; munissez-vous, au préalable,
de tous les horaires utiles et lorsque le bon moment sera venu,
empruntez les ailes du condor et envolez-vous en silence, après
avoir coupé, autant que possible, toutes les communications.
Les co-intéressés se débrouilleront à
leur tour comme ils pourront dans une comptabilité que
vous aurez rendue aussi parfaitement inextricable qu'une forêt
vierge de l'Amazone ou du Haut-Congo.  
    --- Léon BLOY   
%
 Ce n'est pas la peur d'entreprendre, c'est la peur de
réussir, qui explique plus d'un échec.  
    --- Emil CIORAN   
%
 S'il n'est pas réconfortant, il est en tout cas
flatteur de penser qu'on mourra sans avoir donné toute
sa mesure.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Que peut-il y avoir de plus faux que le dicton "Rien ne
réussit comme la réussite" ?
 Comme vous l'avez déjà compris , j'espère,
la hiérarchologie démontre clairement que rien n'échoue
comme la réussite, quand un travailleur atteint finalement
son niveau d'incompétence.  
    --- L.J. PETER et R.   
%
 Le mécontentement ne vient pas avec l'échec,
qui incite à la patience, mais avec le succès, qui
rend exigeant.  
    --- André FROSSARD   
%
 Sans doute le moins estimable des rêves de jeunesse
est-il le désir de célébrité
 D'abord parce que la célébrité est une indication
quantitative et non qualitative. L'ampleur n'en est à aucun
degré proportionnelle (ni directement ni inversement, d'ailleurs)
au bien-fondé du motif pour lequel elle se met à
draper un quidam. En d'autres termes, c'est une grandeur, ce n'est
pas une valeur.
 Ensuite parce que c'est un désir de dupe. Dans un double
sens. Le premier, qu'elle ne nous paraît jamais suffisante.
J'ai connu des écrivains, des savants, des peintres jouissant
d'une gloire mondiale et qui, du lever au coucher, s'épuisaient
en propos envieux et en dénigrements obsessionnels envers
des rivaux fort éloignés d'égaler leur réputation.
Ils ne suspendaient l'étalage de leur aigreur que pour
détailler à leur auditoire tous les articles du
catalogue récent des témoignages d'admiration dont
ils avaient eux-mêmes été l'objet. Je les
voyais, en somme, d'autant plus malheureux qu'ils étaient
plus illustres. Leur célébrité détruisait
leur sérénité. Elle la rongeait aussi dans
un deuxième sens. Pour un auteur, un chercheur, un artiste,
la célébrité transforme le monde extérieur
en source intarissable d'extermination de leurs forces et de leur
liberté. Elle met en pièces chaque jour ce loisir
intérieur, l'otium des Anciens, cette réserve spirituelle
de silence et d'énergie sans laquelle ne naît point
d'oeuvre, ni même d'envie d'en faire.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 L'unicité de l'existence m'empêche de me
contenter de la réussite des autres.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 La réussite, c'est d'abord et surtout d'être
au travail quand les autres vont à la pêche.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Je n'ai jamais été content de ce que je
faisais. Quand je ne ferai plus rien je m'offrirai le luxe d'être
content de ce que j'ai fait.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Si nous rêvions toutes les nuits la même chose,
elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous
les jours. Et si un artisan était sûr de rêver
toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois
qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rêverait
toutes les nuits, douze heures durant, qu'il serait artisan.
 Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes suivis
par des ennemis, et agités par ces fantômes pénibles,
et qu'on passât tous les jours en diverses occupations,
comme quand on fait voyage, on souffrirait presque autant que
si cela était véritable, et on appréhenderait
de dormir, comme on appréhende le réveil quand on
craint d'entrer dans de tels malheurs en effet. Et en effet il
ferait à peu près les mêmes maux que la réalité.
 Mais parce que les songes sont tous différents, et qu'un
même se diversifie, ce qu'on y voit affecte bien moins que
ce qu'on voit en veillant, à cause de la continuité,
qui n'est pourtant pas si continue et égale qu'elle ne
change aussi, mais moins brusquement, si ce n'est rarement comme
quand on voyage ; et alors on dit : "il me semble que
je rêve" ; car la vie est un songe un peu moins inconstant.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Relie par des rêves bien dirigés le travail
du soir au travail du matin.  
    --- Jules RENARD   
%
 Une méprise au sujet du rêve.
 Dans le rêve, l'homme , aux époques de civilisation
informe et rudimentaire, croyait apprendre à connaître
un second monde réel ; là est l'origine de
toute métaphysique. Sans le rêve, on n'aurait pas
trouvé l'occasion de couper le monde en deux. La division
en âme et corps se rattache aussi à la plus ancienne
conception du rêve, de même que la croyance à
un simulacre corporel de l'âme, partant l'origine de toute
croyance aux esprits, et vraisemblablement aussi de la croyance
aux dieux. "Le mort continue à vivre ; car il apparait
aux vivants dans le rêve" : c'est ainsi qu'on raisonna
jadis, durant beaucoup de milliers d'années.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le réveil fait aux rêves une réputation
qu'ils ne méritent pas.  
    --- Paul VALERY   
%
 Le rêve est le phénomène que nous
n'observons que pendant son absence. Le verbe rêver n'a
presque pas de "présent"*. 
 *Je rêve, tu rêves,  -  ce sont figures de
rhétorique, car c'est un éveillé qui parle
ou un candidat au réveil.   
    --- Paul VALERY   
%
 Pour que l'argumentation fondée sur le rêve
afin de contester la réalité du réel soit
valable, il faudrait que l'on puisse traiter en rêve cette
perception du réel  -  la simuler  -  et
non pas seulement formuler  -  la possibilité dont
on veut faire état.
 Qu'est-ce qui me prouve que je ne rêve pas ? C'est
que je suis dans l'état dans lequel j'ai défini
le rêve et qui définit le rêve  -  et
que je n'en connais pas d'autre.  
    --- Paul VALERY   
%
 On croit que les rêves sont faits pour être
réalisés. C'est le problème des rêves.
Les rêves sont faits pour être rêvés.  
    --- COLUCHE   
%
 La dernière raison des rois, le boulet. La dernière
raison des peuples, le pavé.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les grandes révolutions naissent des petites misères
comme les grands fleuves des petits ruisseaux.  
    --- Victor HUGO   
%
 La populace ne peut faire que des émeutes. Pour
faire une révolution il faut le peuple.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le peuple est conduit par la misère aux révolutions
et ramené par les révolutions à la misère.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le gouvernement a trouvé un moyen d'empêcher
les révolutions. Il s'est dit : les révolutions
naissent des barricades et les barricades naissent des pavés.
Il macadamise les boulevards et le faubourg Saint-Antoine.  
    --- Victor HUGO   
%
 La Révolution française est le premier essai
de l'humanité pour prendre ses propres rênes et se
diriger elle-même. C'est l'avènement de la réflexion
dans le gouvernement de l'humanité. C'est le moment correspondant
à celui où l'enfant, conduit jusque-là par
les instincts spontanés, le caprice et la volonté
des autres, se pose en personne libre, morale et responsable de
ses actes.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Les révolutions seules savent détruire les
institutions depuis longtemps condamnées. En temps de calme,
on ne peut se résoudre à frapper, lors même
que ce qu'on frappe n'a plus de raison d'être. Ceux qui
croient que la rénovation qui avait été nécessitée
par tout le travail intellectuel du XVIII<SUP>e</SUP> siècle eût
pu se faire pacifiquement se trompent. On eût cherché
à pactiser, on se fût arrêté à
mille considérations personnelles, qui en temps de calme
sont fort prisées ; on n'eût osé détruire
franchement ni les privilèges ni les ordres religieux,
ni tant d'autres abus. La tempête s'en charge. Le pouvoir
temporel des papes est assurément périmé.
Eh bien ! tout le monde en serait persuadé qu'on ne
se déciderait point encore à balayer cette ruine.
Il faudrait attendre pour cela le prochain tremblement de terre.
Rien ne se fait par le calme : on n'ose qu'en révolution.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Je n'aime pas les pauvres. Leur existence, qu'ils acceptent,
qu'ils chérissent, me déplaît ; leur
résignation me dégoûte. A tel point
que c'est, je crois, l'antipathie, la répugnance qu'ils
m'inspirent, qui m'a fait révolutionnaire. Je voudrais
voir l'abolition de la souffrance humaine afin de n'être
plus obligé de contempler le repoussant spectacle qu'elle
présente. Je ferais beaucoup pour cela. Je ne sais pas
si j'irais jusqu'à sacrifier ma peau ; mais je sacrifierais
sans hésitation celle d'un grand nombre de mes contemporains.
Qu'on ne se récrie pas. La férocité est beaucoup
plus rare que le dévouement.  
    --- Georges DARIEN   
%
 La misère et la pauvreté sont si fondamentalement
dégradantes, et exercent sur la nature humaine un effet
si paralysant, qu'aucune classe de la population n'est jamais
vraiment consciente des souffrances qu'elle endure. Il faut que
d'autres le lui disent, et souvent elle refuse catégoriquement
de les croire. Ce que les gros employeurs de main-d'oeuvre disent
des agitateurs est indéniablement vrai. Les agitateurs
sont des gens indiscrets se mêlant de ce qui ne les regarde
pas, qui fondent sur une partie de la population parfaitement
satisfaite de son sort et sèment en son sein les graines
du mécontentement. C'est  bien pour cela que les agitateurs
sont absolument indispensables. Sans eux, au stade inachevé
qui est le nôtre, il n'y aurait nul progrès vers
la civilisation. Si l'esclavage a été aboli aux
Etats-Unis, ce n'est pas à la suite d'actions menées
par les esclaves, ni même parce qu'ils auraient exprimé
un désir explicite d'être libérés.
Il a été aboli uniquement grâce aux pratiques
totalement illégales de certains agitateurs de Boston et
d'ailleurs, qui eux-mêmes n'étaient ni esclaves,
ni propriétaires d'esclaves, et qui en vérité
n'avaient rien à voir avec la question. Ce sont indéniablement
les abolitionnistes qui ont mis le feu aux poudres, c'est par
eux que tout a commencé. Et il est très curieux
de noter que les esclaves eux-mêmes leur apportèrent
bien peu d'aide, et même bien peu de sympathie ; et
lorsqu'à la fin de la guerre les esclaves se retrouvèrent
libres, et même si totalement libres qu'ils étaient
libres de mourir de faim, nombre d'entre eux regrettèrent
amèrement leur nouvelle situation.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Insurrection n. Révolution qui a échoué.
Tentative infructueuse pour substituer le désordre à
un mauvais gouvernement.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 De ce qu'un petit-fils d'Adam venu au monde sans malice
est juste bon à rincer des bouteilles ou à balayer
les lieux, il ne s'ensuit pas logiquement qu'on doive le laisser
crever de faim toute sa vie.
 C'est à l'homme à réparer, lorsque ses moyens
le lui permettent, les petites injustices du bon Dieu. Si la pitié
le lui conseille, son intérêt le lui commande, car
plus un être est près de la bête, plus ses
représailles sont à redouter, le jour  -  fatal  -  où
lui parvient enfin la notion de l'iniquité dont il est
l'innocente victime et où ses yeux viennent à s'ouvrir
sur la disproportion des parts.
 Payer ce qu'on doit est le meilleur moyen de ne pas s'exposer
à payer un jour plus que son dû.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 C'est une idée assez commune que révolution
et guerre sont filles de pauvreté. Mais ce n'est qu'une
demi-vérité. Ce ne sont point les pauvres qui sont
redoutables, ce sont les humiliés et les offensés.
L'aiguillon du besoin ne fait qu'un animal peureux ; pensée
de vol, non pensée de vengeance. Et la pensée s'occupe
toute à chercher un repas après l'autre. Tête
et ventre. Les passions veulent du loisir, et un sang riche. On
croit que la faim conduirait à la colère ;
mais c'est là une pensée d'homme bien nourri. Dans
le fait une extrême faim tarit d'abord les mouvements de
luxe, et premièrement la colère. J'en dirais autant
du besoin de dormir, plus impérieux peut-être que
la faim. Ainsi la colère ne serait pas naturellement au
service des désirs, comme on veut d'abord croire.  
    --- ALAIN   
%
 Déblayer pour reconstruire, sans savoir grand-chose
du monument futur sinon qu'il sera le plus beau, cela s'appelle
faire une Révolution.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Je crains que le révolté ne soit jamais
capable de porter autant d'amour à ceux qu'il aime que
de haine à ceux qu'il hait. Les vrais ennemis de la société
ne sont pas ceux qu'elle exploite ou tyrannise, ce sont ceux qu'elle
humilie. Voilà pourquoi les partis de révolution
comptent un si grand nombre de bacheliers sans emploi.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Une vie libre ne peut acquérir des biens nombreux,
parce que la chose n'est pas facile sans se faire le serviteur
de la foule ou de maîtres ; mais elle a acquis tout
ce qu'elle a par une prodigalité continue ; et si
jamais elle obtient des biens nombreux, il lui sera facile de
les dispenser pour gagner la bienveillance du proche.  
    --- EPICURE   
%
 Prendre avec simplicité, et lâcher facilement.  
    --- MARC-AURELE   
%
 Je reviens donc à mon sujet : la Fortune aime
les gens peu réfléchis, elle aime les audacieux
et ceux à qui plaît le proverbe "Les dés sont
jetés." Mais la sagesse rend quelque peu timide et c'est
pourquoi vous voyez en général ces malheureux sages
aux prises avec la pauvreté, avec la faim, avec la fumée,
vivre oubliés, obscurs, détestés ; et
les fous regorger d'argent, tenir le gouvernail de l'Etat,
bref être florissants de toutes les façons. En effet
si on pense que le bonheur c'est de plaire aux princes, fréquenter
ces dieux couverts de pierreries, mes familiers, quoi de plus
inutile que la sagesse, et même de plus décrié
chez ce genre d'homme ? S'il s'agit d'acquérir des
richesses, quel gain peut bien réaliser un marchand si,
suivant la sagesse, il se formalise d'un parjure ; si, pris
à mentir, il rougit, s'il fait le moindre cas des scrupules
inquiets des sages, face au vol et à l'usure ? Et
si on vise aux honneurs et aux richesses ecclésiastiques,
un âne ou un boeuf y arrivera plus vite qu'un sage. Si vous
êtes mené par le plaisir, les filles, rôle
principal de cette comédie, se donnent de tout coeur aux
fous, mais ont en horreur le sage et le fuient comme un scorpion.
Enfin quiconque est disposé à vivre un peu gaiement
et joyeusement, exclut avant tout le sage et accepte plutôt
n'importe quel animal. Bref, de quelque côté qu'on
se tourne, vers les pontifes, les princes, les juges, les magistrats,
les amis, les ennemis, les grands, les petits, tout s'obtient
contre argent comptant ; or comme le sage les méprise,
ils prennent l'habitude de le fuir consciencieusement.  
    --- ERASME   
%
 Le mépris des richesses était dans les philosophes
un désir caché de venger leur mérite de l'injustice
de la fortune par le mépris des mêmes biens dont
elle les privait ; c'était un secret pour se garantir
de l'avilissement de la pauvreté ; c'était
un chemin détourné pour aller à la considération
qu'ils ne pouvaient avoir par les richesses.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Les philosophes ne condamnent les richesses que par le
mauvais usage que nous en faisons ; il dépend de nous
de les acquérir et de nous en servir sans crime et, au
lieu qu'elles nourrissent et accroissent les vices, comme le bois
entretient et augmente le feu, nous pouvons les consacrer à
toutes les vertus et les rendre même par là plus
agréables et plus éclatantes.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 N'envions point à une sorte de gens leurs grandes
richesses ; ils les ont à titre onéreux, et
qui ne nous accommoderait point : ils ont mis leur repos,
leur santé, leur honneur et leur conscience pour les avoir ;
cela est trop cher, et il n'y a rien à gagner à
un tel marché.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 De tous les moyens de faire sa fortune, le plus court
et le meilleur est de mettre les gens à voir clairement
leurs intérêts à vous faire du bien.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Les traits découvrent la complexion et les moeurs
 mais la mine désigne les biens de fortune : le plus
ou le moins de mille livres de rente se trouve écrit sur
les visages.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La prospérité tourne plus la tête
que l'adversité ; c'est que l'adversité vous
avertit, et que la prospérité fait qu'on s'oublie.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 L'argent est très estimable lorsqu'on le méprise.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Les affaires. Elles seules donnent du poids en ployant
l'esprit vers la terre.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Je suis brouillé avec la trésorerie, parce
que je regarde l'argent comme le fumier (comme un engrais) et
qu'ils le regardent comme la récolte.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Un ambassadeur anglais à Naples avait donné
une fête charmante, mais qui n'avait pas coûté
bien cher. On le sut, et on partit de là pour dénigrer
sa fête, qui avait d'abord bien réussi. Il s'en vengea
en véritable Anglais et en homme à qui les guinées
ne coûtaient pas grand-chose. Il annonça une autre
fête. On crut que c'était pour prendre sa revanche
et que la fête serait superbe. On accourt. Grande affluence.
Point d'apprêts. Enfin, on apporte un réchaud à
esprit-de-vin. On s'attendait à quelque miracle. "Messieurs,
dit-il, ce sont les dépenses et non l'agrément d'une
fête, que vous cherchez. Regardez bien (et il ouvre son
habit dont il montre la doublure) : c'est un tableau du Dominicain,
qui vaut cinq mille guinées. Mais ce n'est pas tout :
voyez ces dix billets ; ils sont de mille guinées
chacun, payables à vue sur la banque d'Amsterdam." Il en
fait un rouleau et les met sur le réchaud allumé.
"Je ne doute pas, messieurs, que cette fête ne vous satisfasse
et que vous ne vous retiriez tous contents de moi. Adieu, Messieurs,
la fête est finie."  
    --- CHAMFORT   
%
 On offrait à M... une place qui ne lui convenait
pas ; il répondit : "Je sais qu'on vit avec de
l'argent, mais je sais aussi qu'il ne faut pas vivre pour de l'argent.  
    --- CHAMFORT   
%
 Dans le temps qu'on établit plusieurs impôts
qui portaient sur les riches, un millionnaire, se trouvant parmi
des gens riches qui se plaignaient du malheur des temps, dit :
"Qui est-ce qui est heureux dans ces temps-ci ? Quelques
misérables."  
    --- CHAMFORT   
%
 Mon peu d'assurance vient de l'habitude où je suis
de manquer d'argent.
 Quand j'en manque, je suis timide partout ; comme j'en manque
souvent, cette mauvaise disposition de tirer les raisons d'être
timide de tout ce que je vois est devenue presque habituelle pour
moi.
 Il faut absolument m'en guérir ; le meilleur moyen
serait d'être assez riche pour porter pendant un an au moins,
chaque jour, cent louis en or sur moi. Ce poids continuel, que
je saurais être d'or, détruirait la racine du mal.  
    --- STENDHAL   
%
 Les gens riches sont bien injustes et bien comiques lorsqu'ils
se font juges dédaigneux de tous les péchés
et crimes commis pour de l'argent. Voyez les effroyables bassesses
et les dix ans de soins qu'ils se donnent à la cour pour
un portefeuille.  
    --- STENDHAL   
%
 Une femme avait pour toute fortune une belle pièce
de cinq francs toute neuve. Elle se dit : il faut que j'achète
une tire-lire pour la mettre. Elle acheta une tire-lire qui lui
coûta 5 francs. Quand elle eut sa tirelire, elle s'aperçut
qu'elle n'avait plus sa pièce.
 Ceci est l'histoire de beaucoup de gens.  
    --- Victor HUGO   
%
 L'argent étouffe bon nombre de questions auxquelles,
le cas échéant, on serait bien obligé de
répondre, tandis qu'il ne soulève qu'une seule interrogation
nouvelle, difficile et superflue, celle de savoir comment on va
le dépenser. De cette façon, le fondement moral
s'effondre sous nos pieds. Les occasions d'exister se voient réduites
en proportion de l'augmentation de ce qu'on appelle les moyens.
Lorsqu'on est devenu riche, le mieux qu'on puisse faire pour se
cultiver consiste à persévérer dans les projets
qu'on entretenait au temps de la pauvreté.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 On reproche fréquemment aux hommes de tourner leurs
voeux principalement vers l'argent et de l'aimer plus que tout
au monde. Pourtant il est bien naturel, presque inévitable
d'aimer ce qui, pareil à un protée infatigable,
est prêt à tout instant à prendre la forme
de l'objet actuel de nos souhaits si mobiles ou de nos besoins
si divers. Tout autre bien, en effet, ne peut satisfaire qu'un
seul désir, qu'un seul besoin : les aliments ne valent
que pour celui qui a faim, le vin pour le bien portant, les médicaments
pour le malade, une fourrure pendant l'hiver, les femmes pour
la jeunesse, etc. [...] L'argent seul est le bien absolu, car
il ne pourvoit pas uniquement à un seul besoin "in concreto"
mais au besoin en général, "in abstracto".  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 Danger de la richesse. - Seul devrait posséder
celui qui a de l'esprit : autrement, la fortune est un danger
public. Car celui qui possède, lorsqu'il ne s'entend pas
à utiliser les loisirs que lui donne la fortune, continuera
toujours à vouloir acquérir du bien : cette
aspiration sera son amusement, sa ruse de guerre dans sa lutte
contre l'ennui. C'est ainsi que la modeste aisance, qui suffirait
à la vie de l'esprit, se transforme en véritable
richesse, résultat trompeur de la dépendance et
de la pauvreté intellectuelles. Cependant, le riche apparaît
tout autrement que pourrait le faire attendre son origine misérable,
car il peut prendre le masque de la culture et de l'art :
il peut acheter ce masque. Par là il éveille l'envie
des plus pauvres et des illettrés - qui jalousent en somme
toujours l'éducation et qui ne voient pas que celle-ci
n'est qu'un masque - et il prépare ainsi peu à peu
un bouleversement social : car la brutalité sous un
vernis de luxe, la vantardise de comédien, par quoi le
riche fait étalage de ses "jouissances de la culture",
évoquent, chez le pauvre, l'idée que "l'argent seul
importe", - tandis qu'en réalité, si l'argent importe
quelque peu, l'esprit importe bien davantage.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La possession possède. - Ce n'est que jusqu'à
un certain degré que la possession rend l'homme plus indépendant
et plus libre ; un échelon de plus et la possession
devient le maître, le possédant l'esclave :
il faut dès lors qu'il lui sacrifie son temps, sa réflexion,
et il se sent dès lors obligé à certaines
fréquentations, attaché à un lieu, incorporé
à un Etat - tout cela peut-être à l'encontre
de ses besoins intimes et essentiels.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 AFFAIRES (les). - Passent avant tout. Une femme doit éviter
de parler des siennes. Sont dans la vie ce qu'il y a de plus important.
Tout est là.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Les autres développent en nous surtout le mauvais
instinct de la propriété ; il suffit d'être
un instant chez eux pour vouloir aussitôt être chez
soi.  
    --- Jules RENARD   
%
 Vous revendez trois mille francs ce que vous avez eu pour
cinq cents, et vous dites, très tranquille : "C'est
une affaire." Mais non ! C'est un vol.  
    --- Jules RENARD   
%
 Si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez-le !  
    --- Jules RENARD   
%
 Faire travailler l'argent.
 Il y a des peuples qui crèvent dans les usines ou les
catacombes noires pour velouter la gueule des vierges engendrées
par des capitalistes surfins, et aussi pour que "le mystérieux
sourire de la Joconde" ne leur soit pas refusé. C'est ce
qui s'appelle faire travailler l'argent !  
    --- Léon BLOY  
%
 Il serait impossible de dire précisément
ce que c'est que les Affaires. C'est la divinité mystérieuse,
quelque chose comme l'Isis des mufles par qui toutes les autres
divinités sont supplantées. Ce ne serait pas déchirer
le Voile que de parler, ici ou ailleurs, d'argent, de jeu, d'ambition,
etc. Les Affaires sont les Affaires, comme Dieu est Dieu, c'est-à-dire
en dehors de tout. Les Affaires sont l'Inexplicable, l'Indémontrable,
l'Incirconscrit, au point qu'il suffit d'énoncer ce Lieu
Commun pour tout trancher, pour museler à l'instant les
blâmes, les colères, les plaintes, les supplications,
les indignations et les récriminations. Quand on a dit
ces Neuf Syllabes, on a tout dit, on a répondu à
tout et il n'y a plus de Révélation à espérer.  
    --- Les Affaires sont les   
%
  Avoir des charges.
 Il faudrait n'avoir aucune expérience de la vie pour ignorer
que plus on est riche, plus les charges sont pesantes parce qu'on
a moins de prétextes pour s'en plaindre, et il faudrait
être sourd ou bien insensible pour ne pas entendre, à
cet égard, les gémissements des riches et n'en avoir
pas le coeur déchiré.  
    --- Les Affaires sont les   
%
 Faire fortune.
 On fait fortune à peu près comme on fait la vie,
c'est-à-dire en se surveillant assez pour ne jamais rien
faire de propre ou d'utile aux autres et pouvant donner lieu à
un soupçon de désintéressement. Alors l'argent
vient à vous comme les insectes et les limaces à
un fruit tombé.  
    --- Les Affaires sont les   
%
 Ce qui coûte les yeux de la tête.
 Un aveugle me disait un jour que son chien lui coûtait
les yeux de la tête.  
    --- Les Affaires sont les   
%
 Distance n. La seule chose que les riches soient prêts
à accorder aux pauvres, en souhaitant qu'ils la gardent.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Terre n. Nom de notre planète, mais aussi de la
surface de celle-ci, considérée comme étant
susceptible d'être sujette à la propriété.
Le principe de propriété qui permet l'appartenance
privée est l'une des fondations de notre société
moderne, et reste d'une importance considérable dans son
organisation. Poussé à sa conclusion logique, il
signifie que certains ont le droit d'empêcher l'existence
d'autres personnes ; car le droit de posséder implique
le droit d'occuper avec exclusivité ; et, dans les
faits, des lois interdisant même le passage sont promulguées
partout où la propriété territoriale est
reconnue. Il s'ensuit que si l'ensemble habitable de terra firma
est en possession de A, B et C, il n'y a plus d'endroit pour D,
E, F et G afin de naître, et, même s'ils étaient
nés clandestinement, plus d'endroit pour exister.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Il n'y a rien qui donne de l'assurance, et je dirais presque
de l'esprit, et l'aplomb de ses propres idées, comme mille
francs dans sa poche et à soi.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je racontais ce matin à Duhamel l'histoire de Bloy
racontant que les Rothschild lui avaient volé cinq cents
francs, parce que, leur ayant écrit pour leur demander
mille francs et comptant fermement les recevoir, il n'avait reçu
d'eux que cinq cents francs. Dubamel me dit à ce propos :
"Hé ! hé ! méfiez-vous des millionnaires.
Ils vous volent toujours quelque chose.".  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 ... il est plus difficile de rendre que de ne pas recevoir.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Comme si les châteaux, les belles propriétés,
les parcs, les vieilles anciennes demeures seigneuriales n'étaient
pas la parure d'un pays, ne faisaient pas partie de son histoire,
n'évoquaient pas son passé. Comme si le luxe n'était
pas nécessaire, n'avait pas ses bienfaits, son utilité
même, économiquement. Un pays serait dans un bel
état, qui ne serait peuplé que de pauvres.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je ne suis pas ennemi de l'extrême opulence, car
elle est une charge presque aussi pesante qu'un grand nom, j'admire
ceux qui n'en sont pas écrasés, je plains les autres,
et qui n'étaient pas nés pour un tel risque. Ce
qui me dégoûte, c'est précisément ce
que vous souhaitez tous, dont vous êtes si fiers, que vous
appelez d'un mot ignoble : l'aisance. Etre à
l'aise... se mettre à l'aise... les lieux d'aisance...
voilà précisément où je voulais en
venir : on n'est à l'aise que sur son pot.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Ce qui prime tout dans la vie, c'est l'argent.
 Sans argent, il n'y a pas de bonheur possible, et, jusqu'à
une certaine limite, l'argent fait le bonheur. Cette limite varie
selon les besoins de chaque individu.
 Il ne faut pas manquer d'argent, et il ne faut pas en avoir beaucoup
trop. Parce que ceux qui en ont beaucoup trop se le font prendre
par ceux qui n'en ont pas assez - et s'ils ne se laissent pas
prendre leur argent, ils deviennent odieux.
 C'est bien évident que Rockefeller n'est pas l'homme le
plus heureux du monde parce qu'il en est le plus riche, mais il
est bien évident aussi que l'homme le plus pauvre du monde
est le plus malheureux de tous.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Saint Louis, vers 1260..., j'étais bien jeune à
cette époque ! Saint Louis ayant établi un
droit de péage à l'entrée de Paris, les charlatans,
les saltimbanques, en un mot les acteurs qui avaient un singe
ne payaient que 4 deniers  -  mais si c'était un
jongleur, il jonglait, faisait quelques grimaces devant celui
qui percevait l'impôt, et il en était dispensé,
et c'est de là que vient l'expression : payer en monnaie
de singe.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 On accepte l'idée qu'un homme sans valeur peut
gagner de l'argent, mais qu'un homme de valeur parvienne à
s'enrichir, on ne le lui pardonne pas !  
    --- Sacha GUITRY   
%
 J'ai rapporté ailleurs (Hommage à Marcel
Proust, NRF) l'anecdote du pourboire au concierge de l'hôtel
Ritz. "Pouvez-vous me prêter cinquante francs ? - Tout
de suite, Monsieur Proust. - Gardez-les, c'était pour vous."
 Inutile d'ajouter que, le lendemain, le concierge dut recevoir
le triple.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 On dit que la plupart des hommes tombent en quelque sorte
à genoux sur la seule mention de l'argent. Je n'ai vu rien
de tel. Je vois bien que les hommes ont besoin d'argent et s'occupent
premièrement à en gagner ; cela veut dire seulement
que l'homme mange au moins deux fois par jour, et choses semblables.
Mais un homme qui ne pense qu'à manger et à gagner,
cela est rare ; c'est une sorte de monstre. Et pareillement,
celui qui ne pense qu'à étendre ses affaires, et
à ajouter des millions à des millions est une sorte
de monstre. Quant aux opérations intellectuelles que suppose
cette manie d'acquérir, elles sont tellement communes et
faciles que personne ne les jugera au-dessus de soi. Où
donc courent les hommes dès qu'ils sont assurés
de leur pâtée ? Ils courent au stade, et ils
acclament un homme fort, un homme agile, un homme courageux ;
ce sont des valeurs qui ne s'achètent point, des valeurs
estimées bien plus haut que l'argent. Ou bien ils vont
au concert, et crient de tout leur coeur et casseraient les banquettes
en l'honneur de quelque artiste ; et certes ils savent que
le plus riche des hommes ne peut s'offrir cette gloire. Quant
aux puissances de pur esprit, nul ne les méconnaît ;
nul ne les mesure aux millions. Personne ne demande si Einstein
est bien riche.  
    --- ALAIN   
%
 Mettre de l'argent de côté pour l'avoir devant
soi, est, pour paradoxale qu'elle soit, une façon comme
une autre d'assurer ses arrières à effet de ne pas
l'avoir dans le dos.  
    --- Pierre DAC   
%
 Dans notre société de consommation et d'épargne,
un homme qui a de l'argent est un homme considéré.
Un homme qui n'en a pas est également un homme considéré,
mais lui, comme un pauvre type.  
    --- Pierre DAC   
%
 Si la fortune vient en dormant, ça n'empêche
pas les emmerdements de venir au réveil.  
    --- Pierre DAC  
%
 Ce qui devrait importer à l'individu, semble-t-il,
c'est son revenu net, disponible. Mais ce n'est pas ainsi que
se forme le jugement ; il s'assied sur ce qui est pris et
non sur ce qui reste. Il est plus pénible de "rendre" 1 000
francs que de ne pas les gagner.
 A la première génération, disons vers 1900,
Pierre gagne 10 et rend 1 ; il lui reste 9 : plus tard,
vers 1935, son fils Paul gagne 14 et rend 2 ; comme i1 lui
reste 12, il pourrait être plus satisfait que son père,
mais il peste contre ce prélèvement. En 1971, Louis,
fils de Paul, gagne 25 et rend 9 ; loin de se flatter des
16 dont il dispose et dont n'aurait pas osé rêver
son grand-père, il peste contre les 9. Encore une génération
et ce sera l'émeute permanente.  
    --- La psychologie de la   
%
 L'argent ne se plaît pas chez les pauvres, qui ne
le gardent jamais très longtemps, quand ils en ont un peu,
alors qu'il se sent très bien chez les riches, qui peuvent
l'héberger indéfiniment. C'est sans doute pourquoi,
si l'on connaît des riches bien-pensants, on en voit rarement
de bien-dépensants.  
    --- André FROSSARD   
%
 Un riche ne l'est jamais assez pour consentir à
l'être un peu moins.  
    --- André FROSSARD   
%
 Ce qui est terrible, c'est de se plaindre de ses difficultés
devant un riche, et l'entendre, lui, se plaindre plus que vous,
de sorte qu'à la fin on est obligé de s'apitoyer
sur lui. Il faut bien consoler plus chanceux que soi !  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il paraît que la crise rend les riches plus riches
et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c'est une
crise. Depuis que je suis petit, c'est comme ça.  
    --- COLUCHE   
%
 L'argent ne fait pas le bonheur des pauvres. Ce qui est
la moindre des choses.  
    --- COLUCHE   
%
 Le drame quand on a pris l'habitude de gagner de l'argent
c'est que plus rien n'est gratuit.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Si les scandales continuent, si les pauvres s'obstinent
dans leur mauvaise humeur, l'argent finira par gâcher jusqu'au
plaisir d'être riche.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le bon sens de Marcel Dassault trônant dans son
bureau des Champs-Elysées entre deux Monet qui auraient
dû s'orthographier à l'anglaise : "L'homme le
plus riche ne fait que deux repas par jour et sa voiture n'a que
quatre roues."
 Le genre de mauvaise foi qui ne souffre pas la contradiction.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 L'argent qui corrompt tout ne laisse intacte que la misère.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le ridicule déshonore plus que le déshonneur.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Toute naïveté court le risque d'un ridicule
et n'en mérite aucun.  -  Dans toute naïveté,
il y a confiance sans réflexion.  -  Toute naïveté
est témoignage d'innocence.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 [...] le ridicule attaque tout, et ne détruit rien.  
    --- Benjamin CONSTANT   
%
 L'odieux est la porte de sortie du ridicule.  
    --- Victor HUGO   
%
 Talleyrand lisant au Moniteur le nom bourgeois d'un nouveau
ministre, M. Cunin-Gridaine disait :  -  Je comprends
Cunin, mais pourquoi Gridaine ?  
    --- Victor HUGO   
%
 Le claqueur du Français s'appelle Vacher. [...]
 Vacher a modifié son nom. Sur son acte de naissance il
s'appelle Vachier. Provost disait devant M<SUP>lle</SUP> Brohan : pourquoi
diable Vacher a-t-il changé son nom ? M<SUP>lle</SUP> Brohan
dit :  -  C'est qu'il n'aime pas qu'on le tutoie.  
    --- Victor HUGO   
%
 M. Marc, premier médecin du roi, très facétieux
pour médecin, à M. Vivien : "Vous êtes
le plus populaire des préfets de P[aris]. Toutes les filles
ont toujours dit : Vit viens."  
    --- STENDHAL   
%
 Le rieur a l'immense avantage d'être dispensé
de fournir ses preuves : il peut, selon son humeur, déverser
le ridicule sur ce qui lui plaît, et cela sans appel, dans
les pays du moins où, comme en France, sa tyrannie est
acceptée pour une autorité légitime. Les
seules choses qui échappent au ridicule sont les choses
médiocres et vulgaires, en sorte que celui qui a la faiblesse
de s'interdire tout ce qui peut y prêter s'interdit par
là même tout ce qui est élevé.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Cherchez le ridicule en tout, vous le trouverez.  
    --- Jules RENARD   
%
 Qui n'a jamais été ridicule ne sait point
rire.  
    --- ALAIN   
%
 Celui qui redoute le ridicule n'ira jamais loin en bien
ni en mal, il restera en deçà de ses talents, et
lors même qu'il aurait du génie, il serait encore
voué à la médiocrité.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Pensent profondément ceux-là seuls qui n'ont
pas le malheur d'être affligés du sens du ridicule.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Redouter l'échec, c'est redouter le ridicule, il
n'y a rien de plus mesquin. Aller de l'avant  -  c'est
justement ne pas craindre de devenir la risée de ses semblables.  
    --- Emil CIORAN   
%
      Aux lecteurs
      
      Amis lecteurs, qui ce livre lisez,
      Despouillez-vous de toute affection,
      Et, le lisant, ne vous scandalisez :
      Il ne contient mal ne infection.
      Vray est qu'icy peu de perfection
      Vous apprendrez, sinon en cas de rire ;
      Aultre argument ne peut mon cueur élire,
      Voyant le dueil qui vous mine et consomme :
      Mieux est de ris que de larmes escripre,
      Pour ce que rire est le propre de l'homme.  
    --- François RABELAIS   
%
 Il faut rire avant que d'être heureux, de peur de
mourir sans avoir ri.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Un projet assez vain serait de vouloir tourner un homme
fort sot et fort riche en ridicule ; les rieurs sont de son
côté.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La plus perdue de toutes les journées est celle
où l'on n'a pas ri.  
    --- CHAMFORT   
%
 Faire rire les autres n'est pas un art difficile tant
qu'on se moque de savoir si c'est de notre trait d'esprit ou de
nous-même qu'on rit.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Avoir toujours devant les yeux cette grande vérité,
que le succès est pour qui fait rire.  
    --- STENDHAL   
%
 Un mystique ne rit pas. Un être triste est, de bonne
foi, injuste envers Molière, comme un malade se dégoûte
des aliments les plus sains.  
    --- STENDHAL   
%
 Il arriva que le feu prit dans les coulisses d'un théâtre.
Le bouffon vint en avertir le public. On pensa qu'il faisait de
l'esprit et on applaudit ; il insista ; on rit de plus
belle. C'est ainsi, je pense, que périra le monde :
dans la joie générale des gens spirituels qui croiront
à une farce.  
    --- Sören KIERKEGAARD   
%
 [...] ce qui, par-dessus tout, contribue le plus directement
à notre bonheur, c'est une humeur enjouée, car cette
bonne qualité trouve tout de suite sa récompense
en elle-même. En effet, celui qui est gai a toujours motif
de l'être par cela même qu'il est. Rien ne peut remplacer
aussi complètement tous les autres biens que cette qualité,
pendant qu'elle-même ne peut être remplacée
par rien. Qu'un homme soit jeune, beau, riche et considéré ;
pour pouvoir juger de son bonheur, la question sera de savoir
si, en outre, il est gai ; en revanche, est-il gai, alors
peu importe qu'il soit jeune ou vieux, bien fait ou bossu, pauvre
ou riche ; il est heureux. Dans ma première jeunesse,
j'ai lu un jour dans un vieux livre la phrase suivante :
Qui rit beaucoup est heureux et qui pleure beaucoup est malheureux ;
la remarque est bien niaise ; mais, à cause de sa
vérité si simple, je n'ai pu l'oublier, quoiqu'elle
soit le superlatif d'un truism (en anglais, vérité
triviale). Aussi devons-nous, toutes les fois qu'elle se présente,
ouvrir à la gaieté portes et fenêtres, car
elle n'arrive jamais à contre-temps, au lieu d'hésiter,
comme nous le faisons souvent, à l'admettre, voulant nous
rendre compte d'abord si nous avons bien, à tous égards,
sujet d'être contents, ou encore de peur qu'elle ne nous
dérange de méditations sérieuses ou de graves
préoccupations ; et cependant il est bien incertain
que celles-ci puissent améliorer notre condition, tandis
que la gaieté est un bénéfice immédiat.
Elle seule est, pour ainsi dire, l'argent comptant du bonheur ;
tout le reste n'en est que le billet de banque ; car seule
elle nous donne le bonheur dans un présent immédiat ;
aussi est-elle le bien suprême pour des êtres dont
la réalité a la forme d'une actualité indivisible
entre deux temps infinis.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 Rire. - Rire, c'est se réjouir d'un préjudice,
mais avec bonne conscience.   
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Les rieurs ne régneront jamais.  
    --- Ernest RENAN   
%
 Si vous avez envie de rire, vous me trouverez spirituel.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il ne faut pas rire tant qu'on n'est qu'à l'extérieur
des choses, mais il faut d'abord y entrer. Il faut rire du milieu
des choses. Plus clairement, je ne ris pas de toute politique,
car il peut en être de belle que j'ignore, mais je ris des
hommes politiques que je connais, et de la politique qu'ils font
sous mes yeux. Que le rire soit, non pas frivole, mais sérieux
et intérieur, et d'une philosophie consciente ! On
n'a le droit de rire des larmes que si on a pleuré. Le
ridicule n'existe que par moments, mais rien n'est tout à
fait ni toujours ridicule.
 Il ne faut rire que des belles choses qu'on peut aimer. Le banal
ne fait pas rire. Avant que de rire des grands hommes, il faut
savoir les aimer de toute son âme.
 Le rire est inattaquable puisqu'il rit de lui-même, mais
il meurt tout seul au milieu des figures graves et pensives.
 Renan a dit : "Les rieurs ne régneront jamais." Il
est vrai qu'ils se moquent de régner.  
    --- Jules RENARD   
%
 Nous sommes ici-bas pour rire.
 Nous ne le pourrons plus au purgatoire ou en enfer.
 Et, au paradis, ce ne serait pas convenable.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le vice olympien.  -  En dépit de ce philosophe
qui, en bon Anglais qu'il était, a essayé de discréditer
le rire auprès de tous les penseurs  -  "le rire,
dit Hobbes, est une grave infirmité de la nature humaine,
dont toute tête pensante devra s'efforcer de s'affranchir" -  ,
j'oserai même établir une hiérarchie des philosophes
d'après la qualité de leur rire  -  en plaçant
au sommet ceux qui sont capables d'éclats de rire dorés.
Et à supposer que les dieux philosophent, eux aussi, ce
que plusieurs conclusions m'incitent fortement à croire,
je ne doute pas qu'ils ne sachent aussi, tout en philosophant,
rire d'une façon nouvelle et surhumaine  -  et
aux dépens de toutes les choses sérieuses !
Les dieux sont espiègles : il semble que, même
pendant les actes sacrés, ils ne puissent s'empêcher
de rire.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Une certaine vision ironique conserve-t-elle les individus,
ou cette vision est-elle le signe d'une bonne santé foncière,
permettant de franchir les étapes morbides ? Je ne
sais. Ce qui est certain, c'est que l'injure des ans s'attaque
moins à des gaillards comme Adrien Hébrard ou Georges
Clemenceau qu'à d'autres, d'aspect plus robuste et durable.
Se fichant de presque tout et de tout le monde, ces privilégiés
de la durée n'attachent plus à leur santé
ni à la fuite des heures ce prix excessif qui engendre
la mélancolie et met les tissus organiques en dépression.
Selon Alphonse Daudet, l'ironie est le grand antiseptique et je
pense que cette comparaison va très loin. Plus que l'Académie
française, le rire confère, dès ici-bas,
l'immortalité conditionnelle.  
    --- Léon DAUDET   
%
 La faculté de rire aux éclats est preuve
d'une âme excellente. Je me méfie de ceux qui évitent
le rire et refusent son ouverture. Ils craignent de secouer l'arbre,
avares qu'ils sont de fruits et d'oiseaux, craintifs qu'on s'aperçoive
qu'il ne s'en détache pas de leurs branches.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Il ne faut pas avoir trop raison quand on veut avoir les
rieurs de son côté ; avoir un tantinet tort
est même une preuve de bon goût.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
  "Mets les rieurs de ton côté"  -  et
le bateau chavire. Il te verse avec eux dans le vulgaire.  
    --- Paul VALERY   
%
 On se fait rarement rire seul parce qu'on se surprend
difficilement soi-même.  
    --- Paul VALERY   
%
 Pour ce que rire est le propre de l'homme...
 Je ne sais si c'est vrai.
 Mais pourquoi le rire serait un moyen, une ressource de l'être
le plus pensant ? de l'homme ?
 Ce vomissement du cerveau  -  cette équation d'une
image ou d'une idée ou d'une coïncidence avec une
chatouille ?  
    --- Paul VALERY   
%
 Le rire dit : Je ne suis pas comme cela, MOI !  
    --- Paul VALERY   
%
 Vraiment, j'ai presque du regret de n'avoir pas fait du
théâtre, quand je vois jouer du Molière. J'ai
bien changé de ce que j'étais à vingt ans.
Je n'aimais pas Molière. Je ne voyais que le théâtre
tragique, romantique, les grands premiers rôles à
tirades. Aujourd'hui, je trouve cela assommant, à éclater
de rire, absolument opposé au caractère français,
et qu'il n'y a de théâtre que le théâtre
comique. Je suis sûr là-dessus d'être dans
le vrai. Il n'y a que le comique qui soit la représentation
de la vie.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je pensais ce soir, et je l'ai recherché, pour
le plaisir d'en lire les mots, au mot de Chamfort : La plus
perdue de toutes les journées est celle où on n'a
pas ri. Quelle merveille, ce mot ! Que de choses il contient,
il exprime. De quelle extrême sensibilité il est
né ! Et combien de gens aujourd'hui connaissent Chamfort,
 -  heureusement ! Et il n'y a pas même une
plaque sur la maison dans laquelle il est mort ! Et les manuels
littéraires font si petit cas de lui ! Je le répéterai
une fois de plus : il est à mettre à côté,
et à égalité, de La Rochefoucauld.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Je suis depuis longtemps en admiration pour cette pensée
de Chamfort : La plus perdue de toutes les journées
est celle où l'on n'a pas ri, si profonde, sous un certain
sens, qu'il est bien probable qu'on doit l'entendre généralement,
si amère, si désabusée, expression d'une
ironie portée à son plus grand degré, le
summum de la déception et de la misanthropie.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le rire est directement contraire à cette forcenée
attention à soi, qui est le fond du sérieux. Le
rire secoue tout le corps comme un vêtement, laissant chaque
partie s'ébattre à sa guise. Par essence le rire
est un abandon de gouvernement, et le premier remède contre
cet absurde gouvernement qui noue et paralyse. Le rire rétablit
les échanges en déliant ; il aère, nettoie
et repose. Quoi de mieux ? Mais le rire a ceci de mauvais
qu'il attaque le sérieux en son centre et menace de le
détrôner. Et c'est un scandale, pour celui qui s'est
fait de belles raisons d'être triste, que toutes ces raisons
se perdent soudain par cette négation de toute attitude
qu'est le rire. "Ne prétendez point" se ramène à
ceci : "ne tendez point". Mais on veut prétendre.
Ainsi le rire est comme une violence, et une tentative de vous
faire sauter comme un nourrisson. Il faut toutes les précautions
de l'art comique pour que le rire soit vainqueur. Mais aussi ce
triomphe est beau.  
    --- ALAIN   
%
 L'art de dire finement les choses... Qu'ai-je affaire
de paraître spirituel ? L'épaisseur des grands
comiques, des Cervantès, Molière, Rabelais. Leur
rire est générosité. Celui qui sourit seulement
se croit supérieur ; il se prête ; l'autre
se donne.  
    --- André GIDE   
%
 Il n'y a pas de comique en dehors de ce qui est humain.
Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant
ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d'un animal,
mais parce qu'on aura surpris chez lui une attitude d'homme ou
une expression humaine. On rira d'un chapeau ; mais ce qu'on
raille alors, ce n'est pas le morceau de feutre ou de paille,
c'est la forme que des hommes lui ont donnée, c'est le
caprice humain dont il a pris le moule. Comment un fait aussi
important, dans sa simplicité, n'a-t-il pas fixé
d'avantage l'attention des philosophes ? Plusieurs ont défini
l'homme "un animal qui sait rire". Ils auraient aussi bien pu
le définir un animal qui fait rire, car si quelque animal
y parvient, ou quelque objet inanimé, c'est par une ressemblance
avec l'homme, par la marque que l'homme y imprime ou par l'usage
que l'homme en fait.  
    --- Henri BERGSON   
%
 Quelques générations encore, et le rire,
réservé aux initiés, sera aussi impraticable
que l'extase.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le sarcastique et prophétique proverbe qui dit :
"Rira bien qui rira le dernier" gagnerait à être
ainsi modifié : "quand celui qui rit le dernier a
bien fini de rire, personne ne rigole plus.  
    --- Pierre DAC   
%
 Il faut rire de tout. C'est extrêmement important.
C'est la seule humaine façon de friser la lucidité
sans tomber dedans.  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Il ne faut pas gâter les choses présentes
par le désir des absentes, mais réfléchir
au fait que celles-là mêmes ont fait partie des choses
souhaitables.  
    --- EPICURE   
%
 Il vaut mieux employer notre esprit à supporter
les infortunes qui nous arrivent qu'à prévoir celles
qui nous peuvent arriver.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Il vaut mieux s'occuper de l'être que du néant.
Songe donc à ce qui te reste, plutôt qu'à
ce que tu n'as plus.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ne pas pouvoir prendre longtemps au sérieux ses
ennemis, ses malheurs et jusqu'à ses méfaits  -  c'est
le signe caractéristique des natures pleines et fortes,
en qui se trouve en surabondance la force plastique et régénératrice,
qui permet de guérir et même d'oublier. (Un bon exemple
dans ce genre, pris dans le monde moderne, c'est Mirabeau, qui
n'avait pas la mémoire des insultes, des infamies que l'on
commettait à son égard ; et qui ne pouvait
pas pardonner, uniquement parce qu'il  -  oubliait). Un
tel homme, en une seule secousse, se débarrasse de beaucoup
de vermine qui chez d'autres s'installe à demeure ;
c'est ici seulement qu'est possible le véritable "amour
pour ses ennemis", à supposer qu'il soit possible sur terre.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Lequel vaut mieux : d'avoir des remords ou des regrets ?  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Tous les partis qu'on rate sont "magnifiques".  
    --- Jules RENARD   
%
 Reconsidérer v. Chercher une justification pour
une décision déjà prise.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Réflexion n. Démarche de l'esprit à
travers laquelle nous percevons avec clarté notre relation
avec les événements du passé, et qui nous
rend capable d'éviter à l'avenir les périls
que nous ne rencontrerons plus.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Le ressentiment est une grande consolation.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'homme insoucieux, l'imprévoyant, est moins accablé
et démonté par l'événement catastrophique
que 1e prévoyant.
 Pour l'imprévoyant, le minimum d'imprévu.  -  Quoi
d'imprévu pour qui n'a rien prévu ?  
    --- Paul VALERY   
%
 Je lisais hier un article sur une espèce de fous
à opinions, qui, à force de voir les choses toujours
sous le même angle, finissent par se croire persécutés,
et sont bientôt dangereux et bons à enfermer. Cette
lecture, qui me jetait dans de tristes pensées (quoi de
plus triste à considérer qu'un fou ?), me rappela
pourtant une bonne réponse que j'avais entendue. Comme
on parlait, en présence d'un sage, d'un demi-fou à
persécutions, qui, par surcroît, avait toujours froid
aux pieds, ce sage dit  : "Défaut de circulation,
dans le sang, et de circulation dans les idées. " Le mot
est bon à méditer.  
    --- ALAIN   
%
 Le regret n'est pas si évidemment nuisible qu'on
est tenté de le penser. Il essaie de sauver le passé,
il est l'unique recours que nous ayons contre les manoeuvres de
l'oubli, le regret est la mémoire qui passe à l'attaque.  
    --- Emil CIORAN  
%
 Celui-ci veut accrocher un tableau. Il possède un
clou mais pas de marteau. Le voisin en a un, que notre homme décide
d'emprunter. Mais voilà qu'un doute le saisit. Et si le
voisin s'avisait de me le refuser ? Hier, c'est tout juste
s'il a répondu d'un vague signe de tête quand je
l'ai salué. Peut-être était-il pressé ?
Mais peut-être a-t-il fait semblant d'être pressé
parce qu'il ne m'aime pas ! Et pourquoi ne m'aimerait-il
pas ? J'ai toujours été fort civil avec lui,
il doit s'imaginer des choses. Si quelqu'un désirait emprunter
un de mes outils à moi, je le prêterais volontiers.
Pourquoi refuse-t-il de me prêter son marteau, hein ?
Comment peut-on refuser un petit service de cette nature ?
Ce sont les gens comme lui qui empoisonnent la vie de tout un
chacun ! Il s'imagine sans doute que j'ai besoin de lui.
Tout ça parce que Môssieu possède un marteau.
Je m'en vais lui dire ma façon de penser, moi ! Et
notre homme se précipite chez le voisin, sonne à
la porte et, sans laisser le temps de dire un mot au malheureux
qui lui ouvre la porte, s'écrie, furibond : "Et gardez-le
votre sale marteau, espèce de malotrus !"
 [...]
 Peu de mécanismes pourraient produire un effet aussi dévastateur
que celui qui consiste à affronter brusquement un partenaire
qui ne se  doute de rien en lui assenant la conclusion d'une longue
réflexion fondée sur des postulats imaginaires et
dans laquelle il joue un rôle  -  négatif,
certes, mais fondamental. Effarement, colère, prétendue
incompréhension, refus désespéré de
toute culpabilité  -  autant de preuves concluantes
du fait qu'on avait vu juste. On avait accordé sa confiance
et ses faveurs à quelqu'un qui n'en était pas digne.
Une fois encore, on s'est fait avoir, on s'est montré trop
bon  -  une poire.  
    --- Une histoire de marteau   
%
 On craint mille morts, et l'on n'en vit jamais qu'une...
Toute angoisse est imaginaire ; le réel est son antidote.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Si les hommes qui se sont donnés à l'étude
de la sagesse sont généralement malheureux, surtout
dans leur progéniture, je pense que c'est parce que la
nature, dans sa prévoyance, veille à ce que la contagion
de la sagesse ne se répande pas trop parmi les mortels.
C'est ainsi que Cicéron, comme on sait, eut un fils dégénéré
et les enfants du sage Socrate, comme le fait remarquer justement
un écrivain, ressemblaient plus à leur mère
qu'à leur père, c'est-à-dire qu'ils étaient
fous.  
    --- ERASME   
%
 Conviez un sage à un bon repas, il le troublera
par son morne silence ou ses questions déplacées.
Invitez-le au bal, vous croirez voir un chameau danser. Entraînez-le
au spectacle, son seul visage empêchera le peuple de s'amuser
et le sage Caton sera forcé de quitter le théâtre,
faute d'avoir pu se dérider le sourcil. S'il survient dans
une conversation, c'est l'arrivée du loup de la fable.
S'agit-il d'un achat, d'un contrat, bref d'un de ces actes nécessaires
au cours ordinaire de la vie ? Votre sage a plutôt
l'air d'une bûche que d'un homme. Ainsi ne peut-il être
utile ni à lui-même, ni à sa patrie, ni aux
siens dans la moindre circonstance, car il ignore tout des réalités
les plus élémentaires et il est à mille lieues
de l'opinion commune et des usages courants. Il est donc fatal
qu'il soit détesté pour être aussi différent
des autres par sa manière de vivre et de penser. En effet,
tout ce qui se fait chez les mortels est plein de folie, fait
par des fous, devant des fous. S'il en est un qui veuille s'opposer
à tous les autres, je lui conseillerai de faire comme Timon,
de partir dans un désert pour y jouir seul de sa sagesse.  
    --- ERASME   
%
 L'ame qui loge la philosophie doit, par sa santé,
rendre sain encores le corps. Elle doit faire luire jusques au
dehors son repos et son ayse ; doit former à son moule
le port exterieur, et l'armer par consequent d'une gratieuse fierté,
d'un maintien actif et allegre, et d'une contenance contente et
debonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c'est une esjouïssance
constante ; son estat est comme des choses au dessus de la
Lune : toujours serein.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 La sagesse est à l'âme ce que la santé
est pour le corps.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Les plus sages le sont dans les choses indifférentes,
mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sérieuses
affaires.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Peu de tout. Puisqu'on ne peut être universel en
sachant tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu
de tout. Car il est bien plus beau de savoir quelque chose de
tout que de savoir tout d'une chose ; cette universalité
est la plus belle. Si on pouvait avoir les deux encore mieux,
mais s'il faut choisir, il faut choisir celle-là, et le
monde le sait et le fait, car le monde est un bon juge souvent.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique.
Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu'il vient
d'apprendre lui-même ; celui qui sait beaucoup pense
à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré,
et parle plus indifféremment.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 L'esprit de modération et une certaine sagesse
dans la conduite laissent les hommes dans l'obscurité ;
il leur faut de grandes vertus pour être connus et admirés,
ou peut-être de grands vices.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 On peut bien dire à un homme sage "Vous êtes
fou". On peut bien dire à un homme d'esprit "Vous êtes
un sot". Mais le moyen de dire à un sot qu'il est un sot
et à un fou qu'il est un fou ?  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Une docte ignorance est une ignorance qui se connoît.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le mot sage dit à un enfant, c'est un mot qu'il
comprend toujours et qu'on ne lui explique jamais.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 M... disait qu'un esprit sage, pénétrant
et qui verrait la société telle qu'elle est, ne
trouverait partout que de l'amertume. Il faut absolument diriger
sa vue vers le côté plaisant, et s'accoutumer à
ne regarder l'homme que comme un pantin et la société
comme la planche sur laquelle il saute. Dès lors, tout
change : l'esprit des différents états, la
vanité particulière à chacun d'eux, ses différentes
nuances dans les individus, les friponneries, etc., tout devient
divertissant, et on conserve la santé.  
    --- CHAMFORT   
%
 Ombre dans la flamme. - La flamme n'est pas aussi lumineuse
pour elle-même que pour les autres qu'elle éclaire :
de même aussi le sage.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Novices en philosophie. - Vient-on de recevoir la sagesse
d'un philosophe, on s'en va par les rues avec le sentiment d'être
réformé et devenu un grand homme ; car on ne
trouve que des gens qui ne connaissent pas cette sagesse, par
conséquent on a sur tout une nouvelle décision inconnue
à proposer : parce qu'on reconnaît un code,
on pense dès lors pouvoir se poser aussi en juge.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Le sage qui se fait passer pour fou. - La charité
du sage le pousse parfois à paraître ému,
fâché, réjoui, pour ne pas blesser son entourage
par la froideur et la lucidité de sa vraie nature.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 A quoi l'on peut mesurer la sagesse. - L'augmentation
de la sagesse se laisse mesurer exactement d'après la diminution
de bile.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La sagesse des Nations, cette imbécile.  
    --- Jules RENARD   
%
 Sur la folie  -  Lettre à Dominique.
 Les cas les plus intéressants sont ceux qui ne s'éloignent
pas infiniment de la normale. On trouve alors que l'équilibre
mental est une apparence, que le fou est un grossissement de l'homme
sain,  -  que tout esprit sain vu à la loupe est
un grouillement d'éléments de démence.
 Peut-être dans le sage sont-ils assez divers pour se compenser
à peu près et chez le fou, sont-ils moins variés,
et les impulsions s'ajoutent-elles jusqu'à rompre tous
les obstacles que la présence du réel oppose aux
puissances nerveuses ?  
    --- Paul VALERY   
%
 ... il y a une part de bêtise chez le redresseur
de torts, le redresseur d'erreurs. Le vrai sage c'est celui qui
se dit : quels niais, tous ces gens qui se laisse duper.
Après tout, si cela leur plaît ? L'essentiel,
c'est que moi, je ne sois pas dupe. Le misanthrope est comique
qui dit son fait à tout le monde. Le redresseur d'erreurs
peut l'être tout autant.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 La sagesse est d'être fou lorsque les circonstances
en valent la peine.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Ce qui est troublant, chez Jean Cocteau, c'est qu'il faille
le prendre au sérieux. On a tôt fait de déceler
le déséquilibré quand il est précisément
un équilibriste.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 C'est une grande sagesse que d'oser paraître imbécile
mais il y faut un certain courage que je n'ai pas toujours eu.  
    --- André GIDE   
%
 Celui qui proteste fera plus tard, du savoir renoncer,
la sagesse de sa vie.  
    --- André GIDE   
%
 Toutes les pensées qu'alimentait naguère
le désir, toutes les inquiétudes qu'il soulevait,
ah ! qu'il devient difficile de les comprendre, alors que
la source de la convoitise tarit. Et comment s'étonner
dès lors de l'intransigeance de ceux qui n'ont jamais été
menés par le désir ?...Il semble, l'âge
venant, qu'on se soit surfait quelque peu ses exigences et l'on
s'étonne de voir de plus jeunes que soi s'en laisser tourmenter
encore. Les vagues retombent lorsque le vent ne souffle plus ;
tout l'océan s'endort pour pouvoir refléter le ciel.
Savoir souhaiter l'inévitable, toute la sagesse est là.
Toute la sagesse du vieillard.  
    --- André GIDE   
%
 La sagesse commence où finit la crainte de Dieu.
Il n'est pas un progrès de la pensée qui n'ait paru
d'abord attentatoire, impie.  
    --- André GIDE   
%
 Sans doute, est-il bien peu de préceptes de sagesse
(et je doute si même il y en a quelques-uns) qui, pris sous
un certain biais, ne semble folie.  
    --- André GIDE   
%
 Il y a quelque... romantisme à se désoler
que les choses ne soient pas autrement qu'elles ne sont ;
c'est-à-dire qu'elles ne peuvent être. C'est sur
le réel qu'il nous faut édifier notre sagesse, et
non point sur l'imaginaire. Même la mort doit être
admise par nous et nous devons nous élever jusqu'à
la comprendre ; jusqu'à comprendre que l'émerveillante
beauté de ce monde vient de ceci précisément
que rien n'y dure et que sans cesse ceci doit céder place
et matière pour permettre à cela, qui n'a pas encore
été, de se produire ; le même, mais renouvelé,
rajeuni ; le même, et pourtant imperceptiblement plus
voisin de cette perfection à laquelle il tend sans le savoir
et dont se forme lentement le visage même de Dieu.  
    --- André GIDE   
%
  -  Sois sage ! 
 Ce conseil salutaire est ordinairement le premier qu'on nous
donne. Combien il est prématuré ! On nous le
donne sur tous les tons, du ton de la prière au ton de
la menace, ce qui tend à le déconsidérer
aux yeux mêmes de ceux qui nous proposent la sagesse. Ils
y renoncent assez vite et, sitôt que nous avons l'âge
dit "de raison", il n'en est plus question  -  et il n'en
est plus question d'ailleurs.
 Jusqu'à l'âge de dix ans, nos parents nous recommandent
d'être sages. De dix à vingt ans, nos professeurs
nous invitent à être sérieux, puis viennent
nos premières maîtresses qui nous supplient d'être
gentils. Enfin, voici nos épouses qui nous demandent d'être
bons  -  et qui vont nous prier bientôt d'être
indulgents.
 Et c'est alors qu'ayant bien travaillé, beaucoup souffert
et bien aimé, nous nous apercevons qu'il faut avoir vécu
pendant cinquante années pour suivre le conseil qu'on nous
donnait jadis. Ayant atteint la soixantaine, nous nous efforçons
en effet d'être sages.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Le défaut de l'homme inculte est qu'il croit trop.
Un esprit cultivé allège ; comme si beaucoup
d'idées y vivaient ensemble par une politique provisoire,
sans s'accorder toutes ; et c'est le propre d'un esprit juste,
dans tous les sens de ce mot, que le oui et le non y vivent en
paix, comme on voit en Montaigne ; aussi les lourds et précipités
jugeurs ne le peuvent suivre. Il est pourtant clair qu'il y a
une manière d'être assuré en ses opinions
qui n'est pas bonne, comme les fous et les maniaques le font voir.
 Il est vrai qu'aussi le sage ne doute point de tout, et Montaigne
non plus. Ces débats ne se terminent point en deux ou trois
arguments. J'ai observé chez des hommes de sens une masse
difficile à déplacer, reposant sur elle-même
et bien assise, nullement prête à s'écrouler
par ici ou par là. Je dirais d'eux non pas qu'ils doutent
de beaucoup de choses, mais plutôt qu'ils sont assurés
de beaucoup de choses. Et voila un équilibre que ni les
métiers ni les sciences ne peuvent donner, parce que le
fait et l'argument y ont une force brutale ; la guerre habite
en ces dogmatiques.  
    --- ALAIN   
%
 X m'insulte. Je m'apprête à le gifler. Réflexion
faite, je m'abstiens.
 Qui suis-je ? quel est mon vrai moi : celui de la réplique
ou celui de la reculade ? Ma première réaction
est toujours énergique ; la seconde, flasque. Ce qu'on
appelle "sagesse" n'est au fond qu'une perpétuelle "réflexion
faite", c'est-à-dire la non-action comme premier mouvement.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le sage est celui qui consent à tout, parce qu'il
ne s'identifie avec rien. Un opportuniste sans désirs.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Qu'est-ce qu'un sage ? Un Lucifer gâteux.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il y a bien des années, quand je me piquais encore
un peu de littérature, je me souviens avoir écrit
une nouvelle très courte, la plus courte que j'aie jamais
écrite, et dont je crois qu'elle fut aussi la dernière.
Elle tenait en une phrase, et devait s'appeler Le sage. La voici :
"Tout à la fin de sa vie, le sage comprit que la sagesse
non plus n'avait pas d'importance." C'était encore de la
littérature. Que la sagesse n'ait pas d'importance, la
plupart le comprennent bien avant, qui ne sont sages qu'à
cette condition. La sagesse n'est qu'un rêve de philosophe,
dont la philosophie doit aussi nous libérer. La sagesse
n'existe pas : il n'y a que des sages, et ils sont tous différents,
et aucun bien sûr ne croit à la sagesse...  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Sagesse comparative : ce sont les trahisons qui donnent
tout son prix à la fidélité, les maladies
qui permettent d'apprécier, lorsqu'elle réapparaît,
la bonne santé, la mort des autres qui incite à
se féliciter égoïstement au sortir des cimetières
d'être encore en vie.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le sceptique est le désespoir du diable. C'est
que le sceptique, n'étant l'allié de personne, ne
pourra aider ni au bien ni surtout au mal. Il ne coopère
avec rien, même pas avec soi.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'éclectisme en philosophie est scepticisme. 
 Je parle ici d'un scepticisme stérile, c'est-à-dire,
non pas de celui qui consiste à nier l'indémontrable
ou l'inintelligible, mais de celui qui consiste à tout
affirmer sans rien croire, ou à tout croire sans rien prouver,
la crédulité ayant remplacé la certitude.  
    --- Jean-François REVEL  
%
 Mais, parce que selon le saige Salomon sapience n'entre
poinct en âme malivole et science sans conscience n'est
que ruine de l'âme, il te convient servir, aymer et craindre
Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir,
et par foy formée de charité, estre à luy
adjoinct en sorte que jamais n'en soys desamparé par péché.  
    --- Science sans conscience.
    
%
 C'est une bonne drogue que la science ; mais nulle
drogue n'est assez forte pour se preserver sans alteration et
corruption, selon le vice du vase qui l'estuye.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Si la Physique n'avoit d'autres inventions que celles
de la poudre et du feu grégeois, on feroit fort bien de
la bannir comme la Magie.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Qui diroit que le stylocératohyoïdien soit
un petit muscle qui ne sert (lui dixième) qu'à remuer
un très petit os ? Un nom si grand et si grec ne semble-t-il
pas promettre un agent qui remueroit toute notre machine ?
Et je suis persuadé que, quant aux vaisseaux omphalomésentériques,
un simple petit monosyllabe auroit pu remplir avec honneur toutes
les fonctions de ce magnifique terme.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 C'est une belle allégorie, dans la Bible, que cet
arbre de la science du bien et du mal qui produit la mort. Cet
emblème ne veut-il pas dire que lorsqu'on a pénétré
le fond des choses, la perte des illusions amène la mort
de l'âme, c'est-à-dire un désintéressement
complet sur tout ce qui touche et occupe les autres hommes ?  
    --- CHAMFORT   
%
 Cette physique moderne si vantée, si inférieure
cependant à celle d'Aristote si méconnue, n'a pour
mérite propre qu'un peu d'industrie mécanique appliquée
avec succès à mesurer quelques distances et à
déterminer avec précision quelques formes. Des chiffres
lui suffisent pour exprimer toutes ses découvertes, ce
qui ne leur suppose pas une grande beauté.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'expérience fait l'art, l'inexpérience
la fortune. On fait des découvertes en cherchant et des
trouvailles par hasard.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Les théories ont causé plus d'expériences
que les expériences n'ont causé de théories.
On voit par là de quelle utilité est au progrès
des arts ce qui est purement rationnel dans chaque science.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Notre XIX<SUP>e</SUP> siècle, à la différence
du XVIII<SUP>e</SUP>, n'est pas dogmatique ; il semble éviter
de se prononcer, il n'est pas pressé de conclure ;
il y a même de petites réactions superficielles qu'il
a l'air de favoriser en craignant de les combattre. Mais, patience !
sur tous les points on est à l'oeuvre ; en physique,
en chimie, en zoologie, en botanique, dans toutes les branches
de l'histoire naturelle, en critique historique, philosophique,
en études orientales, en archéologie, tout insensiblement
change de face ; et le jour où le siècle prendra
la peine de tirer ses conclusions, on verra qu'il est à
cent lieues, à mille lieues de son point de départ.
Le vaisseau est en pleine mer ; on file des noeuds sans compter ;
le jour où l'on voudra relever le point, on sera tout étonné
du chemin qu'on aura fait.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Le phénomène passe. Je cherche les lois.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Un savant, c'est un homme qui est à peu près
certain.  
    --- Jules RENARD   
%
 Quand les femmes seront enfin aussi savantes que des hommes
 -  que des hommes savants  -  ô amour,
vous ne serez plus le sel de la vie : vous en serez le chlorure
de sodium.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Laissez-moi m'interrompre un instant pour, pendant que
j'y pense, vous faire part de la réflexion que formulait
l'autre jour François Coppée, devant dix personnes
que je pourrais citer :
  -  C'est drôle, on parle souvent du pôle
Nord, plus rarement du pôle Sud, et jamais du pôle
Ouest ni du pôle Est. Pourquoi cette injustice ?...
ou cet oubli ?  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Longtemps on admira la méthode scientifique de
cette brute de saint Thomas, lequel ne croyait qu'aux choses qu'il
avait de ses yeux vu, palpées de ses mains.
 Homais, Bouvard, Pécuchet et Paul Leroy-Beaulieu répètent
à chaque instant et non sans évidente satisfaction :
  -  Moi, je suis un type dans le genre de saint Thomas.
 Propos qui ne saurait faire leur éloge.
 Plus la science marche, et particulièrement depuis quelques
années, plus on s'aperçoit qu'en dehors de ce qu'on
voit et de ce qu'on touche, grouillent des mondes et des mondes
de phénomènes, dont les manifestations échappent
à la pitoyable perception de ces gauches moignons qui s'appellent
nos cinq sens.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 La science.
 Et voila le labarum* des imbéciles. La science !
Avant le vingtième siècle, la médecine pour
ne parler que de cette gueuse, n'avait aucun besoin de la science
et daignait à peine s'en recommander. Depuis fort longtemps,
elle croupissait dans les déjections de ses malades. Maintenant
elle piaffe dans sa propre ordure.
 La putréfaction se plaignait de n'avoir pas son prophète.
Alors Pasteur est venu, Pasteur au nom doux et mélibéen,
et le Microbe, en retard de soixante siècles sur la création,
est enfin sorti du néant. Quelle révolution !
A partir de lui, tout change. La  recherche de la petite
bête remplace l'ancien esprit des Croisades. On ne connaît
plus que la science, et chaque matassin revendique son animalcule.
Tous les sérums, toutes les pestes liquides, tous les écoulements
des morts, tout ce qui se passait naguère au fond des sépulcres,
est aujourd'hui restitué à la lumière, préconisé,
mobilisé, injecté, avalé. La rage, la tuberculose
et le choléra sont devenus des apéritifs ou des
pousse-café. Le moujick de la bande vient de découvrir
même un jus contre la vieillesse. Il ne tient qu'aux parents
d'avantager leurs enfants de quarante ferments d'infection, dès
le berceau, et de faire de leurs corps des vases de purulence.
Ils sont à l'Institut Pasteur tout un lot de citoyens utiles
exclusivement voués à la recherche des moyens de
pourrir.  
    --- Léon BLOY   
%
 De Groux digérait mal (à la suite d'autres
griefs) que Léon Bloy lui dise et lui répète :
 "Il faut, voyez-vous... il faut se vomir... sur les autres."  
    --- André GIDE   
%
 On nous annonce un nouveau timbre poste, à l'effigie
Pasteur, ce savant imbécile qui croyait à la Sainte
Vierge. On ne dira pas que nous ne vivons pas dans une époque
d'idolâtrie.  
    --- Paul LEAUTAUD    
%
 Extrait d'un discours du "savant" Jean Perrin, de l'Académie
des Sciences, et quelque chose dans le gouvernement actuel :
 Je ne pensais d'abord qu'à la recherche pure. C'est d'elle
en effet, qu'est venu, outre tout l'élargissement de notre
intelligence, le formidable accroissement de puissance, qui est
le grand fait de l'histoire contemporaine.
 C'est par elle seule que nous pouvons espérer quelque
chose de vraiment beau, qui libérera tous les hommes de
toute servitude, et leur donnera ainsi les nobles loisirs sans
lesquels il n'est pas de haute culture. Et cette même recherche
finira par nous épargner la déchéance et
la maladie, transformant en une aventure éclatante la destinée
médiocre qui nous semblait promise.
 Encore un sot complet, - il en a d'ailleurs le visage, avec son
air d'hurluberlu, - qui s'imagine que la science changera les
hommes, les fera tous sensés, intelligents, généreux,
les fera tous du même composé chimique et de la même
structure organique, supprimera chez tous les passions, les rivalités,
les haines, fera de tous des êtres de "haute culture", tous
accessibles aux "nobles loisirs". Dire que toute notre époque,
depuis la Révolution, repose sur ces âneries !
  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Une excellente définition du savant par M. Hector
Talvart : "Un savant est un homme qui sait beaucoup de choses
qu'il faudrait connaître mieux que lui pour savoir s'il
n'est pas un âne."   
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 La découverte scientifique n'est pas une preuve
de génie, pas même d'intelligence. Il n'y faut que
des connaissances techniques, servies par le hasard. Un "savant",
qui mélange des corps, qui expérimente un sérum,
qui "travaille" un animal tout vivant ligoté sur une table,
ne sait pas ce qu'il produira, et cherche. C'est un mot courant
dans les recherches de laboratoires : le phénomène
possible. Le mathématicien Henri Poincaré a raconté
avoir trouvé la solution de son problème le plus
difficile dans l'inconscience du premier sommeil. Nous les avons
vus, au début de la guerre, ces "savants", renier d'un
coup de plume tout ce qu'ils admiraient auparavant chez leurs
confrères allemands. Quand se sont-il trompés ?
Quand ils admiraient, ou quand ils ont dénigré ?
Si leur science vaut leur jugement, on voit si nous devons être
sceptique.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le pouvoir, non le savoir, exercé par la science.
 La valeur d'avoir passé quelques temps à pratiquer
exactement une science exacte ne réside pas dans ses résultats ;
car, en proportion de la mer des objets de science, ceux-ci ne
sont qu'une quantité insignifiante. Mais on en tire un
accroissement d'énergie, de capacité de raisonner,
de constance à persévérer ; on a appris
à atteindre une fin par des moyens appropriés à
cette fin. C'est en ce sens qu'il est très précieux,
en vue de tout ce que l'on fera plus tard, d'avoir été
un jour homme de science.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Il est facile d'imiter les hommes de science. Leurs découvertes
sont transmissibles, celles des artistes ne le sont pas. La contemplation
prolongée de la Joconde ne nous donne pas le talent de
Vinci. Mais, si un savant de génie invente la poudre et
qu'il en donne la formule, tous les imbéciles en font :
ils nous l'ont bien prouvé, et ce n'est pas fini.  
    --- Marcel PAGNOL   
%
 [...] la science ne libère qu'un bien petit nombre
d'esprits faits par elle, prédestinés. Elle asservit
les autres. La complexité de son immense machinerie exige
des sacrifices croissants, une discipline chaque jour plus stricte,
la totale dépendance de l'ouvrier à l'outil merveilleux
dont il ne connaît rien qu'un levier ou qu'un écrou !
Il serait fou d'imaginer un équipement planétaire
arrivé au dernier degré de la perfection, et resté
néanmoins sous le contrôle de la multitude. L'aristocratie
polytechnique, à laquelle seront finalement remis les destins
de notre minuscule univers, apparaîtra bientôt ce
qu'elle est réellement, la plus inhumaine de toutes, la
plus fermée. Une parole de roi pouvait changer jadis un
pauvre diable en seigneur, il faudra demain vingt années
d'études et une manière de génie pour faire
un ingénieur capable d'utiliser quelques-uns des puissants
moyens mis par la science au service du plus dangereux des êtres,
dont le pouvoir de destruction est pratiquement sans limites,
car il est le seul à préférer à ses
besoins, à ses passions.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Le début de la science moderne date du moment où
aux questions générales se sont substituées
des questions limitées ; où au lieu de demander :
"Comment l'univers a-t-il été créé ?
De quoi est faite la matière ? Quelle est l'essence
de la vie ?", on a commencé à se demander :
"Comment tombe une pierre ? Comment l'eau coule-t-elle dans
un tube ? Quel est le cours du sang dans le corps ?".
Ce changement a eu un résultat surprenant. Alors que les
questions générales ne recevaient que des réponses
limitées, les questions limitées se trouvèrent
conduire à des réponses de plus en plus générales.  
    --- François JACOB   
%
 Contrairement à ce qu'on croit souvent, la démarche
scientifique ne consiste pas simplement à observer, à
accumuler des données expérimentales pour en déduire
une théorie. On peut parfaitement examiner un objet pendant
des années sans jamais en tirer la moindre observation
d'intérêt scientifique. Pour apporter une observation
de quelque valeur, il faut déjà, au départ,
avoir une certaine idée de ce qu'il y a à observer.
Il faut déjà avoir décidé ce qui est
possible. Si la science évolue, c'est souvent parce qu'un
aspect encore inconnu des choses se dévoile soudain ;
pas toujours comme conséquence de l'apparition d'un appareillage
nouveau, mais grâce à une manière nouvelle
d'examiner les objets, de les considérer sous un angle
neuf. Ce regard est nécessairement guidé par une
certaine idée de ce que peut bien être la "réalité".
Il implique toujours une certaine conception de l'inconnu, de
cette zone située juste au-delà de ce que la logique
et l'expérience autorisent à croire.  
    --- François JACOB   
%
 La règle du jeu en science, c'est de ne pas tricher.
Ni avec les idées, ni avec les faits. C'est un engagement
aussi bien logique que moral. Celui qui triche manque simplement
son but. Il assure sa propre défaite. Il se suicide. En
fait, les fraudes en science sont à la fois surprenantes
et intéressantes. Surprenantes parce que, sur des questions
importantes, il est enfantin de penser que la supercherie passera
longtemps inaperçue ; il faut donc que le tricheur
croie dur comme fer non seulement à la possibilité,
mais à la réalité du résultat qu'il
entend démontrer par sa fraude. Intéressantes aussi
parce que les fraudes vont du truquage délibéré
des résultats à ce qui n'est que déviation
légère, parfois même inconsciente, par rapport
au comportement normal du scientifique. Elles touchent ainsi à
des aspects psychologiques et idéologiques de la science
et des scientifiques. Elles peuvent donc aider à comprendre
certaines des idées préconçues qui, à
une période donnée, font obstacle au développement
scientifique. En ce sens, les fraudes font partie de l'histoire
des sciences.  
    --- François JACOB   
%
 Il est vrai que les innovations de la science peuvent
servir au meilleur comme au pire, qu'elles sont sources de malheurs
comme de bienfaits. Mais ce qui tue et ce qui asservit, ce n'est
pas la science. Ce sont l'intérêt et l'idéologie.
Malgré le Dr Frankenstein et le Dr Folamour, les massacres
de l'histoire sont plus le fait de prêtres et d'hommes politiques
que de scientifiques. Et le mal ne vient pas seulement de situations
où l'on utilise intentionnellement la science à
des fins de destruction. Il peut aussi être une conséquence
lointaine et imprévisible d'actions mises en oeuvre pour
le bien de l'humanité. Qui aurait pu prévoir la
surpopulation comme suite aux développements de la médecine ?
Ou la dissémination de germes résistants aux antibiotiques
comme suite à l'usage même de ces médicaments ?
Ou la pollution comme suite à l'emploi d'engrais permettant
d'améliorer les récoltes ? Tous problèmes
pour lesquels ont été ou seront trouvées
des solutions.  
    --- François JACOB   
%
 Que cesse l'opposition "Science contre Nature", "artificiel
contre naturel". La science est l'étude de tout ce qui
est, c'est-à-dire de la nature. La compréhension
de la nature se fait par la science, et ne se fait que par elle.
C'est la science qui a découvert, par exemple, le rôle
des vitamines dans la santé, celui des micro-organismes
dans la maladie, d'où la nécessité d'une
nourriture équilibrée, de la propreté et
de l'asepsie. Il n'y a qu'une manière d'aborder la compréhension
de l'existant, c'est l'utilisation du seul outil que nous ayons :
notre raison. Encore cet outil nécessite-t-il un apprentissage :
ce que Descartes appelait "la Méthode" et qui est tout
simplement la logique scientifique stricte.  
    --- François CAVANNA   
%
 Les spécialistes n'en ont jamais fini. Non qu'ils
n'en aient pas fini, simplement, en ce moment : il leur est
tout à fait impossible d'imaginer que leur activité
prenne fin. Peut-être même de le souhaiter. Peut-on
se figurer, par exemple, que l'homme aura encore une âme,
quand la biologie et la psychologie lui auront appris à
la comprendre, à la traiter dans son entier ? Néanmoins,
nous aspirons à ce moment ! Tout est là. Le
savoir est une attitude, une passion. C'est même, au fond,
une attitude illicite : comme le goût de l'alcool,
de l'érotisme ou de la violence, le besoin de savoir entraîne
la formation d'un caractère qui n'est plus en équilibre.
Il est tout à fait faux de dire que le chercheur poursuive
la vérité, c'est elle qui le poursuit. Il la subit.
Le Vrai est vrai, le fait est réel indépendamment
du chercheur : simplement le chercheur en a la passion ;
la dipsomanie du fait détermine son caractère, et
il se soucie comme d'une guigne de savoir si ses constatations
engendreront quelque chose de total, d'humain, d'accompli, ou
si elles engendreront quoi que ce soit. C'est une nature contradictoire,
souffrante, et cependant extraordinairement énergique.  
    --- Robert MUSIL   
%
 La connaissance à petite dose enchante ; a
forte dose, elle déçoit. Plus on en sait, moins
on veut en savoir. Car celui qui n'a pas souffert de la connaissance
n'aura rien connu.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Objection contre la science : ce monde ne mérite
pas d'être connu.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'homme de Science le sait bien, lui, que, sans la Science,
l'homme ne serait qu'un stupide animal sottement occupé
à s'adonner aux vains plaisirs de l'amour dans les folles
prairies de l'insouciance, alors que la Science, et la Science
seule, a pu, patiemment, au fil des siècles, lui apporter
l'horloge pointeuse et le parcmètre automatique sans lesquels
il n'est pas de bonheur terrestre possible.  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Scrupules, vermine de la volonté.  
    --- Jules RENARD   
%
 Qui n'a point la maladie du scrupule ne doit même
pas songer à être honnête.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il est ridicule d'être trop prudent  -  et
pourtant bien des péchés s'inscrivent en quelque
sorte dans notre âme à l'encre sympathique, et ne
deviennent lisibles qu'à la chaleur des scrupules qui nous
les font apparaître ; nos scrupules pourchassent les
sophismes subtils de l'amour-propre, démasquent les péchés
faussement véniels, nous rendent exigeants et impitoyables
pour nous-mêmes. Hélas ! qui dira jamais à
quel moment le scrupule moral devient manie et délire !  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Il n'y a peut-être rien qui ennoblit plus un être
humain que de savoir garder un secret. Cela donne à toute
sa vie une signification, valable pour lui seul il est vrai, cela
le délivre de tout vain égard vis-à-vis du
monde qui l'entoure, il se suffit à lui-même et se
sent heureux avec son secret, même, on peut presque le dire,
si ce secret est des plus funestes.  
    --- Sören KIERKEGAARD   
%
 Un secret qu'on est vraiment seul à détenir,
un tel secret rendrait malades les plus robustes, et on peut même
se demander s'il existe une conscience assez intrépide
pour supporter ce tête-à-tête, sans en mourir ;
seule une psychanalyse appropriée, en divulguant le grand
secret qui nous consume, nous rendrait le sommeil et l'appétit.
Ce qu'il y a de plus puissant dans le secret, ce n'est donc pas
le mutisme qu'il impose, c'est la complicité qu'il crée
entre ceux qui en sont porteurs ; il est à la fois
tacite et explicite, exclusif et confiant ; il ferme la bouche
aux initiés, il calfeutre portes et fenêtres, mais
ce silence dont il s'enveloppe est un silence qui en dit long.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Toute secte, en quelque genre que ce puisse être,
est le ralliement du doute et de l'erreur.
 Scotistes, thomistes, réaux, nominaux, papistes, calvinistes,
molinistes, jansénistes ne sont que des noms de guerre.
 Il n'y a point de secte en géométrie ; on
ne dit point un euclidien, un archimédien.
 Quand la vérité est évidente, il est impossible
qu'il s'élève des partis et des factions. Jamais
on n'a disputé s'il fait jour à midi.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Le sage se réfugie dans les livres des Anciens
où il n'apprend que de pures arguties de langage. Le fou
aborde les réalités et en fait l'épreuve
de près ; il acquiert par là, si je ne me trompe,
le véritable bon sens. C'est ce qu'Homère paraît
avoir bien vu, tout aveugle qu'il était, quand il dit :
"Le fou s'instruit à ses dépens." Il y a en effet
deux obstacles principaux qui empêchent de parvenir à
la connaissance des choses : l'hésitation, qui répand
une fumée sur l'esprit, et la crainte, qui à la
vue du péril vous détourne d'agir. Mais la Folie
vous en délivre à merveille. Peu de mortels comprennent
les nombreux avantages qu'il y a à être sans hésitation
et à tout oser.  
    --- ERASME   
%
 Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée :
car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même
qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre
chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en
ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ;
mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien
juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement
ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale
en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de
nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables
que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées
par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes
choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal
est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables
des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ;
et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup
d'avantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font
ceux qui courent, et qui s'en éloignent.  
    --- DESCARTES   
%
 Il reste extraordinaire et presque incompréhensible
que Descartes estimât le bon sens "la chose du monde la
mieux partagée" et "naturellement égale à
tous les hommes". Je la tiens tout au contraire pour une qualité
des plus rares... ou c'est que je comprend mal Descartes.  
    --- André GIDE   
%
 Il faut déjà passablement d'intelligence
pour souffrir de n'en avoir pas davantage. Rien de plus fat qu'un
niais.  
    --- André GIDE   
%
 Contrairement à ce que disait Descartes, la chose
du monde la mieux partagée, ce n'est pas le bon sens, mais
la bêtise : car chacun pense en être si bien
dépourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles
à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en
désirer moins qu'ils en ont.  
    --- Umberto ECO   
%
 Il n'y a rien de plus estimable que le bon sens et la
justesse de l'esprit dans le discernement du vrai et du faux.
Toutes les autres qualités d'esprit ont des usages bornés ;
mais l'exactitude de la raison est généralement
utile dans toutes les parties et dans tous les emplois de la vie.  
    --- ARNAULD &#38; NICOLE   
%
 Le sens commun n'est pas une qualité si commune
que l'on pense. Il y a une infinité d'esprits grossiers
et stupides que l'on ne peut réformer en leur donnant l'intelligence
de la vérité, mais en les retenant dans les choses
qui sont à leur portée, et en les empêchant
de juger de ce qu'ils ne sont pas capables de connaître.  
    --- ARNAULD &#38; NICOLE   
%
 Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne
ne se plaint de son jugement.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 On trouve des moyens pour guérir de la folie, mais
on n'en trouve point pour redresser un esprit de travers.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Nous ne trouvons guère de gens de bon sens, que
ceux qui sont de notre avis.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer
à un autre qu'il se trompe, il faut observer par quel côté
il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là,
et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir
le côté par où elle est fausse. Il se contente
de cela, car il voit qu'il ne se trompait pas, et qu'il manquait
seulement à voir tous les côtés ; or
on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut
pas s'être trompé ; et peut-être que cela
vient de ce que naturellement l'homme ne peut tout voir, et de
ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté
qu'il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours
vraies.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas, et
un esprit boiteux nous irrite ? A cause qu'un boiteux
reconnaît que nous allons droit, et qu'un esprit boiteux
dit que c'est nous qui boitons ; sans cela nous en aurions
pitié et non colère.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 On dit quelquefois : "Le sens commun est fort rare" ;
que signifie cette phrase ? Que dans plusieurs hommes la
raison commencée est arrêtée dans ses progrès
par quelques préjugés ; que tel homme qui juge
très sainement dans une affaire, se trompera toujours grossièrement
dans une autre.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Nous avons des aveugles, des borgnes, des bigles, des
louches, des vues longues, des vues courtes, ou distinctes, ou
confuses, ou faibles, ou infatigables. Tout cela est une image
assez fidèle de notre entendement ; mais on ne connaît
guère de vues fausses. Il n'y a guère d'hommes qui
prennent toujours un coq pour un cheval, ni un pot de chambre
pour une maison. Pourquoi rencontre-t-on souvent des esprits,
assez justes d'ailleurs, qui sont absolument faux sur des choses
importantes ?
 ...
 Les plus grands génies peuvent avoir l'esprit faux sur
un principe qu'ils ont reçu sans examen. Newton avait l'esprit
très faux quand il commentait l'Apocalypse.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Tout est fécond excepté le bon sens.  
    --- Ernest RENAN   
%
 A l'égard des sciences occultes, le bon
sens consiste souvent à prendre pour des vérités
absolues l'énoncé tendancieux d'observations, que
l'on croit scientifiquement valables. Le bon sens consiste à
croire, en dépit de toutes les preuves expérimentales,
"qu'il pourrait peut-être bien y avoir quelque chose de
vrai là-dedans". Le bon sens consiste à avoir un
peu honte des superstitions, à affecter de les plaisanter
devant témoins, quitte à accomplir quand même
des pratiques magiques (en se cachant s'il y a lieu).  
    --- Marcel BOLL   
%
 Ah ! tant pis pour moi ! La musique m'embête.
La peinture, j'en ignore, et une sculpture me ravit autant qu'une
figure de cire chez un coiffeur. Encore celle-ci est-elle animée ;
elle semble vivre. Elle tourne lentement sur une vis, et elle
soulève et abaisse comme un président de Cour, son
toupet avec une régularité opiniâtre.
 C'est qu'il vous manque un sens, me dira-t-on. La psychologie
m'avait déjà dit que je n'en ai que cinq. Un sens
de plus, un de moins, qu'importe, pourvu qu'il me reste le bon !  
    --- Jules RENARD   
%
 Méfiez-vous, parce que l'on commence par dire des
âneries... Ensuite, on sort quelques balourdises...
 Puis des stupidités, et de stupidités en stupidités...
on en arrive aux inepties et, un jour on se surprend à
proférer des énormités.
 Il est trop tard, l'esprit est faussé !  
    --- Raymond DEVOS   
%
 Faire comprendre des choses complexes à des gens
simples frise souvent l'abus de confiance.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Plus l'homme cultive les arts, moins il bande.
 Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l'esprit
et la brute.
 La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Foutre, c'est aspirer à entrer dans un autre, et
l'artiste ne sort jamais de lui-même.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Le christianisme a fait boire du poison à Eros :
il n'en est pas mort, mais il est devenu vicieux.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ce petit appendice (à transformations !) que
nous autres hommes nous avons au bas du ventre, qu'il nous fait
faire de folies !  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Le spermatozoïde est le bandit à l'état
pur.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Affectivement, je me moque bien de l'avenir de l'espèce,
c'est vrai. Si l'on me dit que c'est pour mes enfants et les enfants
de mes enfants que je souhaite un monde différent, et que
cela est "bien", je répondrai que ce n'est alors que l'expression
de mon narcissisme, du besoin que j'éprouve de me prolonger,
de truquer avec la mort à travers une descendance qui ne
présente pour moi d'intérêt que parce qu'elle
est issue de moi. Ne vaut-il pas mieux alors rester célibataire,
ne pas se reproduire, que de limiter les "autres" à cette
petite fraction rapidement très mélangée
et indiscernable de nous-mêmes ? Sommes-nous si intéressants
que nous devions infliger notre présence au monde futur
à travers celle de notre progéniture ? Depuis
que j'ai compris cela, rien ne m'attriste autant que cet attachement
narcissique des hommes aux quelques molécules d'acide désoxyribonucléique
qui sortent un jour de leurs organes génitaux.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Pourquoi faut-il se mettre à deux pour faire un
troisième ? Pourquoi seule de toutes les fonctions
du corps, la reproduction est-elle assurée par un organe
dont un individu ne possède jamais que la moitié,
ce qui l'oblige à dépenser beaucoup de temps et
d'énergie pour trouver une autre moitié ?  
    --- François JACOB   
%
 Pour la biologie moderne, tout être vivant se forme
par l'exécution d'un programme inscrit dans ses chromosomes.
Chez les organismes sans sexe, se reproduisant par exemple par
fission, le programme génétique est exactement recopié
à chaque génération. Tous les individus de
la population sont alors identiques, à l'exception de quelques
rares mutants. De telles populations ne peuvent s'adapter que
par sélection de ces mutants sous la pression du milieu.
En revanche, dès lors que la sexualité devient condition
nécessaire de la reproduction, chaque programme est formé,
non plus par copie exacte d'un seul programme, mais par réassortiment
de deux programmes différents. En conséquence, chaque
programme génétique, c'est-à-dire chaque
individu, devient différent de tous les autres, à
l'exception des jumeaux identiques. Chaque enfant conçu
par un couple donné est le résultat d'une loterie
génétique.
 [...]
 Le réassortiment du matériel génétique
à chaque génération permet de juxtaposer
rapidement des mutations favorables qui, chez les organismes dépourvus
de sexualité, resteraient séparées. Une population
pourvue de sexualité peut donc évoluer plus vite
qu'une population qui en est dépourvue. A long terme, les
populations sexuées peuvent survivre là où
s'éteindraient des populations asexuées. De plus,
les organismes à reproduction sexuée offrent une
plus grande diversité de phénotypes dans leur descendance.
A court terme, ils ont donc plus de chances de produire des individus
adaptés aux conditions nouvelles créées par
des variations de l'environnement. La sexualité fournit
ainsi une marge de sécurité contre les incertitudes
du milieu. C'est une assurance sur l'imprévu.  
    --- François JACOB   
%
 Un homme normal, au point de vue sexuel, devrait être
capable de faire l'amour avec n'importe qui et même avec
n'importe quoi, car l'instinct de l'espèce est aveugle ;
il travaille en gros. C'est ce qui explique les moeurs coulantes,
attribuées au vice, du peuple et surtout des marins. L'acte
sexuel compte seul. Une brute s'inquiète peu des circonstances
qui le provoquent. Je ne parle pas de l'amour.
 Le vice commence au choix. Selon l'hérédité,
l'intelligence, la fatigue nerveuse du sujet, ce choix se raffine
jusqu'à devenir inexplicable, comique ou criminel.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 La grandeur de la volupté procède de la
perte de l'esprit. Si l'on ne se sentait pas devenir fou, la sexualité
serait une saleté et un péché.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Que je hais ces sottises, de ne pas croire l'Eucharistie,
etc. Si l'Evangile est vrai, si Jésus-Christ est Dieu,
quelle difficulté y a-t-il là ?  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Si ma tante en avait on l'appellerait mon oncle, et si
mon oncle en était on l'appellerait ma tante.  
    --- Pierre DAC   
%
 Si, avec un si, on peut mettre Paris dans une bouteille,
on doit pouvoir aussi, avec un si bémol ou naturel, mettre
une contrebasse dans un porte-documents ou un hélicon dans
un carton à chapeau.  
    --- Pierre DAC   
%
 La conviction certaine que l'on pourrait si l'on voulait
est cause d'inertie chez maints bons esprits  -  et ce
n'est pas sans raison.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Si j'avais du talent, on m'imiterait. Si l'on m'imitait,
je deviendrait à la mode. Si je devenait à la mode,
je passerais bientôt de mode. Donc, il vaut mieux que je
n'aie pas de talent.  
    --- Jules RENARD   
%
 Si tous mes admirateurs achetaient mes livres, j'en aurais
beaucoup moins.  
    --- Jules RENARD   
%
 Un homme avait le numéro de loterie 60 015.
Le 60 016 sortit. Cet homme crut avoir été
près de gagner.
 Tout le monde en toute occasion pense de même. J'ai failli
tomber, mourir, faire fortune. L'histoire est pleine de ces raisonnements.
 Ces proximités sont imaginaires.
 Il n'y a de degrés que dans le SI...  
    --- Paul VALERY   
%
 Le Si est instrument essentiel de l'action mentale.  
    --- Paul VALERY   
%
 Si seulement... ! ainsi commencent les récriminations
les plus vaines. Il faut prendre son parti de ses maux.  
    --- André GIDE   
%
 Le silence est le parti le plus sûr de celui qui
se défie de soi-même.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Un homme est plus fidèle au secret d'autrui qu'au
sien propre ; une femme au contraire garde mieux son secret
que celui d'autrui.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Toute révélation d'un secret est la faute
de celui qui l'a confié.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 L'on doit se taire sur les puissants : il y a presque
toujours de la flatterie à en dire du bien ; il y
a du péril à en dire du mal pendant qu'ils vivent,
et de la lâcheté quand ils sont morts.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 L'on se repent rarement de parler peu, très souvent
de trop parler ; maxime usée et triviale que tout
le monde sait, et que tout le monde ne pratique pas.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus
supportable que le sot qui parle.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Ce qui manque aux orateurs en profondeur, ils vous le
donnent en longueur.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Ordinairement, un homme qui ne parle pas ne pense pas.
Je parle de celui qui n'a pas de raisons pour ne pas parler. Chacun
est bien aise de mettre au jour ce qu'il croit avoir bien pensé ;
les hommes sont faits comme cela.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Peut-être cet ouvrage est-il trop long : toute
plaisanterie doit être courte, et même le sérieux
devrait bien être court aussi.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Qui ne sait pas se taire n'obtient point d'ascendant.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Réduire ses adversaires au silence n'est pas les
convaincre, mais seulement les embarrasser, avantage ignoble.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Quand tu t'imposes le silence, tu trouves des pensées ;
quand tu te fais une loi de parler, tu ne trouves rien à
dire.  
    --- STENDHAL   
%
 Il n'y a d'incontesté que le silence.  
    --- Victor HUGO   
%
 C'est ne pas mépriser assez certaines gens que
de dire tout haut qu'on les méprise. Le silence seul est
le souverain mépris.  -  Et ce que je dis ici est
déjà trop.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Le silence était si absolu que je me croyais sourd.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il vaudrait mieux se taire toujours. On ne dit rien quand
on parle. Ou les mots dépassent la pensée, ou ils
la diminuent. Que d'aplomb chez les uns ! Que de restrictions
de scrupules chez les autres !  
    --- Jules RENARD   
%
 On fait crédit d'esprit aux silencieux, comme jadis
aux bâtards de naissance.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Ce dont on ne peut parler, il faut le taire.  
    --- Ludwig WITTGENSTEIN   
%
 Le nombre de bêtises qu'une personne intelligente
peut dire dans une journée n'est pas croyable. Et j'en
dirais sans doute autant que les autres, si je ne me taisais plus
souvent.  
    --- André GIDE   
%
 C'est le tic-tac d'une pendule qui fait apprécier
le silence. Sans ce tic-tac on est un sourd.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Un jeune homme et une jeune fille, tous les deux muets,
se parlaient par gestes. Qu'ils avaient l'air heureux !
 De toute évidence, la parole n'est pas, ne peut être,
le véhicule du bonheur.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Un silence abrupt au milieu d'une conversation nous ramène
soudain à l'essentiel : il nous révèle
de quel prix nous devons payer l'invention de la parole.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Dans les pays latins où la parole ne coûte
rien, le laconisme est tenu pour de la bêtise.  
    --- Emil CIORAN   
%
 "Au commencement était le Verbe", dit le supposé
Evangile du supposé Jean. Le Verbe, c'est à
dire la parole, mais vous aviez compris. C'est-à-dire aussi
le baratin, pour le cas où vous n'auriez compris que jusqu'à
un certain point.
 Quel aveu !  
    --- François CAVANNA   
%
 Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont
les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient
mieux de la fermer avant de l'ouvrir.  
    --- Pierre DAC   
%
 On se tait aussi, dans les monastères, pour écouter
Dieu. Et comme il ne dit rien ("Dieu ne parle pas me disait un
prêtre, parce qu'Il écoute"), ce silence n'en finit
pas : Dieu nous écoute l'écouter, et cela fait
un grand silence, en effet, qui est le vrai de la religion.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 "Le contraire de prier c'est rire" ai-je écrit
quelque part. Mais on ne peut pas toujours rire : devant
les plus grandes choses, il faut prier, pleurer ou se taire.
 Tais-toi.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 C'est déjà assez triste de n'avoir rien
à dire. Si, en plus, il fallait se taire...  
    --- Philippe BOUVARD   
%
  "Y'aurait beaucoup à dire", phrase préférée
des gens n'ayant rien à dire et qui sont obligés
de faire semblant.  
    --- José ARTUR   
%
 De tous ceux qui n'ont rien à dire, les plus agréables
sont ceux qui se taisent.  
    --- COLUCHE   
%
 Pourquoi l'homme se croit-il déshonoré s'il
ne parle pas devant un tableau ? Car le flot sonore des bêtises
creuses que l'on entend malgré soi dans les musées
constitue une telle torture qu'on devrait, dans une société
policée, afficher partout : "Il est interdit de commenter
à voix haute les oeuvres d'art." Pourquoi le silence, obligatoire
au théâtre et au concert, ne le serait-il pas dans
les galeries ?  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls :
de là le jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes,
l'ignorance, la médisance, l'envie, l'oubli de soi-même
et de Dieu.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La solitude est bonne aux grands esprits et mauvaise aux
petits. La solitude trouble les cerveaux qu'elle n'illumine pas.  
    --- Victor HUGO   
%
 L'homme intelligent aspirera avant tout à fuir
toute douleur, toute tracasserie et à trouver le repos
et les loisirs ; il recherchera donc une vie tranquille,
modeste, abritée autant que possible contre les importuns ;
après avoir entretenu pendant quelque temps des relations
avec ce que l'on appelle les hommes, il préférera
une existence retirée, et, si c'est un esprit tout à
fait supérieur, il choisira la solitude. Car plus un homme
possède en lui-même, moins il a besoin du monde extérieur
et moins les autres peuvent lui être utiles. Aussi la supériorité
de l'intelligence conduit-elle à l'insociabilité.
Ah ! si la qualité de la société pouvait
être remplacée par la quantité, cela vaudrait
alors la peine de vivre même dans le grand monde :
mais, hélas ! cent fous mis en un tas ne font pas
encore un homme raisonnable.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 On ne peut être vraiment soi qu'aussi longtemps
qu'on est seul ; qui n'aime donc pas la solitude n'aime pas
la liberté, car on n'est libre qu'étant seul. Toute
société a pour compagne inséparable la contrainte
et réclame des sacrifices qui coûtent d'autant plus
cher que la propre individualité est plus marquante. Par
conséquent, chacun fuira, supportera ou chérira
la solitude en proportion exacte de la valeur de son propre moi.
Car c'est là que le mesquin sent toute sa mesquinerie et
le grand esprit toute sa grandeur ; bref, chacun s'y pèse
à sa vraie valeur.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 Du pays des anthropophages. - Dans la solitude le solitaire
se ronge le coeur ; dans la multitude c'est la foule qui
le lui ronge. Choisis donc !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Pour l'éducation.  -  J'ai vu clair peu
à peu sur le défaut le plus général
de notre façon d'enseigner et d'éduquer. Personne
n'apprend, personne n'aspire, personne n'enseigne  -  à
supporter la solitude.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Je ne demande plus aux hommes qu'une chose : c'est
de me laisser beaucoup de temps à moi, beaucoup de solitude,
et pourtant de se prêter quelquefois encore à mon
observation.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Je me disais qu'une triste chose de notre condition misérable,
était l'obligation d'être sans cesse vis-à-vis
de soi-même. C'est ce qui rend si douce la société
des gens aimables : ils vous font croire un instant qu'ils
sont un peu vous ; mais vous retombez bien vite dans votre
triste unité. Quoi ! l'ami le plus chéri, la
femme la plus aimée et le méritant ne prendront
jamais sur eux une partie du poids ? Oui, quelques instants
seulement. Mais ils ont le manteau de plomb à traîner.  
    --- Eugène DELACROIX   
%
 Multitude, solitude : termes égaux et convertibles
pour le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler
sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule
affairée.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Seul adj. En mauvaise compagnie.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 La solitude est l'aphrodisiaque de l'esprit, comme la
conversation celui de l'intelligence.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le grand avantage qu'il y a à aller voir du monde,
c'est de se dire qu'on a tout pour être heureux pourvu qu'on
reste seul avec soi.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il est inélégant de se plaindre de la vie
tant qu'on peut s'aménager une heure de solitude par jour.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Etre seul, c'est être soi, rien d'autre. Comment
serait-on autre chose ? Personne ne peut vivre à notre
place, ni mourir à notre place, ni souffrir ou aimer à
notre place, et c'est ce qu'on appelle la solitude : ce n'est
qu'un autre nom pour l'effort d'exister.  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Mieux vaut une conscience tranquille qu'une destinée
prospère. J'aime mieux un bon sommeil qu'un bon lit.  
    --- Victor HUGO   
%
 Le sommeil est une récompense pour les uns, un
supplice pour les autres. Pour tous, il est une sanction.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 Non plus tempérée par la lumière,
ni bridée par le monde extérieur, la pensée
de l'insomnieux développe complaisamment ses branches et
les étale jusqu'à l'énorme, jusqu'au monstrueux,
dans la nuit.  
    --- André GIDE   
%
 Avez-vous remarqué que, quel que soit le bruit
qui vous réveille, il cesse aussitôt que vous êtes
éveillé ?  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Son sommeil était, de beaucoup, ce qu'elle avait
de plus profond.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Le sommeil, faites-y attention, est bien plus tyrannique
que la faim. On conçoit un état où l'homme
se nourrirait sans peine, n'ayant qu'à cueillir. Mais rien
ne le dispense de dormir ; rien n'abrégera le temps
de dormir ; c'est le seul besoin peut-être auquel nos
machines ne peuvent point pourvoir. Si fort, si audacieux, si
ingénieux que soit l'homme, il sera sans perceptions, et
par conséquent sans défense, pendant le tiers de
sa vie. La société serait donc fille de peur, bien
plutôt que de faim.  
    --- ALAIN   
%
 De deux hommes faisant société, il est naturel
que l'un soit chasseur et l'autre forgeron, ce qui crée
des différences et un certain empire à chacun sur
certaines choses et sur certains outils ; mais il ne se peut
point que, de deux hommes, un seul soit toujours gardien du sommeil.
C'est peu de dire qu'on aurait alors un gardien mécontent ;
on aurait premièrement un gardien somnolent. Cette part
de repos et de garde éveillée, la même pour
tous, est sans doute la plus ancienne loi. Au surplus, il y a
égalité pour la garde. Un enfant bien éveillé
peut garder Hercule dormant.
 Ne perdons pas l'occasion de dire une chose vraie. La force en
cette relation, ne donne aucun avantage. Elle se trouve déchue
par cette nécessité de dormir. Le plus fort, le
plus brutal, le plus attentif, le plus soupçonneux, le
plus redouté des hommes doit pourtant revenir à
l'enfance, fermer les yeux, se confier, être gardé,
lui qui gardait.  
    --- ALAIN   
%
 Ne croyez donc jamais d'emblée au malheur des hommes.
Demandez-leur seulement s'ils peuvent dormir encore ?...
Si oui, tout va bien. Ca suffit.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 Le lien est indissoluble entre l'insomnie et le désespoir.
Je crois bien que la perte totale de l'espérance ne se
conçoit pas sans le concours de l'insomnie. Le paradis
et l'enfer ne présentent d'autre différence que
celle-ci : on peut dormir, au paradis, tout son soûl ;
en enfer, on ne dort jamais. Dieu ne punit-il pas l'homme en lui
ôtant le sommeil pour lui donner la connaissance ?
N'est-ce pas le châtiment le plus terrible que d'être
interdit de sommeil ? Impossible d'aimer la vie quand on
ne peut dormir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Bien plus que le temps, c'est le sommeil qui est l'antidote
du chagrin. L'insomnie, en revanche, qui grossit la moindre contrariété
et la convertit en coup du sort, veille sur nos blessures et les
empêche de dépérir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Pour être heureux, il faut beaucoup dormir et bien
déféquer. L'insomniaque et son cousin germain, le
constipé, sont les damnés de la terre.  
    --- Frédéric DARD   
%
 C'est rusticité que de donner de mauvaise grâce :
le plus fort et le plus pénible est de donner ; que
coûte-t-il d'y ajouter un sourire ?  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Le sourire est le signe le plus délicat et le plus
sensible de la distinction et de la qualité de l'esprit.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Esprit. - Les auteurs les plus spirituels produisent le
plus imperceptible des sourires.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Rire et sourire. - Plus l'esprit devient joyeux et sûr
de lui-même, plus l'homme désapprend le rire bruyant ;
en revanche il est pris sans cesse d'un sourire plus intellectuel,
signe de son étonnement devant les innombrables charmes
cachés de cette bonne existence.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ne plus sourire que d'une lèvre.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le sourire est le commencement de la grimace.  
    --- Jules RENARD   
%
 Le sourire est la perfection du rire. Car il y a toujours
de l'inquiétude dans le rire, quoique aussitôt calmée ;
mais dans le sourire tout se détend, sans aucune inquiétude
ni défense. On peut donc dire que l'enfant sourit mieux
encore à sa mère que sa mère ne lui sourit ;
ainsi l'enfance est toujours la plus belle. Mais dans tout sourire
il y a de l'enfance ; c'est un oubli et un recommencement.
Tous les muscles prennent leur repos et leur aisance, principalement
ces muscles puissants des joues et des mâchoires, si naturellement
contractés dans la colère, et déjà
dans l'attention. Le sourire ne fait pas attention ; les
yeux embrassent tout autour de leur centre. En même temps
la respiration et le coeur travaillent largement et sans gêne,
d'où cette couleur de vie et cet air de santé. Comme
la défiance éveille la défiance, ainsi le
sourire appelle le sourire ; il rassure l'autre sur soi et
toutes choses autour. C'est pourquoi ceux qui sont heureux disent
bien que tout leur sourit. Et l'on peut, d'un sourire, guérir
les peines de quelqu'un qu'on ne connaît pas. C'est pourquoi
le sourire est l'arme du sage, contre ses propres passions et
contre celles d'autrui. Il les touche là dans leur centre
et dans leur force, qui n'est jamais dans les idées ni
dans les événements, mais dans cette colère
armée qui ne peut sourire.  
    --- ALAIN   
%
 Le grand dialecticien Bayle a réfuté Spinosa.
Ce système n'est donc pas démontré comme
une proposition d'Euclide. S'il l'était, on ne saurait
le combattre. Il est donc au moins obscur.
 J'ai toujours eu quelque soupçon que Spinosa, avec sa
substance universelle, ses modes et ses accidents, avait entendu
autre chose que ce que Bayle entend, et que par conséquent
Bayle peut avoir eu raison sans avoir confondu Spinosa. J'ai toujours
cru surtout que Spinosa ne s'entendait pas souvent lui-même,
et que c'est la principale raison pour laquelle on ne l'a pas
entendu.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Virgile dit (&AElig;. VI, 727) :
           Mens agitat
molem, et magno se corpore miscet.
           L'esprit
régit le monde ; il s'y mêle, il l'anime.
 Virgile a bien dit ; et Benoît Spinosa, qui n'a pas
la clarté de Virgile, et qui ne le vaut pas, est forcé
de reconnaître une intelligence qui préside à
tout. S'il me l'avait niée, je lui aurais dit : "Benoît,
tu es fou ; tu as une intelligence et tu la nies, et à
qui la nies-tu ?"  
    --- VOLTAIRE   
%
 Vous êtes très confus, Baruch* Spinosa ;
mais êtes-vous aussi dangereux qu'on le dit ? Je soutiens
que non : et ma raison, c'est que vous êtes confus,
que vous avez écrit en mauvais latin, et qu'il n'y a pas
dix personnes en Europe qui vous lisent d'un bout à l'autre,
quoiqu'on vous ait traduit en français. Quel est l'auteur
dangereux ? c'est celui qui est lu par les oisifs de la cour
et par les dames.  
    --- VOLTAIRE   
%
 La pauvreté et inutilité de Spinoza me confond,
comparée à son immense influence et réputation.
 Le mot existence a causé de grands ravages. Du reste,
le langage permettant de croire penser à des choses, quand
on se borne à se dire et répéter des noms,
et à croire séparer, et pouvoir être séparés,
des facteurs qui sont inséparables  -  , on prend
pour une analyse des choses ce qui n'est qu'une analyse d'un certain
langage ou procédé conventionnel de notation. Ainsi,
les pseudo-idées d'Etre, essence, substance, existence
et toute la logique du vide.  
    --- Paul VALERY   
%
 Léon Brunschvicg m'a raconté qu'étant
jeune étudiant en philosophie, il rencontra Degas, rue
de Douai, chez Ludovic Halévy, et il lui fut présenté.
 Degas, apprenant qu'il avait affaire à un métaphysicien,
l'attira dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui dit vivement :
"Voyons jeune homme, SPINOZA, pouvez-vous m'expliquer cela en
cinq minutes ?"
 Je trouve que cette question ahurissante donne à penser.
 Peut-être ne serait-il pas tout à fait anti-philosophique,
ni sans conséquences intéressantes de diviser toutes
les connaissances en deux classes, celles qui peuvent s'expliquer
en cinq minutes et les autres...  
    --- Paul VALERY   
%
 Il nous arrive de moquer les Italiens pour le culte outrancier
qu'ils vouent à leurs "campionissimi", leur partialité
exclusive, leur mauvaise foi. Heureux "campionissimi" ! Pareille
chose ne risque pas d'arriver à nos champions. Non, certes,
que nous n'ayons besoin d'idoles, comme tout le monde. Nous savons
même fort bien nous en forger quand le besoin s'en fait
sentir. Mais nous avons trop d'esprit pour accepter généreusement
d'être l'esclave de nos admirations. Le Français,
né malin, a peur d'être dupe.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Il est toujours grandiose et significatif d'atteindre,
au jour prescrit, l'objectif qu'on s'était fixé.
Champion olympique avec préméditation, ça
ira bien chercher dans les dix ans de frisson ferme.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Je crois avoir identifié les raisons de l'extraordinaire
engouement de mes contemporains pour des sports qu'ils n'exercent
pas personnellement. C'est d'abord l'identification des freluquets
aux gros bras. C'est ensuite une érudition à peu
de frais. C'est enfin un folklore que la caution de quelques intellos
finit par transformer en patrimoine.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 A moins qu'elles ne viennent en aide à cette
haute probité du savant qui s'appuie sur la conviction
et sur les idées, on fait dire à peu près
tout ce qu'on veut aux statistiques. Je n'en citerai qu'un exemple
et qui, bien entendu, ne sera point emprunté à la
discussion actuellement pendante devant la Chambre. Il y a quelque
temps, un calculateur supputa qu'en dix ans, de 1829 à
1838, il avait comparu devant les assises 33 avocats et 33 prêtres,
et il en conclut que la criminalité était identiquement
la même pour les prêtres et les avocats. Cette opinion
eut cours jusqu'au moment où survint un redresseur de chiffres
qui dit : pardon : il y a 40 447 prêtres et 8
993 avocats.  -  Ce petit détail avait été
oublié.  
    --- Victor HUGO   
%
 La statistique a démontré que la mortalité
dans l'armée augmente sensiblement en temps de guerre.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Les chiffres sont des innocents qui avouent facilement
sous la torture ; mais cette facilité même leur
permet ensuite de reprendre vite leurs aveux. Que l'emploi de
statistiques soit une façon de mentir n'est que trop évident,
mais c'est le cas de tous les modes d'expression, parole, écriture,
photographie, cinéma, etc. Chacun d'eux, dirait Joseph
Prudhomme est un moyen de dire la vérité et au besoin
de la travestir.
 Ce n'est pas l'instrument qu'il faut incriminer, mais celui qui
s'en sert ; un marteau peut servir à enfoncer des
clous, mais aussi à défoncer un crâne. Jamais
encore un juge d'instruction n'a traduit un marteau en cours d'assises.  
    --- Alfred SAUVY   
%
 Semaine épouvantable : pas un seul sondage
d'opinion. Tant pis, nous essaierons de deviner tout seuls nos
propres intentions.  
    --- André FROSSARD   
%
 Selon les sondages, les Français consomment cinquante-huit
rouleaux annuels de papier hygiénique par tête. Qu'est-ce
qu'ils entendent par tête ?  
    --- Frédéric DARD   
%
 Quand dans un discours se trouvent des mots répétés,
et qu'essayant de les corriger, on les trouve si propres qu'on
gâterait le discours, il les faut laisser, c'en est la marque ;
et c'est là la part de l'envie, qui est aveugle, et qui
ne sait pas que cette répétition n'est pas faute
en cet endroit ; car il n'y a point de règle générale.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Si Montaigne avait vécu de nos jours, que de critiques
n'eût-on pas fait de son style ! car il ne parlait
ni français, ni allemand, ni breton, ni suisse. Il pensait,
il s'exprimait au gré d'une âme singulière
et fine. Montaigne est mort, on lui rend justice ; c'est
cette singularité d'esprit, et conséquemment de
style, qui fait aujourd'hui son mérite.
 La Bruyère est plein de singularité ; aussi
a-t-il pensé sur l'âme, matière pleine de
choses singulières.
 Combien Pascal n'a-t-il pas d'expressions de génie ?
 Qu'on me trouve un auteur célèbre qui ait approfondi
l'âme, et qui dans les peintures qu'il fait de nous et de
nos passions, n'ait pas le style un peu singulier ?  
    --- MARIVAUX   
%
 L'homme le plus dépourvu d'imagination ne parle
pas longtemps sans tomber dans la métaphore. Or c'est ce
perpétuel mensonge de la parole, c'est le style métaphorique,
qui porte un germe de corruption. Le style naturel ne peut être
que vrai, et, quand il est faux, l'erreur est de fait, et nos
sens la corrigent tôt ou tard ; mais les erreurs dans
les figures ou dans les métaphores annoncent de la fausseté
dans l'esprit et un amour de l'exagération qui ne se corrige
guère.  
    --- RIVAROL   
%
 On appelle maniéré en littérature
ce qu'on ne peut pas lire sans l'imaginer aussitôt accompagné
de quelque gesticulation menue, de quelque pincement de bouche
ou de quelque contorsion, c'est à dire de quelque mouvement
peu franc, peu partagé par la totalité de l'homme.
Le maniéré où l'on imagine le geste est proprement
le maniéré. Quand on y imagine le pincement, c'est
le précieux, l'afféterie. Quand on y imagine la
contorsion, c'est tout à fait le ridicule.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 C'est le style qui fait la durée de l'oeuvre et
l'immortalité du poète. La belle expression embellit
la belle pensée et la conserve ; c'est tout à
la fois une parure et une armure. Le style sur l'idée,
c'est l'émail sur la dent.  
    --- Victor HUGO   
%
 Celui-là seul sait écrire qui écrit
de telle sorte qu'une fois la chose faite, on n'y peut changer
un mot.  
    --- Victor HUGO   
%
 Montaigne luttant contre l'expression disait :  -  que
le gascon y arrive si le français n'y peut aller.  -    
    --- Victor HUGO   
%
 Le style, c'est l'oubli de tous les styles.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il y eut un style de la plume d'oie, un style de la plume
sergent-major ; il y a un style du stylo, et peut-être
un style de la machine à écrire ; car aucun
de ces procédés ne manque d'arrêt ; tous
offrent l'occasion d'attendre, et à un moment où
on n'attendrait pas ; le corps humain se tord et détord,
et nous fait ressentir la houle animale, c'est-à-dire la
vraie difficulté de penser, qui n'est jamais où
on la cherche.  
    --- ALAIN   
%
 On ne peut traduire que les auteurs sans style. D'où
le succès des médiocres, ils passent facilement
dans n'importe quelle langue !  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'architecture n'a rien à voir avec les "styles".
 Les Louis XV, XVI, XIV ou le Gothique, sont à l'architecture
ce qu'est une plume sur la tête d'une femme ; c'est
parfois joli, mais pas toujours et rien de plus.  
    --- LE CORBUSIER   
%
 L'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire
qu'il est un sot, il le croit ; et, à force de se
le dire à soi-même, on se le fait croire. Car l'homme
fait lui seul une conversation intérieure, qu'il importe
de bien régler : Corrumpunt mores bonos colloquia
prava*. Il faut se tenir en silence autant qu'on peut, et ne s'entretenir
que de Dieu, qu'on sait être la vérité ;
et ainsi on se la persuade à soi-même.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Autre bel exemple d'anacoluthe : "L'homme est ainsi
fait, qu'à force de lui dire qu'il est un sot, il le croit."
(Pascal.) Il faudrait, logiquement : " qu'à force
de s'entendre dire qu'il est un sot...".  
    --- André GIDE   
%
 Il y a des maux effroyables et d'horribles malheurs où
l'on n'ose penser, et dont la seule vue fait frémir ;
s'il arrive que l'on y tombe, l'on se trouve des ressources que
l'on ne se connaissait point, l'on se roidit contre son infortune,
et l'on fait mieux qu'on ne l'espérait.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Telle est l'étroite dépendance où
la parole met la pensée, qu'il n'est pas de courtisan un
peu habile qui n'ait éprouvé qu'à force de
dire du bien d'un sot ou d'un fripon en place, on finit part en
penser.  
    --- RIVAROL   
%
 La position victorieuse. - Une bonne attitude à
cheval ravit le courage de l'adversaire, le coeur du spectateur,
- à quoi bon alors attaquer encore ? Tiens-toi comme
quelqu'un qui a vaincu.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Choses vues. Un vieil homme court derrière un tramway,
l'attrape, le lâche et roule à terre. Le conducteur
fait arrêter. Le vieil homme se relève et monte.
Le conducteur le réprimande : "Il est interdit...
La compagnie décline..." ; mais surtout un monsieur
bien, qui est sur la plate forme, lui dit : 
  -  Vous vous êtes fait mal.
  -  Non.
  -  Si, si ! Vous avez dû vous faire mal au
coude gauche, qui est sale, et au droit. Vous ne sentez rien maintenant,
mais vous sentirez. Ca vous prendra cette nuit : vous
ne pourrez pas dormir. Demain, vous aurez une courbature. Vous
ferez venir le médecin.
 Et le vieil homme, honteux, aimerait presque autant être
sous les roues du tramway.  
    --- Jules RENARD   
%
 M Leuret, le médecin des fous, est en train de
devenir fou. La contagion de la folie a ceci de remarquable que
ne se communiquant pas par le toucher comme la peste, la rage,
la vérole, etc., ne se communiquant pas par l'air respirable
comme le typhus, le choléra, la fièvre jaune etc.,
la maladie se communique évidemment par l'imagination.
Troisième agent morbide, troisième véhicule
à contagion auquel les médecins n'avaient pas pensé.
Plus on ira, plus on reconnaîtra que les maladies peuvent
naître, empirer, guérir par l'imagination. Beaucoup
de remèdes, beaucoup de systèmes médicaux
sont efficaces par cela seul que le malade y croit. En médecine
comme en autre chose, la foi sauve. Ceci n'est qu'une vue jetée
de côté sur une immense question ; j'y reviendrai.  
    --- Victor HUGO   
%
 Mon père m'a conté comment un de ses camarades
mourut du choléra par persuasion. Il avait parié
qu'il coucherait dans les draps d'un cholérique ;
il le fit, prit le choléra, et mourut presque sur l'heure.
Or ses camarades, dont mon père était, avaient bien
pris soin de purifier tout, ne conservant que des apparences.
Ces apparences suffirent à tuer le malheureux. Il se trompait
en ceci qu'il croyait que le courage guérit de la peur.
Nous n'avons directement aucune action sur ces mouvements intérieurs
du ventre, si sensibles dans les moindres peurs. Et mon exemple
est bon en ceci que le microbe visait justement là.  
    --- ALAIN   
%
 Tout le monde connaît la fameuse scène où
tous, à force de dire à Basile "Vous êtes
pâle à faire peur", finissent par lui faire croire
qu'il est malade. Cette scène me revient à l'esprit
toutes les fois que je me trouve au milieu d'une famille étroitement
unie, où chacun surveille la santé des autres. Malheur
à celui qui est un peu pâle ou un peu rouge ;
toute la famille l'interroge avec un commencement d'anxiété :
"Tu as bien dormi ?", "Qu'as-tu mangé hier ?",
"Tu travailles trop", et autres propos réconfortants. Viennent
ensuite des récits de maladies "qui n'ont pas été
prises assez tôt".
 Je plains l'homme sensible et un peu poltron qui est aimé,
choyé, couvé, soigné de cette manière-là.
Les petites misères de chaque jour, coliques, toux, éternuements,
bâillements, névralgies, seront bientôt pour
lui d'effroyables symptômes, dont il suivra le progrès,
avec l'aide de sa famille, et sous l'oeil indifférent du
médecin, qui ne va pas, vous pensez bien, s'obstiner à
rassurer tous ces gens-là au risque de passer pour un âne.  
    --- ALAIN   
%
 Il se produit sans doute quelque résistance du
même genre chez les libres penseurs, lorsqu'ils se sont
convaincus que les objets de la religion n'existent pas ;
ils nient alors les apparences, et, par exemple, les effets de
la prière, parce qu'ils sont assurés qu'aucun Dieu
n'écoute la prière. Mais il se peut bien qu'une
telle action s'explique sans aucun Dieu, par un jeu de sentiments
qui est apparence, il est vrai, et trompeuse, à l'égard
de Dieu, mais qui soit très réelle et efficace par
la structure de notre propre machine. Et c'est pourquoi je voudrais
voir, dans les programmes de leurs congrès, cette question,
fondamentale à mon avis : de la vérité
des religions.  
    --- ALAIN   
%
 Nous ne comprenons la torture ; mais cela se faisait
il y a un siècle et demi ; et la pensée suivait
l'action. C'est pourquoi c'est une très mauvaise preuve
en faveur d'une religion que de dire qu'elle a duré ;
et Pascal a trop raison lorsqu'il dit : "Pratiquez et vous
croirez." Parbleu oui je croirais, et c'est pourquoi je ne veux
pas pratiquer. Toute concession vaut preuve ; et le respect
de forme est tout de suite respect de coeur. La machine va plus
vite que le raisonnement ; j'ai été poli avec
cet homme que je ne connaissais point ; je l'aime déjà.
On peut dire : "Je l'aime déjà parce que je
suis content de lui et de moi", mais c'est une raison qui vient
ensuite ; mon premier salut a tout décidé.
Nos préjugés ne sont point des pensées, ce
sont des actions. Si je fuis une fois, j'aurai peur ; si
je salue trop bas une fois, je serai plat ; si je joue, je
serai joueur ; si je bois, je serai ivrogne. Mais non pas
sans remède. Si je me prive une fois de boire, me voilà
sobre aussi bien. Nous sommes en paix, et pacifiques. Vienne la
guerre, on s'y mettra ; non peu à peu, mais tout de
suite. Cette pensée n'accable pas ; elle est tonique
et vivifiante au contraire ; nous nous sentons responsables
de tout ce qui arrive, et porteurs de progrès. Mais ne
posons pas le fardeau par terre, non, pas même une minute.  
    --- ALAIN   
%
 Bien piètre vraiment est celui pour qui il y a
de nombreux motifs raisonnables de sortir de la vie.  
    --- EPICURE   
%
 [...] quiconque fait tord à autrui volontairement
et contre la loi  -  sans répondre à un
tort à lui causé  -  commet une injustice ;
or quand nous disons "volontairement", nous entendons qu'on agit
en connaissant la personne atteinte et les moyens employés.
Or celui qui, dans un transport de colère, s'égorge
de sa propre main, agit volontairement et contre la droite raison,
ce que n'autorise pas la loi. Il commet donc une injustice. Mais
à l'égard de qui ? Est-ce à l'égard
de la cité et non à l'égard de lui-même ?
Car, si l'on convient que c'est volontairement qu'il souffre,
nul ne subit l'injustice volontairement. Aussi la cité
elle-même le punit-elle et un certain déshonneur
s'attache à quiconque se donne la mort, puisqu'on dit qu'il
a commis une injustice contre la cité.  
    --- ARISTOTE   
%
 Tous les inconvenients ne valent pas qu'on veuille mourir
pour les eviter.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Remarquez que la science des poisons était commune
chez les anciens parce que le danger de la captivité était
continuel. Démosthènes portait la mort dans son
anneau pour en user aussitôt que la république serait
perdue.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 En août de l'an 1769, et durant les mois qui suivirent,
j'ai plus songé au suicide que jamais auparavant ;
j'ai toujours trouvé au fond de moi qu'un homme chez qui
l'instinct de survie était si affaibli qu'il pouvait le
subjuguer sans effort, pourrait se donner la mort sans que cela
soit un péché.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Le suicide n'est pas une lâcheté comme le
disent les prêcheurs qui exagèrent. Ce n'est pas
non plus un acte de courage. C'est une lutte entre deux craintes.
Il y a suicide quand la crainte de la vie l'emporte sur la crainte
de la mort.  
    --- Victor HUGO   
%
 Absorption et non-absorption de poisons. - Le seul argument
définitif qui, de tout temps, ait empêché
les hommes d'absorber un poison, ce n'est pas la crainte de la
mort qu'il pourrait occasionner, mais son mauvais goût.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La pensée du suicide est une puissante consolation ;
elle aide à passer plus d'une mauvaise nuit.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés
de déchirer leur photographie !  
    --- Jules RENARD   
%
 Un jour, à Londres, j'avais envie de me pendre.
Le jour était jaune et sulfureux. Les fumées descendaient
des toits bas dans la rue où elles roulaient. Un dimanche...
 J'ai trouvé en cherchant un cordon dans une armoire un
volume d'Aurélien Scholl. J'ai ri et fus sauvé.  
    --- Paul VALERY   
%
 Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment
sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut
ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre
à la question fondamentale de la philosophie. Le reste,
si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories,
vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d'abord répondre.  
    --- Albert CAMUS   
%
 On ne peut apporter à l'encontre du suicide que
ce type d'argument : il n'est pas naturel de mettre fin à
ses jours avant d'avoir montré jusqu'où l'on peut
aller, jusqu'où l'on peut s'accomplir. Bien que les suicidés
croient en leur précocité, ils consument un acte
avant d'avoir atteint la maturité, avant d'être mûrs
pour une destruction voulue. On comprend aisément qu'un
homme souhaite en finir avec la vie. Mais que ne choisit-il le
sommet, le moment le plus faste de sa croissance ? Les suicides
sont horribles pour ce qu'ils ne sont pas faits à temps ;
ils interrompent un destin au lieu de le couronner. L'on doit
cultiver sa fin. Pour les Anciens, le suicide était une
pédagogie ; la fin germait et fleurissait en eux.
Et lorsqu'ils s'éteignaient de bon gré, la mort
était une fin sans crépuscule.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui
ne peuvent plus l'être. Les autres, n'ayant aucune raison
de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 On ne redoute l'avenir que lorsqu'on n'est pas sûr
de pouvoir se tuer au moment voulu.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Je passe mon temps à conseiller le suicide par
écrit et à le déconseiller par la parole.
C'est que dans le premier cas il s'agit d'une issue philosophique ;
dans le second, d'un être, d'une voix, d'une plainte...  
    --- Emil CIORAN   
%
 Se débarrasser de la vie, c'est se priver du bonheur
de s'en moquer.
 Unique réponse possible à quelqu'un qui vous annonce
son intention d'en finir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'idée du suicide est l'idée la plus tonique
qui soit.  
    --- Emil CIORAN   
%
 En temps de paix, le kamikaze s'étiole. N'ayant
nul porte-avions sur lequel s'abattre, il se sent inutile à
la société. L'envie de se suicider l'étreint
et, croyez-moi, pour quelqu'un dont la raison de vivre est de
mourir, l'idée de mort est invivable. Je ne sais pas si
je suis clair, mais ça m'est égal.  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Le suicide, c'est une vengeance personnelle, et moi, personnellement,
je ne m'en veux pas.  
    --- COLUCHE   
%
 Le suicide permet d'éviter ce qu'on n'est pas capable
de supporter (c'est un antalgique souverain, et sans risque d'accoutumance) ;
c'est en quoi l'idée du suicide, pensée sereinement,
fait partie de celles qui rassurent ou qui aident à vivre
(elle constitue un anxiolytique commode et, chez l'homme sain,
sans effets secondaires).  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Presque tout ce qui va au-delà de l'adoration d'un
Etre suprème et de la soumission du coeur à
ses ordres éternels est superstition.  
    --- VOLTAIRE  
%
 Les songes ont toujours été un grand objet
de superstition ; rien n'était plus naturel. Un homme
vivement touché de la maladie de sa maîtresse songe
qu'il la voit mourante ; elle meurt le lendemain : donc
les dieux lui ont prédit sa mort.
 Un général d'armée rêve qu'il gagne
une bataille ; il la gagne en effet : les dieux l'ont
averti qu'il serait vainqueur.
 On ne tient compte que des rêves qui ont été
accomplis ; on oublie les autres.  
    --- Rêves et superstition :
  
%
 Vous pensez que Dieu oubliera votre homicide si vous vous
baignez dans un fleuve, si vous immolez une brebis noire, et si
on prononce sur vous des paroles. Un second homicide vous sera
donc pardonné au même prix, et ainsi un troisième,
et cent autres meurtres ne vous coûterons que cent brebis
noires et cent ablutions ! Faites mieux, misérables
humains : point de meurtres et point de brebis noires.  
    --- Superstition et bonne conscience   
%
 Remarquez que les temps les plus superstitieux ont toujours
été ceux des plus horribles crimes.  
    --- Superstition et bonne conscience   
%
 Et qu'est-ce donc que le sang d'un saint Janvier que vous
liquéfiez tous les ans quand vous l'approchez de sa tête ?
Ne vaudrait-il pas mieux faire gagner leur vie à dix mille
gueux, en les occupant à des travaux utiles, que de faire
bouillir le sang d'un saint pour les amuser ? Songer plutôt
à faire bouillir leur marmite.  
    --- Superstition et bonne conscience   
%
 TREIZE. - Eviter d'être treize à table, ça
porte malheur. Les esprits forts ne devront jamais manquer de
plaisanter : "Qu'est-ce que ça fait ? Je mangerai
pour deux." Ou bien, s'il y a des dames, de demander si l'une
d'elles n'est pas enceinte.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Superstition de la simultanéité.
 Ce qui est simultané a un lien commun, pense-t-on. Un
parent meurt au loin, en même temps nous rêvons de
lui, - vous voyez bien ! Mais d'innombrables parents meurent
et nous ne rêvons pas d'eux. C'est comme à propos
des naufragés qui font des voeux : on ne voit pas
plus tard dans les temples les ex-voto de ceux qui ont péri.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 [...] les marins normands, le croirait-on jamais !
attribuent à une influence lunaire le phénomène
des marées...
 J'ai essayé de combattre cette bizarre superstition, mais
rien n'y fait. D'après eux, c'est la lune qui régit
la marée. Cette croyance est, parait-il, commune à
beaucoup de gens de mer.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Le meilleur moyen de consoler un malheureux est de l'assurer
qu'une malédiction certaine pèse sur lui. Ce genre
de flatterie l'aide à mieux supporter ses épreuves,
l'idée de malédiction supposant élection,
misère de choix.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il y a chez le superstitieux cette part de bon sens qui
consiste à penser que le monde ne se limite pas à
ce que l'on en voit et que les comptes rendus les plus minutieux
de nos instruments d'investigation les plus puissants seront toujours
incomplets.  
    --- André FROSSARD   
%
 Le pape annonce qu'il n'ira pas à Lourdes parce
qu'il est malade. C'est formidable, non ? Les gens, eux,
y vont justement parce qu'ils sont malades.  
    --- COLUCHE  
%
 Un homme perdit sa hache. Il soupçonna le fils du
voisin et se mit à l'observer. Son allure était
celle d'un voleur de hache ; l'expression de son visage était
celle d'un voleur de hache. Tous ses mouvements, tout son être
exprimait distinctement le voleur de hache. Bientôt, creusant
son jardin, voici que l'homme trouve sa hache.
 Un autre jour, il revit le fils du voisin. Tous ses mouvements,
tout son être n'avaient plus rien d'un voleur de hache.  
    --- Le voleur de hache   
%
 Ah ! sans la pipe la vie serait aride, sans le cigare
elle serait incolore, sans la chique elle serait intolérable !
Les imbéciles vous disent toujours : "singulier plaisir !
tout s'en va en fumée." Comme si tout ce qu'il y a de plus
beau ne s'en allait pas en fumée ! et la gloire ?
et l'amour ? et les rêves où vont-ils, où
vont-ils, mes amis ? Dites-moi donc si les plus beaux spasmes
des adolescents, si les plus larges baisers des Italiennes, si
les plus grands coups d'épée des héros ont
laissé autre chose dans le monde que n'en a laissé
ma dernière pipe.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Le cigare donne à ceux qui sont pauvres l'illusion
de la richesse. Il en donne l'assurance à ceux qui sont
fortunés  -  et il la leur renouvelle à
chaque cigare nouveau. Il faut renouveler ses assurances.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 C'est à coup d'excitants (café, tabac) que
j'ai écrit tous mes livres. Depuis qu'il m'est impossible
d'en prendre, ma "production" est tombée à zéro.
A quoi tient l'activité de l'esprit !  
    --- Emil CIORAN   
%
 Quand un homme se passionne pour sa gloire posthume, il
n'imagine que chacun de ceux qui se souviennent de lui mourront
aussi très vite, ainsi que ceux qui leur succèdent,
jusqu'à ce que sa mémoire s'éteigne complètement,
tels des flambeaux qui, passant de l'un à l'autre, s'allument
et s'éteignent. Mais suppose que les gens qui conserveront
son souvenir soient immortels et que sa mémoire soit immortelle ;
qu'est-que cela lui fait à lui ? Je ne dis pas à
lui une fois mort, mais pour lui vivant, qu'est-ce que leur éloge ?  
    --- MARC-AURELE   
%
 Que chacun examine ses pensées, il les trouvera
toutes occupées au passé ou à l'avenir. Nous
ne pensons presque point au présent ; et, si nous
y pensons, ce n'est que pour en prendre lumière pour disposer
de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le
passé et le présent sont nos moyens ; le seul
avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons
de vivre ; et, nous disposant toujours à être
heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Il faut, bien loin de se plaindre, remercier l'auteur
de la nature, de ce qu'il nous donne cet instinct qui nous emporte
sans cesse vers l'avenir. Le trésor le plus précieux
de l'homme est cette espérance qui nous adoucit nos chagrins,
et qui nous peint des plaisirs futurs dans la possession des plaisirs
présents. Si les hommes étaient assez malheureux
pour ne s'occuper que du présent, on ne sèmerait
point, on ne bâtirait point, on ne planterait point, on
ne pourvoirait à rien ; on manquerait de tout au milieu
de cette fausse jouissance. Un esprit comme M. Pascal pouvait-il
donner dans un lieu commun aussi faux que celui-là ?
La nature a établi que chaque homme jouirait du présent
en se nourrissant, en faisant des enfants, en écoutant
des sons agréables, en occupant sa faculté de penser
et de sentir, et qu'en sortant de ces états, souvent au
milieu de ces états mêmes, il penserait au lendemain,
sans quoi il périrait de misère aujourd'hui.
 Il n'y a que les enfants et les imbéciles qui pensent
au présent ; faudra-t-il leur ressembler ?  
    --- VOLTAIRE   
%
 Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts
et les conduire chacun dans son ordre. Notre avidité le
trouble souvent en nous faisant courir à tant de choses
à la fois que, pour désirer trop les moins importantes,
on manque les plus considérables.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 La vie est courte, si elle ne mérite ce nom que
lorsqu'elle est agréable, puisque si l'on cousait ensemble
toutes les heures que l'on passe avec ce qui plaît, l'on
ferait à peine d'un grand nombre d'années une vie
de quelques mois.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du temps
qu'ils ont déjà vécu, ne les conduit pas
toujours à faire de celui qui leur reste à vivre
un meilleur usage.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Les enfants n'ont ni passé ni avenir, et ce qui
ne nous arrive guères, ils jouissent du présent.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à
se plaindre de sa brièveté ; comme ils le consument
à s'habiller, à manger, à dormir, à
de sots discours, à se résoudre sur ce qu'ils doivent
faire, et souvent à ne rien faire, ils en manquent pour
leurs affaires ou pour leurs plaisirs ; ceux au contraire
qui en font un meilleur usage, en ont de reste.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Le roi de Prusse, qui ne laisse pas d'avoir employé
son temps, dit qu'il n'y a peut-être pas d'homme qui ait
fait la moitié de ce qu'il aurait pu faire.  
    --- CHAMFORT   
%
 Il est vrai que tous les hommes renvoient leurs projet
au lendemain et s'en repentent ensuite. Je crois cependant que
l'homme le plus actif trouve autant à se repentir que le
plus paresseux, car celui qui fait le plus est aussi celui qui
voit le mieux, et le plus clairement, ce qu'il aurait encore pu
faire.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 C'était à l'époque où le temps
n'avait pas de barbe.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Les gens qui n'ont jamais le temps sont ceux qui en font
le moins.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Le temps et la vérité sont amis ; quoiqu'il
y ait beaucoup de moments contraires à la vérité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il faut du loisir pour l'agrément de la vie ;
les esprits qui ont toute leur charge ne sauraient avoir de douceur.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 L'homme ordinaire ne se préoccupe que de passer
le temps, l'homme de talent que de l'employer.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 La longueur de la journée. - Quand on a beaucoup
de choses à y mettre, la journée a cent poches.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Il faut être toujours ivre. Tout est là :
c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau
du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre,
il faut vous enivrer sans trêve.
 Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à
votre guise. Mais enivrez-vous.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Le temps perdu ne se rattrape jamais.
  -  Alors, continuons de ne rien faire.  
    --- Jules RENARD   
%
 Où est le risque d'en appeler à la postérité :
on n'y est jugé que par contumace.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Nous avons beau dire : "Mon temps... je perds mon
temps... je prends mon temps..." - ce possessif est dérisoire :
c'est toujours lui qui nous possède.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 C'est quand on se dit : "plus un jour à perdre !"
qu'on emploie le plus stupidement son temps. Rien d'excellent
ne se fait qu'à loisir.  
    --- André GIDE   
%
 Excellente est l'attitude de celui qui a bien employé
le temps qu'on lui octroie et ne s'est pas mêlé d'être
son propre juge. La durée humaine n'appartient qu'à
ceux qui pétrissent la minute, la sculptent et ne se préoccupent
pas du verdict.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Celui qui parle de l'avenir est un coquin, c'est l'actuel
qui compte. Invoquer sa postérité, c'est faire un
discours aux asticots.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 Si la semaine de 40 heures était réduite
de moitié, les fins de mois auraient lieu tous les 15 jours.  
    --- Pierre DAC   
%
 Ma mission est de tuer le temps et la sienne de me tuer
à son tour. On est tout à fait à l'aise entre
assassins.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le temps, complice des exterminateurs, fiche la morale
par terre. Qui, aujourd'hui, en veut à Nabuchodonosor ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 Contrairement à la plupart des branches de la physique,
la biologie fait du temps l'un de ses principaux paramètres.
La flèche du temps, on la trouve à travers l'ensemble
du monde vivant, qui est le produit d'une évolution dans
le temps. On la trouve aussi dans chaque organisme qui se modifie
sans cesse pendant toute sa vie. Le passé et l'avenir représentent
des directions totalement différentes.  
    --- François JACOB   
%
 Le temps n'a jamais travaillé pour personne :
il est à son propre compte, et il est clair qu'à
la longue il ne réussit à personne.  
    --- André FROSSARD   
%
 De toutes les manières d'être en retard,
la pire est celle qui consiste à se croire en avance.  
    --- André FROSSARD   
%
 Une pendule arrêtée donne l'heure exacte,
deux fois par jour.  
    --- José ARTUR   
%
 L'on ne ressent jamais plus douloureusement l'irréversibilité
du temps que dans le remords. L'irréparable n'est que l'interprétation
morale de cette irréversibilité.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Vis ton présent, et laisse ton passé pour
l'avenir.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Le con ne perd jamais son temps. Il perd celui des autres.  
    --- Frédéric DARD   
%
 Selon un préjugé dit moderne, le passage
du temps à lui seul assouplirait les moeurs et civiliserait
les rapports humains. Quelle erreur ! Le temps détériore
autant qu'il améliore. Il se moque d'apporter le progrès
ou la régression, l'honnête homme ou le pédant
pontifiant. Plus encore que le siècle des lumières,
notre siècle des ombres a donné dans ce grossier
historicisme. La libération des esprits ne suit pas plus
un cours uniforme que ne le fait la libération des moeurs.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 La flânerie est un passe-temps de pauvre ou un art
de richissime.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Mettre à la scène un personnage indigne
et raconter sa vie, ce n'est point plaider sa cause ni prendre
son parti.
 Un auteur dramatique n'est pas fatalement un moraliste. Et d'ailleurs
ses pièces peuvent être morales sans que cela soit
visible, trop visible. Pour faire triompher à tout prix
la morale, que de mensonges ont été commis au théâtre !
 Pourquoi ne reconnaît-on pas aux auteurs dramatiques les
mêmes droits qu'aux romanciers ?
 Pourquoi faut-il que nous faussions constamment la vérité ?
 Devons-nous prendre sans cesse des gants et ménager les
susceptibilités du public parce qu'il lui plaît de
feindre une candeur hypocrite ?
 J'ai fait jouer naguère une pièce dont le personnage
principal était un vilain monsieur, un très vilain
monsieur. C'était mon droit. On me l'a pourtant contesté,
et Arthur Meyer, qui était un homme bien intelligent cependant,
m'a dit : "C'est dommage que, venant d'être décoré
de la Légion d'honneur, vous donniez justement cette pièce-là !"  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Qu'entendez-vous par pièce bien construite ?
 Est-ce parce que vous en voyez la charpente, que vous la croyez
bien bâtie ?
 Que vous vantiez la construction d'un aqueduc ou de la tour Eiffel,
soit, mais que penseriez-vous d'un monsieur qui s'extasierait
sur la "construction" de la cathédrale d'Amiens ou du Petit
Trianon ?  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Un bon acteur est un monsieur qui fait croire au public
qu'il mange un poulet qu'on vient de lui servir et qui est en
carton.
 Tandis qu'un grand acteur mangera du poulet, du poulet véritable,
en faisant croire au public qu'il fait semblant de manger d'un
poulet en carton.
 Augmentant la difficulté, pour son plaisir, en somme,
il aura fait semblant de faire semblant.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Qu'est-ce que la tolérance ? C'est l'apanage
de l'humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses
et d'erreurs ; pardonnons-nous réciproquement nos
sottises, c'est la première loi de la nature.  
    --- VOLTAIRE   
%
 Nul doute que tous les hommes ne présentent pas
les mêmes dispositions pour être civilisés,
et si la majorité d'entre eux peut s'apprivoiser comme
les chiens et les moutons par prédisposition héréditaire,
ce n'est pas une raison pour que les autres voient briser leur
nature afin qu'on puisse les réduire au même niveau.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Le public fait preuve d'une tolérance étonnante.
Il pardonne tout sauf le génie.  
    --- Oscar WILDE   
%
 S'il fallait tolérer aux autres tout ce qu'on se
permet à soi-même, la vie ne serait plus tenable.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Faire des concessions ? 
 Oui, c'est un point de vue - mais sur un cimetière.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La tolérance n'est point l'indifférence,
elle n'est point de s'abstenir d'exprimer sa pensée pour
éviter de contredire autrui, elle est le scrupule moral
qui se refuse à l'usage de toute autre arme que l'expression
de la pensée.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 Le droit de supprimer tous ceux qui nous agacent devrait
figurer en première place dans la constitution de la Cité
idéale.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il existe jusqu'à une façon intolérante
de défendre la tolérance, dans les relations politiques
et culturelles modernes, comme il a existé, dans la civilisation
religieuse du passé, une manière sainte d'envoyer
des hommes au bûcher par charité chrétienne
et par amour du prochain. L'infamie que nous attachons à
tout individu d'un parti hostile au nôtre, notre besoin
de lui imputer une vilenie morale et de l'éliminer continuent,
pour la plupart d'entre nous, en pleine ère "pluraliste"
et en toute fraternité républicaine, d'aller de
soi.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 L'intolérance à l'égard des idées
est corrigée en France par la tolérance à
l'égard des personnes, le sectarisme par la camaraderie.  
    --- Jean-François REVEL   
%
 La question est une invention merveilleuse et tout à
fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible,
et sauver un coupable qui est né robuste.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La Providence nous met quelquefois à la torture
en y employant la pierre, la gravelle, la goutte, le scorbut,
la lèpre, la vérole grande ou petite, le déchirement
d'entrailles, les convulsions des nerfs, et autres exécuteurs
des vengeances de la Providence.
 Or comme les premiers despotes furent, de l'aveu de tous leurs
courtisans, des images de la Divinité, ils l'imitèrent
tant qu'ils purent.  
    --- VOLTAIRE   
%
 J'ai entendu dire une bonne chose à l'ambassadeur
turc, le 18 février 1742. Je lui disois (chez Locmaria,
où nous dînions), que je trouvois contraire aux maximes
d'un bon gouvernement que le Grand-Seigneur fît étrangler
ses bachas à sa fantaisie. "Il les fait étrangler,
dit-il, sans en dire la raison, pour ne pas révéler
ou faire connaître les défauts de son serviteur."
Que dites-vous des hommes qui dorent même la statue de la
Tyrannie ?  
    --- MONTESQUIEU   
%
 J'ai remarqué que, de dix personnes condamnées
à la question, il y en a neuf qui la souffrent. Si tant
d'innocents ont été condamnés à une
si grande peine, quelle cruauté ! Si tant de criminels
ont échappé à la mort, quelle injustice !  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Au rebours des autres siècles qui pratiquèrent
la torture négligemment, celui-ci, plus exigeant, y apporte
un souci de purisme qui fait honneur à notre cruauté.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Torture nom commun, trop commun, féminin, mais
ce n'est pas de ma faute. Du latin tortura, action de tordre.
 Bien plus que le costume trois pièces ou la pince à
vélo, c'est la pratique de la torture qui permet de distinguer
à coup sûr l'homme de la bête.
 L'homme est en effet le seul mammifère suffisamment évolué
pour penser enfoncer des tisonniers dans l'oeil d'un lieutenant
de vaisseau dans le seul but de lui faire avouer l'âge du
capitaine.  
    --- Pierre DESPROGES   
%
 Ceux qui n'ont à s'occuper ni de leurs plaisirs
ni de leurs besoins sont à plaindre.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il y a des travaux corrupteurs, mais l'oisiveté
l'est davantage.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il n'est pas d'individu plus fatalement malavisé
que celui qui consume la plus grande partie de sa vie à
la gagner.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Le travail est la meilleure des régularités
et la pire des intermittences.  
    --- Victor HUGO   
%
 Quelqu'un disait à Alexandre Dumas :  -  Vous
travaillez donc toujours ?
 Il répondit :  -  Que voulez-vous ?
je n'ai pas autre chose à faire.  
    --- Victor HUGO   
%
 Les apologistes du travail.  -  Dans la glorification
du "travail", dans les infatigables discours sur la "bénédiction
du travail", je vois la même arrière-pensée
que dans les louanges des actes impersonnels et conformes à
l'intérêt général : la crainte
de tout ce qui est individuel. On se rend maintenant très
bien compte, à l'aspect du travail  -  c'est-à-dire
de ce dur labeur du matin au soir  -  que c'est là
la meilleure police, qu'elle tient chacun en bride et qu'elle
s'entend vigoureusement à entraver le développement
de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance.
Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires,
et la soustrait à la réflexion, à la  méditation,
aux rêves, aux soucis, à l'amour et à la haine,
il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des
satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société,
où l'on travaille sans cesse durement, jouira d'une plus
grande sécurité : et c'est la sécurité
que l'on adore maintenant comme divinité suprême.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 A chaque minute nous sommes écrasés
par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux
moyens pour échapper à ce cauchemar,  -  pour
l'oublier : le Plaisir et le Travail. Le Plaisir nous use.
Le Travail nous fortifie. Choisissons.
 Plus nous nous servons d'un de ces moyens, plus l'autre nous
inspire de répugnance.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Travail immédiat, même mauvais, vaut mieux
que la rêverie.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Les pauvres croient [...] que le travail ennoblit, libère.
La noblesse d'un mineur au fond de son puits, d'un mitron dans
la boulangerie ou d'un terrassier dans une tranchée, les
frappe d'admiration, les séduit. On leur a tant répété
que l'outil est sacré qu'on a fini par les en convaincre.
Le plus beau geste de l'homme est celui qui soulève un
fardeau, agite un instrument, pensent-ils. "Moi, je travaille",
déclarent-ils, avec une fierté douloureuse et lamentable.
La qualité de bête de somme semble, à leurs
yeux, rapprocher de l'idéal humain. Il ne faudrait pas
aller leur dire que le travail n'ennoblit pas et ne libère
point ; que l'être qui s'étiquette Travailleur
restreint, par ce fait même, ses facultés et ses
aspirations d'homme ; que, pour punir les voleurs et autres
malfaiteurs et les forcer à rentrer en eux-mêmes,
on les condamne au travail, on fait d'eux des ouvriers. Ils refuseraient
de vous croire. Il y a, surtout, une conviction qui leur est chère,
c'est que le travail, tel qu'il existe, est absolument nécessaire.
On n'imagine pas une pareille sottise. La plus grande partie du
labeur actuel est complètement inutile. Par suite de l'absence
totale de solidarité dans les relations humaines, par suite
de l'application générale de la doctrine imbécile
qui prétend que la concurrence est féconde, les
nouveaux moyens d'action que des découvertes quotidiennes
placent au service de l'humanité sont dédaignés,
oubliés. La concurrence est stérile, restreint l'esprit
d'initiative au lieu de le développer ;  
    --- Georges DARIEN   
%
 Toute profession implique un préjugé. La
nécessité de faire carrière contraint tout
un chacun à choisir son camp. Nous vivons dans une époque
qui appartient aux gens surmenés et sous-éduqués :
une époque où les gens travaillent tant qu'ils deviennent
d'une bêtise absolue. Et, si cruel que puisse paraître
ce jugement, je ne peux m'empêcher de dire que de tels gens
ont le sort qu'ils méritent. La meilleure façon
de ne rien connaître de la vie, c'est d'essayer de se rendre
utile.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Au travail, le plus difficile, c'est d'allumer la petite
lampe du cerveau. Après, ça brûle tout seul.  
    --- Jules RENARD   
%
 Une seule expérience se fortifie en moi :
tout dépend du travail. On lui doit tout, et c'est le grand
régulateur de la vie.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'homme qui mange n'est pas toujours beau, l'homme qui
pleure est parfois laid, l'homme qui aime est souvent grotesque,
l'homme qui meurt est d'ordinaire affreux, mais l'homme qui travaille
n'est jamais ridicule.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La vérité, c'est que, dès que le
besoin d'y subvenir ne nous oblige plus, nous ne savons que faire
de notre vie, et que nous la gâchons au hasard.  
    --- André GIDE   
%
 La première condition du bonheur est que l'homme
puisse trouver joie au travail. Il n'y a vraie joie dans le repos,
le loisir, que si le travail joyeux le précède.
 Le travail le plus pénible peut-être accompagné
de joie dès que le travailleur sait pouvoir goûter
le fruit de sa peine. La malédiction commence avec l'exploitation
de ce travail par un autrui mystérieux qui ne connaît
du travailleur que son "rendement".  
    --- André GIDE   
%
 Il est évident qu'on travaille d'abord pour bien
faire, pour être content de soi, autant qu'on peut l'être,
pour toucher à peu près au but, et aussi pour plaire,
pour obtenir les suffrages de ceux qu'on aime, pour savoir qu'on
ne s'est pas trompé... Mais on travaille encore pour réussir,
pour s'enrichir - et, cela, c'est pour la femme. Si l'on a à
côté de soi une femme qu'on déteste, on se
venge en ne réussissant pas.   
    --- Sacha GUITRY   
%
 L'Homme est un être de désir. Le travail
ne peut qu'assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés
qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant
au premier. Ceux-là ne travaillent jamais.  
    --- Henri LABORIT   
%
 Je n'ai jamais très bien compris pourquoi une semaine
de grève s'appelle une "semaine d'action".  
    --- André FROSSARD   
%
 Les hommes travaillent généralement trop
pour pouvoir encore rester eux-mêmes. Le travail :
une malédiction que l'homme a transformée en volupté.
OEuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer
de la joie d'un effort qui ne mène qu'à des accomplissements
sans valeur, estimer qu'on ne peut se réaliser autrement
que par le labeur incessant  -  voilà une chose
révoltante et incompréhensible. Le travail permanent
et soutenu abrutit, banalise et rend impersonnel. Le centre d'intérêt
de l'individu se déplace de son milieu subjectif vers une
fade objectivité ; l'homme se désintéresse
alors de son propre destin, de son évolution intérieure,
pour s'attacher à n'importe quoi : l'oeuvre véritable,
qui devrait être une activité de permanente transfiguration,
est devenue un moyen d'extériorisation qui lui fait quitter
l'intime de son être. Il est significatif que le travail
en soit venu à désigner une activité purement
extérieure : aussi l'homme ne s'y réalise-t-il
pas  -  il réalise.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Si je travaille autant c'est parce que j'éprouve
plus de plaisir à terminer une tâche qu'à
m'en débarrasser, parce que je suis très paresseux
et qu'il me faudrait déployer davantage d'efforts pour
refuser certaines collaborations que pour les assurer.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Ah ! la volupté d'abattre du travail comme
on abat des arbres, de s'attaquer à une montagne de papier
comme on escalade le mont Blanc pour donner, peu à peu,
au bureau  -  par traitement ou par élimination
 -  l'aspect du Sahara.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Faut-il que ce qui fait le plus d'honneur à l'esprit
humain soit souvent ce qui est le moins utile ? Un homme
avec les quatre règles d'arithmétique et du bon
sens devient un grand négociant, un Jacques Coeur, un Delmet,
un Bernard, tandis qu'un pauvre algébriste passe sa vie
à chercher dans les nombres des rapports et des propriétés
étonnantes, mais sans usage, et qui ne lui apprendront
pas ce que c'est que le change. Tous les arts sont à peu
près dans ce cas ; i1 y a un point passé lequel
les recherches ne sont plus que pour la curiosité :
ces vérités ingénieuses et inutiles ressemblent
à des étoiles qui, placées trop loin de nous,
ne nous donnent point de clarté.   
    --- VOLTAIRE   
%
      Que dites-vous ?... C'est
inutile ?... Je le sais !
      Mais on ne se bat pas dans l'espoir
du succès !
      Non ! non, c'est bien plus beau
lorsque c'est inutile !  
    --- Edmond ROSTAND   
%
 L'utilité ou l'inutilité essentielles de
nos pensées sont le seul principe constant de leur gloire
ou de leur oubli.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il y a maintenant une doctrine de la morale, foncièrement
erronée, doctrine surtout très fêtée
en Angleterre : d'après elle les jugements "bien"
et "mal" traduisent l'accumulation des expériences sur
ce qui est "utile" et "inutile" ; d'après elle ce
qui est appelé bien conserve l'espèce, ce qui est
appelé mal est nuisible à l'espèce. Mais
en réalité les mauvais instincts sont utiles, conservateurs
de l'espèce et indispensables au même titre que les
bons :  -  si ce n'est que leur fonction est différente.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Je n'ai rien fait de passable en ce monde qui ne m'ait
d'abord paru inutile, inutile jusqu'au ridicule, inutile jusqu'au
dégoût. Le démon de mon coeur s'appelle  -  A
quoi bon ?  
    --- Georges BERNANOS   
%
 A lire Valéry on acquiert cette sagesse
de se sentir un peu plus sot qu'avant.  
    --- André GIDE   
%
 Faut-il que des gens soient bêtes pour me trouver
intelligent !  
    --- Paul VALERY   
%
 "Colosse de la pensée pour album", dit Julien Gracq
sur Valéry.
 Ce mot si vache est assez juste hélas ! Quand on
pense à la quantité d'écrivains que Valéry
a méprisés.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Si j'ai attaqué Valéry, c'est que son influence
est stérilisante, émasculante même spirituellement,
et littérairement non moins. Ce fut un malheur pour moi
de l'avoir pris comme modèle au moment où je me
suis mis à écrire en français. Cette prose
dévitalisée m'avait bêtement séduit,
de même que cette apparence de rigueur, apparence seulement,
car, au fond, c'est de la prétention d'un bout à
l'autre. C'est un esprit constipé, subtil et pinailleur,
qui pouvait aisément tromper le barbare décadent
que j'étais.  
    --- Emil CIORAN   
%
 La vanité est si ancrée dans le coeur de
l'homme, qu'un soldat, un goujat, un cuisinier, un crocheteur
se vante et veut avoir des admirateurs ; et les philosophes
mêmes en veulent ; et ceux qui écrivent contre
veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit ; et ceux
qui les lisent veulent avoir la gloire de les avoir lus ;
et moi, qui écris ceci, ai peut-être cette envie ;
et peut-être que ceux qui le liront ...  
    --- Blaise PASCAL   
%
 Qui peut, avec les plus rares talents et le plus excellent
mérite, n'être pas convaincu de son inutilité,
quand il considère qu'il laisse en mourant un monde qui
ne se sent pas de sa perte, et où tant de gens se trouvent
pour le remplacer ?  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La vue d'un homme puissant nous pénètre
de respect et de crainte. Il faut que nous soyons bien pervers !  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Le philosophe, qui fait tout par vanité, a-t-il
droit de mépriser le courtisan, qui fait tout pour l'intérêt ?
Il me semble que l'un emporte les louis d'or et que l'autre se
retire content, après en avoir entendu le bruit. D'Alembert,
courtisan de Voltaire par un intérêt de vanité,
est-il bien au-dessus de tel ou tel courtisan de Louis XIV, qui
voulait une pension ou un gouvernement ?  
    --- CHAMFORT   
%
 Le Français ne désire pas assez profondément
d'aller à son but pour que la passion l'empêche de
faire attention à toutes les jouissances ou à tous
les désappointements de vanité qu'il rencontre dans
son chemin. L'homme qui va à un rendez-vous, ou qui va
voir si le décret qui le nomme à une place importante
est signé, a assez d'attention de reste pour être
jaloux d'un cabriolet à la mode.  
    --- STENDHAL   
%
 Elevons un peu notre pensée. Qu'est-ce que
le désir de la gloire chez les hommes, à bord de
cette terre qui vogue dans l'espace infini où elle naufragera
un jour ? Il me semble voir à bord d'un gros vaisseau
destiné au naufrage, ou plutôt dont le naufrage est
continuel et déjà commencé, de nombreux passagers
desquels pas un n'arrivera, et dont les premiers morts ont un
désir insensé d'occuper la mémoire des survivants,
de ceux qui vont bientôt disparaître et s'abîmer
à leur tour. Il est vrai qu'à le voir de près,
le vaisseau est immense, que les passagers d'un pont ne connaissent
pas ceux d'un autre pont, et que la poupe ignore la proue ;
cela fait l'illusion d'un monde. Il est vrai encore qu'en même
temps qu'on meurt en un coin du vaisseau, on danse, on se marie,
on fête les naissances tout à côté,
et que l'équipage se reproduit et ne diminue pas. Mais,
qu'importe ? il n'est pas moins voué tout entier à
un seul et même terme. Nul ne sortira de cette masse flottante
pour aller porter son nom ni celui de ses semblables sur les rivages
inconnus, sur les continents et les îles sans nombre qui
étoilent le merveilleux azur. Tout se passe entre soi et
à huis-clos. Est-ce la peine ?  -  J'ai fait
la paraphrase, mais Pascal a rendu d'un mot cette pensée :
"Combien de royaumes nous ignorent !"  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Tout à l'heure un enfant déguenillé
passait rue de La Tour-d'Auvergne avec un affreux caniche. L'enfant
siffla le chien et l'appela : Hé ! Guizot !
 Le chien accourut.
 Puis l'enfant continua sa marche en chantant : Guizot, Gui,
gui, gui, gui, zo, zo.
 Faites-vous donc un grand nom pour que les gamins le jettent
aux chiens !  
    --- Victor HUGO   
%
 Ton savoir n'est rien, si tu ne sais pas que les autres
le savent.  
    --- Arthur SCHOPENHAUER   
%
 Rechercher l'honneur veut dire : "Se rendre supérieur
et désirer que cela paraisse aussi publiquement." La première
chose manque-t-elle et la seconde est-elle néanmoins désirée,
on parle de vanité. La seconde manque-t-elle sans qu'elle
soit regrettée, on parle d'orgueil.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Primitivement l'individu fort traite, non seulement la
nature, mais encore la société et les individus
faibles comme des objets de proie : il les exploite tant
qu'il peut, puis continue son chemin. Parce qu'il vit dans une
grande incertitude, alternant entre la faim et l'abondance, il
tue plus de bêtes qu'il ne peut en consommer, pille et maltraite
plus d'hommes qu'il ne serait nécessaire. Sa manifestation
de puissance est en même temps une expression de vengeance
contre son état de misère et de crainte ; il
veut, en outre, passer pour plus puissant qu'il n'est, voilà
pourquoi il abuse des occasions : le surcroît de crainte
qu'il engendre est pour lui un surcroît de puissance. Il
remarque à temps que ce n'est pas ce qu'il est, mais ce
pour quoi il passe qui le soutient ou l'abat : voilà
l'origine de la vanité.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Vers la lumière. - Les hommes se pressent vers
la lumière, non pour mieux voir, mais pour mieux briller.
- On considère volontiers comme une lumière celui
devant qui l'on brille.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Contre la vanité
 
 Ne t'enfle pas, autrement
 La moindre piqûre te fera crever.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 DECORATION de la Légion d'honneur. - La
blaguer mais la convoiter. Quand on l'obtient, toujours dire qu'on
ne l'a pas demandée.  
    --- Gustave FLAUBERT   
%
 Oui, je porte ma décoration. Il faut avoir le courage
de ses faiblesses.  
    --- Jules RENARD   
%
 L'espèce de petite piquante décharge au
cerveau que nous donne la vue de notre nom imprimé dans
un journal.  
    --- Jules RENARD   
%
 La vanité est le sel de la vie.  
    --- Jules RENARD   
%
 Un jour à Sainte-Hélène, un triste
jour dont nul soleil ne dévorait plus les brumes, quelqu'un
fit cette remarque ingénieuse, qu'il n'y a pas de fumée
sans feu.
  -  Il y a, dit l'Empereur, la gloire.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Il y a dans l'homme un traître qui se nomme vanité,
qui livre les secrets contre de l'encens.  
    --- Paul VALERY   
%
 C'est presque toujours par vanité qu'on montre
ses limites - en cherchant à les dépasser...  
    --- André GIDE   
%
 Etre grand ne lui suffit pas ; il ne se plaît
que supérieur.  
    --- André GIDE   
%
 L'ignorance de l'homme n'est pas seulement utile, elle
est également belle alors que son prétendu savoir
se révèle souvent pire qu'inutile et, accessoirement,
fort laid. A qui vaut-il mieux avoir affaire ? A
l'homme qui ne sait rien sur un sujet mais qui, chose extrêmement
rare, est conscient de son ignorance, ou bien à celui qui
sait quelque chose dans ce domaine mais qui croit tout savoir ?
  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Il n'y a pas que le pédantisme des savants. Il
y a aussi celui des ignorants, chez les gens sans instruction,
qui n'ont lu que deux ou trois livres d'école communale,
et qui ne ratent pas une occasion de s'en souvenir, au sujet de
n'importe quoi.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Toulet avait le chic, lui, pour les généalogies.
Je me rappelle qu'un jour, au café, un type, qui prétendait
remonter aux Croisades, énumérait, pour nous épater,
tous ses ancêtres. Quand il eut fini, Toulet lui dit, avec
cet air qu'il avait : "Mais vous en oubliez un ? Et
le comte Charles Henri, qui a été condamné
en 1852, pour faux et usage de faux ?" Le type ne savait
plus ou se mettre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il semble aussi qu'on mette une certaine vanité,
à maladie égale, à être plus malade
que le voisin. "Si vous aviez ce que j'ai !...". Comme les
gens qui vous disent que leur chien n'a pas son pareil, que leur
vin est d'un cru unique, que leur voiture a une carrosserie comme
on n'en fait plus, que le médecin qui les a soignés
est un de plus grands médecins de Paris, etc., etc.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Insolence de certains croyants qui disent : Mon Dieu !
Mein Gott !... Dio mio !... comme on dit : Mon
chapeau, mon café au lait.
  -  Et quoi de plus sincère que ce Mon ?
Entre un Dieu et un Moi, il n'y a place pour personne...  
    --- Paul VALERY   
%
 La plupart des hommes choisissent des compagnes qui sont
au-dessus de leur physique et des carrières qui sont au-dessus
de leurs moyens. Et il est étonnant de penser que chaque
fois qu'un homme épouse une femme, il s'imagine qu'il épouse
sa femme. Ils disent : "Le jour où j'ai épousé
ma femme..." Ils disent même : "Le jour où je
me suis séparé de ma femme..." Ils ressemblent à
ces gens qui déclarent : "Mon train part à
17 h 12", et qui continuent à l'appeler leur
train, même quand ils l'ont manqué.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 La vanité n'est pas toujours un défaut.
Elle peut être une force. On voit des écrivains sans
grand talent fournir une assez jolie carrière poussés
par la confiance en soi, portés uniquement par la certitude
des mérites qu'ils se figurent avoir. Ils arrivent à
communiquer aux autres l'illusion qu'ils ont d'eux-mêmes.
C'est même un spectacle fort amusant : dupes des deux
côtés.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire.
Etre de quelque chose, ça pose un homme, comme être
de garenne, ça pose un lapin.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Il arrive qu'à se placer haut pour mieux juger
l'ensemble, on paraisse simplement vouloir prendre une place en
vue.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Rien de plus triste que le journal de Jules Renard, rien
ne démontre mieux l'horreur des Lettres. Il a dû
se dire : "Chacun est bas, petit, arriviste. Personne n'ose
l'avouer ; je l'avouerai et je serai unique." Il en résulte
chez le lecteur propre, et qui goûtait Renard, une gêne
insurmontable.
 On quitte ce bréviaire de l'homme de lettres, de l'arriviste
intègre, avec la certitude que les grenouilles ont trouvé
un roi. (Par grenouilles j'entends ce qui s'attrape avec un bout
de ruban rouge.)  
    --- Jean COCTEAU   
%
 A cette époque ingrate j'aimerais écrire
un livre de gratitudes. Entre autres avances de Gide, celle qu'il
m'a faite en réformant mon écriture. Je m'étais,
par stupidité d'extrême jeunesse, fabriqué
une écriture. Cette fausse écriture, révélatrice
pour un graphologue, me faussait jusqu'à l'âme. Je
bouclais d'une petite boucle la grande boucle de mes j majuscules.
Un jour qu'il sortait de chez moi, Gide, à la porte, me
dit en surmontant une gêne : "Je vous conseille de
simplifier vos j."  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Quand je vois tout les artistes qui faisaient profession
de mépriser le monde parce qu'ils n'y étaient pas
encore reçus, tomber dans le snobisme après la quarantaine,
je me félicite d'avoir eu la chance d'aller dans le monde
à seize ans et d'en avoir eu par-dessus la tête à
vingt-cinq.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 C'est le fait d'un vaniteux que de grossir ses malheurs.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Est ennuyeux quiconque n'a pas de vanité, quiconque
ne veut faire aucune impression. Le vaniteux peut être exaspérant,
mais non ennuyeux. Que faire avec quelqu'un qui ne vise à
aucune sorte d'effet ? Que lui dire ? Et qu'attendre
de lui ?  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le désir de paraître intelligent augmente
les capacités d'une intelligence. Toute vanité stimule.
Ceux qui en sont dépourvus demeurent en deçà
d'eux-mêmes, laissent inexploitée une partie de leurs
dons.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Le jour où les esturgeons apprendront le prix du
caviar, ils deviendront prétentieux.  
    --- José ARTUR   
%
 Michel Serres qu'un parcours exemplaire dans la marine,
dans la philosophie puis à l'Académie française
n'a pas privé de son humour me raconte qu'après
l'attribution du Nobel à Jacques Monod, les chercheurs
de l'Institut Pasteur l'avaient baptisé "Monoprix".  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Je connais des vaniteux qui passent tellement de temps
à dire du bien d'eux qu'ils n'ont même pas le loisir
de dire du mal des autres.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 J'aime tellement ceux qui m'aiment que je finis par oublier
leur manque de goût.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Si comme la verité, le mensonge n'avoit qu'un visage,
nous serions en meilleurs termes. Car nous prendrions pour certain
l'opposé de ce que diroit le menteur. Mais le revers de
la verité a cent mille figures et un champ indefiny.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 ... chaque degré de bonne fortune qui nous élève
dans le monde nous éloigne davantage de la vérité,
parce qu'on appréhende plus de blesser ceux dont l'affection
est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince sera la
fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien. Je ne m'en
étonne pas : dire la vérité est utile
à celui à qui on la dit, mais désavantageux
à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr. Or
ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts
que celui du prince qu'ils servent ; et ainsi, ils n'ont
garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.
 Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les
plus grandes fortunes ; mais les moindres n'en sont pas exemptes,
parce qu'il y a toujours quelque intérêt à
se faire aimer des hommes. Ainsi, la vie humaine n'est qu'une
illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper
et s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence
comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les
hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie ;
et peu d'amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que
son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors
sincèrement et sans passion.
 L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie,
et en soi-même et à l'égard des autres. Il
ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite
de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées
de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son
coeur.  
    --- Blaise PASCAL   
%
 L'illusion est dans les sensations. L'erreur est dans
les jugements. On peut à la fois connaître la vérité
et jouir de l'illusion.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 En toutes choses les sots restent en deçà
et les fols vont au delà de la vérité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Toute vérité n'est pas bonne à dire.
Car étant dite seule et isolée elle peut conduire
à l'erreur et à de fausses conséquences.
Mais toutes les vérités seraient bonnes à
dire si on les disait ensemble et si on avait une égale
facilité de les persuader toutes à la fois.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Condillac ! une vérité vague vaut mieux
qu'une erreur fixe.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Si je me trompe, c'est au moins par de bonnes raisons.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 En morale, en littérature, les erreurs d'optique
sont produites par l'irréflexion.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Ceux qui ne se rétractent jamais s'aiment plus
que la vérité.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 L'erreur agite, la vérité repose.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il est presque impossible de porter le flambeau de la
vérité parmi la foule sans roussir une barbe.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Les hommes, en général, n'aiment pas la
vérité, et les littérateurs moins que les
autres. En revanche, ils aiment fort la satire, ce qui est bien
différent : mais la vérité, c'est-à-dire
cet ensemble non arrangé de qualités et de défauts,
de vertus et de vices, qui constituent une personne humaine, ils
ont toute la peine du monde à s'en accommoder. Ils veulent
leur homme, leur héros tout d'une pièce, tout un :
ange ou démon ! c'est leur gâter leur idée
que de venir leur montrer dans un miroir fidèle le visage
d'un mort avec son front, son teint et ses verrues.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Il ne faut pas dire toute la vérité, mais
il ne faut dire que la vérité.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je sais que, ayant résolu de dire la vérité,
je dirai peu de chose.  
    --- Jules RENARD   
%
 Il n'est pas possible de dire la vérité,
mais on peut faire des mensonges transparents : c'est à
vous de voir au travers.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ce n'est pas le moindre charme de la vérité,
qu'elle scandalise.  
    --- Jules RENARD   
%
 Dès qu'une vérité dépasse
cinq lignes, c'est du roman.  
    --- Jules RENARD   
%
 Une des erreurs de logique les plus ordinaires est celle-ci :
quelqu'un est envers nous véridique et sincère,
donc il dit la vérité. C'est ainsi que l'enfant
croit aux jugements de ses parents, le chrétien aux affirmations
du fondateur de l'Eglise.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 La vérité ne tolère pas d'autres
dieux. - La foi en la vérité commence avec le doute
au sujet de toutes les "vérités" en quoi l'on a
cru jusqu'à présent.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 C'est tout bonnement un préjugé moral de
croire que la vérité a plus de valeur que l'apparence,
c'est même l'hypothèse la plus mal fondée
qui soit au monde. Qu'on en fasse une bonne fois l'aveu :
il n'y a de vie possible qu'à la faveur d'estimations et
d'apparences inhérentes à sa perspective, et si
l'on voulait, comme ces philosophes aussi balourds que pleins
d'un vertueux enthousiasme, supprimer complètement le "monde
des apparences", eh bien ! à supposer que vous le
puissiez, il ne resterait rien non plus de votre "vérité".
Qu'est-ce qui nous force, en effet, à supposer qu'il y
ait une opposition radicale entre le "vrai" et le "faux" ?
Ne suffit-il pas d'admettre qu'il y a dans l'apparence des degrés,
pour ainsi dire des ombres et des harmonies d'ensemble, plus claires
ou plus foncées, différentes valeurs, pour parler
le langage des peintres ?  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 C'est lorsqu'il parle en son nom que l'homme est le moins
lui-même. Donnez-lui un masque et il vous dira la vérité.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Toutes les vérités ne sont pas bonnes à
dire. Il y en a d'autres, en plus grand nombre, qui ne sont pas
meilleurs à entendre.  
    --- Léon BLOY   
%
 Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas
est inutilisable.  
    --- Paul VALERY   
%
 D'après quoi voulez-vous que l'on écrive
l'histoire ? sinon d'après des documents qui, s'ils
sont faux, fausseront à leur tour toute la machine et les
déductions, conclusions, etc., qui dépendront de
cela. La vérité (historique) ne s'impose jamais
d'elle-même. Elle est au contraire désavantagée
par ceci que les âmes "croyantes" s'imaginent qu'elle finira
toujours par triompher et parce qu'elles se reposent là-dessus ;
cependant que les faussaires travaillent à faire triompher
le mensonge. C'est peut-être ce qui explique un peu que
le mensonge ait partout la partie si belle et triomphe si communément.
C'est aussi parce que le mensonge est avantageux, flatteur, plaisant
(tout au moins pour le plus grand nombre), tandis que la vérité
gêne et blesse toujours quelques-uns par quelques côtés.
Elle a du mal à se faire entendre parce qu'elle fait mal
à entendre. Son bienfait n'est connaissable, ou reconnaissable,
qu'après.  
    --- André GIDE   
%
 C'est souvent lorsqu'elle est le plus désagréable
à entendre qu'une vérité est le plus utile
à dire, et lorsqu'elle risque de rencontrer l'opposition
la plus vive. Mais il y a souvent péril à ne point
souffler dans le sens du vent.  
    --- André GIDE   
%
 Ce qui, probablement, fausse tout dans la vie, c'est qu'on
est convaincu qu'on dit la vérité parce qu'on dit
ce qu'on pense.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 ... la vérité qui est bonne à entendre
n'est jamais bonne à dire pour cette raison qu'on n'est
jamais sûr de la connaître.  
    --- Sacha GUITRY /L'Esprit /   
%
 La vérité est trop nue ; elle n'excite
pas les hommes.  
    --- Jean COCTEAU   
%
 Les plus irréparables sottises sont celles que
l'on commet au nom des principes. Les plus dangereuses erreurs,
celles où la proportion de vérité reste assez
forte pour qu'elles trouvent un chemin jusqu'au coeur de l'homme.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 Qui croit en la vérité est naïf ;
qui n'y croit pas est stupide. La seule bonne route passe sur
le fil du rasoir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Nous n'avons le choix qu'entre des vérités
irrespirables et des supercheries salutaires. Les vérités
qui ne permettent pas de vivre méritent seules le nom de
vérités. Supérieures aux exigences du vivant,
elles ne condescendent pas à être nos complices.
Ce sont des vérités "inhumaines", des vérités
de vertige, et que l'on rejette parce que nul ne peut se passer
d'appuis déguisés en slogans ou en dieux.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On vit dans le faux aussi longtemps qu'on n'a pas souffert.
Mais quand on commence à souffrir, on n'entre dans le vrai
que pour regretter le faux.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Une fausse erreur n'est pas forcément une vérité
vraie.  
    --- Pierre DAC   
%
 Il y a belle lurette que les scientifiques ont renoncé
à l'idée d'une vérité ultime et intangible,
image exacte d'une "réalité" qui attendrait au coin
de la rue d'être dévoilée. Ils savent maintenant
devoir se contenter du partiel et du provisoire. Une telle démarche
procède souvent à l'encontre de la pente naturelle
à l'esprit humain qui réclame unité et cohérence
dans sa représentation du monde sous ses aspects les plus
divers.  
    --- François JACOB   
%
 Un bon lieu commun est toujours plus humain qu'une découverte
nouvelle. Il n'est pas une seule pensée importante dont
la bêtise ne sache aussitôt faire usage, elle peut
se mouvoir dans toutes les directions et prendre tous les costumes
de la vérité. La vérité, elle, n'a
jamais qu'un seul vêtement, un seul chemin : elle est
toujours handicapée.  
    --- Robert MUSIL   
%
 Il n'y a que le vrai qui ne soit pas vraisemblable, il
n'y a que le romanesque artificiel qui soit en tous points convaincant.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 L'erreur, comme le rire, est le propre de l'homme. Mais
infiniment plus créatrice.  
    --- Roland TOPOR   
%
 Chacun sa vérité, dit-on. Chaque classe,
chaque profession, chaque communauté, chaque province,
chaque âge présente la sienne, pour ne pas parler
des mouvements politiques. Ces images sont contradictoires ?
Oui. Nous voulons le progrès, mais pas les conséquences
du progrès. Nous voulons plus d'égalité,
mais sans toucher aux hiérarchies profondes et subtiles
qui nous relient. Nous sommes contre les privilèges, ceux
des autres. Au fond, nous sommes injustes avec notre siècle.
Il est à notre image qui est double, joignant le meilleur
au pire. Ce n'est pas la vérité qui est diverse,
trompeuse. Seulement la façon de regarder la vérité.  
    --- Jean-François DENIAU   
%
 La vérité est une. Le mensonge est multiple.
La partie n'est pas égale.  
    --- Jean-François DENIAU   
%
 Les rois et les reines qui ne portent leurs vêtements
qu'une fois, bien qu'ils soient faits par un tailleur ou une couturière
à la mesure de leurs majestés, ne connaissent pas
le plaisir de porter un vêtement qui leur va. Ils ne sont
que des porte-manteaux de bois sur lesquels on pend les vêtements
propres. Chaque jour, nos vêtements épousent plus
exactement notre personnalité, recevant la marque du caractère
de celui qui les porte, si bien que nous hésitons à
les laisser de côté, retardant le moment de le faire,
leur administrant des soins médicaux et entourant leur
départ de quelque solennité, comme nous le faisons
pour notre corps. Nul homme n'a jamais baissé dans mon
estime parce qu'il avait un habit rapiécé ;
cependant je suis sûr que la plupart des gens désirent
bien plus avoir des vêtements à la mode, ou du moins
propres et sans raccommodages, que d'avoir la conscience nette.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Armure n. Sorte d'habit porté par un homme dont
le tailleur est un forgeron.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 J'ai connu dans le temps, quand j'étais jeune,
un jeune Chinois à qui je donnais quelques leçons
de français. C'était un garçon fort élégant,
depuis peu à Paris, et qui habitait place de la Madeleine.
Comme je m'étonnais un jour de le voir toujours habillé
à l'européenne, sa natte soigneusement cachée
sous son vêtement, et lui demandais pourquoi il délaissait
ainsi son costume national, il m'en donna la raison. "J'étais
trop remarqué, me dit-il. Le soir, quand je me promenais
sur le boulevard, toutes les femmes me tiraient la queue."  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Pendant qu'il parlait prudent et préliminaire,
j'essayais de me représenter tout ce qu'il exécutait
chaque jour ce curé pour gagner ses calories, des tas de
grimaces et des promesses encore, dans le genre des miennes...
Et puis je me l'imaginais pour m'amuser, tout nu devant son autel...
C'est ainsi qu'il faut s'habituer à transposer dès
le premier abord les hommes qui viennent vous rendre visite, on
les comprend bien plus vite après ça, on discerne
tout de suite dans n'importe quel personnage sa réalité
d'énorme et d'avide asticot. C'est un bon truc d'imagination.
Son sale prestige se dissipe, s'évapore. Tout nu, il ne
reste plus devant vous en somme qu'une pauvre besace prétentieuse
et vantarde qui s'évertue à bafouiller futilement
dans un genre ou dans un autre. Rien ne résiste à
cette épreuve. On s'y retrouve instantanément. Il
ne reste plus que les idées, et les idées ne font
jamais peur. Avec elles, rien n'est perdu, tout s'arrange. Tandis
que c'est parfois difficile à supporter le prestige d'un
homme habillé. Il garde des sales odeurs et des mystères
plein ses habits.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE  
%
 Quant aux vertus, nous les acquérons d'abord par
l'exercice, comme il arrive également dans les arts et
les métiers. Ce que nous devons exécuter après
une étude préalable, nous l'apprenons par la pratique ;
par exemple, c'est en bâtissant que l'on devient architecte,
en jouant de la cithare que l'on devient citharède. De
même, c'est à force de pratiquer la justice, la tempérance
et le courage que nous devenons justes, tempérants et courageux.  
    --- L'habitude, cause essentielle de  
%
 Qu'est-ce que vertu ? Bienfaisance envers le prochain.
 [...]
 Mais quoi ! n'admettra-t-on de vertus que celles qui sont
utiles au prochain ? Eh ! comment puis-je en admettre
d'autres ? Nous vivons en société ; il
n'y a donc de véritablement bon pour nous que ce qui fait
le bien de la société.  
    --- Conception sociale du vice   
%
 Quelques théologiens disent que le divin empereur
Antonin n'était pas vertueux ; que c'était
un stoïcien entêté, qui, non content de commander
aux hommes, voulait encore être estimé d'eux ;
qu'il rapportait à lui-même le bien qu'il faisait
au genre humain ; qu'il fut toute sa vie juste, laborieux,
bienfaisant, par vanité, et qu'il ne fit que tromper les
hommes par ses vertus ; je m'écrie alors : "Mon
Dieu, donnez-nous souvent de pareils fripons !"  
    --- Conception sociale du vice   
%
 La fortune fait paraître nos vertus et nos vices,
comme la lumière fait paraître les objets.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à
la vertu.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 L'intérêt que l'on accuse de tous nos crimes
mérite souvent d'être loué de nos bonnes actions.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 On a fait une vertu de la modération pour borner
l'ambition des grands hommes, et pour consoler les gens médiocres
de leur peu de fortune, et de leur peu de mérite.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Les scrupules et la grandeur ont été de
tout temps incompatibles, et ces maximes faibles d'une prudence
ordinaire sont plus propres à débiter à l'école
du peuple qu'à celle des grands seigneurs. Le crime d'usurper
une couronne est si illustre qu'il peut passer pour une vertu ;
chaque condition des hommes a sa réputation particulière :
l'on doit estimer les petits par la modération, et les
grands par l'ambition et par le courage. Un misérable pirate
qui s'amusait à prendre de petites barques du temps d'Alexandre
passa pour un infâme voleur, et ce grand conquérant
qui ravissait les royaumes entiers est encore honoré comme
un héros ;  
    --- Cardinal de RETZ   
%
 S'il est ordinaire d'être vivement touché
des choses rares, pourquoi le sommes-nous si peu de la vertu.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 La grande règle est de chercher à plaire
autant qu'on le peut faire sans intéresser sa probité :
car il est de l'utilité publique que les hommes aient du
crédit et de l'ascendant sur l'esprit les uns des autres :
chose à laquelle on ne parviendra jamais par une humeur
austère et farouche. Et telle est la disposition des choses
et des esprits dans une nation polie qu'un homme, quelque vertueux
qu'il fût, s'il n'avoit dans l'esprit que de la rudesse,
seroit presque incapable de tout bien et ne pourroit qu'en très
peu d'occasions mettre sa vertu en pratique.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 On parle beaucoup de l'expérience de la vieillesse.
La vieillesse nous ôte les sottises et les vices de la jeunesse ;
mais elle ne nous donne rien.  
    --- MONTESQUIEU   
%
 Pourquoi les femmes vertueuses ont-elles toujours moins
d'esprit que celles qui ne le sont pas ?  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Les philosophes reconnaissent quatre vertus principales
dont ils font dériver toutes les autres. Ces vertus sont
la justice, la tempérance, la force et la prudence. On
peut dire que cette dernière renferme les deux premières,
la justice et la tempérance, et qu'elle supplée,
en quelque sorte, à la force, en sauvant à l'homme
qui en a le malheur d'en manquer, une grande partie des occasions
où elle est nécessaire.  
    --- CHAMFORT   
%
 Avoir de la vertu, c'est savoir bien faire sans que l'inclination
nous y porte et s'abstenir de faire mal quoique la passion nous
y pousse.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le succès sanctifie les intentions. - Il ne faut
point craindre de suivre le chemin qui mène à une
vertu, lors même que l'on s'apercevrait que l'égoïsme
seul, - par conséquent l'utilité et le bien-être
personnels, la crainte, les considérations de santé,
de réputation et de gloire, sont les motifs qui y poussent.
On dit que ces motifs sont vils et intéressés :
mais s'ils nous incitent à une vertu, par exemple le renoncement,
la fidélité au devoir, l'ordre, l'économie,
la mesure et la modération, il faut les écouter,
quelle que soit la façon dont on les qualifie. Car, lorsque
l'on a atteint ce à quoi ils tendent, la vertu atteinte
ennoblit à tout jamais les motifs lointains de nos actes
grâce à l'air pur qu'elle fait respirer et au bien-être
moral qu'elle communique, et, plus tard nous n'accomplissons plus
ces mêmes actes pour les mêmes motifs grossiers qui
autrefois nous y incitaient.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 On n'est jamais si bien puni que pour ses vertus.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Il est inhumain de bénir qui nous maudit.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Ces gens qui prétendent que ce qui les perdit,
c'est d'être bons...
 Sans doute : mais à quoi ?  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Franklin qui ne passe pas pour avoir inventé grand'chose,
ni le paratonnerre, a écrit qu'un vice coûte plus
cher que deux enfants.
 Et une vertu, donc !  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 N'avons-nous pas oublié le sens du mot "vertu" ?
Jadis elle représentait tout ce qu'un homme avait de bon,
sans tenir compte de ce qu'il pouvait avoir aussi de mauvais,
à l'instar de l'ivraie dans le bon grain. Or, nous avons
aboli la vertu pour lui substituer les vertus. Notre idéal
moderne, ce n'est plus le héros  -  il avait vraiment
trop de défauts  -  mais le sous-fifre qui n'a
rien à se reprocher ; ce n'est plus l'homme qui fait
du bien, mais celui qu'on ne prend pas en train de faire du mal.
Conformément à cette nouvelle théorie, l'être
le plus vertueux dans l'état de nature doit être
l'huître. Elle est toujours à la maison, toujours
sobre. Elle ne fait pas de bruit. Elle n'a jamais maille à
partir avec la police. Je ne crois pas qu'il lui arrive jamais
d'enfreindre un seul des Dix Commandements. Elle ne s'amuse jamais
et elle ne donne jamais, de son vivant, un seul instant de plaisir
à aucune autre créature.  
    --- Jerome K. JEROME   
%
 Il n'y a rien de plus touchant que la bienveillance et
la compassion dont les Pauvres font preuve les uns envers les
autres ; que l'aide qu'ils s'apportent entre eux ; que
leur esprit de sacrifice ; que leur amour du travail ;
que l'instinct sûr qui leur fait comprendre l'utilité
de la résignation et la nécessité de la souffrance ;
que leur simple et profonde honnêteté. Ce sont là
des vertus, ou je ne m'y connais pas. Sans ces vertus, l'existence
des Pauvres telle qu'elle est serait vraiment impossible. Les
bourgeois ne l'ignorent pas. Bien qu'ils n'aient pas l'habitude
d'en faire usage pour eux-mêmes, ils savent quelle est la
valeur de ces vertus et tout le parti qu'on en peut tirer lorsqu'elles
sont mises en pratique par d'autres.  
    --- Georges DARIEN   
%
 Nos vertus, nous les devons à l'impuissance où
nous sommes d'avoir des vices.  
    --- Jules RENARD   
%
 Rien n'apprend mieux à généraliser
que d'avoir quelques vices.  
    --- Jules RENARD   
%
 Hypocrite n. Personne qui, professant des vertus qu'il
ne respecte pas, rend évident l'avantage de sembler être
ce qu'il dédaigne.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Quand je dis que les gens qui ne sont pas irréprochables
valent souvent mieux que les autres, c'est que j'en ai fait l'expérience.
La notion absolue du devoir rend les gens secs, étroits,
bornés, finit par faire d'eux des mécaniques détestables.
Un coquin est souvent un homme supérieur, mal à
l'aise au milieu de nos préjugés.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Pour manier les hommes, il faut pratiquer leurs vices
et en rajouter. Voyez les papes : tant qu'ils forniquaient,
s'adonnaient à l'inceste et assassinaient, ils dominaient
le siècle ; et l'Eglise était toute-puissante.
Depuis qu'ils en respectent les préceptes, ils ne font
que déchoir : l'abstinence, comme la modération,
leur aura été fatale ; devenus respectables,
plus personne ne les craint. Crépuscule édifiant
d'une institution.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Il est plus aisé d'avancer avec des vices qu'avec
des vertus. Les vices, accommodants de nature, s'entraident, sont
pleins d'indulgence les uns à l'égard des autres,
alors que les vertus, jalouses, se combattent et s'annulent, et
montrent en tout leur incompatibilité et leur intolérance.  
    --- Emil CIORAN   
%
 C'est se tromper sur les vertus que de fonder leur valeur
sur leur origine, comme de vouloir, au nom de cette origine, les
invalider. Qu'elles viennent toutes de l'animalité, et
donc du plus bas (du moins de ce qui nous paraît tel :
il est clair que la matière et le vide, d'où tout
vient, y compris l'animalité, n'ont ni haut ni bas nulle
part), j'en suis personnellement persuadé. Mais c'est dire
aussi qu'elles nous élèvent, et c'est pourquoi le
contraire de toute vertu, sans doute, est une forme de bassesse.
  
    --- André COMTE-SPONVILLE   
%
 Il y aurait moins de femmes vertueuses s'il y avait moins
d'hommes avares...  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Une ambition à satisfaire est moins puissante qu'un
vice à entretenir.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Ni la bonté, ni l'indulgence, ni la solidarité
ne sont des vertus naturelles.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Que les chiens soient interdits de paradis tendrait à
prouver que la fidélité n'est pas considérée
comme une vertu cardinale.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Dusses-tu vivre trois mille ans et autant de fois dix
mille ans, souviens-toi pourtant que personne ne perd une autre
vie que celle qu'il vit et qu'il n'en vit pas d'autre que celle
qu'il perd. Donc le plus long et le plus court reviennent au même.
Car le présent est égal pour tous ; est donc
égal aussi ce qui périt ; et la perte apparaît
ainsi comme instantanée ; car on ne peut perdre ni
le passé ni l'avenir ; comment en effet pourrait-on
vous enlever ce que vous ne possédez pas ?  
    --- MARC-AURELE   
%
 Qu'il est ridicule et étrange, celui qui s'étonne
de quoi que ce soit qui arrive dans la vie !  
    --- MARC-AURELE   
%
 Le raisonnement de Marc-Aurèle, suivant lequel
qu'on vive quelques jours ou des siècles, cela ne compte
guère, puisque la mort ne nous ravit que le présent,
et non le passé ni l'avenir qui ne nous appartiennent pas,
 -  ce raisonnement ne résiste pas à l'analyse
ni aux exigences profondes de notre nature. Mais combien est pathétique
l'Antiquité finissante dans ses tentatives pour minimiser
l'importance de la mort !  
    --- Emil CIORAN   
%
 La vie n'est de soy ny bien ny mal : c'est la place
du bien et du mal selon que vous la leur faictes.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 La vie est une comédie, laquelle il n'importe combien
elle soit longue, mais qu'elle soit bien jouée.  
    --- François des RUES   
%
 Si la vie est misérable, elle est pénible
à supporter ; si elle est heureuse, il est horrible
de la perdre. L'un revient à l'autre.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Il n'y a pour l'homme que trois événements :
naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître,
il souffre à mourir, et il oublie de vivre.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Vivre sans le vouloir est chose épouvantable, mais
ce serait bien pis encore d'être éternel sans l'avoir
demandé.  
    --- Georg Christoph LICHTENBERG   
%
 Il est remarquable que l'infiniment petit est peuplé
d'une prodigieuse quantité d'êtres animés
et que l'infiniment grand ne l'est pas ; de telle sorte qu'on
pourrait dire, en n'employant toutefois ces expressions que d'une
manière relative, que l'infiniment petit est peuplé
et que l'infiniment grand est désert.  
    --- Victor HUGO   
%
 Je suis arrivé dans la vie à l'indifférence
complète. Que m'importe, pourvu que je fasse quelque chose
le matin, et que je sois quelque part le soir !  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 De ce que la vie serait en définitive (ce que je
crois) une partie qu'il faut toujours perdre, il ne s'ensuit point
qu'il ne faille pas la jouer de son mieux et tâcher de la
perdre le plus tard possible.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 La meilleure preuve de la misère de l'existence
est celle qu'on tire de la contemplation de sa magnificence.  
    --- Sören KIERKEGAARD   
%
 Vivre, ce n'est pas glisser sur une agréable surface,
ce n'est pas jouer avec le monde pour y trouver son plaisir ;
c'est consommer beaucoup de belles choses, c'est être le
compagnon de route des étoiles, c'est savoir, c'est espérer,
c'est aimer, c'est admirer, c'est bien faire. Celui-là
a le plus vécu, qui, par son esprit, par son coeur et par
ses actes, a le plus adoré !  
    --- Ernest RENAN   
%
 Il est remarquable qu'on ne trouve rien ou presque rien
d'écrit sur la manière de gagner sa vie et qui soit
digne de mémoire : comment gagner sa vie d'une façon
non seulement honnête et honorable mais franchement séduisante
et glorieuse. En effet, si gagner de quoi vivre ne répond
pas à ces critères, alors la vie elle-même
n'y répond pas non plus. A en croire la littérature,
on pourrait penser que cette interrogation n'est jamais venue
déranger les méditations d'une seule personne. Serait-ce
donc que les hommes sont trop dégoûtés par
leur propre expérience pour en parler ?  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 Toute croyance à la valeur et à la dignité
de la vie repose sur une pensée inexacte ; elle est
possible seulement parce que la sympathie pour la vie et les souffrances
universelles de l'humanité est très faiblement développée
dans l'individu. Même les rares hommes dont les pensées
s'élèvent en général au-dessus d'eux-mêmes
n'embrassent pas du regard cette vie universelle, mais seulement
des parties limitées. Si l'on est capable de diriger son
observation sur des exceptions, je veux dire sur les grands talents
et les âmes pures, si l'on prend leur production pour but
de toute l'évolution de l'univers et que l'on prenne plaisir
à leur action, on peut alors croire à la valeur
de la vie, parce qu'on néglige alors les autres hommes
et qu'ainsi l'on pense inexactement.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Modestie de l'homme. - Que peu de plaisir suffit à
la plupart pour trouver la vie bonne, que l'homme est modeste !  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Trop et trop peu. - De nos jours, les hommes vivent tous
beaucoup trop et pensent trop peu : ils ont tout à
la fois la colique et une faim dévorante, c'est pourquoi
ils maigrissent à vue d'oeil, malgré toute la nourriture
qu'ils absorbent. - Celui qui dit maintenant : "Il ne m'est
rien arrivé" passe pour un imbécile.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Dans ta vie, il faut apprendre à compter ;
mais non pas sur les autres.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Nous devons à Ibsen deux formules du jargon sentimental
intellectuel de l'entre-deux-guerres* : "vivre sa vie" et
"en beauté". La première menait les femmes faibles
au trottoir ou chez la proxénète. La seconde légitimait
toutes les loufoqueries. L'une et l'autre comportaient le sermon
laïque. J'ai vu trop d'applications, douloureuses ou comiques,
de ces insanités, pour n'en pas garder rancune à
leur auteur responsable.  
    --- Léon DAUDET   
%
 J'avais justement lu le matin, dans le Soir d'hier, une
série d'aphorismes de René Wisner qui n'a pas grand
talent mais qui a écrit pour une fois dans cette série
un mot assez juste : Qu'est-ce que l'économie ?
L'art de ne pas vivre.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 L'art de vivre consiste d'abord, il me semble, à
ne se point quereller soi-même sur le parti qu'on a pris
ni sur le métier qu'on fait. Non pas, mais le faire bien.
Nous voudrions voir une fatalité dans ces choix que nous
trouvons faits et que nous n'avons pas faits mais ces choix ne
nous engagent point, car il n'y a point de mauvais lot ;
tout lot est bon si l'on veut le rendre bon. Il n'y rien qui marque
mieux la faiblesse que de discuter sur sa propre nature ;
nul n'a le choix ; mais une nature est assez riche pour contenter
le plus ambitieux. Faire de nécessité vertu est
le beau et grand travail.  
    --- ALAIN   
%
 Dieu a sagement agi en plaçant la naissance avant
la mort ; sans cela, que saurait-on de la vie ?  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 J'étais comme arrivé au moment, à
l'âge peut-être, où on sait bien ce qu'on perd
à chaque heure qui passe. Mais on n'a pas encore acquis
la force de sagesse qu'il faudrait pour s'arrêter pile sur
la route du temps et puis d'abord si on s'arrêtait on ne
saurait quoi faire non plus sans cette folie d'avancer qui vous
possède et qu'on admire depuis toute sa jeunesse. Déjà
on en est moins fier d'elle de sa jeunesse, on n'ose pas encore
l'avouer en public que ce n'est peut-être que cela sa jeunesse,
de l'entrain à vieillir.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 La grande fatigue de l'existence n'est peut-être
en somme que cet énorme mal qu'on se donne pour demeurer
vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être
simplement, profondément soi-même, c'est-à-dire
immonde, atroce, absurde. Cauchemar d'avoir à présenter
toujours comme un petit idéal universel, sur-homme du matin
au soir, le sous-homme claudicant qu'on nous a donné.  
    --- Louis-Ferdinand CELINE   
%
 Quel petit nombre d'heures, d'instants, chaque jour, sont
vraiment occupés à vivre ! Pour quelques triomphantes
oasis, quels immenses déserts à traverser !  
    --- André GIDE   
%
 Ceux qui prétendent agir d'après des règles
de vie, me paraissent, si belles que puissent être celles-ci,
des idiots, ou tout au moins des maladroits, incapables de profiter
de la vie - je veux dire : de se laisser instruire par la
vie. Des êtres en tout cas insupportables.  
    --- André GIDE   
%
 "Ma vie a été dominée par trois phrases
que répétait à ma première enfance
une excellente parente à qui j'avais été
confié.
 1. On est ce qu'on est.
 2. Il faut ce qu'il faut.
 3. Ca coûtera ce que ça coûtera."
 C'est Paul Desjardins qui, à Pontigny, nous racontait
cela, et beaucoup mieux que je ne fais ici.  
    --- André GIDE   
%
 Ce qu'on appelle une raison de vivre est en même
temps une excellente raison de mourir.  
    --- Albert CAMUS   
%
 On a toujours beaucoup plus de chances d'apprendre un
événement extraordinaire par le journal que de le
vivre ; en d'autres termes, c'est dans l'abstrait que ce
passe de nos jours l'essentiel, et il ne reste plus à la
réalité que l'accessoire.  
    --- Robert MUSIL   
%
 Il n'existe guère que deux arts de vivre :
l'un consiste à se mettre à la place des autres,
l'autre à la leur prendre.  
    --- Antoine BLONDIN   
%
 Certains se demandent encore si la vie a un sens ou non.
Ce qui revient en réalité à s'interroger
si elle est supportable ou pas. Là s'arrêtent les
problèmes et commencent les résolutions.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Nous ne sommes des ratés que si la vie a un sens.
Car dans ce cas seulement, tout ce que nous n'avons pas accompli
constitue une chute ou un péché. Dans un monde pourvu
d'une finalité extérieure, un monde qui tend vers
quelque chose, nous sommes obligés d'être jusqu'à
nos limites.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Vivre, c'est perdre du terrain.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Vivre c'est composer. Tout homme qui ne meurt pas de faim
est suspect.  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'essence de la vie réside dans la peur de mourir.
Si cette peur disparaissait, la vie perdrait sa raison d'être.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Si vous n'attendez pas tout de la vie, vous n'aurez rien !  
    --- Frédéric DARD   
%
 Un homme qui serait en peine de connaître s'il change,
s'il commence à vieillir, peut consulter les yeux d'une
jeune femme qu'il aborde, et le ton dont elle lui parle :
il apprendra ce qu'il craint de savoir. Rude école.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 L'on craint la vieillesse, que l'on est pas sûr
de pouvoir atteindre.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 L'on espère de vieillir et l'on craint la vieillesse ;
c'est-à-dire l'on aime la vie et l'on fuit la mort.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 Avoir de l'expérience, ce n'est pas avoir vieilli,
c'est avoir vu, et l'on voit mieux jeune que vieux.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Vieillesse. Devait en effet être plus honorée
dans des temps où chacun ne pouvait guère savoir
que ce qu'il avait vu.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 J'avais besoin de l'âge pour apprendre ce que je
voulais savoir, et j'aurais besoin de la jeunesse pour bien dire
ce que je sais.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Le soir de la vie apporte avec soi ses lumières
et sa lampe pour ainsi dire.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La France sera sauvée quand les vieux regarderont
en avant et quand les jeunes regarderont en arrière.  
    --- Victor HUGO   
%
 A vingt ans, les illusions ; à cinquante
les préjugés.  
    --- Victor HUGO   
%
 Il est bon d'être ancien et mauvais d'être
vieux.  
    --- Victor HUGO   
%
 J'aime encore beaucoup à respirer les fleurs, mais
je n'en cueille plus.  
    --- Charles-Augustin SAINTE-BEUVE   
%
 Lorsque les vieilles gens vous diront que vous ne pouvez
faire quelque chose, essayez, et vous découvrirez que vous
pouvez le faire. Que les vieux agissent comme des vieux, les jeunes
comme des jeunes.  
    --- Henry D. THOREAU   
%
 La jeunesse écoute les conseils de l'âge
mûr. Elle a une confiance illimitée en elle-même.  
    --- Isidore DUCASSE (LAUTREAMONT)   
%
 La vieillesse, c'est quand on commence à dire :
"Jamais je ne me suis senti aussi jeune".  
    --- Jules RENARD   
%
 On ne peut pas être et avoir été.
 Vous vous trompez, cher employé des Pompes funèbres,
et la preuve, c'est qu'on peut avoir été un imbécile
et l'être encore.  
    --- Léon BLOY   
%
 La frôleuse répondait au vieillard :
"C'est vrai, vous avez le plaisir, mais nous avons l'amusement".  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 J'étais né pour rester jeune, et j'ai eu
l'avantage de m'en apercevoir, le jour où j'ai cessé
de l'être.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Il vaut mieux gâcher sa jeunesse que de n'en rien
faire du tout.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Je nie absolument que chaque âge ait ses plaisirs,
la Jeunesse gardant tout pour elle.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 On me demandait l'autre jour : "Qu'est-ce que vous
faites ? - Je m'amuse à vieillir, répondis-je.
C'est une occupation de tous les instants."  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 Les jeunes gens rient dans leur solidité et leur
entrain, d'entendre quelquefois des hommes de cinquante ans regretter
leur jeunesse et leur pauvreté. Je haussais aussi les épaules
à leur âge. Plus tard, j'ai compris. Ce n'est pas
la pauvreté qu'on regrette. Ce serait trop bête.
Ce n'est même pas la jeunesse. Les choses qu'on a vécues,
il est bien rare qu'on désire les revivre. Ce qu'on regrette,
c'est le bon temps de l'insensibilité, de l'insouciance,
de l'irréflexion, le temps où l'on passe, rapide,
le temps où la mort n'a pas de signification bien précise.
Vieillir, c'est devenir de plus en plus sensible, et voir, chaque
jour davantage, nous quitter une à une les choses que l'on
aime  -  le temps où l'on n'a plus à attendre
que des gnons, comme dit, dans une autre formule, le directeur
du Mercure. Qui m'aurait dit, quand j'étais jeune, que
je deviendrais si sensible, qu'il me viendrait aussi ce besoin
d'aimer... On dit pourtant qu'on devient plus sec avec les années.
Je prends le chemin tout contraire, je crois bien.  
    --- Paul LEAUTAUD   
%
 C'est la fièvre de la jeunesse qui maintient le
reste du monde à la température normale. Quand la
jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents.  
    --- Georges BERNANOS   
%
 On a l'âge qu'on paraît dans les circonstances
frivoles de la vie, mais on a l'âge qu'on a dans les affaires
sérieuses. Les deux ensemble. De là des confusions
et des déceptions qui rendent nos entreprises tour à
tour trompeusement faciles ou faussement difficiles.  
    --- Vladimir JANKELEVITCH   
%
 Les vieux, qui sont vieux, comme leur nom l'indique, n'applaudissent
jamais à l'amélioration de quoi que ce soit. Ils
voient d'un mauvais oeil l'avenir.
 Cela tient à ce que, pour eux, l'avenir est chose incertaine.
 Ils disent qu'ils ont été heureux "comme ça"
toute leur vie, et qu'il faut les laisser tranquilles.
 Ce n'est pas uniquement par raison de santé qu'ils disent
cela. Et leur crainte de l'inconnu est tout autant morale que
physique. 
 La nouveauté bouleverse les vieux en art, en mécanique,
en médecine, en tout.
 C'est dommage, parce qu'ils ne font, en somme, qu'ajourner leur
plaisir et leur confort. Une chose nouvelle cesse vite d'être
une chose nouvelle, et ils l'adoptent toujours - un peu trop tard.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Se méfier des vieux qui disent : "Place aux
jeunes !"
 Ils n'ont qu'à s'en aller, s'ils aiment tant les jeunes !
 Or, il faut observer que ceux qui disent : "Place aux jeunes !"
ne leur offrent jamais que les places des autres.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Quand je cesserai de m'indigner, j'aurai commencé
ma vieillesse.  
    --- André GIDE   
%
 Le vieux lierre soutient le mur, qui l'avait longtemps
soutenu.  
    --- André GIDE   
%
 Plus on vit, moins il semble utile d'avoir vécu.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Dans un jardin public, cette pancarte : "A
cause de l'état (âge et maladie) des arbres, il est
procédé à leur remplacement."
 Le conflit des générations, même ici !
Le simple fait de vivre, fût-ce pour un végétal,
est affecté d'un coefficient fatal. Aussi n'est-on content
de respirer que lorsqu'on oublie que l'on est vivant.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Vu, à la devanture d'une librairie catholique,
un livre au titre stupéfiant : La joie de vieillir.
 L'Eglise,  -  quelle entreprise d'escamotage !  
    --- Emil CIORAN   
%
 L'expression homme du passé n'a rien de péjoratif.
On a connu quantité d'hommes d'avenir qui, faute d'avoir
été, ne fût-ce qu'un jour, les hommes du présent,
n'ont jamais réussi à se faire un passé.  
    --- André FROSSARD   
%
 Les êtres humains, autant que le vin, ont besoin
d'acidité pour vieillir. Sinon, ils se madérisent.  
    --- Roland TOPOR   
%
 J'ai des ambitions de vieux  -  les honneurs,
le pouvoir et l'argent  -  étayées par des
certitudes de jeunes  -  la durée, le tonus et
la santé.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le pire n'est pas, quand on vieillit, de ne plus distinguer
nettement certains mots mais de les confondre avec d'autres et
de répondre à côté en laissant croire
non que l'oreille faiblit mais que l'esprit déraille.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le malheur étant, comme le bonheur, affaire de
comparaisons, il convient, à partir d'un certain âge,
d'avoir toujours à sa botte plus vieux et plus déshérité
que soi. Un septuagénaire rhumatisant que l'on place à
côté d'un nonagénaire paralysé n'ose
plus se plaindre de ses articulations.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le refus de la vieillesse et de ses atteintes passe par
deux constatations subjectives : les gens parlent de moins
en moins distinctement, les escaliers ont des marches de plus
en plus hautes.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Les vieux savent tout. Sauf qu'ils sont vieux.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Le vin d'honneur de la retraite : véritable
crémation sociale à l'issue de laquelle l'exécuté
rentre chez lui avec la canne à pêche, symbole d'une
nouvelle vie et d'une mort prochaine.  
    --- Philippe BOUVARD   
%
 Dans les circonstances où nous pouvons agir, nous
pouvons aussi nous abstenir ; là où nous disons :
non, nous sommes maîtres aussi de dire : oui. Ainsi
donc, si l'exécution d'une belle action dépend de
nous, il dépendra aussi de nous de ne pas exécuter
un acte honteux ; et si nous pouvons nous abstenir d'une
bonne action, l'accomplissement d'un acte honteux dépend
encore de nous. Si donc l'exécution des actes honorables
et honteux est en notre pouvoir, nous pouvons aussi ne pas les
commettre  -  or c'est en cela que consiste l'honnêteté
et le vice  -  , à coup sûr il dépend
de nous d'être gens de bien ou malhonnêtes. Aussi
prétendre que :
      Nul n'est méchant volontairement
      et que nul n'est heureux contre son
gré
 est, semble-t-il, une affirmation qui participe à la fois
de l'erreur et de la vérité. Car nul n'est heureux
involontairement, mais le vice ne va pas sans participation de
notre volonté.  
    --- ARISTOTE   
%
 Ainsi d'un homme qui cède à la peur, je
ne dirai jamais qu'il a choisi de céder à 1a peur.
Car il n'est pas difficile de céder à la peur ;
il est inutile de le vouloir ; la peur tire continuellement ;
il n'y a qu'à la laisser faire. Comme pour dormir le matin,
il suffit de s'abandonner. Le paresseux ne choisit point la paresse ;
la paresse se passe très bien d'être choisie. La
gourmandise de même, et la luxure, et tous les péchés ;
cela va tout seul. L'automobile, au tournant, ira dans le ravin ;
elle ira toute seule dans le ravin. Dès que l'homme ne
se dirige plus, les forces extérieures le reprennent. Et
si j'écris n'importe quoi, ce sera une sottise. Le bavard
qui se lance, ou qui seulement s'endort, ira de sottise en sottise.
Ce que les anciens, hommes de jeux et de sports, avaient très
bien vu, disant que la force gouvernante ou volonté est
directement bonne et que nul n'est méchant volontairement.  
    --- ALAIN   
%
 L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd :
car, comme on dict, c'est n'estre en aucun lieu, que d'estre par
tout.  
    --- Michel de MONTAIGNE   
%
 Nous avons plus de force que de volonté ;
et c'est souvent pour nous excuser à nous même que
nous nous imaginons que les choses sont impossibles.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Il y a peu de choses impossibles d'elles-mêmes ;
et l'application pour les faire réussir nous manque plus
que les moyens.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et réglé,
qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volonté ;
elles roulent ensemble et exercent successivement un empire secret
en nous : de sorte qu'elles ont une part considérable
à toutes nos actions, sans que nous le puissions connaître.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Nous ne désirerions guère de choses avec
ardeur, si nous connaissions parfaitement ce que nous désirons.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 On ne souhaite jamais ardemment ce qu'on ne souhaite que
par raison.  
    --- LA ROCHEFOUCAULD   
%
 Il y a de certaines gens qui veulent si ardemment et si
déterminément une certaine chose, que de peur de
la manquer, ils n'oublient rien de ce qu'il faut faire pour la
manquer.  
    --- Jean de LA BRUYERE   
%
 On ne persuade aux hommes que ce qu'ils veulent. Il ne
s'agit donc pour les dissuader que de leur faire voir que ce qu'ils
veulent en effet n'est pas ce qu'ils pensent vouloir.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 La volonté est à notre âme ce qu'est
le coeur à notre corps.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Souhaiter, c'est rêver ; vouloir, c'est penser.  
    --- Victor HUGO   
%
 La volonté forte est admirée de tout le
monde, parce que personne ne l'a et parce que chacun se dit que,
s'il l'avait, il n'y aurait plus de limite pour lui ni pour son
égoïsme.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 But et voies. - Bien des gens sont obstinés en
ce qui touche la voie une fois prise, peu en ce qui touche le
but.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 "Veuille être toi-même ! " - Les natures
actives et couronnées de succès n'agissent pas selon
l'axiome "connais-toi toi-même", mais comme si elles voyaient
se dessiner devant elles le commandement : "Veuille être
toi-même et tu seras toi-même."  -  La destinée
semble toujours leur avoir laissé le choix ; tandis
que les inactifs et les contemplatifs réfléchissent,
pour savoir comment ils ont fait pour choisir une fois, le jour
où ils sont entrés dans le monde.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Entre la certitude que j'ai de mon existence et le contenu
que j'essaie de donner à cette assurance, le fossé
ne sera jamais comblé. Pour toujours, je serai étranger
à moi-même. En psychologie comme en logique, il y
a des vérités mais point de vérité.
Le "connais-toi toi-même" de Socrate a autant de valeur
que le "sois vertueux" de nos confessionnaux. Ils révèlent
une nostalgie en même temps qu'une ignorance. Ce sont des
jeux stériles sur de grands sujets. Ils ne sont légitimes
que dans la mesure exacte où ils sont approximatifs.  
    --- Albert CAMUS   
%
 Une fatalité s'attache à toutes les bonnes
résolutions.
 On les prend toujours trop tôt.  
    --- Oscar WILDE   
%
 Je n'ai pas eu ce que je désirais tant, et, un
peu plus tard, je me suis aperçu qu'il était heureux
pour moi de n'avoir pas réalisé mon désir
têtu.  
    --- Jules RENARD   
%
 La joie d'avoir travaillé est mauvaise : elle
empêche de continuer.  
    --- Jules RENARD   
%
 Je n'admet pas que l'on contrarie mes projets, surtout
quand j'ai la certitude de ne jamais les mettre à exécution.  
    --- Jules RENARD   
%
 On peut tout faire, avec de la volonté ; mais,
d'abord, comment avoir de la volonté ?  
    --- Jules RENARD   
%
 C'est la pire lassitude, quand on ne veut plus vouloir.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Un lascar sera celui qui, ayant su préciser parmi
les lobes du cerveau la case de la Volonté, la fécondera,
la développera par un procédé à lui ;
car l'homme ne meurt pas que d'urémie, de pleurésie
ou de congestion, mais aussi de son impuissance à avoir
raison de lui-même, de la souffrance aiguë qu'il endure
à rompre avec des habitudes sur la malfaisance desquelles
il ne s'illusionne même pas.
 Il meurt de s'attarder à jouer le poker dans le nuage
d'une salle de café enfumée et de répéter
tous les soirs : 
  -  Ma parole, on n'a pas idée de se coucher à
des heures pareilles ! C'est la dernière fois !
A qui de faire ?
 Il meurt de s'écrier :
  -  J'ai bu huit bocks ! C'est trop. Encore un,
garçon ! C'est le dernier.
 Il meurt de constater :
  -  Comment, je n'ai plus de tabac ! J'en fume pour
vingt sous par jour ; c'est ridicule ! Qui est-ce qui
me donne une cigarette ? C'est la dernière.  
    --- Georges COURTELINE   
%
 Il faut se faire aussi des serments à soi-même
- et, ceux-là, les tenir.  
    --- Sacha GUITRY   
%
 Les esprits valent selon ce qu'ils exigent.
 Je vaux ce que je veux.   
    --- Paul VALERY   
%
 Je n'ai pas de volonté  -   -  en toutes
choses qui ne dépendent pas de moi seul. Je n'ai rien voulu
dans l'ordre extérieur  -  J'ai subi, accepté,
suivi.
 Il me semble que décider en ces choses extérieures
c'est agir en violation des droits et prérogatives du hasard,
lequel ne manque pas de récompenser à sa façon.
Car les hommes savent parfois ce qu'ils font, mais ils ne savent
jamais ce que fait ce qu'ils font.  
    --- Paul VALERY   
%
 Balzac pensait sans doute qu'il n'est pas pour l'homme
de plus grande honte ni de plus vive souffrance que l'abdication
de sa volonté. Je l'ai vu une fois, dans une réunion
où il était question des effets prodigieux du haschisch.
Il écoutait et questionnait avec une attention et une vivacité
amusantes. Les personnes qui l'ont connu devinent qu'il devait
être intéressé. Mais l'idée de penser
malgré lui-même le choquait vivement. On lui présenta
du dawamesk ; il l'examina, le flaira et le rendit sans y
toucher. La lutte entre sa curiosité presque enfantine
et sa répugnance pour l'abdication se trahissait sur son
visage expressif d'une manière frappante. L'amour de la
dignité l'emporta. En effet, il est difficile de se figurer
le théoricien de la volonté, ce jumeau spirituel
de Louis Lambert, consentant à perdre une parcelle de cette
précieuse substance.  
    --- Charles BAUDELAIRE   
%
 Nous possédons, avec la volonté, une force
de pétrissage, de réfection, de refonte organique
dont nous ne soupçonnons pas encore l'importance. J'appelle
application de la volonté non le fait de répéter :
"Je veux", en serrant les dents et les poings, mais l'exercice
quotidien appuyé, précis, portant au même
endroit, de la faculté qui meut toute notre machine. L'assiduité
et l'attention sont deux rebouteuses de premier ordre. Chacun
de nous, s'il se guette avec clairvoyance et s'il a le courage
de se prendre en main, a en soi le docteur idéal, le docteur
passionné pour son client, le docteur toujours prêt,
dont rêvent les pauvres neurasthéniques et les vieilles
dames couvertes de petites lésions. L'homme ignore les
trois quarts de ses ressources et il meurt sans les avoir employées,
comme il meurt sans avoir joué de la centième partie
des combinaisons intellectuelles que lui permettrait la souplesse
infinie de son cerveau. Nous sommes comparables à des laboureurs
qui vivraient sur un hectare de culture, abandonnant cinq cents
hectares à la friche.  
    --- Léon DAUDET   
%
 Chacun sait qu'une certaine espèce de fous font
ce qu'on leur suggère, et qu'ils veulent aussi ce qu'ils
font, ce qui fait qu'ils croient faire ce qu'ils veulent. Prouvez
que nous ne sommes pas tous ainsi.  
    --- ALAIN   
%
 Il ne faudrait vouloir qu'une chose et la vouloir sans
cesse. On est sûr alors de l'obtenir. Mais moi, je désire
tout ; alors je n'obtiens rien. Je découvre toujours
et trop tard que l'une m'était venue tandis que je courais
à l'autre.  
    --- André GIDE   
%
 Je n'admets pas que rien me nuise ; je veux que tout
me serve, au contraire. J'entends tourner tout à profit.  
    --- André GIDE   
%
 Oui, je crois que l'application manque beaucoup plus souvent
que le don. L'insuffisance d'application provient souvent d'un
doute sur sa propre importance ; mais est due plus fréquemment
encore à une suffisance excessive.  
    --- André GIDE   
%
 Je prends une résolution debout ; je m'allonge
 -  et l'annule.  
    --- Emil CIORAN   
%
 On parle des maladies de la volonté, et on oublie
que la volonté elle-même est une maladie, que c'est
une activité non naturelle que de vouloir.  
    --- Emil CIORAN   
%
 Quand on veut, on pourrait.  
    --- Ambrose BIERCE   
%
 Qu'on parcoure l'histoire ancienne et moderne, on ne trouvera
point d'exemple de prince qui ait donné sept mille écus
de pension à un homme de lettres, à titre d'homme
de lettres. Il y a eu de plus grands poètes que Voltaire ;
il n'y en eut jamais de si bien récompensés, parce
que le goût ne met jamais de bornes à ses récompenses.
Le roi de Prusse comble de bienfaits les hommes à talents,
précisément par les mêmes raisons, qui engagent
un prince d'Allemagne à combler de bienfaits un bouffon
ou un nain.  
    --- LA BEAUMELLE   
%
 Ce La Beaumelle est le même qui a depuis fait imprimer
des lettres falsifiées de M. de Voltaire, à Amsterdam,
à Avignon, accompagnées de notes infâmes contre
les premiers de l'Etat.
      On a toujours du goût pour son
premier métier. 
 On demande, après de pareils exemples, s'il ne vaut pas
mille fois mieux être laquais dans une honnête maison
que d'être le bel esprit des laquais ;  
    --- VOLTAIRE   
%
 Voltaire n'a dans tous ses écrits qu'un seul caractère
constant, celui de moqueur d'hommes et de livres.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Voltaire. Le jugement droit, l'imagination ornée
et riche, l'esprit agile, le goût vif, le sens moral détruit.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Il ne faut pas plus d'attention pour lire Voltaire que
pour entendre un homme qui parle. Aussi, en le lisant, on a l'attitude
d'un homme qui écoute plutôt que l'attitude d'un
homme qui lit.  -  Il a mis dans ses livres un degré
de clarté qui n'est nécessaire que dans les conversations
ordinaires.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 D'Alembert se trouva chez Voltaire avec un célèbre
professeur de droit à Genève. Celui-ci, admirant
l'universalité de Voltaire, dit à d'Alembert :
"Il n'y a qu'en droit public que je le trouve un peu faible. -
Et moi, dit d'Alembert, je ne le trouve un peu faible qu'en géométrie."  
    --- CHAMFORT   
%
 Des deux hommes qui ont dominé le dix-huitième
siècle, Jean-Jacques a plus fait pour la révolution
Voltaire pour la civilisation.  
    --- Victor HUGO   
%
 Bonté de l'exil.
 Voltaire est plus Voltaire à Ferney qu'à Paris.  
    --- Victor HUGO   
%
 On ne meurt qu'une fois.
 Voltaire, qu'on ne lit plus assez, aujourd'hui, a répondu
victorieusement à tout cela et à beaucoup d'autres
choses dans son immortel Dictionnaire philosophique. Avec une
inconcevable noblesse de langage, il y explique le génie
et, en général, toutes les manifestations de l'âme
humaine, qu'on croyait auparavant l'effet d'un souffle inspirateur,
par l'extrême difficulté de faire caca. Un efficace
purgatif, et Napoléon devient immédiatement un imbécile.
Plongez-vous dans les foirades de Voltaire qui n'était
pas constipé, lui, je vous en réponds, et vous verrez
si ce n'est pas mourir deux fois.  
    --- Léon BLOY   
%
 Tout le monde a plus d'esprit que Voltaire.
 Ce qui est demandé par le Bourgeois, c'est un niveau,
rien de plus. Tout le monde, c'est lui-même, indéfiniment,
au ras de la crotte, et il a raison d'imaginer Voltaire plus bas.
Voltaire est son orifice excrémentiel.  
    --- Léon BLOY   
%
 Les voyages forment la jeunesse, a dit un sage, mais,
regrette je ne sais quel observateur, ils déforment les
chapeaux.  
    --- Alphonse ALLAIS   
%
 Voyageur. Bah ! ceux qui ont fait le tour du monde
peuvent faire durer leur conversation un quart d'heure de plus.  
    --- Jules RENARD   
%
 Ce qu'il y a de meilleur à l'étranger ce
sont les compatriotes qu'on y rencontre.  
    --- Paul-Jean TOULET   
%
 Oui, en somme, je m'aperçois que les voyages, ça
sert surtout à embêter les autres une fois qu'on
en est revenu !...  
    --- Sacha GUITRY   
%
 On sait que Guillaume le Conquérant, lorsqu'il
débarqua à Hastings, s'empêtra si bien dans
son armure qu'il s'étala de tout son long et s'ouvrit le
genou, ce qui était une manière de se couronner
avant la lettre, mais n'en prouve pas moins que les Français,
fussent-ils assurés de leurs prestiges et de leurs pouvoirs,
ont toujours eu tendance à s'embrouiller les pieds lorsqu'ils
tentent d'en mettre un sur le sol britannique. Les Anglais, si
indifférents qu'ils se montrent à l'endroit de notre
comportement et de nos moeurs, n'ont pas été sans
le remarquer. Et il faut bien avouer qu'ils ont abusé de
la situation, s'ingéniant avec une froide malice à
compliquer, voire à décourager, les tentatives de
rapprochement. Je ne parle que pour mémoire du système
métrique qu'ils se refusent obstinément à
adopter, des oeufs à la coque qu'ils entament par le petit
bout et de la circulation à gauche qui vous précipite
à chaque coin de rue sous les roues d'un autobus. L'important
est qu'il faille plus généralement prendre en toutes
choses le contre-pied des habitudes européennes si l'on
veut tirer son épingle d'un jeu de société
auquel il est bien entendu que l'Angleterre a donné ses
règles. Ici, le moindre de vos gestes vous engage, vous
compromet, celui de saisir une fourchette comme celui de lier
une conversation. Chaque instant ouvre une chausse-trappe sous
vos pas, vous colle une étiquette dans le dos. Vous pouvez
bien contempler un cul-de-jatte jouant des cymbales sur un passage
clouté, ce n'est pas lui qui est pittoresque, c'est vous.
A quelque détail imperceptible, vous vous êtes
laissé reconnaître pour ce que vous êtes, et
si par bonheur vous n'avez pas choqué le Londonien, du
moins l'avez-vous diverti. L'Anglais a la bonne franquette terriblement
lucide. En face de lui, on a le sentiment de voyager en première
avec un ticket de troisième.  
    --- Antoine BLONDIN  
%
 Toutes les fois qu'une proposition est inconcevable, il
ne la faut pas nier à cette marque, mais examiner le contraire ;
et si on le trouve manifestement faux, on peut affirmer le contraire,
tout incompréhensible qu'il est.
 Il me semble qu'il est évident que les deux contraires
peuvent être faux. Un boeuf vole au sud avec des ailes,
un boeuf vole au nord sans ailes ; vingt mille anges ont
tué hier vingt mille hommes ; vingt mille hommes ont
tué hier vingt mille anges ; ces propositions contraires
sont évidemment fausses.  
    --- Logique ! (commentaire sur   
%
 Le serpent a ses pieds en dedans de lui-même :
ses anneaux lui en tiennent lieu.  
    --- Joseph JOUBERT   
%
 Crainte et intelligence.  -  Si ce que l'on affirme
maintenant expressément est vrai, qu'il ne faut pas chercher
dans la lumière la cause du pigment noir de la peau :
ce phénomène pourrait peut-être rester le
dernier effet de fréquents accès de rage accumulés
pendant des siècles (et d'afflux de sang sous la peau) ?
Tandis que, chez d'autres races plus intelligentes, le phénomène
de pâleur et de frayeur, tout aussi fréquent, aurait
fini par produire la couleur blanche de la peau ? - Car le
degré de crainte est une mesure de l'intelligence :
et le fait de s'abandonner souvent à une colère
aveugle est le signe que l'animalité est encore toute proche
et voudrait de nouveau prévaloir,  -  gris-brun,
ce serait peut-être là la couleur primitive de l'homme,
 -  quelque chose qui tient du singe et de l'ours, comme
de juste.  
    --- Friedrich NIETZSCHE   
%
 Quand je dis vrai, je suis libre à l'égard
de toute cause de détermination. C'est d'ailleurs parce
que je suis libre à l'égard de ce dont je parle
que je puis en parler "vraiment". La vérité-sur
se fonde dans la liberté-à-l'égard-de. Si
mon jugement était la conséquence d'un enchaînement
causal, il ne pourrait être vrai : on ne peut dire
que le perroquet qui dit "j'ai faim" (Ou, comme un que je connais,
et qui répond au nom de Socrate : "Socrate a faim")
dise vrai, même s'il a faim, car il dit qu'il a faim au
moment où il a faim parce qu'il a faim et non parce qu'il
est vrai qu'il ait faim.  
    --- Marcel CONCHE

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